Le Père de famille, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierVII (p. 206-240).
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ACTE II



Scène première[1]


LE PÈRE DE FAMILLE, CÉCILE, MADEMOISELLE CLAIRET, MONSIEUR LE BON, un Paysan, MADAME PAPILLON, marchande à la toilette, avec une de ses ouvrières ; LA BRIE ; PHILIPPE, domestique qui vient se présenter ; un Homme vêtu de noir qui a l’air d’un pauvre honteux, et qui l’est.


(Toutes ces personnes arrivent les unes après les autres. Le paysan se tient debout, le corps penché sur son bâton. Madame Papillon, assise dans un fauteuil, s’essuie le visage avec son mouchoir ; sa fille de boutique est debout à côté d’elle, avec un petit carton sous le bras. M. Le Bon est étalé négligemment sur un canapé. L’homme vêtu de noir est retiré à l’écart, debout dans un coin, auprès d’une fenêtre. La Brie est en veste et en papillotes. Philippe est habillé. La Brie tourne autour de lui, et le regarde un peu de travers, tandis que M. Le Bon examine avec sa lorgnette la fille de boutique de madame Papillon. Le Père de famille entre, et tout le monde se lève. Il est suivi de sa fille, et sa fille précédée de sa femme de chambre, qui porte le déjeuner de sa maîtresse. Mademoiselle Clairet fait, en passant, un petit salut de protection à madame Papillon. Elle sert le déjeuner de sa maîtresse sur une petite table. Cécile s’assied d’un côté de cette table. Le Père de famille est assis de l’autre. Mademoiselle Clairet est debout, derrière le fauteuil de sa maîtresse.)


Le Père de famille, au Paysan.

Ah ! c’est vous, qui venez enchérir sur le bail de mon fermier de Limeuil. J’en suis content. Il est exact. Il a des enfants. Je ne suis pas fâché qu’il fasse avec moi ses affaires. Retournez-vous-en. (Mademoiselle Clairet fait signe à madame Papillon d’approcher.)

Cécile, à madame Papillon, bas.

M’apportez-vous de belles choses ?

Le Père de famille, à son intendant.

Eh bien ! Monsieur Le Bon, qu’est-ce qu’il y a ?

Madame Papillon, bas à Cécile.

Mademoiselle, vous allez voir.

Monsieur Le Bon.

Ce débiteur, dont le billet est échu depuis un mois, demande encore à différer son payement.

Le Père de famille.

Les temps sont durs ; accordez-lui le délai qu’il demande. Risquons une petite somme, plutôt que de le ruiner. (Pendant que la scène marche, madame Papillon et sa fille de boutique déploient sur des fauteuils, des perses, des indiennes, des satins de Hollande, etc. Cécile, tout en prenant son café, regarde, approuve, désapprouve, fait mettre à part, etc.)

Monsieur Le Bon.

Les ouvriers qui travaillaient à votre maison d’Orsigny sont venus.

Le Père de famille.

Faites leur compte.

Monsieur Le Bon.

Cela peut aller au delà des fonds.

Le Père de famille.

Faites toujours. Leurs besoins sont plus pressants que les miens ; et il vaut mieux que je sois gêné qu’eux. (À sa fille) Cécile, n’oubliez pas mes pupilles. Voyez s’il n’y a rien là qui leur convienne… (Ici il aperçoit le Pauvre honteux. Il se lève avec empressement. Il s’avance vers lui, et lui dit bas :) Pardon, monsieur ; je ne vous voyais pas… Des embarras domestiques m’ont occupé… Je vous avais oublié. (Tout en parlant, il tire une bourse qu’il lui donne furtivement, et tandis qu’il le reconduit et qu’il revient, l’autre scène avance.)

Mademoiselle Clairet.

Ce dessin est charmant.

Cécile.

Combien cette pièce ?

Madame Papillon.

Dix louis, au juste.

Mademoiselle Clairet.

C’est donner. (Cécile paye.)

Le Père de famille, en revenant, bas, et d’un ton de commisération.

