Louis-Michaud (p. 123-132).

xiv

L’Aigle et la Girouette



Les Sarvants ne s’étaient pas contentés de visiter Mirastel. Ils avaient aussi violenté le village d’Ouche, au-dessus du château.

Prévenu dans la matinée, M. Le Tellier se rendit sur les lieux avec Maxime et Robert. On leur montra deux carrés de choux et un de carottes, complètement récoltés par les rôdeurs énigmatiques, et la place où, la veille encore, s’érigeait une pierre biscornue dont il ne restait plus qu’un trou dans la terre.

— « Toujours la même rengaine », dit Maxime. « Ces Messieurs parodient les fantômes ! Ils affectent de s’adjuger les choses d’exception, même inutiles, pour faire de l’effet : une espèce de menhir, une branche de ginkgo, un loulou de Poméranie… »

Robert se croisa les bras.

— « Vous trouvez », dit-il, « que des choux et des carottes sont d’inutiles raretés ?… Avez-vous remarqué avec quel acharnement nos ennemis dévastent les cultures maraîchères, depuis peu de temps ? Eux qui d’abord ne s’appropriaient pas deux objets identiques, voilà qu’ils font main basse sur toute sorte de légumes ! »

— « Allons donc ! allons donc ! Tout cela, c’est pour embêter les citoyens ! pour qu’ils paient plus cher leur tranquillité ! »

— « Voyez-vous quelque trace d’outils ? de pas ? » questionna M. Le Tellier. « Moi, non. »

— « Rien ; comme toujours », répondit Robert. Et il ajouta : « Dites donc, monsieur Maxime, tout de même, réfléchissez : quand il s’agit d’animaux et d’êtres humains, les Sarvants ne sont pas très difficiles non plus sous le rapport de la qualité, voyons ? Ils raflent n’importe quelle femme, un homme quelconque, le premier chat venu et des tas de lapins sans valeur, sauf des exceptions qui semblent dues au hasard… Avouez-le. C’est bien cela que vous pensez, en y réfléchissant ? C’est bien cela ? »

— « Oui, c’est juste », confessa l’incrédule après un instant.

— « Eh bien… » reprit Robert d’un ton presque joyeux. « Eh bien… »

— « Quoi, à la fin ? »

— « Il se pourrait que vous fussiez dans l’erreur, voilà tout. »

Et il coupa court à toute insistance en quittant ses compagnons. Il pria M. Le Tellier de l’excuser s’il ne rentrait pas à l’heure du déjeuner, et descendit vers Artemare.

Le père et le fils reprirent le chemin de Mirastel.

— « Pourvu qu’il ne fasse pas d’imprudences ! » murmura l’astronome.

— « Il est buté », fit Maxime. « Impénétrable et buté. Mais brave ! Ce n’est pas la première fois qu’il s’en va tout seul… Je le sais. Il s’échappe à la dérobée… »

— « Il donnerait son sang pour retrouver Marie-Thérèse… »

— « Elle vaut cela », marmonna Maxime. « Elle vaut le sang d’un duc ! »

— « C’est égal, » reprit M. Le Tellier sans relever le propos, « je souhaiterais qu’il fût déjà rentré… Et puis, j’aurais voulu le consulter relativement au phare… »

— « Le phare ? Ce qu’il faut en faire ? Tout simple : démonter le projecteur et l’installer, lui avec l’autre, à Machuraz. Excepté au début de leur campagne, vos loustics ne sont jamais revenus dans les mêmes localités ; ils ne reviendront pas à Mirastel. Mais ils n’ont pas encore taquiné Machuraz ; il faut demander aux châtelains la permission d’y loger notre feu. — Allons-y tout de suite. »

Ainsi fut fait.

Les deux Le Tellier ne voulurent confier à personne le soin de dépiécer la lanterne et de remballer miroirs et lentilles. Ils apportèrent à cette manutention tant d’égards et d’inhabitude, qu’ils se virent obligés de terminer l’ouvrage après souper. L’affaire de la veille leur avait enseigné à ne plus remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même. Ils remontèrent donc au grenier de la tour avec une lampe, et s’attelèrent à la besogne, — muets et l’air préoccupé, car Robert Collin n’était pas de retour.

