Le Pétrole et les Hommes d’huile de l’Amérique du Nord

Le Pétrole et les Hommes d’huile de l’Amérique du Nord
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 80 (p. 875-909).
LE PETROLE
ET
LES HOMMES D'HUILE DE L'AMERIQUE DU NORD

Le pétrole, — l’huile de pierre, — était connu dès la plus haute antiquité ; mais c’est de plus moins de dix ans qu’il s’est imposé à l’attention publique. Tout a concouru à lui faire ce grand succès. L’éclairage au pétrole est véritablement démocratique, il fournit beaucoup de lumière à très bas prix. Les débuts de ce combustible liquide étaient d’ailleurs rehaussés par une mise en scène bien faite pour lui donner une notoriété bruyante. — Fortunes de princes édifiées en un jour comme au temps de Law, paysages enflammés pendant des semaines entières, navires sautant en mer, cargaisons brûlant sur les quais et dans les docks au bord de fleuves qui roulaient des nappes de feu, explosions meurtrières au sein des villes, tous ces incidens, aussitôt répétés par les journaux de tous les pays, remuaient les imaginations dans les deux mondes. L’industrie nouvelle grandissait toujours et traversait victorieusement une série de crises violentes causées à la fois par les incertitudes d’un mode d’exploitation tout primitif et par les fureurs du jeu. Maintenant que l’extraction, le traitement et le transport du pétrole se font d’une manière sûre et méthodique, que les compagnies factices créées pendant la « fièvre de l’huile » par des spéculateurs sans scrupule ont cédé la place à des entreprises sérieuses conduites avec intégrité, le moment semble venu d’esquisser les traits principaux du plus curieux peut-être des épisodes du mouvement industriel contemporain. Une pareille étude semble d’autant plus opportune que la question du pétrole s’est fort élargie dans ces dernières années. Be 1861 à 1866, le chiffre des exportations des États-Unis s’était élevé progressivement de 1 million à 67 millions de gallons. En 1867, on put croire que ce dernier nombre donnait assez exactement la limite extrême des besoins de la consommation étrangère, car il ne fut pas franchi ; mais en 1868, par un saut brusque, le total des exportations atteignit presque 100 millions. En même temps la consommation intérieure des États-Unis a augmenté au point de représenter aujourd’hui le tiers de la production totale. Au commencement de 1868, il existait en Europe et en Amérique une réserve notable ; dans le cours de cette même année, pour faire face à la demande, la production a dû néanmoins atteindre et quelquefois dépasser le chiffre énorme de 13,000 barils par jour[1]. De nouveaux territoires ont été mis en exploitation dans la vallée d’Oil-Creek, la localité classique du pétrole, celle qui fournit la presque totalité des huiles minérales employées à l’éclairage dans le monde entier. En 1869 au contraire, la réserve est presque nulle, et il va falloir attaquer des zones pétrolifères dont l’exploitation, plus difficile, avait été jusqu’à présent ajournée.

Dans l’ordre des arts utiles, chaque âge révèle des tendances caractéristiques. Au siècle dernier, les hommes avaient besoin de se vêtir à bon marché ; c’est ce qui fit la fortune d’Arkwright et des filateurs à la mécanique, la prospérité soudaine de Manchester et des villes du continent qui importèrent les nouvelles méthodes de travail. Au XIXe siècle, on veut de la lumière, même dans le wigwam d’écorce de bouleau de l’Indien, même dans la cabane de boue du pauvre Ruthène de Galicie. L’introduction de la plus modeste lampe y vient activer la vie de famille en prolongeant la veillée. La France a contribué dans une très large mesure à produire ce résultat. Le verre d’Argand, premier progrès sur la mèche fumeuse de l’ancien temps, remonte à peine à la veille de la révolution française ; la lampe Carcel et le gaz sont d’hier. Une foule d’inventeurs obscurs ont perfectionné sans relâche les mécanismes des lampes, afin d’échapper à la nécessité coûteuse de brûler des huiles végétales. Ces tentatives, qui eurent quelque vogue sous la monarchie de juillet, ont préparé le succès du pétrole : malheureusement elles vinrent à un moment où il était prématuré de songer à la vulgarisation de l’éclairage par les huiles minérales. La matière première manquait ; les arts chimiques n’avaient point fourni le moyen d’extraire ces précieuses substances des schistes auxquels elles se trouvent associées sur beaucoup de points ; à plus forte raison, la science n’avait-elle pas montré le parti que l’on peut tirer du pétrole liquide, dont on connaissait pourtant un grand nombre de sources naturelles. C’est aux Américains que revient le mérite d’avoir donné à ce dernier droit de cité dans l’industrie. L’aptitude native qui les porte à chercher dans chaque chose le côté utile, surtout l’activité fiévreuse, mais patiente, qui seconde si bien chez eux cette heureuse tournure d’esprit, les ont en cette occasion merveilleusement servis. Le chimiste français Selligues, dont les premiers essais dans le bassin d’Autun remontent à l’année 1832, avait réussi à distiller industriellement les schistes ingrats que l’on rencontre dans cette partie de la France. M. James Young, de Glasgow, perfectionna ces procédés, et établit en 1847 dans le Derbyshire une vaste usine pour traiter des minerais anglais incomparablement plus riches que ceux de la France, et connus sous les noms de bog-head et cannel-coal. En peu d’années, cet établissement prit un développement extraordinaire : il rapportait au fondateur plusieurs centaines de mille francs de revenu. La perspective de tels profits si promptement réalisés mit cette fabrication en honneur. Elle pénétra vers 1854 aux États-Unis, où l’on se mit à distiller le bog-head d’Ecosse et plusieurs variétés de schistes indigènes. En 1860, on comptait déjà dans l’Amérique du Nord soixante-quatre fabriques d’huile de schiste. La découverte d’abondans réservoirs de pétrole devait arrêter court cette prospérité naissante, ruiner un grand nombre d’usines et contraindre les autres à se transformer pour raffiner ce liquide, bien autrement riche en matière éclairante que le bog-head et le cannel-coal.


I

Le pétrole, tel qu’on le trouve dans la terre, est un liquide généralement noir, qui présente souvent un reflet verdâtre. C’est par la distillation que l’on en sépare l’huile incolore employée dans les lampes. En Italie, au Caucase et dans l’Ohio, on rencontre un pétrole couleur d’ambre, quelquefois même à peu près incolore ; mais le plus abondant et le seul qui serve à la fabrication est le pétrole noir. Les Américains l’ont appelé de plusieurs noms, rock oil, huile de roche, british oil, huile anglaise à cause de l’analogie qu’il présentait avec l’huile de schiste d’importation britannique, mais plus universellement Senecca oil, du nom d’une puissante tribu indienne répandue autrefois au Canada et dans les états de New-York et de Pensylvanie. Ces Indiens s’en servaient pour divers usages médicinaux et pour des pratiques de sorcellerie[2]. On raconte que dès 1819 les premiers pionniers de l’Ohio brûlaient dans des lampes le pétrole brut qu’ils trouvaient le long de la petite rivière Muskingum. Dans l’état de New-York, au Canada, dans la Virginie occidentale et le Kentucky, l’on en connaissait aussi quelques sources. C’étaient des suintemens produits par le filtrage des eaux de pluie à travers les terrains superficiels. Le débouché de cette matière demeurait néanmoins tellement restreint que les mineurs de la Virginie occidentale considéraient comme une calamité véritable la rencontre des veines de pétrole dans les puits qu’ils foraient pour rechercher des gisemens de sel gemme. Vers 1853, un spéculateur de New-York, alors avocat, aujourd’hui salué partout du titre de oïl king, remarqua dans le cabinet d’un savant une bouteille de pétrole provenant d’une vallée du comté de Venango, dans la partie nord-ouest de l’état de Pensylvanie. Frappé de l’idée que cette substance remplacerait avec avantage le bog-head écossais pour la fabrication des huiles minérales, il acheta immédiatement dans cette vallée tous les terrains où l’on avait reconnu la présence du pétrole : cela ne formait guère plus de 50 hectares, et représentait toute la superficie qui passait alors pour avoir le privilège de recouvrir les sources d’huile de la Pensylvanie. L’année suivante, sous le nom de Pennsylvania rock oil company, fut organisée à New-York la première des compagnies de pétrole. Il s’agissait à la fois de trouver du pétrole en abondance et de le distiller assez économiquement pour en retirer de l’huile d’éclairage à un prix moindre que celui des huiles de schiste.

Les fondateurs de cette industrie durent ainsi aborder deux problèmes dont la solution n’avait encore été fournie nulle part. Il leur fallait d’un côté combiner les meilleurs appareils pour la distillation et la rectification du pétrole, de l’autre creuser la terre dans tous les sens pour atteindre les nappes inférieures d’où provenaient les minces filets d’huile qui avaient donné l’idée de la spéculation. Cette seconde partie des recherches était absolument aléatoire. Aucune découverte antérieure n’autorisait à concevoir l’espérance que l’on rencontrerait ces réservoirs, encore moins qu’ils seraient abondans. Il n’en était pas de même de la première, qui était une question de science d’abord, de pratique et de métier ensuite ; On alla droit à New-Haven, auprès de l’un des professeurs de Yale College, célèbre institution du Connecticut où les jeunes gens reçoivent l’enseignement supérieur. La compagnie proposa au savant d’étudier sous tous ses aspects le problème de la transformation du pétrole brut en huile d’éclairage : elle s’engageait à monter un laboratoire spécial et à payer largement les dépenses de toute nature que ce travail devait entraîner. Afin d’éviter qu’un esprit de spéculation hâtive et hasardeuse ne compromît l’œuvre de la science ; on décida que la société transporterait son siège à New-Haven, et que le professeur chargé des recherches de laboratoire serait en même temps le président du conseil de gérance.

Tels furent les débuts de l’entreprise qui a conduit les Américains à créer en quelques-années : une source de production dont ils expriment laconiquement l’importance par ces deux mots mammooth business[3]. On détermina donc par des expériences longues et précises les phénomènes qui accompagnent là distillation du produit brut, et on apprit à tirer parti des sous-produits obtenus avant et après la mise en liberté de l’huile d’éclairage. Pendant ce temps, au fond des ravins inhospitaliers d’Oil-Creek, des hommes habitués au comfortable dont on jouit à New-York, insuffisamment abrités contre le froid et la pluie mal nourris et exposés aux attaques de la fièvre, creusaient le sol nuit et jour sans se décourager. L’on croit généralement que la découverte des nappes de pétrole jaillissantes a été un coup de fortune acheté au prix d’un très faible effort : il n’en est rien. Pendant six années consécutives, de 1854 à 1860, les chercheurs n’arrivèrent qu’à des résultats médiocres ; mais ces-chercheurs étaient en général originaires de la Pensylvanie et des six états de la Nouvelle-Angleterre, Connecticut, Massachusetts, Vermont, Maine, New-Hampshire, Rhode-Island : c’est dire qu’ils étaient doués d’une persévérance à toute épreuve.