Une famille à élever, un état à soutenir, et point de fortune !

Cécile.

Qu’avez-vous là, dans ce carton ?

La Fille de boutique.

Ce sont des dentelles. (Elle ouvre son carton.)

Cécile, vivement.

Je ne veux pas les voir. Adieu, madame Papillon. (Mademoiselle Clairet, madame Papillon et sa fille de boutique sortent.)

Monsieur Le Bon.

Ce voisin, qui a formé des prétentions sur votre terre, s’en désisterait peut-être, si…

Le Père de famille.

Je ne me laisserai pas dépouiller. Je ne sacrifierai point les intérêts de mes enfants à l’homme avide et injuste. Tout ce que je puis, c’est de céder, si l’on veut, ce que la poursuite de ce procès pourra me coûter. Voyez. (Monsieur Le Bon va pour sortir.)

Le Père de famille le rappelle, et lui dit :

À propos, monsieur Le Bon. Souvenez-vous de ces gens de province. Je viens d’apprendre qu’ils ont envoyé ici un de leurs enfants ; tâchez de me le découvrir. (À La Brie, qui s’occupait à ranger le salon.) Vous n’êtes plus à mon service. Vous connaissiez le dérèglement de mon fils. Vous m’avez menti. On ne ment pas chez moi.

Cécile, intercédant.

Mon père !

Le Père de famille.

Nous sommes bien étranges. Nous les avilissons ; nous en faisons de malhonnêtes gens, et lorsque nous les trouvons tels, nous avons l’injustice de nous en plaindre. (À La Brie.) Je vous laisse votre habit, et je vous accorde un mois de vos gages. Allez. (À Philippe.) Est-ce vous dont on vient de me parler ?

Philippe.

Oui, monsieur.

Le Père de famille.

Vous avez entendu pourquoi je le renvoie. Souvenez-vous-en. Allez, et ne laissez entrer personne.



Scène II


LE PÈRE DE FAMILLE, CÉCILE.
Le Père de famille.

Ma fille, avez-vous réfléchi ?

Cécile.

Oui, mon père.

Le Père de famille.

Qu’avez-vous résolu ?

Cécile.

De faire en tout votre volonté.

Le Père de famille.

Je m’attendais à cette réponse.

Cécile.

Si cependant il m’était permis de choisir un état…

Le Père de famille.

Quel est celui que vous préféreriez ?… Vous hésitez… Parlez, ma fille.

Cécile.

Je préférerais la retraite.

Le Père de famille.

Que voulez-vous dire ? Un couvent ?

Cécile.

Oui, mon père. Je ne vois que cet asile contre les peines que je crains.

Le Père de famille.

Vous craignez des peines, et vous ne pensez pas à celles que vous me causeriez ? Vous m’abandonneriez ? Vous quitteriez la maison de votre père pour un cloître ? La société de votre oncle, de votre frère et la mienne, pour la servitude ? Non, ma fille, cela ne sera point. Je respecte la vocation religieuse ; mais ce n’est pas la vôtre. La nature, en vous accordant les qualités sociales, ne vous destina point à l’inutilité… Cécile, vous soupirez… Ah ! si ce dessein te venait de quelque cause secrète, tu ne sais pas le sort que tu te préparerais. Tu n’as pas entendu les gémissements des infortunées dont tu irais augmenter le nombre. Ils percent la nuit et le silence de leurs prisons[2]. C’est alors, mon enfant, que les larmes coulent amères et sans témoin, et que les couches solitaires en sont arrosées… Mademoiselle, ne me parlez jamais de couvent… Je n’aurai point donné la vie à un enfant ; je ne l’aurai point élevé ; je n’aurai point travaillé sans relâche à assurer son bonheur, pour le laisser descendre tout vif dans un tombeau ; et avec lui, mes espérances et celles de la société trompées… Et qui la repeuplera de citoyens vertueux, si les femmes les plus dignes d’être des mères de famille s’y refusent ?

Cécile.