Ils travaillèrent quelque temps de la sorte, sans rien dire, écoutant si quelqu’un ne montait pas l’escalier en criant « Me voilà ! » — Mais le froissement du papier d’emballage emplissait à lui seul tout le crépuscule, et, par intermittences, au-dessus d’eux, grinçait la haute girouette…

Enfin quelqu’un monta l’escalier.

— « Me voilà ! » dit Robert.

— « Ah ! mon ami, vous nous avez bien inquiétés ! » s’écria le père.

— « D’où diable venez-vous ? » s’enquit le fils.

— « Du sommet du Colombier. »

Maxime inspecta le secrétaire, et persifla :

— « Vous êtes joliment propre pour un homme qui vient de la montagne ! Quel garçon soigneux ! Le voilà tiré à quatre épingles comme ce matin, avec sa redingote brossée, ses bottines reluisantes… »

— « C’était une grave imprudence », maugréa M. Le Tellier. Vous savez pourtant que l’endroit est dangereux ! »

— « Je ne crains rien », fit Robert en essuyant ses lunettes d’or d’un petit geste quiet. « Je crois avoir trouvé un préservatif contre les… Sarvants… Non, non : ne me demandez rien. Vous confier mon procédé serait vous mettre sur la voie de mes hypothèses… et je vous supplie de me faire crédit. Au surplus, j’ai à vous entretenir d’un fait… dont je viens d’être spectateur… Je désirerais votre avis à ce propos… Il ne faudra pas vous fâcher si, aujourd’hui, je me borne à vous révéler ce fait, sans dire ce que j’en pense moi-même… D’ailleurs, ce que je pense, c’est si vague et si… On ne me croirait pas. On embrouillerait mes idées avec des objections… Et enfin, n’est-ce pas, j’ai intérêt… en quelque sorte… à trouver la solution tout seul, à cause de… Enfin, c’est une manière de concours… Mlle Marie-Thérèse, n’est-ce pas… »

— « Allez donc ! Mais allez donc ! » rugit Maxime impatienté. « Qu’est-ce que vous avez vu ? »

Le petit homme rajusta ses lunettes sur son nez, tirailla sa vilaine barbe mousseuse, et dit :

— « J’ai vu un aigle. »

Il les regardait maintenant l’un après l’autre, dans les yeux.

M. Le Tellier venait de tressauter.

— « Ah ? » fit-il. « J’ai beaucoup pensé à cela aujourd’hui… Mais c’est tellement extraordinaire !… »

— « J’ai vu un aigle extraordinaire », appuya Robert Collin.

Maxime le pressa :

— « Extraordinaire… sous quel rapport ?… Énorme ? »

— « Cela, je n’en sais rien. Je manquais de comparaison pour estimer sa taille. — J’étais appuyé au montant de la croix, depuis une heure peut-être, quand je le vis passer très loin, vers l’est, au-dessus du Rhône, et très haut. Cet aigle volait du sud-est au nord-ouest. Je ne l’avais pas encore remarqué, parce qu’il y en avait d’autres un peu partout. Mais ceux-là étaient des aigles normaux… comme il l’avait été, lui aussi, jusqu’au moment où… Bref, ce qui fit que je le remarquai, ce furent des battements d’ailes désordonnés et tout à fait extravagants… J’avais une jumelle ; vite, je m’en servis. Et je constatai que le rapace se livrait à une espèce d’incantation folle, tout en filant à une allure qui me sembla moyenne (bien que là aussi les points de repère me fissent défaut pour déterminer le train de l’animal).

» Je le suivais facilement.

» Mais tout à coup il disparut de ma lorgnette… Alors, à l’œil nu, je le vis monter dans le ciel, suivant une oblique proche de la verticale et avec une rapidité considérable… Seulement, il paraissait amoindri… rapetissé… J’eus le bonheur de pouvoir le rattraper avec ma jumelle et, avant qu’il ne s’enfonçât dans les nuages, de reconnaître la cause de cette diminution. C’est que l’oiseau avait replié ses ailes. »

— « Hein ? » se récria Maxime. Il montait sans voler ? sans même planer ? »

— « Voilà qui est fort ! » compléta son père.