Les Indiens avaient commencé jadis l’exploitation du pétrole au moyen de puits carrés, boisés à l’intérieur, mesurant à peine à mètres de largeur sur une profondeur à peu près égale. Pour recueillir le liquide, ils employaient un procédé bizarre ; ils laissaient séjourner pendant quelque temps des couvertures de laine au fond de ces cavités, puis retiraient les couvertures pour les tordre. Les Américains conservèrent ce mode l’exploitation longtemps après avoir chassé les Peaux-Rouges : la société de Pensylvanie le trouva en usage, et se contenta d’abord d’approfondir les anciens puits, d’en ouvrir de nouveaux et de percer des galeries qui augmentèrent le rendement d’huile en multipliant les surfaces de suintement. Pendant l’année 1856, on put de la sorte raffiner à Pittsburg environ 5 ou 6 barils d’huile par jour. Ce n’étaient point là cependant des conditions industrielles, et il fallait de deux choses l’une, ou abandonner l’entreprise ou produire beaucoup plus encore. Les pionniers songèrent alors à forer des puits artésiens, et firent venir à grands frais des sondeurs et des outils de la Virginie occidentale. Les outils étaient assez mauvais, les sondeurs très exigeans à cause du monopole dont ils se trouvaient investis. Habitués d’ailleurs à rencontrer quelquefois l’huile en cherchant des sources salées à travers des roches entièrement différentes de celles d’Oil-Creek, ils n’auguraient rien de bon des travaux, et ils avaient intérêt à les faire marcher avec d’autant plus de lenteur que leurs gages étaient plus élevés. Pour comble de malheur, les débordemens de la rivière vinrent plusieurs fois arrêter et même bouleverser les ouvrages commencés. Rien ne désespérait les oil men, les hommes d’huile, comme on les appela bientôt. Ils avaient établi leur quartier-général à Titusville, petite agglomération devenue depuis un grand centre et située dans le haut de la vallée, à moitié chemin entre la rivière Alleghany vers le sud et le lac Érié vers le nord. Il n’y avait alors aucun chemin de fer dans cette contrée, et les routes ordinaires étaient, ce qu’elles sont encore aujourd’hui, déplorables. Le moindre déplacement ne pouvait s’opérer qu’au prix de grandes fatigues, surtout pendant la saison pluvieuse, c’est-à-dire pendant huit mois sur douze. Malgré tout, les hommes d’huile tenaient obstinément la campagne, tantôt à New-York pour lever des capitaux nouveaux ou ranimer le courage des anciens bailleurs de fonds, tantôt à Pittsburg, achetant des machines et enrôlant de bons mécaniciens, d’autres fois à New-Haven ou dans les ateliers de sondage de la Virginie pour s’instruire, le reste du temps aux bords d’Oil-Creek, dans la boue, la neige et l’huile, chaussés de grandes bottes, sérieux, actifs, patiens, l’œil ouvert sur toutes choses, occupés à mettre en pratique sur le terrain les informations recueillies à droite et à gauche auprès des hommes compétens.

Ce fut en 1859 seulement que la première veine d’huile de quelque importance fut rencontrée par la sonde. C’était à une lieue environ au-dessous de Titusville. La veine, située à 23 mètres de profondeur, fournit en moyenne pendant huit mois 1,500 litres d’huile par jour, soit 10 barils américains. La production journalière de tous les puits d’Oil-Creek est en ce moment de 10,.500 barils, et elle s’est élevée souvent au-delà de 13,000. D’une manière absolue, le succès de 1859 était donc fort peu de chose ; mais il eut pour effet d’enflammer les espérances et de donner à l’entreprise un rapide essor. Le jour même de la découverte et avant que l’annonce s’en fût répandue au dehors, les associés achetèrent, d’un seul coup, dans le voisinage du territoire qu’ils possédaient déjà, de nouveaux terrains pour la somme de 1 million de francs. Un mois plus tard, les spéculateurs s’abattaient sur Oil-Creek, la propriété des pionniers décuplait de valeur. Aussitôt de nombreuses compagnies de pétrole furent fondées sur le modèle de la première, à New-York et au Canada, à Philadelphie, Boston, Chicago, Cincinnati, Saint-Louis, San-Francisco ; l’on se mit à chercher partout la substance magique. Cependant, pour fonder une véritable industrie, il fallait rencontrer des veines plus puissantes et surtout les trouver en grand nombre. Celle-ci avait été découverte dans une première assise de grès au-dessous de laquelle on se heurtait à une couche de schistes stériles : combien se seraient arrêtés là ! Soutenus par l’énergie sombre qui leur avait fait prendre pour devise : oil, hell or China ! l’huile, l’enfer ou les antipodes ! les chercheurs pensylvaniens percèrent encore ces schistes. Au-dessous, à 100 mètres environ de la surface, ils rencontrèrent d’abondantes veines de pétrole emprisonnées dans une assise de grès reposant, comme la première, sur des schistes dépourvus d’huile. Les pionniers d’Oil-Creek enfoncèrent vaillamment leurs sondes à travers la seconde couche stérile : à 200 mètres de profondeur, dans la troisième assise de la même formation de grès oléifère, les outils crevèrent des poches énormes remplies de gaz inflammable, de pétrole et d’eau salée. Sans avoir besoin du secours des pompes, qui avaient été jusqu’alors indispensables, on vit des fleuves d’huile déborder hors des réservoirs et couler dans les ravins.

La spéculation prit alors un caractère sauvage. Au plus fort de la guerre de la sécession, la fièvre de l’huile était à son paroxysme. On comptait à New-York seulement 317 compagnies de pétrole, représentant un capital effectif de plus de 1 milliard de francs. Pour un joueur heureux, cent peut-être ont été ruinés ; mais ces ruines, aux États-Unis, n’ont pas le caractère qu’elles auraient en Europe : les intéressés, sachant bien que des voies nouvelles s’ouvriront à eux un jour ou l’autre pour tenter encore la fortune, n’y voient qu’un incident passager, l’une des péripéties du grand combat pour l’existence. Au prix de désastres individuels bientôt réparés, l’Amérique a pu ajouter à ses élémens d’activité, déjà si nombreux, une source de richesse qui ne le cède en importance qu’aux grains et aux cotons ; le tabac, les viandes salées, les produits de la pêche, les suifs, les cuirs, ne viennent plus aujourd’hui qu’après le pétrole dans le mouvement général de l’exportation. Pour se rendre un compte exact des circonstances physiques et des forces de l’ordre moral qui ont concouru à produire ce résultat, rien ne vaut un séjour prolongé aux lieux mêmes où il s’est accompli. La puissance des formations géologiques, la trempe des caractères, s’y montrent en parfaite harmonie. Sur un espace comme la vallée d’Oil-Creek, plus petit que tel département français, l’on peut voir à l’aise, peut-être mieux que sur aucun autre point de la terre, ce que produit la volonté humaine servie par des circonstances naturelles favorables. Au fond, c’est bien l’image, en raccourci, mais très accentuée, de ce que l’on peut observer d’un bout à l’autre de l’Amérique septentrionale. Les richesses que la nature a mystérieusement accumulées durant des siècles en ces contrées, l’homme les exploite aujourd’hui avec une âpre et juvénile ardeur. Une Europe nouvelle se forme là-bas à vue d’œil, et déjà le courant d’échanges établi entre les deux continens va s’élargissant sans cesse au profit des opiniâtres travailleurs de la grande république.

Dans le Nouveau-Monde, le pétrole a été également signalé aux grandes et aux petites Antilles, ainsi qu’au Mexique ; mais ce n’est qu’aux États-Unis et au Canada qu’il fait l’objet d’une exploitation réguhère, et là même cette exploitation est concentrée sur trois points situés à l’est du Mississipi, — la péninsule du Haut-Canada, la vallée d’Oil-Creek en Pensylvanie, la vallée de la Petite-Kanawha dans la Virginie occidentale. Il y a du pétrole en abondance dans l’Ohio, dans les états de Missouri, d’Indiana, de Kentucky, de Tennessee, bien que les exploitations n’aient pu réussir encore à s’y établir sur une grande échelle. Ce n’est pas seulement l’épaisseur plus grande des terrains superficiels recouvrant les réservoirs de pétrole qui est un obstacle au développement de cette richesse naturelle. Pour tous ces pays, il y a une cause d’infériorité momentanée dans ce seul fait, que la production des trois bassins principaux suffit aux besoins de la consommation. Le pétrole n’est sérieusement utilisé jusqu’à présent que pour l’éclairage par lampes à mèche et pour le graissage des machines. La situation changerait, si l’éclairage par les lampes à gaz, le chauffage des chaudières, d’autres applications encore que l’on entrevoit dès aujourd’hui, entraient dans la pratique industrielle. Le pétrole brut demeure aussi forcément inexploité dans des contrées comme le Texas, l’Utah, le Colorado, où l’insuffisance des routes rend trop coûteux le transport des engins nécessaires. Il n’y a là toutefois qu’une question de temps ; tôt ou tard, ces pays fabriqueront chez eux l’outillage qui leur manque. La Californie possède de vastes étendues de terrains bitumineux, heureusement situés dans le voisinage de la mer, et dont la constitution géologique offre de grandes ressemblances avec les gîtes de pétrole des formations tertiaires d’Europe. Les premiers sondages n’ont pas donné des quantités d’huile assez abondantes pour encourager la spéculation ; mais les Californiens n’ont point perdu toute espérance. Cet endroit de la côte de l’Océan-Pacifique est dépourvu de houille : afin d’assurer le travail de ses manufactures et le service des grandes lignes de steamers qui la relient au Japon, à Shanghaï et à tout l’extrême Orient, la ville de San-Francisco est obligée d’importer le charbon à un prix très élevé. L’emploi du combustible liquide est pour elle d’une importance majeure, et plusieurs sociétés y sont à l’œuvre pour rendre cet emploi possible et général.

Les huiles minérales de l’Amérique du Nord semblent être inépuisables. Les minions de barils extraits depuis moins de dix ans proviennent de trois localités fort restreintes qui, sur une carte du Nouveau-Monde, apparaissent comme trois points imperceptibles. Les roches qui fournissent le pétrole au Canada, en Pensylvanie, dans la Virginie occidentale, règnent, comme la plupart des formations géologiques américaines, sur de très vastes étendues sans discontinuité. Ces roches appartiennent à la série des terrains paléozoïques ou de transition ; elles furent déposées avant l’époque de la houille. Or les couches géologiques de ces âges reculés sont bien autrement puissantes que celles des périodes suivantes. Tout concourt donc à faire espérer que le sol de l’Amérique du Nord renferme assez de matière éclairante pour fournir pendant des siècles aux besoins que la découverte de cette matière est venue surexciter, et peut-être pour éveiller des exigences que notre génération ne soupçonne même pas.


III

La charpente du nord-est de l’Amérique est de formation beaucoup plus ancienne que celle de la plus grande partie du continent européen, surtout de l’Europe occidentale. Cela tient à ce que le sol du Nouveau-Monde en cet endroit a été secoué moins souvent que le sol de l’Europe par les forces intérieures du globe. L’Amérique est sortie des flots, graduellement. Les monts Laurentiens, situés au nord du fleuve Saint-Laurent, sont les plus vieux témoins de la formation de ce continent ; les monts Apalaches, dont la chaîne des Alleghanys est une ramification, se sont élevés plus tard ; les Montagnes-Rocheuses et la Sierra-Nevada viennent à peine de naître : les agens atmosphériques n’ont point encore eu le temps d’abattre ou d’émousser les arêtes vives de leurs aiguilles et de leurs ravins à pic. Tandis que le soulèvement de l’Amérique du Nord se propageait ainsi dans le sens de la marche du soleil, l’Europe oscillait sur ses bases. L’océan pénétrait alors de toutes parts dans un vaste archipel dont quelques îles se sont depuis appelées la Vendée, la Scandinavie, la Bavière ; les flots recouvraient encore tout ce qui devait être un jour les Alpes, les Pyrénées, les Apennins, les Karpathes et le Caucase. Par intervalles, la mer reculait, des îles se trouvaient soudées l’une à l’autre ; mais les siècles passaient, et le vieil océan revenait construire des roches de sédiment nouvelles. Cette lutte a produit une accumulation de terrains d’âge récent dans l’ouest de l’Europe. Aux yeux du géologue, et en bornant la comparaison aux deux rivages de l’Atlantique, l’Europe serait plutôt le nouveau continent, et l’Amérique l’ancien. Celle-là représenterait assez exactement à l’esprit la création tourmentée de quelque chercheur d’idéal possédé du besoin de retoucher sans cesse un modèle toujours inachevé, celle-ci au contraire l’œuvre majestueuse et calme d’un vieux maître satisfait du travail d’une longue vie.

