Louis-Michaud (p. 320-329).

xvi

De profundis clamavi



Sitôt parus, les journaux du matin furent enlevés. On s’attendait à lire d’abondantes explications sur le phénomène des grands boulevards, les feuilles du soir l’ayant relaté la veille en termes confus et déraisonnables. On eut la déception troublante de n’acheter avec les meilleures gazettes qu’un surplus d’incohérence et de contradictions. Elles donnaient un compte rendu passable de ce qui s’était produit au Grand-Palais, mais elles faisaient suivre cette information — déjà très affolante — de commentaires ineptes et d’éclaircissements de haute fantaisie. Dans l’esprit exalté du public, tout ce qui concernait l’aéroscaphe devint à peu près juste, mais la notion du monde superaérien demeura ténébreuse et larvaire.

L’instinct du peuple l’avertit qu’il se passait des gravités. Paris fermenta. Les magasins furent déserts.

Des foules assiégeaient les ministères tour à tour, sans savoir auquel il fallait recourir en l’occurrence. On imaginait, de la part du gouvernement, des cachotteries, des feintises, un parti pris de silence. On voulait la vérité ; sur la cadence des lampions, devant la Chambre des Députés, cent mille personnes la réclamaient.

Un questeur, délégué, vint prier M. Le Tellier de vouloir bien instruire la Nation.

Vers quatre heures se fit la distribution gratuite d’un Journal officiel imprimé à la hâte et renfermant les communiqués de l’astronome (pièce 821).

Ils ne déguisaient rien, mais tâchaient seulement d’être stoïques.

C’est alors que le Péril Bleu apparut dans tout son horrible et tout son formidable, quand on apprit tout net qu’au-dessus des hommes, sur un globe invisible plus immense que la Terre et l’enveloppant de toutes parts, vivait une autre race d’êtres intelligents qui semblaient bien nous avoir attaqués, — race redoutable par sa position, sa force, son mode vital, son génie et son invisibilité, qui faisaient de nous comme une bande d’aveugles cernée.

L’humanité frémit d’une même épouvante, et son émotion s’aggravait bizarrement de ce que les deux formes connues des créatures du vide fussent précisément celles des animaux terrestres les plus répulsifs, auxquels des siècles de fréquentation journalière n’avaient pu la rendre insensible.

Le sort des prisonniers cessa d’intéresser l’opinion ; les gens craignaient pour eux-mêmes trop de calamités. La répugnante immixtion de crapauds et d’araignées dans nos affaires préoccupait toutes les rêveries (car il importe de noter qu’au début, le populaire ne faisait pas de différence entre les Sarvants et leur bétail dynamique). Malgré les enseignements de M. Le Tellier, l’assurance d’une invasion imminente persista fort longtemps ; l’armée s’attendait à être mobilisée d’un instant à l’autre.

En vingt-quatre heures, l’effroi devint mondial. Une soif de science dévora jusqu’aux tribus arriérées. Les ignorants se faisaient initier aux rudiments de l’optique et de la météorologie ; les clercs poussaient leur savoir aux derniers arcanes. À l’étalage des libraires, la brochure de Jean Saryer, Essai sur l’invisible, s’épuisait en éditions polyglottes. Contre l’autorisation de publier le cahier rouge, le Journal, le Daily Mail, le New-York Herald, le Novoïé Vrémia et la Gazette de Cologne offrirent des fortunes à M. Le Tellier, qui refusa.

Cette fin du monde, appréhendée depuis quelques mois, semblait tout de même arrivée. Les églises et les temples, les synagogues, les pagodes et les mosquées regorgèrent de multitudes horrifiées, en ferveur machinale, et les tavernes fabriquèrent des ivrognes à la douzaine. Les banques, silencieuses et abandonnées, ne trouvèrent pas un cambrioleur.

Il y eut des prostrations unanimes, suivies de surexcitations universelles. On eût dit que les nerfs de tous les humains communiquaient entre eux, à la ressemblance des Invisibles.