Robert confirma :

— « Sans voler. Sans planer. Sans faire plus de mouvements qu’un aigle empaillé sur un perchoir ! »

— « Au moins, vous êtes sûr d’avoir bien vu ? »

— « Oui, monsieur Maxime, je réponds de moi. — Et alors, que dites-vous du phénomène ? »

— « Voyons », dit l’astronome. « De quelle nature étaient les gesticulations qui ont préludé à cet envol fantastique ? »

— « Des coups d’ailes brutaux, dans tous les sens, qui devaient nécessiter toute la vigueur de la bête. »

— « … et qui la maintenaient à bonne allure et à la même hauteur ? »

— « Oui. »

— « En somme, » proposa Maxime, « c’était assimilable aux contorsions que pratiquent les discoboles avant de lancer le poids ou le palet ? »

— « Mon Dieu… oui. »

— « Alors, » continua M. Le Tellier, « ce serait un élan que votre aigle aurait pris, avant de piquer vers le zénith ?… Ce serait une façon d’emmagasiner de l’énergie ?… »

— « Je vous le demande, maître… Mais il est certain qu’un oiseau carnassier, volant avec cette diligence, peut s’éclipser en un rien de temps, après avoir commis son larcin. »

— « Et de quelle couleur était-il ? »

— « Fauve clair ; un peu le plumage d’un nocturne. »,

— « Ah ! tiens, tiens ! » dit M. Le Tellier sans bien se rendre compte de sa pensée. « Après tout, il était peut-être gigantesque, cet aigle, puisque, vous ne… — Écoutez ! Qui est-ce qui monte l’escalier ? … »

Ils se turent. — Les degrés de bois sonnaient sourdement. Quelqu’un gravissait les spires et se cognait aux marches dans sa précipitation… M. Le Tellier prit la lampe et s’approcha de la porte — au moment où Mme Arquedouve émergeait de l’ombre…

Elle avait une figure de l’autre monde, et elle jeta d’une voix grise ce cri d’alarme :

— « Les Sarvants !… Encore ! Ils reviennent !… »

Ç’avait été une clameur terrible et singulière, comme un hurlement chuchoté.

— « Ils viennent ?… » répétait M. Le Tellier.

— « Tonnerre de Dieu ! » jura Maxime. « Nous n’avons plus de phare ! »

Mais, sans perdre une seconde, Robert avait soufflé la lampe, et les deux tabatières découpaient maintenant deux rectangles de ciel qui semblaient s’éclaircir peu à peu. Maxime comprit la manœuvre ; il sauta sur la caisse contenant le générateur, il introduisit son buste dans une lucarne, et releva contre la toiture le châssis vitré.

Robert, à l’autre tabatière, opérait le même branle-bas. Ils découvraient chacun la moitié de l’étendue ; tout se trouvait donc à la merci de leur pénétration. Il faisait noir, cependant. Mais, dans un rayon d’une centaine de mètres, un homme — ou quelque chose de volume égal — ne pouvait leur échapper.

Entre eux, derrière eux, dans l’obscurité du grenier, ils entendaient trembler Mme Arquedouve, et derrière eux, entre eux, au pinacle de la coupole, grincer par instants la girouette de fer forgé.

Le bourdonnement de phalène venait d’éclore… Où ?… Partout, à ce qu’il semblait : à droite, à gauche, en l’air, au fond des poitrines…

Comme la veille, ils regardaient la nuit de tous leurs yeux, — leurs faibles yeux d’animaux diurnes…

L’étable, l’écurie, le poulailler s’éveillèrent. La bergerie sanglota…

Le clair-obscur leur paraissait tour à tour éblouissant, puis foncé jusqu’à devenir opaque…

Dans le lointain (?) le Sarvant bourdonnait.

Robert sentit une brise lui caresser le front, et il redoubla de vigilance.

Maxime également sentit la brise…

Et la girouette grinça… Mais, au lieu de grincer une fois pour toutes, il advint ce prodige admirable qu’elle ne s’arrêta plus de grincer et qu’elle se mit à tourner sans trêve, à l’imitation d’une crécelle !