Dans la contrée qui nous occupe, les formations les plus anciennes sont ramassées vers le nord, et les plus récentes apparaissent progressivement à mesure que l’on descend vers la vallée de l’Ohio. Pour explorer convenablement les régions à pétrole, il est donc naturel de commencer par le Canada. J’allai visiter tout d’abord, au nord du lac Huron, les gîtes de la grande île Manitouline. Le bateau à vapeur qui me débarqua dans cette île portait le nom indien de Wabuno (l’homme qui danse devant l’aurore) ; il y avait à bord trois passagers, un traitant irlandais avec sa provision de wiskey pour les naturels, un frère d’une mission de jésuites établie dans l’île, enfin un spéculateur de Saint-Louis venu sur les grands lacs pour regagner de la santé, tout en flairant les bonnes affaires de mines de pétrole, cuivre, fer et argent. Manitouline est désignée sur les cartes sous le nom auxiliaire de Sacred Island, l’île sacrée. Les Indiens y placent le siège de la Divinité. C’est la plus grande des îles de tout ce groupe ; vue du large aux premières lueurs du jour, elle laisse une impression de morne tristesse ; sauf sur la côte orientale, qui présente quelques ondulations de terrains et des traces de culture, elle est partout plate, basse et couverte de forêts aux arbres longs et minces, comme on en voit dans tous les paysages canadiens. Les contours en sont dentelés par un grand nombre de baies et de caps aigus, surtout sur le. rivage septentrional, qui a reçu directement l’assaut des grands glaciers du nord. Dans l’intérieur se trouvent plusieurs lacs assez vastes. L’un d’eux, au niveau même du lac Huron, est entièrement abrité par de hautes falaises boisées ; tandis que la tempête fait rage sur les bords, elle ne parvient pas à rider la surface de ces eaux intérieures, et l’Indien n’en approche qu’avec une crainte superstitieuse, car c’est le vrai séjour du Grand-Esprit. L’ours, le caribou, le grand aigle à tête blanche, si bien décrit par Audubon, sont les hôtes principaux de cette solitude ; depuis longtemps, il n’y a plus de castors, on les a exterminés. En approchant du débarcadère, je vis pour la première fois, dans une clairière faite par l’incendie, le derrick sacramentel. Le derrick est un échafaud élevé qui dénonce de loin les régions d’huile, comme la cheminée de briques signale une manufacture. A côté se trouve la cabane qui abrite la machine motrice, dont la fonction est de percer d’abord la roche à l’aide des outils de sondage, et d’extraire ensuite le pétrole au moyen d’une pompe.

L’outillage que les Américains ont adapté aux nécessités de cette industrie improvisée est des plus élémentaires : il se compose essentiellement d’une machine de huit à dix chevaux-vapeur et d’un équipage de sonde artésienne, mû le plus souvent par une corde, comme cela se pratique en Chine, quelquefois par une série de tiges de bois vissées les unes aux autres. Quand le chercheur d’huile, généralement surnommé operator, a choisi son point d’attaqué, il s’occupe immédiatement d’ériger le derrick au-dessus de ce point ; cette charpente, haute de 10 ou 12 mètres, est destinée à recevoir la poulie dans laquelle passe la corde qui tient les outils de sondage suspendus, et les fait monter ou descendre sous l’impulsion de la machine, Après cela, il pratique un trou carré ou rond, un véritable puits, dont le centre est à l’aplomb de la poulie du derrick. Ce puits est poussé jusqu’à ce que l’on mette à nu la roche vive ; c’est alors que commence l’opération du sondage proprement dit. L’outil qui sert à entamer la roche se compose de plusieurs parties, dont les deux principales sont le drill ou trépan et le temper screw, la vis modératrice. Le trépan est un épais marteau tranchant et aciéré ; il est mis en mouvement par un balancier fait de madriers grossièrement équarris et qui oscille sous l’action de la machine à vapeur en s’appuyant sur une solide pièce de charpente qui porte le nom expressif de pilier de Samson, Samson post. A chaque coup, il broie la roche qu’il s’agit de traverser. La vis modératrice se trouve à l’orifice du puits, sous la main des opérateurs. Elle relie le trépan à la corde du balancier. Un homme est spécialement chargé de la manœuvrer : assis sur un escabeau élevé, il tient à la main le levier qui lui permet de tourner la vis de manière à allonger la corde au fur et à mesure que le trépan pénètre plus avant dans la roche. Le conducteur de la machine à vapeur retire la corde et les outils chaque fois que le trou de sonde a été approfondi de quelques pieds. Il faut rendre ce trou aussi rond que possible, afin qu’un tube de fer, destiné à prévenir les éboulemens et à guider l’huile dans son ascension au jour, puisse s’adapter plus tard exactement aux parois rocheuses. A cet effet, le mécanicien enroule la corde sur un treuil, et il remplacé le drill par le reamer ou alésoir. Bien qu’elles soient conduites avec une singulière énergie, toutes ces opérations exigent beaucoup de temps et de persévérance. Le plus souvent on a par-dessus le marché à lutter contre les eaux, on doit s’arrêter pour les épuiser et en prévenir le retour. Cette dernière difficulté est surmontée par un artifice basé sur la propriété que possède la graine de lin de se dilater considérablement dans l’eau : le seed bag, sac à graine, long fourreau de cuir bourré de graines de lin, est interposé entre la paroi rocheuse du trou de sonde et le tuyau d’ascension précisément à l’endroit où se trouve la fissure qui livre passage à la malencontreuse veine d’eau ; on réalise ainsi la fermeture la plus hermétique possible. Par le même procédé, l’on sépare maintenant l’huile d’avec les gaz inflammables, qui occasionnaient jadis de si terribles incendies. L’invention du seed bag est tout à fait américaine, elle fut un véritable expédient imaginé par les pionniers lors de l’irruption des premières nappes jaillissantes, afin de contenir le liquide dans le puits et d’en régler le débit à volonté. Un autre outil fort important est la pompe à sable, sand pump, appelée curette par les sondeurs français : elle sert à vider le trou de sonde, à en retirer la boue que forment les débris de la roche broyée par le drill. C’est un tube de fer mince, portant à la partie inférieure un clapet qui s’ouvre pour laisser les détritus se loger dans le tube, puis se referme pour les y emprisonner. On amène doucement la curette au fond du trou de sonde, et il suffit alors de lui imprimer un mouvement de va-et-vient pour qu’elle se remplisse de débris ; dès que par cette opération l’on a mis à nu la roche vive, on l’attaque de nouveau à coups de trépan. Tandis que le reamer accomplit son travail d’alésage, on voit le mécanicien, transformé en forgeron, aciérer et tremper le tranchant émoussé du drill. La lueur de ce feu de forge ne nuit pas au pittoresque de ces ateliers en pleine forêt. A quelques pas du derrick se dresse le tank, réservoir qui reçoit l’huile au moment où elle sort de la terre ; ce tank rappelle tout à fait une de nos cuves à fouler le raisin. Un peu plus loin enfin, l’on voit le shanty, cabane grossière faite de troncs d’arbres équarris à la hâte.

Au cap Smyth, il y avait deux shanties, celui du directeur et celui des ouvriers. Directeur et ouvriers prenaient leurs repas à la même table. La femme du conducteur des sondages, Américaine active et très ordonnée, avait pris le département de la cuisine, et elle servait elle-même avec une simplicité charmante les inférieurs aussi bien que les supérieurs de son mari. Ce dernier avait travaillé sur les exploitations de Pensylvanie, et il connaissait son métier. La roche contre laquelle il luttait à cette heure était extrêmement dure ; le drill s’ébréchait souvent et ne descendait pas d’un demi-mètre par jour, ce qui fait que l’opérateur mangeait vite et dormait peu. A l’heure du dîner, un vieux sauvage haut de six ; pieds, décharné, mais à l’œil vif et au profil aquilin, s’appuyant sur un long arc sans corde, apparaissait parfois au seuil du shanty. Son père, disait-on, avait été un grand chef ; lui, on l’appelait Akwiwi, c’est-à-dire le faible. Il saluait sans incliner la tête en disant bojo, bonjour, et on lui donnait quelques reliefs d’oie fumée ou de poisson.

A l’époque de ma visite à Manitouline, plusieurs puits attestaient la présence du pétrole en abondance. La profondeur des veines variait de 100 à 160 mètres ; la roche oléifère était un calcaire grisâtre, dur et légèrement argileux, pétri de fossiles. L’un des puits venait de rendre quelques centaines de barils d’une huile de meilleure qualité que celle de la péninsule canadienne, car elle offrait cet avantage rare de dégager très peu d’odeur. C’eût été encourageait, si l’on n’avait pas eu à lutter contre l’écrasante concurrence des huiles de Pensylvanie. Cet état de choses, qui empêche le plein, développement de territoires plus riches peut-être et plus vastes certainement que la vallée d’Oil-Creek, est dû à plusieurs raisons. En premier lieu, pour l’éclairage, l’huile canadienne ne vaut pas celle de Pensylvanie. En outre, comme le Saint-Laurent n’est pas navigable pendant six mois de l’année, les pétroles du Canada n’ont jamais pu s’ouvrir un débouché sur Liverpool, Anvers, Brème, Hambourg, Le Havre ou Marseille, qui sont les grands entrepôts d’huile minérale de ce côté-ci de l’Océan. La législation américaine enfin a complété, depuis 1865, ce blocus économique. Ce fut l’année de la dénonciation du traité de réciprocité entre le Canada et les États-Unis, traité qui consacrait à beaucoup d’égards une sorte de libre-échange entre les deux pays voisins. Aujourd’hui les pétroles canadiens sont repoussés des États-Unis au moyen d’un droit de 25 cent. par litre, et, comme le peuple canadien trouve l’huile d’éclairage de Pensylvanie très bonne, le gouvernement de cette colonie a été contraint de ne pas user de représailles et de se contenter d’un droit de 7 centimes seulement. Il en résulte que les exploitans du Canada n’ont pas même sans conteste le marché intérieur. La situation deviendrait tout autre, si les huiles minérales étaient appliquées au chauffage : l’avenir des pétroles du Canada est même là tout entier ; dans cette application, ils reprennent l’avantage. L’huile légère de Pensylvanie, incomparable dans les raffineries, où l’on en tire 75 et 80 pour 100 d’huile de lampe de première qualité, serait le plus dangereux de tous les combustibles à cause des mélanges détonans qu’elle produit avec l’air à la température ordinaire. Les expériences de M. Henri Sainte-Claire Deville ne laissent aucun doute à cet égard : les seuls combustibles liquides convenables sont les huiles lourdes, heureusement répandues plus près du sol que les huiles légères. Il n’est donc pas impossible que le pétrole canadien parvienne à se substituer à la houille. Il faut ajouter que le charbon fossile manque entièrement dans les terrains du Canada, tandis qu’il abonde en Pensylvanie et dans la Virginie occidentale : la plupart des bateaux à vapeur sillonnant les grands lacs sont obligés à de fréquens arrêts pour embarquer leur provision de bois de chauffage. D’ailleurs le bois est le plus encombrant et le plus cher des combustibles. Les essais du steamer Congress à Détroit, entre le lac Huron et le lac Érié, viennent de montrer que l’emploi du pétrole canadien économise la moitié de la dépense et les neuf dixièmes de l’emplacement qu’exige le chauffage au bois. Cependant l’appareil de combustion décrit au procès-verbal de ces essais était défectueux à plusieurs égards.

Un autre avantage en faveur des huiles canadiennes, c’est que les gîtes sont partout à proximité de quelque port d’embarquement. Le principal de ces ports est Sarnia, extrémité méridionale de la plus grande voie ferrée du Canada, le Grand-Trunk railway. Sarnia est aussi le point d’arrivée d’un embranchement du chemin de fer américain Great-Western, qui relie l’état de New-York à l’état du Michigan. Située dans la vallée de la Thames, à l’est de Sarnia et au centre même de la péninsule, London est la métropole commerciale du riche pays à peine ouvert à la colonisation qui s’étend au sud-ouest du lac Ontario : les hommes d’huile qui ne sont pas obligés de résider nuit et jour sur leurs exploitations viennent coucher le soir dans cette ville, où ils trouvent une société nombreuse avec tout le luxe des grandes cités anglaises. Les principaux centres d’extraction du pétrole canadien sont Oil-Springs et Petrolia, Belle-Rivière, Tilsonburg, Bothwell ; mais d’année en année la production a considérablement diminué.