Je vous ai dit, mon père, que je ferais en tout votre volonté.

Le Père de famille.

Ne me parlez donc jamais de couvent.

Cécile.

Mais j’ose espérer que vous ne contraindrez pas votre fille à changer d’état, et que, du moins, il lui sera permis de passer des jours tranquilles et libres à côté de vous.

Le Père de famille.

Si je ne considérais que moi, je pourrais approuver ce parti. Mais je dois vous ouvrir les yeux sur un temps où je ne serai plus… Cécile, la nature a ses vues ; et si vous regardez bien, vous verrez sa vengeance sur tous ceux qui les ont trompées ; les hommes, punis du célibat par le vice ; les femmes, par le mépris et par l’ennui… Vous connaissez les différents états ; dites-moi, en est-il un plus triste et moins considéré que celui d’une fille âgée ? Mon enfant, passé trente ans, on suppose quelque défaut de corps ou d’esprit à celle qui n’a trouvé personne qui fût tenté de supporter avec elle les peines de la vie. Que cela soit ou non, l’âge avance, les charmes passent, les hommes s’éloignent, la mauvaise humeur prend ; on perd ses parents, ses connaissances, ses amis. Une fille surannée n’a plus autour d’elle que des indifférents qui la négligent, ou des âmes intéressées qui comptent ses jours. Elle le sent, elle s’en afflige ; elle vit sans qu’on la console, et meurt sans qu’on la pleure.

Cécile.

Cela est vrai. Mais est-il un état sans peine ; et le mariage n’a-t-il pas les siennes ?

Le Père de famille.

Qui le sait mieux que moi ? Vous me l’apprenez tous les jours. Mais c’est un état que la nature impose. C’est la vocation de tout ce qui respire… Ma fille, celui qui compte sur un bonheur sans mélange, ne connaît ni la vie de l’homme, ni les desseins du ciel sur lui… Si le mariage expose à des peines cruelles, c’est aussi la source des plaisirs les plus doux. Où sont les exemples de l’intérêt pur et sincère, de la tendresse réelle, de la confiance intime, des secours continus, des satisfactions réciproques, des chagrins partagés, des soupirs entendus, des larmes confondues, si ce n’est dans le mariage ? Qu’est-ce que l’homme de bien préfère à sa femme ? Qu’y a-t-il au monde qu’un père aime plus que son enfant ?… Ô lien sacré des époux, si je pense à vous, mon âme s’échauffe et s’élève !… Ô noms tendres de fils et de fille, je ne vous prononçai jamais sans tressaillir, sans être touché ! Rien n’est plus doux à mon oreille ; rien n’est plus intéressant à mon cœur… Cécile, rappelez-vous la vie de votre mère : en est-il une plus douce que celle d’une femme qui a employé sa journée à remplir les devoirs d’épouse attentive, de mère tendre, de maîtresse compatissante ?… Quel sujet de réflexions délicieuses elle emporte en son cœur, le soir, quand elle se retire !

Cécile.

Oui, mon père. Mais où sont les femmes comme elle et les époux comme vous ?

Le Père de famille.

Il en est, mon enfant ; et il ne tiendrait qu’à toi d’avoir le sort qu’elle eut.

Cécile.

S’il suffisait de regarder autour de soi, d’écouter sa raison et son cœur…

Le Père de famille.

Cécile, vous baissez les yeux ; vous tremblez ; vous craignez de parler… Mon enfant, laisse-moi lire dans ton âme. Tu ne peux avoir de secret pour ton père ; et si j’avais perdu ta confiance, c’est en moi que j’en chercherais la raison… Tu pleures…

Cécile.

Votre bonté m’afflige. Si vous pouviez me traiter plus sévèrement.

Le Père de famille.

L’auriez-vous mérité ? Votre cœur vous ferait-il un reproche ?

Cécile.

Non, mon père.

Le Père de famille.

Qu’avez-vous donc ?

Cécile.

Rien.

Le Père de famille.

Vous me trompez, ma fille.