La brise, qui soufflait toujours, s’apaisa. Machinalement, les deux guetteurs s’étaient retournés du côté de la girouette. Ils la virent alors s’immobiliser à mesure que le vent tombait. Et ils reprirent la surveillance de la plaine et de la montagne.

Soudain, derrière eux, entre eux, au pinacle de la coupole, retentit le « CLAC » assourdissant.

Un recul instinctif rentra les deux têtes à l’abri du toit, et l’on distingua la dégringolade d’un objet dur et pesant qui raclait dans sa chute les ardoises sonores… Puis plus rien… Puis l’arrivée de l’objet sur le gravier de la terrasse…

Le bourdonnement s’était évanoui.

— « Sapristi ! » anhéla M. Le Tellier s’épongeant les tempes.

— « Disparus ! Envolés ! » fit Robert ayant repris sa pose d’observation. « Nom de nom ! Pas de veine !… — La girouette ne grince plus du tout… Ha ! Elle n’est plus là ! Elle est tombée !… C’est elle qui est tombée ! »

— « Ils l’ont abattue », compléta Maxime à l’autre ouverture. « Mais cette fois ils n’ont rien emporté. Ils ont laissé choir leur prise. Elle leur a sans doute glissé des mains… »

— « Et le projecteur ! » ajouta l’astronome. « On peut dire que c’est du guignon ! »

— « Je n’ai rien vu ! » bougonnait Robert. « Derrière nos têtes ! quelle malchance !… Et n’avoir pu résister au mouvement nerveux qui nous a fait rentrer, lâchement, bêtement… »

— « Hem ! hem ! » fit Mme Arquedouve affaisée sur les dernières marches du colimaçon.

— « Quoi donc, grand’mère ?… Est-ce qu’ils reviennent à la charge ? »

— « Ils… Ils partent seulement… Là. Ils sont partis. »

— « Oui ?… Enfin, » dit M. Le Tellier, « ils sont bien partis, à présent ? On peut sortir sans danger ?… Il serait bon d’aller chercher la girouette. Son examen nous renseignera peut-être… Elle s’est comportée d’une façon étourdissante… »

Ils descendirent.

Mais ils ne trouvèrent de la girouette-crécelle qu’une dépression de sa grandeur et de sa forme, creusée dans le gravier, sous les fenêtres du laboratoire, où elle s’était abattue.

— « C’est un peu raide ! » grogna Maxime. « Ils sont venus la reprendre !… Grand’mère avait raison : ils n’étaient pas partis !… Cela prouve qu’on ne les entend que de tout près… Oh ! dire qu’on les aurait vus de mon laboratoire ! qu’on les aurait vus ramasser cette girouette ! et qu’on saurait comment ils ont le nez fait ! »

— « Le nez… ou le bec… » aventura M. Le Tellier.

Robert, méditatif, songeait à haute voix :

— « Cette girouette… tournant sur elle-même…, elle semblait le centre d’un… elle semblait prise au milieu d’un tourbillon… d’un petit cyclone… alangui… — Hé ! monsieur Maxime : la brise, vous l’avez sentie de gauche à droite, naturellement, puisque nous étions dos à dos et que moi je l’ai sentie de droite à gauche ? »

— « Mais non, mais non ; elle soufflait de ma droite… »

— « Ah ! ah !… C’était donc une brise circulaire… »

— « Diable ! » s’écria M. Le Tellier.

Mais Robert lui demanda précipitamment :

— « Enfin, avec tout cela, qu’est-ce que vous pensez de mon aigle ? »

— « …Plusieurs choses contradictoires. Que si les aigles enlèvent parfois de jeunes bestiaux et des enfants, ils n’ont pas coutume de ravir les girouettes… Mais je pense aussi que la manière dont votre aigle s’agitait ressemble étonnamment à la façon de voler qu’employaient, dit-on, les hommes de Châtel ; et que, peut-être, une sorte de… déguisement… Vous y êtes ? Un homme costumé en aigle… pour mystifier… Il y a toujours eu un côté burlesque dans tout cela… »

Maxime railla :

— « Costumé ? Pourquoi pas métamorphosé, comme le journaliste de Turin mué en nabot ?… Mon cher papa, je ne vous reconnais plus… »