Les premières tentatives dans le comté de Lambton remontent à l’année 1857. L’un des savans attachés au Geological survey du Canada avait signalé depuis longtemps dans la vallée de Bear-Creek, ruisseau de l’Ours, l’existence d’un vaste dépôt de poix naturelle, épais de plus d’un demi-mètre et recouvrant à peu près le quart d’un hectare. Une compagnie s’organisa pour fabriquer de l’huile d’éclairage en distillant ce minerai. Il y avait d’ailleurs non loin de là et le long de Bear-Creek de nombreuses petites sources de pétrole liquide bien connues des Indiens et des anciens colons français. Nul doute que cet amas de bitume ne fût le résultat de l’évaporation de sources analogues pendant la suite des siècles, et qu’en pratiquant plusieurs sondages en cet endroit l’on ne parvînt à atteindre les réservoirs inférieurs qui l’avaient engendré. L’événement justifia cette opinion. Vers la fin de 1860, on avait creusé une centaine d’excavations dont la plus profonde n’atteignait pas 40 mètres, et qui avaient cependant fourni plusieurs milliers de barils d’huile expédiés aux raffineries de Hamilton et de Boston. Un jour, d’une profondeur de 67 mètres, le pétrole déborda spontanément sur la terre, chassé par la pression intérieure des gaz. L’heureux possesseur de ce trésor inattendu venait d’épuiser ses dernières ressources, et s’abandonnait au désespoir la veille du jour où il touchait à la fortune. La même scène se produisit bien des fois dans les diverses régions d’huile, et partout le voyageur la recueille avec des variantes. En Pensylvanie, où l’excitation fut la plus intense, on voit des photographies représentant l’un de ces princes du lendemain assis sur un baril vide et les coudes sur les genoux, s’arrachant les cheveux ; puis l’on vous apprend que ce malheureux déguenillé vendit au prix de 200,000 dollars, argent comptant, un spouter[4] survenu inopinément pendant la nuit.

Les premières recherches des hommes d’huile dans le haut de la vallée de Bear-Creek ne furent pas couronnées de succès ; elles étaient conduites par une société de Boston, qui dès 1862 avait foré deux ou trois puits ; on était arrivé à 120 mètres de profondeur sans rencontrer autre chose que des effluves de gaz inflammable et à peine quelques barils d’huile. On suspendit les travaux. En 1865, un hiver exceptionnel et des inondations désastreuses arrêtèrent la production d’Oil-Creek. On crut partout à un épuisement définitif des veines d’huile. Cette, opinion eut même en France un fâcheux contre-coup : l’industrie des schistes, rudement éprouvée pendant les années précédentes par les découvertes d’outre-mer, renouvela son vieil outillage et construisit des usines dispendieuses, persuadée qu’elle en avait fini pour toujours avec la concurrence américaine. Moins d’une année après, les choses changeaient complètement de face : les hauts prix atteints par le pétrole avaient rallumé la fièvre de l’huile en Amérique, et la production de puits nouveaux en nombre immense ramenait promptement la baisse des prix. C’est cette crise qui a véritablement fondé Petrolia : en 1865, un grand nombre d’opérateurs reprirent les travaux interrompus sur ce point. L’insuccès des deux sondages antérieurs ne les décourageait pas, car ils savaient qu’avant de déclarer un territoire improductif il est nécessaire de compter par centaines les coups de sonde infructueux, les dry holes, trous secs. En voyant cette belle ardeur, les habitans d’Oil-Springs ne purent s’empêcher de rire ; mais dix mois plus tard ils ne riaient plus guère, car le résultat des nouvelles recherches avait été la construction d’une ville rivale de près de 2,000 âmes, ayant une maison d’école fréquentée par 300 pupilles : tel spouter de Petrolia représenta bientôt à lui seul la moitié de la production d’Oil-Springs.

La nouvelle ville a définitivement assuré son triomphe sur sa rivale par la construction d’un petit chemin de fer d’une dizaine de kilomètres qui la relie maintenant à la station de Wyoming et par suite au réseau ferré de la péninsule. Ce chemin n’était point encore achevé lorsque j’atteignis le district d’Enniskillen ; il fallut me rendre à Petrolia dans une carriole découverte roulant sur le plank road) chaussée formée de traverses de bois grossièrement équarries et juxtaposées. Ce sont les grandes routes de ces pays primitifs. Les traverses de bois, secouées nuit et jour par le passage des teams[5] chargés de barils d’huile, n’étaient nulle part de niveau, et il paraissait inutile de réparer la voie, puisque le chemin de fer allait bientôt permettre d’abandonner le plank road. Nous marchions de secousse en cahot. Je repassais philosophiquement dans mon esprit des exemples d’aggravations de maux causées par l’abandon des choses anciennes au moment où les choses nouvelles ne fonctionnent point encore, lorsque notre carriole, repoussée hors du track de bois par un char pesant et brutal, enfonça jusqu’au moyeu dans la fange. Mes compagnons de voyage sautèrent à bas en un clin d’œil, j’en fis autant ; mais mes bottes, venues de Paris, étaient vraiment microscopiques et insuffisantes pour un oil man. Du reste la mésaventure nous réjouit tous, et il fut aisé de la réparer dès notre arrivée dans l’unique rue que bordent les maisons de bois de Petrolia. Au milieu de magasins où se trouvent ensemble des épiceries et des tissus, on voit des cabanes d’ouvriers, des habitations de propriétaires, des offices privés et publics, banques, bureau de la poste, board of trade, tout cela clair-semé le long d’une chaussée sans trottoirs, lacérée d’ornières profondes. Deux genres d’enseignes se détachent sur tout le reste, des affiches pour la vente de terres à huile de « première qualité, » des boutiques de fripiers garnies de longues redingotes et de pantalons de toile cirée, défroques aussi indispensables pour séjourner dans les oil regions que l’est la cuirasse imperméable dont on recouvre le touriste au moment où il va s’engager sous l’une des chutes d’eau du Niagara. De distance en distance apparaissent des paires de bottes formidables, vrais jalons de cette interminable avenue. Un marchand m’affubla des pieds à la tête. Quand je me présentai au seuil de l’American hôtel, quartier-général des hommes d’huile, toute trace de l’Européen avait disparu, et je me trouvais au vrai ton de ce nouveau milieu. Presque aussitôt éclatèrent plus de cent coups de sifflets à vapeur, répétés par les échos des ravins : ils sonnaient midi, l’heure du second déjeuner. La fumée blanche disparut parmi les derricks et les arbres qui nous entouraient ; les machines s’arrêtèrent, et je vis sortir de tous les coins de la forêt des oil men ralliant les auberges de Petrolia. Dans tous les pays d’huile, on fait au moins deux repas de viande par jour, car il faut chauffer à outrance la machine humaine, soumise là-bas à un dur travail physique et intellectuel. Dès sept heures du matin, le premier déjeuner étant rapidement englouti, l’oil man se rend soit aux puits, soit en tournée d’exploration dans les bois, lorsqu’il n’est pas appelé au board of trade, qui est la bourse ou l’on échange les actions, les titres de propriété et les marchandises. C’est au board of trade qu’il revient après le dîner de six heures : à cet instant, les affaires actives demeurent suspendues jusqu’au lendemain, et il n’est plus question que des intérêts de la communauté. J’assistais avec plaisir à ces réunions, présidées familièrement par l’un des prominent merchants de la petite ville ; chacun y donnait son opinion sur les questions à l’ordre du jour, et l’esprit de tolérance, favorisé par un manque absolu de vanité chez les orateurs, permettait toujours d’aboutir à des résolutions efficaces, malgré la forte personnalité de ces hommes et l’importance des intérêts en jeu dans ces discussions.

Pendant mon séjour à Petrolia, je fus témoin des premières manifestations de la vie d’un spouter ; la nappe jaillissante avait été frappée à la profondeur d’environ 125 mètres, et la nouvelle s’en répandit avec une rapidité merveilleuse. J’arrivai trop tard sur le lieu de la scène pour être témoin des faits qui précédèrent la sortie du pétrole ; mais ils me furent contés exactement de la même manière par tous ceux qui les avaient vus. Il était quatre heures et demie du soir ; le sondage, commencé moins de deux mois auparavant, avait conduit les outils à travers une argile superficielle et des roches alternativement schisteuses et calcaires ; le trou de sonde était plein d’eau. Cette eau bouillonna tout à coup ; puis une immense fusée de gaz accompagnée d’un nuage bleuâtre s’élança dans les airs, chassant la colonne d’eau devant elle presqu’au sommet du derrick, à une hauteur que les témoins évaluèrent à 9 ou 10 mètres. L’eau coula pendant un quart d’heure, et l’excitation était à son comble parmi les assistans, car personne au monde ne pouvait assurer qu’il ne continuerait pas d’en être ainsi pendant des mois entiers, sans que le plus mince filet d’huile vînt à se montrer. Chacun retenait son haleine ; le propriétaire du puits, très pâle, mais calme, rappelait d’un ton jovial que l’emplacement du sondage lui avait été indiqué par un oil smeller (flaireur d’huile) versé dans les mystères de la conjonction des astres, et que, si l’eau continuait de couler seule, il n’aurait plus confiance dans les astrologues, et ne risquerait 2,500 dollars nouveaux que sur les indications de la baguette de coudrier. Subitement la couleur du liquide devint noire, et une insupportable odeur de naphte se répandit dans l’atmosphère : l’astrologue n’avait pas eu tort, Petrolia comptait une source d’huile de plus. Pendant plusieurs heures, la violence du gaz fut telle qu’on ne put réussir à boucher l’orifice du trou de sonde ; plus de cent barils d’huile furent ainsi perdus, charriés vers les grands lacs sur les eaux paisibles et irisées de Bear-Creek. L’éruption se produisait non d’une manière continue, mais par petites vagues se succédant avec régularité ; l’on aurait dit les pulsations d’un cœur vivant, emprisonné au fond du puits dans un corps de pierre. Les bruits causés par l’arrivée des gaz n’étaient pas moins curieux : en appuyant l’oreille contre le sol, on entendait sous terre des cris stridens, que les ouvriers comparaient avec justesse aux vociférations d’une troupe de pourceaux[6]. Quand on eut tamponné le trou de sonde, le bruit changea, il pouvait être comparé au roulement lointain d’un chemin de fer. Ce spouter, une fois régularisé, a fourni pendant plusieurs mois une moyenne de 40 barils d’huile par jour ; puis la tension intérieure du gaz n’a plus suffi pour assurer un débit spontané, et il a fallu employer une pompe. L’huile ainsi conduite au jour revient naturellement plus cher que le pétrole jaillissant, et, si la quantité de liquide extraite n’est pas assez considérable pour payer les dépenses de l’exploitation, le puits doit être momentanément abandonné.

Les oil smellers forment un groupe singulier parmi les hommes d’huile, non-seulement à Petrolia, mais dans toutes les exploitations américaines. On peut les diviser en deux catégories bien tranchées, les imposteurs et les mystiques. Ceux-là se font payer et ne recherchent pas de prosélytes ; les derniers ne réclament aucun salaire, mais ils paraissent contrariés en présence d’un incrédule. Un matin, je me joignis à quelques explorateurs qui allaient dans la forêt, à une lieue de Petrolia vers le nord-ouest, choisir un bon emplacement pour un puits. Nous étions guidés par un oil smeller du parti de la baguette de coudrier. Il avait, disait-on, désigné avec succès dix-neuf puits au Canada et huit en Pensylvanie ; du reste il ne réclamait pas d’argent pour ses bons offices, et jouissait d’une très bonne réputation : on ne lui connaissait aucun intérêt dans aucun sondage. Sur ses avis, on avait déjà rencontré deux excellentes veines fort au-delà des limites du territoire sur lequel s’étaient concentrées les premières recherches, et maintenant nous allions plus loin encore. Parvenu sur une parcelle de terrain dont le propriétaire nous accompagnait, il s’orienta un instant, puis se mit à marcher avec lenteur vers le sud-ouest, tenant dans chaque main l’une des branches de l’outil magique : c’était une petite baguette de noisetier en forme de V. Suivant l’opinion des croyans, un arbre quelconque vaut le coudrier, parce que le don de divination réside dans l’homme et non dans la baguette. Notre sorcier marchait donc serrant avec force les deux branches ; le sommet du V était en haut, et se maintenait depuis quelques minutes dans cette position, lorsque je le vis s’abaisser brusquement vers la poitrine de l’opérateur. Celui-ci nous arrêta court, et affirma qu’en cet endroit même, à la profondeur de 400 pieds, l’on trouverait une veine de pétrole dont le débit initial serait au moins de 30 barils par jour. Il paraît que le médium était averti de son passage au-dessus des nappes d’huile par un autre indice encore ; il ressentait une impression dans la partie antérieure du cerveau. Inutile d’ajouter que la baguette refusa de tourner dans les mains des sceptiques. Certain Écossais, possesseur d’un puits que lui avaient désigné des assemblages heureux d’hiéroglyphes, était le plus ferme opposant à la baguette. Notre opérateur était natif du Connecticut, celui des états de l’Union qui a produit la plus grande variété de fondateurs de religions nouvelles. Ses yeux n’étaient pas ceux d’un charlatan ; mais ils prenaient parfois, dans les circonstances les plus ordinaires, une expression de mysticisme effrayante.