L’abattement s’étendait sur la famille d’Ève en proie à cette peur injustifiée de l’extermination. Elle admettait que les temps fussent venus. Chacun se disait que c’était là le triste aboutissement de tant d’efforts et de victoires. Et l’on connut à nouveau l’incessante détresse qui tenaillait le cœur de nos ancêtres, quand l’homme n’était qu’un mammifère débile, exposé toujours aux agressions monumentales des mastodontes qu’il redoutait sans trêve et dont l’obsession ne le quittait jamais. Or, cette terreur soudain réveillée d’un sommeil vingt fois millénaire, il fallait qu’aux heures préhistoriques elle eût été suprême à l’égal de l’amour ; car l’éprouver c’était la reconnaître.

Plus nombreux qu’en temps d’éclipse ou de comète, les regards se fixaient sur le vide apparent où la déchéance de l’homme s’inscrivait en caractères invisibles. Mais l’homme tenancier de la Terre n’était pas même détrôné : — jamais il n’avait régné ! Il s’était cru le maître, alors qu’un autre, industrieux, génial et saugrenu, lui restait supérieur au point de le pêcher !

Humiliation des humiliations !

L’homme, n’étant plus l’Homme, s’inclina, pris de stupeur. Il acceptait. Il sentait pour lui-même une grande compassion devant l’iniquité dont il se prétendait victime. Et les prêtres en chaire jaculaient de la sorte :

— « Du fond de l’abîme nous avons crié vers Toi, Seigneur, nos désirs, nos souffrances, notre amour. — Et nous étions comme des bêtes souterraines. — Et l’abîme se creusait plus profond que notre estime. — Oui, plus profond, d’être sous un monde insoupçonné. — Ceux à qui Tu avais donné le royaume de la Terre n’étaient donc pas les fils de l’argile transfigurée au souffle d’Élohim ? — Nos prières, en montant vers Ta gloire, au plus haut des Cieux, traversaient l’univers qu’il T’a plu d’interposer entre Elle et nous. — Mais plus que toujours, ô Seigneur, voici que nous crions vers Toi, du fond reculé de l’abîme, nos désirs plus aigus, nos souffrances avivées et notre amour grandi ! »

L’araignée du soir signifiait chagrin, comme celle du matin. On écrasait l’une et l’autre dès qu’on les avait aperçues. Des furieux leur faisaient la chasse et les trépignaient sottement. La frayeur en faisait surgir qui n’existaient pas. On voyait partout des faucheux, des phrynés ; le Mexique halluciné rêvait d’atocalts ; les nègres d’Afrique s’imaginaient que les étoiles était des galéodes lumineuses ; et le poème de Victor Hugo se réalisait à l’envers, car le soleil rayonnant évoquait l’ombre paradoxalement éblouissante de quelque titanesque sisyphe,

Et l’homme, du soleil, faisait une araignée.

Dans toutes les campagnes des cinq parties du monde, crapauds et grenouilles furent massacrés, depuis les mignonnes rainettes vertes de nos prairies jusqu’aux ignobles pipas du Brésil, qui sont des abcès sautelants.

Et puis tout à coup : revirement. L’humanité se reprit dans un brusque sursaut d’énergie. Des prêcheurs laïcs et religieux s’écrièrent qu’après tout, rien ne certifiait la supériorité des Sarvants ; que leur mécanique, en définitive, ne valait pas la nôtre sur certains points, avec ses sphères risibles et ses moto-crapauds ; qu’il fallait défendre le sol contre leurs incursions, et mettre en batterie tous les engins que notre science avait construits et qu’elle construirait !

On sait que l’homme en troupeau est une étrange bête, lunatique, moutonnière et panurgéenne. La réaction s’opéra dans l’allégresse. Une confiance exagérée supplanta l’excessive démoralisation. Les basiliques se vidèrent au profit des théâtres ; les magasins de nouveautés reconnurent l’afflux des acheteuses, et les aiguilles renfilées coururent à qui mieux mieux dans les pongés, les shantungs et les peaux-de-soie. Tout repartit. À l’exemple du premier syndicat pour la défense du territoire, d’autres se constituèrent. On placardait affiche sur affiche. Les réunions publiques s’ajoutaient aux conférences. Et les capitales manquèrent illuminer lorsqu’on apprit qu’en France le Conseil des ministres allait se réunir pour délibérer avec l’Académie des sciences, — mesure éminemment salutaire que tous les États du globe se proposaient d’imiter.