Cécile.

Je suis accablée de votre tendresse… je voudrais y répondre.

Le Père de famille.

Cécile, auriez-vous distingué quelqu’un ? Aimeriez-vous ?

Cécile.

Que je serais à plaindre !

Le Père de famille.

Dites. Dis, mon enfant. Si tu ne me supposes pas une sévérité que je ne connus jamais, tu n’auras pas une réserve déplacée. Vous n’êtes plus un enfant. Comment blâmerais-je en vous un sentiment que je fis naître dans le cœur de votre mère ? vous qui tenez sa place dans ma maison, et qui me la représentez, imitez-la dans la franchise qu’elle eut avec celui qui lui avait donné la vie, et qui voulut son bonheur et le mien… Cécile, vous ne répondez rien ?

Cécile.

Le sort de mon frère me fait trembler.

Le Père de famille.

Votre frère est un fou.

Cécile.

Peut-être ne me trouveriez-vous pas plus raisonnable que lui.

Le Père de famille.

Je ne crains pas ce chagrin de Cécile. Sa prudence m’est connue ; et je n’attends que l’aveu de son choix pour le confirmer. (Cécile se tait. Le Père de famille attend un moment ; puis il continue d’un ton sérieux, et même un peu chagrin.) Il m’eût été doux d’apprendre vos sentiments de vous-même ; mais de quelque manière que vous m’en instruisiez, je serai satisfait. Que ce soit par la bouche de votre oncle, de votre frère, ou de Germeuil, il n’importe… Germeuil est notre ami commun… c’est un homme sage et discret… il a ma confiance… Il ne me paraît pas indigne de la vôtre.

Cécile.

C’est ainsi que j’en pense.

Le Père de famille.

Je lui dois beaucoup. Il est temps que je m’acquitte avec lui.

Cécile.

Vos enfants ne mettront jamais de bornes ni à votre autorité, ni à votre reconnaissance… Jusqu’à présent il vous a honoré comme un père et vous l’avez traité comme un de vos enfants.

Le Père de famille.

Ne sauriez-vous point ce que je pourrais faire pour lui ?

Cécile.

Je crois qu’il faut le consulter lui-même… Peut-être a-t-il des idées… Peut-être… Quel conseil pourrais-je vous donner ?

Le Père de famille.

Le Commandeur m’a dit un mot.

Cécile, avec vivacité.

J’ignore ce que c’est ; mais vous connaissez mon oncle. Ah mon père, n’en croyez rien.

Le Père de famille.

Il faudra donc que je quitte la vie, sans avoir vu le bonheur d’aucun de mes enfants… Cécile… Cruels enfants, que vous ai-je fait pour me désoler ?… J’ai perdu la confiance de ma fille. Mon fils s’est précipité dans des liens que je ne puis approuver, et qu’il faut que je rompe…



Scène III


LE PÈRE DE FAMILLE, CÉCILE, PHILIPPE.
Philippe.

Monsieur, il y a là deux femmes qui demandent à vous parler.

Le Père de famille.

Faites entrer. (Cécile se retire. Son père la rappelle, et lui dit tristement :) Cécile !

Cécile.

Mon père.

Le Père de famille.

Vous ne m’aimez donc plus ? (Les femmes annoncées entrent ; et Cécile sort avec son mouchoir sur les yeux.)



Scène IV


LE PÈRE DE FAMILLE, SOPHIE, MADAME HÉBERT.
Le Père de famille, apercevant Sophie, dit, d’un ton triste, et avec l’air étonné :

Il ne m’a point trompé. Quels charmes ! Quelle modestie ! Quelle douceur !… Ah !…

Madame Hébert.

Monsieur, nous nous rendons à vos ordres.

Le Père de famille.

C’est vous, mademoiselle, qui vous appelez Sophie ?

Sophie, tremblante, troublée.

Oui, monsieur.

Le Père de famille, à madame Hébert.

Madame, j’aurais un mot à dire à mademoiselle. J’en ai entendu parler, et je m’y intéresse. (Madame Hébert se retire.)