Il faut dire que les devins ont beau jeu dans la péninsule, car le sous-sol y est en certains endroits littéralement criblé de poches pétrolifères. L’huile minérale est distribuée dans tout le Canada suivant un certain nombre de faisceaux parallèles courant à peu près du nord-est au sud-ouest, depuis le cap Gaspé, sur le golfe Saint-Laurent, jusqu’à la presqu’île du Michigan inférieur. Sir William Logan, chef du relevé géologique des possessions orientales de l’Amérique anglaise, a tracé avec une grande précision l’axe de celui de ces faisceaux qui intéresse les trois centres d’exploitation de Bothwell, Oil-Springs et Petrolia. Il part de la baie de Burlington, sur le lac Ontario, et vient aboutir à Amhersburg, sur le lac Saint-Clair, en passant par London et Chatham ; c’est ce que les géologues appellent un axe anticlinal par opposition avec l’axe synclinal. Un exemple familier peut servir à donner une idée de ces deux systèmes de lignes, qui jouent un si grand rôle dans les recherches de mines. Si l’on prend une feuille de papier et qu’on la plie toujours dans la même direction, d’abord en deux, puis en quatre, et ainsi de suite, il suffira de la déplier pour avoir la représentation d’une série d’axes anticlinaux et synclinaux ; les lignes formant saillie seront des anticlinales, les lignes en creux des synclinales. Or l’expérience montre invariablement les crevasses d’où l’on extrait le pétrole répandues à profusion suivant les axes anticlinaux, tandis qu’elles manquent le long des axes synclinaux. Cette règle, jusqu’à présent sans exception, est de plus en plus acceptée par les sondeurs intelligens comme un instrument de découvertes. Dans les trois localités d’Oil-Springs, Bothwell et Petrolia, plusieurs propriétaires de puits tiennent à jour le tableau détaillé des strates qui ont été traversées par le trépan. Au bout île quelques semaines, il devient ainsi très facile de s’orienter et de connaître les directions suivant lesquelles on a le plus de chances de rencontrer les cavités qui emprisonnent le pétrole. Ces faits suffisent pour expliquer le succès de quelques flaireurs d’huile. En Virginie, où il existe un axe de redressement des roches bien plus accusé encore et très riche en pétrole, il n’y a pas un seul de ces oil smellers. Deux modestes savans ont suffi pour disperser les sorciers.

Les tableaux de sondages dressés par les opérateurs canadiens établissent que le pétrole de la péninsule provient d’un calcaire, le corniferous limestone, ainsi nommé parce qu’on y trouve fréquemment des cailloux siliceux en forme de corne. C’est un calcaire compacte, pétri de fossiles marins, parmi lesquels on a signalé plusieurs espèces de poissons à squelette cartilagineux, analogues aux requins et aux raies de nos jours ; on y trouve aussi des coraux à profusion, et il n’est pas rare de voir perler des gouttes de pétrole dans les petits interstices de ces polypiers.


III

Le lac Érié sépare la région à pétrole du Haut-Canada de celle de la Pensylvanie, comme le canal étroit de la Manche sépare la France de l’Angleterre. Ces deux régions, quoique différentes au point de vue géologique, ne forment véritablement qu’un seul système de gîtes d’huile, coupé en deux par une dépression de terrain qui est survenue à une époque très reculée. Au-delà, vers le midi, le sol se relève symétriquement par une série d’axes anticlinaux qui atteignent une hauteur plus grande que ceux de la péninsule canadienne. Les terres que baigne le lac Érié vers le sud sont des rivages récens : les anciens rivages se voient un peu plus loin dans la même direction, et présentent l’aspect d’une ligne de falaises orientées du nord-est au sud-ouest. C’est cette ligne qui forme l’arête de partage des eaux. Au nord, les rivières se rendent dans l’Océan-Atlantique par la grande tranchée du Saint-Laurent ; au sud, elles gagnent le golfe du Mexique par les vallées de l’Alleghany, de l’Ohio et du Bas-Mississipi. La petite rivière qui est devenue célèbre sous le nom d’Oil-Creek appartient à ce dernier système hydrographique ; elle prend sa source non loin de l’une des anciennes terrasses du lac, pénètre par Titusville dans le comté de Venango, court à peu près en droite ligne du nord au sud, et vient se jeter dans la rivière Alleghany en un point situé presque au centre du comté. Sur ce point, les hommes d’huile ont bâti Oil-City, la ville de l’huile. Entre Oil-City et Tiiusville sont ramassées toutes les exploitations qui fournissent depuis bientôt dix années aux besoins des consommateurs ; à vol d’oiseau, les deux localités ne sont pas éloignées l’une de l’autre de 22 kilomètres. Cependant il y a du pétrole sur un grand nombre d’autres points de la même région. Il y en a dans les comtés voisins de Forest et Warren, ainsi que sur une vaste portion du comté de Mercer, limitrophe de l’état d’Ohio, enfin à la réunion des deux comtés de Green et de Fayette, d’où le gisement passe dans la Virginie occidentale. Ces territoires, bien que desservis par de nombreuses lignes de chemins de fer et des voies navigables, ne se sont point encore développés ; mais ils ne peuvent manquer d’acquérir bientôt une grande importance[7].

Les soubresauts de la production pendant les premières années eurent une violence inouïe, parce que l’on était aux prises avec l’imprévu. Ce n’était pas la demande qui réglait les conditions du travail, c’était le hasard. En 1861, le nombre de barils d’huile extraits du comté de Venango s’était élevé à 1,300 par jour en moyenne ; l’année suivante, ce chiffre montait en certains jours à 20,000 par suite des grosses veines rencontrées par la sonde ; en 1863, il était de 10,000, en 1864 de 7,000, et en 1865 de 4,000 seulement. Il semblait que la décroissance ne devait plus s’arrêter, lorsque l’année 1865 vit la production journalière tripler et s’élever à 12,000 barils, provenant en partie de nouveaux puits, en partie de la reprise d’anciens travaux. Lorsque je passai dans le pays pendant cette même année, l’excès de production avait amené des prix tellement peu rémunérateurs que l’on fermait tous les puits qui ne donnaient pas plus de 12 barils par jour. C’était préparer à coup sûr un déficit pour l’année suivante, à moins de nouvelles découvertes, qui n’ont pas manqué. En résumé, ces péripéties, aujourd’hui contenues dans des limites raisonnables, ont conduit à ajouter chaque année quelques nouveaux centres de production aux centres déjà connus ; seulement, comme cela s’est fait sans règle ni prévoyance pendant la première période, il semble à celui qui parcourt les ravins d’Oil-Creek et les environs d’Oil-City qu’il traverse un pays récemment ravagé par la guerre. Les puits abandonnés, les derricks renversés, les chaudières gisant dans la vase ou déchirées par une explosion et roulées au fond d’un précipice, des maisons et des arbres incendiés, des bateaux coulés à fond, tels sont quelques-uns des traits frappans du paysage. A côté cependant apparaissent des agglomérations nombreuses où la vie et l’activité débordent, des steamers, des locomotives, des forêts de derricks et de machines à vapeur en mouvement. Tout ce pays était inculte, la terre végétale y est trop argileuse pour soutenir une population exclusivement agricole ; aujourd’hui les centres habités foisonnent sur un espace de quelques lieues carrées à peine. On peut estimer à 150,000 âmes au moins le chiffre de la population sédentaire.

En jetant les yeux sur une carte assez étendue pour que des exploitations de pétrole voisines puissent être distinguées l’une de l’autre, on aperçoit tout de suite qu’elles se développent suivant une ligne qui ne suit pas dans toute sa longueur le cours d’Oil-Creek, mais qui le traverse en conservant la direction générale donnée par le prolongement de la vallée de l’Ohio vers le nord-est, direction qui demeure, sans dévier, parallèle à la crête des monts Apalaches ; c’est l’amplification, sur une étendue de 500 lieues, du phénomène qui a groupé les réservoirs de pétrole suivant les axes anticlinaux d’une localité circonscrite comme la péninsule canadienne. L’observation de ce fait a facilité beaucoup les recherches depuis quelque temps. A l’origine, les explorateurs ne s’éloignaient pas des bords mêmes d’Oil-Creek, parce que les nappes jaillissantes les plus fameuses y avaient été rencontrées. On s’arrêtait de préférence aux points où se montraient des suintemens d’huile, et il est clair que de tels indices doivent prédominer dans les lieux bas qui sont dénudés par la rivière et les torrens. L’opinion universelle était alors qu’on ne trouverait pas de pétrole en attaquant les terres hautes ; mais le nombre des chercheurs était immense, et, les trous de sonde venant à se multiplier dans toutes les directions, l’on vit bientôt que le haut des falaises n’était pas moins favorable que les parties plates. Ce fut le point de départ de la découverte d’un grand nombre d’autres nappes jaillissantes au nord-est et au sud-ouest des premiers puits. Ainsi prirent naissance de nouveaux centres, parmi lesquels Pioneer Run, Bennyhoff, Pithole, Tidioute et Pleasantville, qui tient aujourd’hui le sceptre. Cette place était, il n’y a guère plus d’un an, un tout petit village paisible, renommé pour sa position pittoresque et servant de résidence à quelques familles d’oil men enrichis par les premières découvertes. Au mois de février 1868, un sondeur judicieux ayant frappé une abondante veine dans l’intérieur même du village, soudain le flot des spéculateurs se rua de ce côté, et l’on vit derricks et auberges s’élever comme par enchantement. La plus grande partie des terres se trouvait être la propriété de quelques praticiens exercés qui avaient eu plus ou moins à souffrir des fautes commises en 1864 et 1865. Grâce à eux, les affaires furent dès le premier jour sérieuses, on découragea brutalement les joueurs, qui n’eurent bientôt qu’à s’en aller, et le travail fut entièrement gouverné par les producteurs, practical operators : Cette conduite a porté les meilleurs fruits. Pleasantville fournit en ce moment la cinquième partie de toute la production d’Oil-Creek, soit plus de 2,000 barils par jour, et il n’y a pas de localité où l’on ait réussi à éviter aussi bien les essais infructueux. L’industrie du pétrole tend de plus en plus à s’établir sur cette base honnête et sûre ; les histoires des mauvais jours de la fièvre de l’huile appartiennent désormais à la légende.