Nous rappellerons en peu de mots la séance française mixte, cette assemblée historique, — modèle des parlements futurs, en attendant que les personnages scientifiques aient remplacé complètement les politiciens.

Elle s’ouvrit à l’Élysée, le mercredi 11 septembre, et commença par une dispute. (Compte rendu officiel, pièce 843.)

Reflétant la conviction nationale, qu’il partageait, le ministre de la Guerre proposa d’examiner sans ambages les moyens les plus sûrs, expéditifs et radicaux, de détruire les continents sus-aériens. Il ajouta qu’il importait de le faire au plus tôt, avant que les Sarvants n’eussent construit de nouveaux aéroscaphes. Il parla de mortiers colossaux et de projectiles explosifs, — et se vit couper la parole.

Le ministre des Colonies l’interrompait et lui demandait de quel droit bombarder ce pays qu’on pourrait sans doute, avec le temps, conquérir, annexer peut-être et, à tout le moins, ratifier d’un protectorat. Le pire qu’il s’autorisait à prévoir, c’était le massacre des indigènes, encore qu’il eût été préférable, à son sens, de les asservir. Mais dévaster de fond en comble la terre invisible ? Jamais ! Il devait y avoir là-haut des richesses irrévélées fort appréciables. Pour son compte, il caressait l’espoir que la France, un jour, s’augmenterait de cette belle possession plus étendue que toute la surface qu’on voit aux mappemondes.

Le physicien Salomon Kahn voulut alors intervenir. Mais le ministre du Travail entra dans la discussion.

Après un compliment ironique à l’adresse de ses deux collègues — les ayant admirés d’avoir, pour une fois, montré chacun l’esprit de son département, et s’étant félicité de ce que le ministre de la Guerre eût été belliqueux et le ministre des Colonies colonisateur — il annonça qu’il allait, lui, ministre du Travail, faire entendre les phrases qui auraient dû sortir de la bouche du garde des sceaux, ministre de la Justice. Et il prouva que l’idée de colonisation n’était pas recevable, au triple point de vue du code, de la jurisprudence et de la justice. Car les plaines du vide appartenaient déjà aux hommes. (Sensation prolongée.)

— « Vous savez bien, n’est-ce pas, que tout propriétaire foncier est propriétaire non seulement du sol, mais encore du sous-sol de sa propriété ? Depuis l’extension de la navigation aérienne, vous vous le rappelez, on a reconnu symétriquement la propriété du dessus, — la propriété de la portion d’air qui se trouve au-dessus du sol. Tout l’espace qui se trouve au-dessus de mon champ m’appartient : — donc je suis propriétaire d’un lopin de territoire sus-aérien. Si mon champ est rond, j’ai là-haut un rond du continent invisible ; mais ce rond est un peu plus grand que celui de mon champ, — parce que, messieurs, ce que nous possédons lorsque nous possédons un terrain, ce n’est pas une surface, c’est un volume ; je l’ai dit ; acheter un champ rond, ce n’est pas acheter un cercle de campagne, c’est acheter un cône illimité de feu, de roc, de glèbe, d’atmosphère et de vide, dont la pointe se trouve au centre de la Terre (où toutes les propriétés, se rejoignant, tombent à rien) et dont la base est à l’infini. Les astres, messieurs, ne peuvent graviter qu’en passant de l’une à l’autre de ces divisions d’éther tronconiques dont nous sommes les possesseurs.

» De même, messieurs, vendre un champ carré, ce n’est pas vendre un carré de culture, c’est vendre une pyramide régulière à quatre pans… »

— « On voit que vous avez été répétiteur de géométrie ! » lança quelqu’un.

— « Il veut épater l’Académie ! » gouailla le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts.

Le président de la République ne disait rien.

— « Sous le rapport de la propriété, » poursuivit l’interrompu, « la Terre peut être comparée à l’ananas, dont la structure… »

— « Assez ! assez ! » criait-on de toutes parts. « Au fait ! » — « À la question ! » — « Parlez-nous des Sarvants ! » — « Proposez quelque chose ou taisez-vous ! »

— « Je demande la parole» fit M. Le Tellier.