Sophie, toujours tremblante, la retenant par le bras.

Ma bonne ?

Le Père de famille.

Mon enfant, remettez-vous. Je ne vous dirai rien qui puisse vous faire de la peine.

Sophie.

Hélas ! (Madame Hébert va s’asseoir sur le fond de la salle ; elle tire son ouvrage, et travaille.)

Le Père de famille conduit Sophie à une chaise, et la fait asseoir à côté de lui.

D’où êtes-vous, mademoiselle ?

Sophie.

Je suis d’une petite ville de province.

Le Père de famille.

Y a-t-il longtemps que vous êtes à Paris ?

Sophie.

Pas longtemps ; et plût au ciel que je n’y fusse jamais venue !

Le Père de famille.

Qu’y faites-vous ?

Sophie.

J’y gagne ma vie par mon travail.

Le Père de famille.

Vous êtes bien jeune.

Sophie.

J’en aurai plus longtemps à souffrir.

Le Père de famille.

Avez-vous monsieur votre père ?

Sophie.

Non, monsieur.

Le Père de famille.

Et votre mère ?

Sophie.

Le ciel me l’a conservée. Mais elle a eu tant de chagrins ; sa santé est si chancelante et sa misère si grande !…

Le Père de famille.

Votre mère est donc bien pauvre ?

Sophie.

Bien pauvre. Avec cela, il n’en est point au monde dont j’aimasse mieux être la fille.

Le Père de famille.

Je vous loue de ce sentiment ; vous paraissez bien née… Et qu’était votre père ?

Sophie.

Mon père fut un homme de bien. Il n’entendit jamais le malheureux sans en avoir pitié ; il n’abandonna pas ses amis dans la peine ; et il devint pauvre. Il eut beaucoup d’enfants de ma mère ; nous demeurâmes tous sans ressource à sa mort… J’étais bien jeune alors… Je me souviens à peine de l’avoir vu… Ma mère fut obligée de me prendre entre ses bras, et de m’élever à la hauteur de son lit pour l’embrasser et recevoir sa bénédiction… Je pleurais. Hélas ! je ne sentais pas tout ce que je perdais !

Le Père de famille.

Elle me touche… Et qu’est-ce qui vous a fait quitter la maison de vos parents, et votre pays ?

Sophie.

Je suis venue ici, avec un de mes frères, implorer l’assistance d’un parent qui a été bien dur envers nous. Il m’avait vue autrefois, en province ; il paraissait avoir pris de l’affection pour moi, et ma mère avait espéré qu’il s’en ressouviendrait. Mais il a fermé sa porte à mon frère, et il m’a fait dire de n’en pas approcher.

Le Père de famille.

Qu’est devenu votre frère ?

Sophie.

Il s’est mis au service du roi. Et moi je suis restée avec la personne que vous voyez, et qui a la bonté de me regarder comme son enfant.

Le Père de famille.

Elle ne paraît pas fort aisée.

Sophie.

Elle partage avec moi ce qu’elle a.

Le Père de famille.

Et vous n’avez plus entendu parler de ce parent ?

Sophie.

Pardonnez-moi, monsieur ; j’en ai reçu quelques secours. Mais de quoi cela sert-il à ma mère !

Le Père de famille.

Votre mère vous a donc oubliée ?

Sophie.

Ma mère avait fait un dernier effort pour nous envoyer à Paris. Hélas ! elle attendait de ce voyage un succès plus heureux. Sans cela aurait-elle pu se résoudre à m’éloigner d’elle ? Depuis, elle n’a plus su comment me faire revenir. Elle me mande cependant qu’on doit me reprendre, et me ramener dans peu. Il faut que quelqu’un s’en soit chargé par pitié. Oh ! nous sommes bien à plaindre !

Le Père de famille.

Et vous ne connaîtriez ici personne qui pût vous secourir ?

Sophie.

Personne.

Le Père de famille.

Et vous travaillez pour vivre ?

Sophie.