Le berceau de cette légende est situé à peu près à moitié chemin entre Titusville et Oil-City, et forme une bande qui embrasse à peine 7 ou 8 kilomètres ; c’est d’ailleurs l’endroit précis où la rivière est coupée par le gisement général qui se dirige de l’ouest de la Virginie vers Pleasantville. Là se trouvent un grand nombre d’anciens puits qui donnèrent jusqu’à 1,000 barils par jour. L’Empire well rejeta quotidiennement 2,000 barils pendant plusieurs mois en 1862, et ne s’épuisa entièrement qu’au bout de quatre années ; le Big-Phillips well date de la même époque, et fit surgir le centre populeux de Tarr-Farm, dans Oil-Creek, avec la plus grande des raffineries de Pittsburg, à la suite de l’excitation qu’amena l’annonce d’un débit de 3,000 barils soutenu sans faiblir pendant six semaines. Ce puits a donné lieu à des scènes uniques. La veine jaillissante fut rencontrée avant qu’on n’eût atteint 200 mètres de profondeur, et que le trou de sonde ne fût muni de son tube de fer. Il y eut d’abord une irruption de gaz suivie d’une gerbe d’eau salée qui s’élança, dit-on, à 30 mètres de haut ; les outils furent projetés au loin hors du trou de sonde, brisant tout sur leur passage. Pendant plusieurs jours, on ne sut comment boucher l’orifice pour retenir le trésor au sein de la terre. L’un des intéressés eut alors une idée de Titan : l’on fit rouler des hauteurs voisines un immense bloc de grès ; c’était le tampon nécessaire. Pour le manœuvrer, on dégrossit un énorme tronc d’arbre qui servit de levier de serrage et maîtrisa l’huile sous la roche. Il fut possible ainsi de régler l’écoulement du liquide dans les réservoirs. Un puits qui donne 500 barils par jour est déjà dans la catégorie de ceux qu’on appelle a big thing, une grosse chose ; qu’était donc le puits de Tarr-Farna ? Dans les journaux, à l’armée, aux meetings, dans les salons, on ne parlait plus que de lui ; c’était une personne, un être surnaturel pour quelques-uns. Le persévérant avocat de New-York promoteur de tout ce mouvement mit un prix fabuleux à l’achat de la ferme avant tous les concurrens ; il fut sacré oil king, roi de l’huile ; sur cette province de son royaume, les acheteurs s’abattirent comme la grêle, avant même que le trou de sonde n’eût été tamponné. Une fois ils s’entassèrent, par une nuit orageuse, au nombre de vingt-huit dans la même cabane pour essayer d’y dormir : chacun d’eux avait quelques milliers de dollars en billets de banque dans une poche, un revolver dans l’autre ; la nuit se passa donc très bien, et dès le point du jour les arpenteurs étaient à l’œuvre, morcelant déjà la propriété de droite et de gauche.

En Amérique, la loi des mines est tout en faveur du propriétaire ; celui qui possède la surface possède en même temps le sous-sol ; il n’existe aucune différence entre le droit au fond et le droit au tréfond. La faculté de concéder est dévolue à l’état non comme un droit régalien, mais comme un droit de propriétaire : aussi ne peut-il en user que sur les terres qui n’ont point encore été Vendues aux particuliers, et tel n’est point le cas en Pensylvanie, où depuis longtemps le domaine public ne possède plus rien. Dès l’origine de la fièvre de l’huile, les travailleurs ne furent donc aux prises qu’avec les propriétaires, ce qui facilita considérablement toutes choses. En outre, comme ce genre d’exploitation ne nécessitait aucun travail en galeries souterraines, il n’y avait point à se préoccuper des servitudes de voisinage ; à quelques pas seulement de distance l’un de l’autre s’élevaient deux derricks appartenant à deux propriétaires différens, et dans le très grand nombre des cas il n’en survenait aucun trouble. Le grand nombre des puits dans les régions à pétrole n’a pas eu pour conséquence de faire pulluler les petits propriétaires. Les parcelles de territoire sont rarement vendues ; on les afferme pour une période de temps plus ou moins longue, dix ans, quarante ans et davantage. Les premiers venus dans Oil-Creek purent acheter des terres à des prix modérés ; mais après la découverte des flowing wells les prétentions des détenteurs du sol ne l’ont presque jamais permis, et il a fallu exploiter sous le régime du lease. Cette sorte de contrat est avantageuse aux deux parties : le propriétaire reçoit comptant un denier à Dieu sur chaque acre de terre qu’il concède, puis il se réserve une part plus ou moins élevée sur les produits bruts de l’exploitation, à titre de royalty, en laissant toutes les dépenses à la charge de l’opérateur. Il y a des contrats qui abandonnent 1 baril de pétrole sur 10 en faveur du propriétaire ; mais celui-ci en exige le double ou le triple, s’il le peut[8]. La société qui avait acquis le territoire de Tarr-Farm obtint naturellement tout ce qu’elle voulut de ses sous-traitans, et, plutôt que de s’engager elle-même dans des travaux coûteux, elle laissa des étrangers percer la terre tout autour de Big-Phillips. Or il arriva un jour que vers la profondeur de 180 mètres une sonde voisine creva une poche énorme pleine d’eau salée ainsi que de gaz combustible. Cette fissure était sans doute en communication indirecte avec le système des crevasses à pétrole du premier puits, car le débit journalier de celui-ci baissa aussitôt d’une façon très sensible. Chose étrange, au bout de peu de temps, l’eau salée cessa de jaillir, et le débit de pétrole du premier puits augmenta immédiatement ; mais les concessionnaires, soutenus par l’espoir d’obtenir de l’huile s’ils parvenaient à épuiser l’eau salée, mirent la pompe en mouvement, ce qui déprima de nouveau la production du puits à pétrole. La guerre continua de la sorte pendant quelques semaines, puis une transaction intervint, car c’est presque toujours ainsi que les choses se terminent chez ce peuple à tempérament industriel et pacifique. Le puits d’eau salée fut abandonné moyennant une réduction de la royalty exigible sur l’ensemble de la concession, et quelques mois plus tard les mêmes concessionnaires avaient percé de nouveaux puits dont le rendement en pétrole, tout en les dédommageant de leur premier insuccès, valut aux propriétaires une redevance bien supérieure au déficit que cet insuccès leur avait causé.

Le régime capricieux des puits à pétrole tient à ce que ce liquide ne circule pas sous la terre. Il est emprisonné dans des crevasses produites par le travail auquel est soumise la croûte terrestre. Ces crevasses communiquent souvent entre elles par des réseaux de petite canaux, ainsi qu’on peut l’observer tout à l’aise aux parois des galeries de certaines mines de houille et dans les ravins à pic des pays de montagnes. Plus lourde que l’huile, l’eau vient occuper le fond des interstices ; le pétrole surnage, et se trouve surmonté à son tour par les gaz. Les spouters sont dus à la pression que ces gaz exercent à la surface de l’huile. Selon la position des fissures, il peut donc se faire qu’elles soient pleines seulement d’eau, de gaz pu d’huile, ou bien de deux de ces corps, ou enfin de tous les trois ensemble, ce qui est le cas le plus fréquent lorsque les crevasses ont de grandes dimensions. Il suffira souvent d’une différence de quelques mètres pour qu’un sondeur heureux amène le pétrole du premier coup, tandis que son voisin verra jaillir ou devra pomper, souvent sans résultat, un volume d’eau prodigieux, et qu’un troisième donnera tout simplement issue à des gaz inflammables.

La sortie de ces gaz entraînait autrefois des conflagrations terribles, occasionnées le plus souvent par l’imprudence des fumeurs ; aujourd’hui les hommes d’huile en tirent un excellent parti pour chauffer leurs chaudières, évitant ainsi la dépense du bois ou du charbon, dont le transport est très coûteux dans cette petite vallée entrecoupée de torrens. Pour cela, ils empêchent de propos délibéré l’apparition des spouters, qui étaient d’abord si recherchés. Toutes les fois que la sonde rencontre une veine de gaz, le seed bag intervient pour la séparer de la veine d’huile ou d’eau salée, et ce gaz est conduit par un mince tuyau jusque dans le foyer de la machine motrice. Il semble au premier abord qu’il serait préférable de laisser couler spontanément le liquide au lieu de le pomper ; mais, la pression intérieure des gaz ayant beaucoup diminué depuis que le sol est criblé d’orifices, la durée de la vie des flowing wells se trouve fort raccourcie, et, tout compte fait, l’économie de combustible réalisée par l’emploi des gaz est supérieure à la dépense qu’entraîne le travail de la pompe. On voit même des exploitans disposer d’un volume de gaz assez considérable pour vendre à leurs voisins, les chercheurs de pétrole, toute la chaleur nécessaire à la marche de leurs outils de sondage. Le sol est tellement imprégné de matières inflammables que sur la plupart des exploitations un petit tube amène le surplus des gaz au sommet du derrick, où ils brûlent nuit et jour. Après le coucher du soleil, ces langues de feu vacillent au vent comme des aigrettes, tous les ravins s’illuminent spontanément à la même heure, tandis que la grande musique des eaux tombant des cascades et précipitées à travers les rapides maintient un caractère sauvage à ces beaux sites, où la nature et l’homme travaillent ensemble dans une féconde intimité.

Les pumping wells, les puits d’où l’on extrait l’huile au moyen de pompes à vapeur, forment donc aujourd’hui le mode fondamental d’exploitation dans le comté de Venango ; mais au bout d’un temps plus ou moins long il arrive que ces poches se vident, soit parce qu’elles ne communiquent pas avec des poches pétrolifères voisines, soit parce que les petits canaux qui se ramifient en tout sens autour du fond des puits ont été obstrués peu à peu. Les oil men sont patiens, mais pas du tout résignés, et ce n’est jamais sans avoir tenté de vigoureux efforts qu’ils abandonnent définitivement la partie. L’un d’eux, ancien colonel dans l’armée fédérale, fit en 1865 l’invention du torpédo, qui a rendu la vie à des centaines de puits que l’on croyait asséchés pour toujours. Le torpédo est une torpille que l’on fait éclater au fond du trou de sonde et dont l’effet direct est de rouvrir les canaux obstrués, quelquefois même de donner naissance à de nouvelles crevasses où vient affluer un pétrole nouveau. Le mécanisme en est des plus simples. Un cylindre de fonte long de près d’un mètre porte à l’intérieur un autre cylindre concentrique chargé de nitro-glycérine ; l’intervalle annulaire entre les deux tubes est bourré de poudre à canon, et l’on fait à tout le système une fermeture solide, parfaitement étanche, qui porte sur la tête un petit chapeau destiné à produire l’explosion de la nitro-glycérine par une simple percussion. Le dangereux engin est suspendu à une ficelle, on le dirige avec prudence jusqu’au fond du puits, et le long de la corde raidie on laisse tomber un gros anneau de fer. Cela suffit : un bruit sourd se fait entendre sous la terre, qui tremble ; rarement une gerbe de feu, presque toujours une gerbe d’eau s’élance hors du trou de sonde, et tout expire. Il arrive sans doute bien des fois que le déchirement de la roche ne produit aucun résultat appréciable ; mais le succès a répondu souvent à ces tentatives, et pendant l’année 1866 notamment l’emploi des torpédos a contribué pour une bonne part au chiffre élevé de la production !

Ce n’était pas tout de produire beaucoup, il fallait encore transporter l’huile sur les marchés de l’intérieur et aux ports de mer. A l’origine, on ne se servait que de barils chargés sur des teams. Cela entraînait une foule de dépenses et de désagrémens. Les barils, quoique fabriqués sur place avec le bois de la forêt, coûtaient cher, et il fallait payer le retour avide ; puis on était esclave de la population grossière employée à ces transports : charretiers et palefreniers, recrutés parmi les déserteurs des camps et l’écume des grandes villes, régnaient en maîtres ; comme on ne pouvait tout d’abord se passer d’eux, leurs exigences menaçaient de dévorer en frais de transport le plus pur du bénéfice des producteurs. Aujourd’hui la plus grande partie du pétrole est envoyée à destination au moyen de tuyaux de fer (oil pipes) d’un petit diamètre qui franchissent les runs, plongent sous la rivière, serpentent dans les ravins ou couronnent les falaises, portés simplement sur des chevalets de bois que l’on fixe en terre. Il y a de ces lignes de tuyaux qui ont 4 lieues de long. Dans beaucoup de cas, la différence des niveaux entre le point de départ et le point d’arrivée suffit pour que l’écoulement de l’huile s’opère tout seul. D’autres fois il faut employer le secours d’une machine à vapeur qui refoule le liquide. Des compagnies spéciales ont été organisées pour ce travail, qui s’effectue partout régulièrement sans donner lieu à contestations. En outre, comme chacun s’occupe de ses propres affaires avec beaucoup d’activité, personne ne songe à causer le moindre dommage aux tuyaux, même quand ils livrent passage au pétrole d’un concurrent : on les considère tacitement comme des organes indispensables à la vie de la contrée. Chose digne de mention peut-être, les conducteurs de teams, dépossédés de leur monopole par les oil pipes, n’ont rien fait pour les détruire : ils auraient perdu leur seul avoir, le temps, s’ils s’étaient arrêtés à récriminer ; d’autres industries dans d’autres pays miniers, au Colorado, à la Nevada, pouvaient avoir besoin de leurs services, et ils partirent au plus vite, abandonnant le champ libre aux hommes d’huile.