On la lui donna. Le silence s’établit.

— « Messieurs, » commença-t-il, « avant d’anéantir ou de coloniser le monde invisible, la France scientifique doit encore travailler des lustres et des lustres.

» À la hauteur de cinquante kilomètres nulle bombe ne saurait parvenir, du moins utilement. Car, si elle arrivait jusque-là, son explosion dans le vide ne produirait que d’insignifiantes dégradations. Par contre, en retombant sur terre avec une force de bolides, les shrapnells non éclatés y provoqueraient des malheurs irréparables. Voilà pour l’anéantissement.

» Voyons la colonisation. Les appareils dont nous disposons ne peuvent nous transporter là-haut. Sur une profondeur de vingt-cinq mille mètres environ à partir du niveau atmosphérique, l’air est trop raréfié pour soutenir nos ballons, nos aéroplanes et nos hélicoptères. Vouloir y voler correspond à vouloir nager dans le brouillard. Folie.

» Même, si nous savions organiser un navire aussi léger, précis et résistant que l’aéroscaphe, — si l’aéroscaphe radoubé reprenait du service, — il ne pourrait monter que six hommes à la fois. Et il faudrait connaître la manœuvre ! Aussi bien l’aéroscaphe n’est-il pas raccommodable ; nous sommes impuissants à le reproduire ; et le moteur serait trop lourd que nous mettrions à la place des dynamos-crapaudiques, — pardonnez-moi cette néologie barbare.

» Et puis, là-haut, messieurs, comment vivre ? J’entends bien qu’il existe des respirols contre l’asphyxie ; mais quel scaphandre inventer contre la dépression ? quelle cuirasse hermétique et cependant articulée ?…

» Non, non, il ne faut pas songer à démolir le continent superaérien, qui d’ailleurs tient peut-être un emploi fondamental dans l’économie de la planète, — qui est peut-être un précieux condenseur de calorique solaire, — et dont la disparition entraînerait peut-être celle de la faune terrestre, y compris certain orang dégénéré, tyrannique et vicieux, qui nous est cher de tout notre égoïsme.

» Et ne songez pas non plus à coloniser ce monde, puisqu’il nous est consigné, — puisque, hélas, nous ne possédons qu’en utopie la columbiad de Jules Verne et la cavorite de Wells. »

— « Mais alors que faire ? » — « Oui : que faire ? » — Allons-nous donc nous laisser pêcher jusqu’au dernier ? » — « Ils viennent chez nous, si nous n’allons pas chez eux ! » — « Ils nous coloniseront, si nous ne les colonisons pas ! »

Le président de la République ne disait rien.

— « Minute !… Deux mots, je vous prie ! » hacha M. Le Tellier au plus fort des exclamations. « Tout cela est irrationnel. Qui de vous eut jamais le dessein d’aller faire de la pénétration pacifique chez les poissons ? de coloniser les steppes sous-marines et les pampas liquides ?… Vous savez bien que les Sarvants ne professent pour nous qu’une simple curiosité scientifique ! »

— « Le reste viendra ! »

— « Pas sûr. Ou bien dans très longtemps, quand nous-mêmes nous aurons des velléités de conquête à l’égard du fond de la mer. Et alors nous serons prêts à recevoir les Invisibles. — Pour l’instant, il s’agit, sans plus, de nous défendre, au cas où de nouvelles explorations nous menaceraient, — menaceraient ce malheureux Bugey qui, de toute évidence, se trouve être le fond de la mer des Sarvants. Voilà la question.

» Or, je prétends, pour peu qu’on y réfléchisse, que cette question ne se pose même plus !

(Mouvement.)

» Convaincu, par la raison, que les araignées invisibles n’ont à cette heure — et n’auront sans doute jamais — que des intentions océanographiques à l’endroit d’un monde où elles ne sauraient vivre que péniblement affublées d’armures isolantes, ou cloîtrées dans des cloches sous-aériennes, comme nous dans l’eau profonde, — je dis qu’il s’écoulera nombre d’années avant qu’elles recommencent leur tentative de muséum. Et je le prouve.