Oui, monsieur.

Le Père de famille.

Et vous vivez seules ?

Sophie.

Seules.

Le Père de famille.

Mais qu’est-ce qu’un jeune homme dont on m’a parlé, qui s’appelle Sergi, et qui demeure à côté de vous ?

Madame Hébert, avec vivacité, et quittant son travail.

Ah ! monsieur, c’est le garçon le plus honnête !

Sophie.

C’est un malheureux qui gagne son pain comme nous, et qui a uni sa misère à la nôtre.

Le Père de famille.

Est-ce là tout ce que vous en savez ?

Sophie.

Oui, monsieur.

Le Père de famille.

Eh bien, mademoiselle, ce malheureux-là…

Sophie.

Vous le connaissez ?

Le Père de famille.

Si je le connais ! c’est mon fils.

Sophie.

Votre fils !

Madame Hébert, en même temps.

Sergi !

Le Père de famille.

Oui, mademoiselle.

Sophie.

Ah ! Sergi, vous m’avez trompée !

Le Père de famille.

Fille aussi vertueuse que belle, connaissez le danger que vous avez couru.

Sophie.

Sergi est votre fils !

Le Père de famille.

Il vous estime, vous aime ; mais sa passion préparerait votre malheur et le sien, si vous la nourrissiez.

Sophie.

Pourquoi suis-je venue dans cette ville ? Que ne m’en suis-je allée, lorsque mon cœur me le disait !

Le Père de famille.

Il en est temps encore. Il faut aller retrouver une mère qui vous rappelle, et à qui votre séjour ici doit causer la plus grande inquiétude. Sophie, vous le voulez ?

Sophie.

Ah ! ma mère ! Que vous dirai-je ?

Le Père de famille, à Madame Hébert.

Madame, vous reconduirez cette enfant, et j’aurai soin que vous ne regrettiez pas la peine que vous aurez prise. (Madame Hébert fait la révérence. — Le Père de famille continuant, à Sophie.)

Mais, Sophie, si je vous rends à votre mère, c’est à vous à me rendre mon fils ; c’est à vous à lui apprendre ce que l’on doit à ses parents : vous le savez si bien.

Sophie.

Ah, Sergi ! pourquoi ?…

Le Père de famille.

Quelque honnêteté qu’il ait mise dans ses vues, vous l’en ferez rougir. Vous lui annoncerez votre départ ; et vous lui ordonnerez de finir ma douleur et le trouble de sa famille.

Sophie.

Ma bonne…

Madame Hébert.

Mon enfant…

Sophie, en s’appuyant sur elle.

Je me sens mourir…

Madame Hébert.

Monsieur, nous allons nous retirer et attendre vos ordres.

Sophie.

Pauvre Sergi ! malheureuse Sophie ! (Elle sort, appuyée sur madame Hébert.)



Scène V


LE PÈRE DE FAMILLE, seul

Ô lois du monde ! ô préjugés cruels !… Il y a déjà si peu de femmes pour un homme qui pense et qui sent ! pourquoi faut-il que le choix en soit encore si limité ? Mais mon fils ne tardera pas à venir… Secouons, s’il se peut, de mon âme, l’impression que cette enfant y a faite… Lui représenterai-je, comme il me convient, ce qu’il me doit, ce qu’il se doit à lui-même, si mon cœur est d’accord avec le sien ?…



Scène VI


LE PÈRE DE FAMILLE, SAINT-ALBIN.
Saint-Albin, en entrant, et avec vivacité.

Mon père ! (Le Père de famille se promène et garde le silence. Saint-Albin, suivant son père, et d’un ton suppliant.) Mon père !

Le Père de famille, s’arrêtant, et d’un ton sérieux.

Mon fils, si vous n’êtes pas rentré en vous-même, si la raison n’a pas recouvré ses droits sur vous, ne venez pas aggraver vos torts et mon chagrin.

Saint-Albin.