Les camions portant des barils de pétrole que l’on rencontre maintenant dans les sentiers de la vallée sont le plus souvent employés par les petits raffineurs, établis en grand nombre tout près des puits d’extraction. Ces industrieux producteurs opèrent très économiquement, utilisant tant bien que mal tous les sous-produits dont ils ne peuvent pas tirer de l’huile d’éclairage ; on les voit en campagne dès le point du jour pour acheter aux meilleures conditions possibles la matière brute et l’expédier vers les cornues de distillation ; ils connaissent mieux que personne l’état des affaires de chaque exploitant, et, l’argent à la main, sont fort experts dans l’art de tirer profit des situations embarrassées. L’huile d’éclairage qui sort de ces nombreux petits ateliers isolés les uns des autres n’est pas d’aussi belle qualité que le produit des fabriques établies en dehors d’Oil-Creek ; mais le bas prix auquel elle est obtenue fait une concurrence des plus salutaires à ces grands établissemens. Il faut même ajouter que d’année en année il devient plus avantageux de distiller l’huile brute aux lieux mêmes où elle sort de la terre. Ce vaste mouvement de concentration a commencé il y a trois ou quatre ans. Depuis cette époque, les distilleries de Liverpool, Hambourg, Brème, Anvers, Le Havre, Rouen, Paris, Marseille et Gènes ont dû insensiblement éteindre leurs feux. Les tableaux de douanes le montrent avec évidence, l’Amérique n’exporte plus aujourd’hui qu’un chiffre minime de pétrole brut ; aussi la plupart des raffineurs de ce côté-ci de l’Atlantique ont-ils fait une volte-face intelligente, et sont-ils devenus importateurs des huiles distillées par les Américains[9]. Pendant que ce mouvement s’accomplissait, les raffineries de New-York, Boston et Philadelphie se trouvaient elles-mêmes atteintes par la concurrence des centres plus rapprochés d’Oil-Creek. En ce moment, Corry, Cleveland et Pittsburg sont les trois points vers lesquels se dirigent les plus grandes quantités de pétrole brut, pour y être distillé, mis en barils et expédié dans toutes les directions.

A sa sortie des tuyaux de fer, le pétrole s’écoule sur les tank cars ou dans les bulk boats, selon qu’il doit être exporté par rail-ways ou par eau. Le tank car est un châssis de wagon à marchandises, un truck sur lequel sont établis deux réservoirs analogues à ceux que l’on voit autour des puits, et pouvant transporter ensemble 15 tonnes d’huile. Quant au bulk boat, c’est un bateau semblable aux chalands à charbon qui remontent la Seine. Il reçoit le pétrole brut le long d’Oil-Creek, de l’Alleghany et de French-Creek ; de petits remorqueurs à vapeur convoient d’un seul coup trente et quarante de ces chalands, groupés en longs radeaux. Une fois l’une de ces caravanes vint se heurter contre les piles du pont d’Oil-City : le désastre fut immense, l’huile se répandit à flots sur l’Alleghany, et ce fut un heureux miracle qu’il ne se trouvât point sur son passage une étincelle, car le contact de l’eau attise les incendies de pétrole. On dit qu’un riverain eut la présence d’esprit de lever à la hâte, au fond de la petite île qu’il habitait, une digue informe, et qu’il recueillit de la sorte plusieurs centaines de barils d’huile dont personne ne vint lui contester la possession. De tels sinistres sont fort rares, et les cargaisons atteignent presque toujours Pittsburg sans encombre.

Par suite des avantages que lui fait son réseau de voies navigables, cette ville, située au confluent de l’Alleghany et du Monongahela, qui se réunissent en ce point pour former l’Ohio, est le plus grand entrepôt de pétrole de l’Amérique. Non-seulement elle fournit au marché intérieur, mais elle prend une large part au commerce d’exportation. Elle est sensiblement plus rapprochée de l’Océan, par la voie de Baltimore, que ne le sont les centres de fabrication qui débouchent sur Philadelphie ou New-York. D’ailleurs les huiles crûtes y conservent en tout temps un bon marché relatif, et ses raffineurs trouvent des facilités exceptionnelles dans un centre industriel de cette importance, muni de toutes les ressources possibles en matériel, on personnel, en institutions scientifiques, et situé au cœur même d’un bassin houiller plus riche que celui de la Grande-Bretagne. Aussi n’est-il pas surprenant que la plus vaste raffinerie du monde entier se soit établie à Pittsburg. Elle est assise au bord même de la rivière Alleghany, entre ce cours d’eau et divers raccordemens de voies ferrées qui lui permettent de diriger ses produits sur Baltimore ou sur Philadelphie. Un trait peindra l’étonnante puissance d’initiative du petit groupe d’oil men qui, dès 1853, avaient jeté les yeux sur Oil-Creek : ces mêmes pionniers, qui surent se rendre acquéreurs en temps utile de la ferme de Tarr, qui ont fondé ou racheté plusieurs banques importantes, à Oil-City, Titusville et Franklin, sont également les fondateurs et les propriétaires de la « raffinerie-monstre. » Le pétrole brut y arrive porté par les bateaux, d’où il est pompé et refoulé dans des réservoirs de fer, à l’abri de l’incendie. L’un de ces réservoirs a une capacité de 20,000 barils ou 3 millions de litres, ce qui fait en poids 2,500 tonnes, — le chargement de deux ou trois des navires à voiles de première classe qui font les voyages du Havre aux Indes Orientales. Pendant mon séjour à Pittsburg, on se disposait à construire plusieurs de ces réservoirs, afin d’être en mesure de produire 250,000 barils de pétrole raffiné par an. Si ce projet est mis à exécution, un seul établissement de cet ordre suffirait presque à pourvoir aux importations de la France[10].

Pour raffiner le pétrole brut, c’est-à-dire pour en extraire l’huile d’éclairage, on use du même procédé que pour fabriquer l’esprit-de-vin : on chauffe le pétrole dans une cornue qui rappelle tout à fait l’alambic où l’on chauffe le jus de raisin fermenté, puis on condense les vapeurs d’huile, comme on condense les vapeurs d’alcool, en les refroidissant à travers un serpentin baigné dans l’eau froide. Pour manier les vapeurs de pétrole, il faut s’entourer des plus sévères précautions. Dans la grande raffinerie de Pittsburg, tout est spécialisé, et chaque spécialité est logée à part. Le bâtiment où l’on distille est entièrement bâti en fer. Les cornues sont au nombre de dix, et peuvent traiter à la fois plus de 3,500 barils de pétrole. Au lieu d’être exposées à l’action directe du feu, elles sont chauffées par un courant de vapeur sèche qui a circulé préalablement dans des tuyaux de 100 mètres de long, qu’enveloppent de tous côtés les flammes de trois foyers réchauffeurs. Pendant la première phase du travail, on chauffe à une température assez basse pour ne mettre d’abord en liberté que les essences légères. Celles-ci, bien connues par l’odeur éthérée qu’elles dégagent, sont le seul élément explosible du pétrole, et se distinguent tout à fait de l’huile d’éclairage proprement dite. Sous le nom de benzole, elles servent, aussi bien que les essences extraites de la houille, à dissoudre les résines et les corps gras. L’huile d’éclairage ne commence de distiller qu’à une température un peu plus élevée ; les vapeurs produites pendant cette seconde phase traversent aussi le col-de-cygne de l’alambic, et vont se condenser dans un réfrigérant d’où le liquide est envoyé aux laveurs.

À ce moment commence le raffinage proprement dit, qui consiste à purifier les huiles en leur faisant subir un premier traitement par l’acide sulfurique, puis un autre par l’alcali, ou solution de soude caustique. Dans ces deux traitemens, le mélange est agité avec force pendant un temps assez long au moyen de palettes mues par la vapeur. On obtient ainsi un très beau produit incolore, qui prend une légère teinte opaline sous l’action des rayons réfléchis. Avant de livrer cette huile d’éclairage au commerce, on lui fait subir dans l’usine « l’épreuve du feu ; » en d’autres termes, on s’assure que, chauffée au degré voulu par la loi, elle n’émet aucune vapeur inflammable. Pour cela, il suffit de plonger la boule d’un thermomètre dans un récipient de verre ou de porcelaine qui contient l’huile ; au-dessous du récipient, on allume une petite lampe à alcool. Dès que le thermomètre annonce que la température vient d’atteindre la limite réglementaire[11], on promène une flamme à la surface du liquide ; s’il se dégage des vapeurs, elles prennent feu soudain ; l’huile doit être alors remise dans les cornues pour y subir une nouvelle distillation. La dernière phase du traitement de la matière brute consiste à élever encore la température dans les cornues après le départ de l’huile d’éclairage ; on recueille ainsi les huiles lourdes, qui sont généralement employées pour lubrifier les articulations des machines. C’est pendant cette phase que la paraffine distille ; on veille avec soin à ce que la température du réfrigérant ne soit pas assez basse pour que cette matière se coagule dans le serpentin, car il se produirait un arrêt brusque dans la circulation des vapeurs, et la cornue de fer éclaterait. La paraffine, encore fluide, est dirigée dans de vastes caves disposées en glacières souterraines où elle se coagule en toute saison. Une fois qu’elle est figée, on la comprime sous la presse hydraulique. Le liquide qui s’écoule de la paraffine pendant cette opération est encore une matière lubrifiante ; il reste sous le plateau de la presse un gâteau plat rectangulaire de paraffine sèche et blanche, rappelant assez bien le blanc de baleine ; on vend cette matière surtout dans le Kentucky, où il s’est établi quelques fabriques de bougies de luxe. Le dernier des produits contenus dans le pétrole brut est un coke plus dense que le coke de la houille et d’un beau noir luisant ; il s’attache au fond des alambics chauffés à feu nu, et brûle très bien sur les grilles en guise de charbon.

Dans les usines où la distillation s’opère par l’action directe du feu, les accidens les plus fréquens sont ceux qui proviennent des fuites de vapeurs de pétrole. En revêtant les cornues d’une épaisse chemise de briques réfractaires, on diminue les chances de rupture des enveloppes métalliques ; mais cela n’est point une garantie suffisante, il faut encore être prêt à chaque instant à éteindre en un clin d’œil tout commencement d’incendie dans le foyer. A cet effet, chacun des fourneaux est précédé par une chambre assez vaste qu’on peut clore hermétiquement grâce à un système d’épaisses portes de fer ; deux gros tuyaux partant des chaudières permettent aux gens du dehors d’étouffer l’incendie en inondant de vapeur d’eau cette chambre, le foyer, les conduits de flammes et la cheminée. L’effet de la vapeur est pour ainsi dire instantané ; mais le salut est dans la promptitude des mouvemens : il faut en quelques secondes se jeter hors de la chambre, en fermer les portes et ouvrir les robinets.

La conduite de toutes ces opérations, sur une échelle aussi vaste que celle adoptée à Pittsburg par les possesseurs de Tarr-Farm, ne peut être confiée qu’à un chimiste habile. Ce chimiste est l’âme et le vrai directeur de la raffinerie ; aussi les propriétaires lui ont-ils fait construire, dans une position pittoresque dominant la vallée, une habitation somptueuse. On devine, en la voyant, ce que sont les demeures des oil princes eux-mêmes dans Fifth avenue, à New-York. Comme ces princes de l’huile ont pour client le monde entier, leurs fortunes reposent sur une base beaucoup plus solide qu’on ne le croit d’ordinaire. Les folies de quelques-uns, les désordres causés dans cette industrie par l’irruption de joueurs impatiens et avides, ne furent que des accidens de surface. Au fond des choses, malgré quelques apparences inquiétantes, on constate une prospérité de bon aloi fondée par le travail acharné mis au service d’un esprit de suite imperturbable. Dans la seule ville de Pittsburg, il y avait en 1868 cinquante-huit raffineries de pétrole, représentant un capital de 20 millions de dollars.