» Voyons, messieurs, croyez-vous qu’il attache une grande importance à la pêche humaine, cet immense peuple invisible qui n’a, dans ce but, nolisé qu’une seule embarcation ?… Eh oui, une seule ! Vous ne l’ignorez pas, en effet : depuis le naufrage de l’aéroscaphe aucun enlèvement ne s’est produit. Nous avons donc affaire à l’entreprise assez modique d’un groupe de Sarvants savants, de ceux qui, je suppose, jouent le rôle de cervelle dans leurs singuliers assemblages. — Eh bien, dites-moi, le résultat de cette campagne est-il encourageant pour eux ? Il s’en faut de tout. D’une part, le sous-aérien s’est perdu corps et biens ; et d’autre part (ici, la voix de l’orateur s’embarrassa de sanglots retenus) et d’autre part, messieurs, leurs captifs… — excusez-moi, — leurs captifs succombent… avec une effr… effrayante rapidité. Messieurs les membres du gouvernement sont mieux placés que personne pour vous dire avec quelle horrible fréquence les cadavres tombent maintenant du ciel sur le triste Bugey…

» Un instant, aveuglé par mes larmes, trompé par mes propres chagrins, j’ai pu croire à l’énormité du Péril Bleu ; j’ai pu croire qu’il menaçait tous les hommes dès à présent. Je suis édifié. Les Sarvants ne sont pas à la veille de renouveler un essai d’aérarium qui échoua dans une catastrophe navale et dans un insuccès d’élevage.

» Que faire ? Préparons l’avenir, si lointain qu’il paraisse. Et que ceux dont les parents sont aux griffes des araignées attendent courageusement la chute de leurs corps ! »

M. Le Tellier s’assit lourdement, comme un voyageur au terme de sa course. Ses collègues l’entouraient et lui serraient les mains. Dans le bruit de leurs compliments, on entendit le ministre de la Guerre s’obstiner :

— « Il faut détruire les Sarvants ! »

Le président de la République, sortant d’un rêve, dit alors, avec le joli accent de Gascogne :

— « Hé, dites un peu, monsieur Le Tellier ! Vous qui fûtes le Christophe Colomb, le Vespuce de cette Amérique, ou mieux encore : le Le Verrier de ce Neptune… Dites un peu ! Ces territoires superposés aux nôtres, ces gens sous lesquels nous vivons depuis sans cesse… Hé, bé ! est-ce que cette phrase-là n’est pas absurde ?… »

— « Toute chose paraît absurde, monsieur le président, lorsqu’elle est très neuve, très étrange, et que nous l’apercevons tout à coup, au dépourvu, sans qu’une chaîne d’épisodes ou de raisonnements nous ait amenés progressivement jusqu’à elle, par de faibles surprises successives ou de petits enseignements graduels, dont la somme constitue cependant soit une extrême stupéfaction, soit une science approfondie.

» C’est aussi question de vocabulaire.

» Tenez, vous eussiez dit à quelque Romain d’autrefois, au plus intelligent, au plus poète des Romains : Horace, par exemple, — ou bien à quelque Grec, au plus savant des Grecs : Aristote, si vous voulez, — vous leur eussiez dit cette phrase à la fois lyrique et scientifique : « Un jour, ô maîtres, on emploiera la foudre à pousser des galères. »

» À ces mots, je vois d’ici, monsieur le président, Aristote sourire et Horace lever les épaules…

» Cependant, la phrase que vous prétendiez absurde tout à l’heure, sera dans quelques années aussi vraiment simple et naturelle qu’il est simple et naturel de dire aujourd’hui, deux mille ans après Horace et Aristote : « Il y a des bateaux électriques. »

Le président de la République regagna son rêve élyséen.

— « Il faut détruire les Sarvants ! » tonna le ministre que l’on sait.

La séance continua, et fut levée sur un ordre du jour « invitant les Chambres à voter des crédits pour l’étude de projets destinés à combattre une nouvelle expédition arachnéenne, d’ailleurs improbable ».