— C’est toi qu’on ne reconnaît pas. Je sais parfaitement combien mes inférences sont fragiles. Mais, faute de mieux, je suis obligé de me livrer aux conjectures qui peuvent s’énoncer dans la forme scientifique « tout se passe comme si ». D’ailleurs, tu m’interromps et je n’avais pas terminé. — Il se peut encore que nous soyons en présence d’une force récente — ou récemment découverte — une force… une légèreté plutôt, que les êtres vivants seraient à même d’acquérir, — et d’acquérir sans le vouloir, à leur corps défendant… »

— « Ta ta ta ! Nous avons peur, et voilà tout. Qu’avons-nous fait jusqu’ici, sans compter les gaffes ? De la dialectique et des poltronneries. Avec tant de précautions, nous ne verrons jamais les Sarvants ! Rien n’empêche de voir son adversaire comme un bouclier trop vaste… Tenez, c’est ridicule de ne plus s’éloigner des villages qu’en nombre. Juste ce qu’il faut pour être aperçu de l’ennemi !… J’en ai assez, moi, de toutes vos couardises. À l’avenir, je ferai comme Robert : j’irai seul où bon me semblera ! »

M. Le Tellier, sentant Maxime sur la pente de la colère, lui souhaita le bonsoir.

Quand il eut regagné le vestibule, Robert alors dit à Maxime :

— « Écoutez. Vous êtes en passe de témérités. Eh bien, croyez-moi : si vous sortez seul, habillez-vous comme l’une des personnes disparues. Faites-vous la copie de l’une d’elles. Au besoin, teignez-vous les cheveux et la barbe ; rasez-vous, s’il le faut. N’oubliez ni la canne, ni les gants. Allez même jusqu’à reproduire la démarche.

» Aujourd’hui, avant de monter au Colombier, je suis allé chez le docteur Monbardeau, et là, sur ses indications, j’ai revêtu un costume kaki appartenant à son fils et pareil à celui qu’il portait le jour de son enlèvement. M. Monbardeau a bien voulu compléter la ressemblance ; nous avons trempé dans de la chaux un feutre noir, pour le blanchir ; j’ai chaussé des bottines jaunes… C’est pourquoi vous m’avez trouvé si propre, à mon retour. Je venais de restituer mon vestiaire d’emprunt.

» C’est un bon truc. Du moins, je le crois… En tout cas, il paraît m’avoir réussi tantôt, puisque me voilà. — Mais : de la discrétion, n’est-ce pas ! »

— « Ah çà ! est-ce que vous êtes timbré ? » fit l’autre, à la fois rieur et décontenancé. « Si le stratagème est efficace, pourquoi le tenir caché ? »

— « Pour diverses raisons, mais, avant tout, parce qu’il existe présentement un autre moyen de s’immuniser, qui est le fruit de l’empirisme et qui vaut certes mon procédé, résultat du calcul. Ce moyen, c’est justement celui que vous rejetez et qui consiste à se réunir en force, au large des habitations. Cela, c’est connu ; tout le monde accepte cette obligation temporaire ; et ceux qui refusent de s’y soumettre — imbéciles, fortes têtes ou bravaches (soit dit sans vous offenser) — ne voudraient pas non plus de mon système. »

— « Il y a du vrai là-dedans… »

— « Seulement… seulement… ces deux préservatifs… Le premier, le populaire, est-ce qu’il aura toujours de l’action ?… Et le second, le mien, est-il parfait ?… Est-ce par hasard que les Sarvants ne m’ont pas emporté lors de cette première expérience ? Serait-ce qu’ils ne m’ont pas vu ?… Si paradoxal que cela puisse paraître, je le désire de tout cœur, savez-vous ! Car, pour peu que soit vérifié ce coin de ma théorie, toute ma théorie se trouve exacte ; et alors… »

Il se passa la main sur le front, comme en face d’apparitions effroyables. Or sa main frissonnait et la sueur perlait à son front.

— «… Et alors, mon cher, vous n’avez pas dîné », termina Maxime. « Vous avez faim. Estomac vide : cerveau creux. L’inanition vous fait divaguer. »

— « Monsieur Maxime, » dit Robert, « je donnerais ma vie pour me tromper. »