Nous venons de prononcer le mot de folies ; il n’est point exagéré. Les prodigalités du fameux Coal oil Johnny, Jean du Pétrole, méritent une courte mention. Ce Johnny fut pendant quelque temps un personnage fort à la mode ; il avait trouvé le moyen de dissiper 8 millions de francs en vingt mois. Sur les bords d’Oil-Creek, en face de la florissante localité de Bouseville, on montre au voyageur une forêt de derricks et de réservoirs concentrés sur un lambeau de terre qui s’appelait à l’origine « la ferme de la veuve Mac-Clintock. » En 1863, une nappe jaillissante donna pendant plusieurs semaines 1,000 barils d’huile par jour ; tout autour de ce puits, d’autres nappes moindres, mais débitant ensemble un volume très considérable, furent successivement rencontrées sur une surface de quelques hectares à peine. Les exploitons établis sur la ferme payèrent en 1864 à la veuve Mac-Clintock, pour son droit de royalty, des sommes qui s’élevaient en moyenne à 2,000 dollars par jour. La dame avait l’habitude d’attiser son feu de bois avec du pétrole brut ; il en résulta qu’elle mourut brûlée d’une manière atroce, laissant le revenu de la ferme avec toute sa fortune mobilière à son fils adoptif John Steele. L’héritier avait vingt ans, un caractère facile, des goûts peu élevés et une instruction médiocre. Les parasites l’entourèrent dès qu’on sut qu’il avait trouvé 750,000 francs en espèces dans le coffre-fort de la défunte, et dès lors aussi commencèrent ses extravagances. Pour faire ses visites de Noël, Johnny avait acheté le plus bel attelage de New-York ; le soir, il congédia le cocher, lui donnant en guise de pourboire les deux chevaux et la voiture. Une autre fois, il se fit histrion, monta une troupe chorale de minstrels[12], et l’on vit paraître en public chacun de ces bouffons orné d’une colossale épingle de diamans. Cette opération du moins lui a valu quelque chose, car il remplit maintenant l’honorable office de portier à l’entrée du théâtre dont il fut l’organisateur. Quant à la ferme, célèbre désormais sous le nom de Steele-Farm, elle fut vendue aux enchères pour le paiement des taxes dues à l’état par le prodigue. Le rendement quotidien des puits était encore, en 1868, de 300 barils environ.

Les régions à pétrole de la Virginie n’ont pas donné lieu à des scènes de ce caractère. Sans doute cet oil dorado a fait surgir des fortunes nombreuses, dont quelques-unes même atteignent des proportions fort enviables ; mais les oil men de la vallée de la Petite-Kanawha ne peuvent rivaliser dans le présent avec ceux d’Oil-Creek. Ces derniers ont conquis le marché illimité du monde ; les produits virginiens au contraire n’ont que le marché intérieur, et même ce débouché n’est entièrement ouvert qu’aux huiles lourdes pour le graissage des machines, car les huiles légères pour l’éclairage rencontrent à l’ouest la concurrence des masses de pétrole raffiné qui descendent de Pittsburg par la rivière. La Kanawha prend sa source sur les hauteurs de Laurel-Hill, — la colline du Laurier, — l’une des dernières rides occidentales du massif des Apalaches, et vient se jeter à Parkersburg, dans l’Ohio. Parkersburg joue ainsi le rôle d’Oil-City ; c’est le point où s’opèrent la réception et le départ des huiles recueillies dans la vallée. Il y avait là, au mois de décembre 1866, une ville de 8,000 âmes environ, qui grandissait à vue d’œil, ressemblant d’ailleurs à toutes les villes d’huile du Canada et de la Pensylvanie : même désordre apparent, même existence fiévreuse. Ajoutons que cette localité n’a pas été fondée par l’industrie du pétrole ; c’est ce qui lui promet un avenir qui ne peut être réservé aux différens centres disséminés le long d’Oil-Creek. Les affluens de la Petite-Kanawha serpentent parmi des forêts pleines d’excellens bois pour la marine, sur un sol fertile qui recouvre de riches mines de houille. Les bois ont fait de Parkersburg un important chantier de construction de bateaux à vapeur ; le charbon y a favorisé l’établissement de plusieurs manufactures, en même temps que l’élève du bétail et les salines de la contrée ont permis d’y installer des ateliers de salaison de viandes, comme à Cincinnati et Chicago. Les hommes d’huile virginiens, plus favorisés en cela que ceux de la Pensylvanie, ont trouvé là un centre habité déjà prospère, tandis que les pionniers d’Oil-Creek ont dû s’établir en plein désert ; mais tandis que le comté de Venango, éloigné du théâtre de la guerre, offrait aux travailleurs une sécurité complète, la vallée de la Petite-Kanawha se trouva infestée de guérillas au moment où les découvertes de nappes de pétrole abondantes venaient multiplier les exploitations dans cette vallée. Les maraudeurs, furieux de ne point trouver à vivre dans ce pays resté loyal, prirent plaisir à incendier tous les puits à pétrole qui avaient été abandonnés par leurs propriétaires. Or presque tous les propriétaires avaient pris la fuite. Le petit nombre de ceux qui restèrent se défendirent avec courage, et en furent largement récompensés, car ils purent acquérir à vil prix, quelquefois pour rien, des territoires fort riches en huile. Du reste, à titre de représailles, le gouvernement fédéral fit saisir et vendre aux enchères les propriétés que les principaux rebelles possédaient dans le pays, afin de dédommager ceux qui avaient le plus souffert des incursions des partisans.

Pendant ces dernières années, on a émis beaucoup d’hypothèses touchant l’origine du pétrole. Le plus grand nombre des savans américains professe que cette origine est organique. La décomposition des plantes marines ou des animaux gélatineux qui ont vécu sur les rivages des mers primitives aurait engendré les huiles minérales par un procédé de distillation en vase clos rappelant tout à fait celui qui produit le gaz inflammable des marais. Cette hypothèse explique fort bien la présence de l’eau salée dans presque tous les puits américains : les cavités des roches qui servirent de sépulture à ces organismes rudimentaires ont dû emprisonner aussi les eaux de la mer. En Europe, sur cette terre que les forces éruptives ont tant secouée, une école de géologues et de chimistes illustres, s’appuyant sur des rapprochemens très remarquables entre les divers gîtes de sel, de soufre et de bitume, attribue au pétrole une origine franchement éruptive. L’exposé des beaux travaux que ce problème si neuf a suscités mériterait une étude à part. Au point de vue pratique, il n’est point indifférent sans doute que les huiles minérales soient ou non d’origine éruptive. S’il est vrai qu’elles proviennent de l’intérieur de la terre, qu’elles s’y forment sans cesse au moyen de réactions purement minérales analogues à celles que nous réalisons dans nos laboratoires, l’approvisionnement de ces matières est assuré pour toujours. Si elles représentent au contraire des dépôts isolés comme le charbon ou les filons métalliques, on doit craindre que ces réserves ne soient un jour épuisées. Cependant, même en acceptant cette dernière supposition, il n’y a pas lieu de concevoir des alarmes sur l’appauvrissement des gîtes pétrolifères. On a calculé que le poids de l’huile amenée au jour en Amérique pendant sept années consécutives, de 1860 à 1867, représente la production de houille du bassin du Pas-de-Calais pendant une seule année. En volume, les quantités extraites ne dépassent guère les dimensions d’un édifice comme Notre-Dame de Paris. C’est une fraction insignifiante et à peine égale à ce que contient un seul amas de bitume solide tel que celui de Raguza, en Sicile. Voilà ce que nous avons ravi à la puissante nature. Ce qui est plus frappant, ce sont les progrès rapides dont les besoins industriels et les efforts qu’ils déterminent deviennent la source dans toutes les branches du savoir humain. Nous avons déjà vu la science pure, venant éclairer les premiers pas de l’industrie nouvelle, faire sortir de quelques recherches de laboratoire un mouvement commercial prodigieux ; nous voyons aujourd’hui le développement naturel de cette industrie conduire les esprits à poser des questions plus hautes à la science, et cette dernière recueillir patiemment les faits à l’aide desquels elle pourra sans doute un jour apporter une satisfaction de plus à ceux qui ont mis en elle toute leur confiance.


FELIX FOUCOU.

  1. Le gallon impérial mesure environ 4 litres et demi. Le baril contient 33 gallons impériaux, soit environ 150 litres.
  2. Ces usages et ces pratiques étaient connus, i ! y a deux mille ans, dans le bassin de la Méditerranée. Pline décrit vingt-sept remèdes tirés du bitume liquide de Babylone et de Zacynthe (Zante). Les anciens l’employaient dans le traitement des rhumatismes articulaires, de l’asthme, de la goutte, du rhume de poitrine, de la putréfaction des plaies, des fièvres intermittentes et de l’épilepsie. Ils l’utilisaient aussi à la guerre, et on le voit figurer dans certains supplices. Pline pense que c’est avec du bitume que Médée consuma sa rivale. Au commencement de ce siècle, Hahnemann a décrit un nombre considérable de symptômes que manifeste l’organisme sous l’influence du traitement par le pétrole couleur d’ambre, tel qu’on le prépare dans les officines.
  3. Affaire énorme comme le mammouth.
  4. Ce mot est d’invention américaine. Spoul signifie jet. La traduction littérale est donc jaillisseur.
  5. Le team est un char traîné par des bœufs ou des chevaux. Lorsqu’il est destiné à traverser des ravins et des forêts, il n’a pas de roues.
  6. Cette observation a été faite en Europe dans plusieurs cas d’irruption de gaz hydrogène carboné à travers des fissures étroites. (Voyez notamment la Géologie du Bas-Rhin, par M. Daubrée.)
  7. Les dernières nouvelles arrivées des régions de l’huile montrent que pendant les mois de janvier et de février la production dans Oil-Creek est au-dessous de ce qu’exigent les besoins de consommation, elle n’a pas atteint 11,000 barils par jour, tandis que la demande est de 13,000. En même temps l’exportation continue d’augmenter rapidement : du 1er janvier au 9 mars 1869, elle s’est élevée à 12,115,233 gallons, alors que la période correspondante de l’année dernière n’a fourni que 11,835,963. Aussi voit-on les opérateurs de la vallée reprendre les anciens territoires délaissés et s’étendre dans des directions nouvelles. Malgré ces efforts, le monopole parait devoir bientôt échapper à Venango au profit des régions voisines.
  8. Au Canada, où le gouvernement anglais possède encore de grandes étendues de terres a pétrole, le système des concessions par l’état est en vigueur, et le plus souvent elles portent sur des réserves indiennes. L’opérateur est alors tenu de payer une certaine somme par acre de terres et cette sommé est distribuée chaque année aux Indiens par le gouvernement local.
  9. La Russie fait exception dans ce concert : elle a frappé récemment d’un droit énorme les huiles d’Amérique, afin de favoriser l’exploitation des pétroles qui abondent sur les bords de la Mer-Noire et de la Caspienne, ainsi que sur les deux versans de la chaîne du Caucase.
  10. En 1868, la France a importé 293,000 barils en nombre rond. Les ports d’arrivée ont été, par ordre d’importance, Marseille, Le Havre et Rouen, Dunkerque, Bordeaux, Nantes et Saint-Nazaire. — Anvers est la ville qui a importé les plus grandes masses d’huile américaine, 400,000 barils. Brême vient ensuite, 350,000. Cork et Gibraltar sont en troisième et quatrième ligne, Marseille en cinquième. Liverpool n’importe plus aujourd’hui que le tiers environ de ce qu’importe Marseille ou Le Havre ; Londres reçoit moitié moins que Liverpool. Ces deux ports et en général tous les ports anglais perdent chaque année quelque chose de ce transit, parce que les centres de consommation tendent de plus en plus à s’approvisionner directement en Amérique.
  11. Le fire test se fait à 110 degrés Fahrenheit, en nombre exact 43 degrés centigrades et 3 dixièmes.
  12. Les minstrels ou ménestrels sont des chanteurs et danseurs comiques des deux sexes, déguisés en nègres et négresses. Aux États-Unis, ce genre de spectacle est très en faveur dans les grandes villes. Il parait être originaire des états du sud. Importé en Angleterre, il n’y a pas obtenu un succès moindre. C’est une bande de ménestrels qui obtient en ce moment à Londres le plus grand succès au théâtre de la saison en jouant chaque soir dans Saint-George’s Hall la Grande-duchesse de Gérolstein.