Vous m’en voyez pénétré. J’approche de vous en tremblant… je serai tranquille et raisonnable… Oui, je le serai… je me le suis promis. (Le Père de famille continue de se promener. Saint-Albin, s’approchant avec timidité, lui dit d’une voix basse et tremblante :) Vous l’avez vue ?

Le Père de famille.

Oui, je l’ai vue ; elle est belle, et je la crois sage. Mais, qu’en prétendez-vous faire ? un amusement ? je ne le souffrirais pas. Votre femme ? elle ne vous convient pas.

Saint-Albin, en se contenant.

Elle est belle, elle est sage, et elle ne me convient pas ! Quelle est donc la femme qui me convient ?

Le Père de famille.

Celle qui, par son éducation, sa naissance, son état et sa fortune, peut assurer votre bonheur et satisfaire à mes espérances.

Saint-Albin.

Ainsi le mariage sera pour moi un lien d’intérêt et d’ambition ! Mon père, vous n’avez qu’un fils ; ne le sacrifiez pas à des vues qui remplissent le monde d’époux malheureux. Il me faut une compagne honnête et sensible, qui m’apprenne à supporter les peines de la vie, et non une femme riche et titrée qui les accroisse. Ah ! souhaitez-moi la mort, et que le ciel me l’accorde, plutôt qu’une femme comme j’en vois[3].

Le Père de famille.

Je ne vous en propose aucune ; mais je ne permettrai jamais que vous soyez à celle à laquelle vous vous êtes follement attaché. Je pourrais user de mon autorité, et vous dire : Saint-Albin, cela me déplaît, cela ne sera pas, n’y pensez plus. Mais je ne vous ai jamais rien demandé sans vous en montrer la raison ; j’ai voulu que vous m’approuvassiez en m’obéissant ; et je vais avoir la même condescendance. Modérez-vous, et écoutez-moi.

Mon fils, il y aura bientôt vingt ans que je vous arrosai des premières larmes que vous m’ayez fait répandre. Mon cœur s’épanouit en voyant en vous un ami que la nature me donnait. Je vous reçus entre mes bras du sein de votre mère ; et vous élevant vers le ciel, et mêlant ma voix à vos cris, je dis à Dieu : « Ô Dieu ! qui m’avez accordé cet enfant, si je manque aux soins que vous m’imposez en ce jour, ou s’il ne doit pas y répondre, ne regardez point à la joie de sa mère, reprenez-le. »

Voilà le vœu que je fis sur vous et sur moi. Il m’a toujours été présent, je ne vous ai point abandonné au soin du mercenaire ; je vous ai appris moi-même à parler, à penser, à sentir. À mesure que vous avanciez en âge, j’ai étudié vos penchants, j’ai formé sur eux le plan de votre éducation, et je l’ai suivi sans relâche. Combien je me suis donné de peines pour vous en épargner ! J’ai réglé votre sort à venir sur vos talents et sur vos goûts. Je n’ai rien négligé pour que vous parussiez avec distinction ; et lorsque je touche au moment de recueillir le fruit de ma sollicitude, lorsque je me félicite d’avoir un fils qui répond à sa naissance qui le destine aux meilleurs partis, et à ses qualités personnelles qui l’appellent aux grands emplois, une passion insensée, la fantaisie d’un instant aura tout détruit ; et je verrai ses plus belles années perdues, son état manqué et mon attente trompée ; et j’y consentirai ? Vous l’êtes-vous promis ?

Saint-Albin.

Que je suis malheureux !

Le Père de famille.

Vous avez un oncle qui vous aime, et qui vous destine une fortune considérable ; un père qui vous a consacré sa vie, et qui cherche à vous marquer en tout sa tendresse ; un nom, des parents, des amis, les prétentions les plus flatteuses et les mieux fondées ; et vous êtes malheureux ? Que vous faut-il encore ?

Saint-Albin.

Sophie, le cœur de Sophie, et l’aveu de mon père.

Le Père de famille.

Qu’osez-vous me proposer ? De partager votre folie, et le blâme général qu’elle encourrait ? Quel exemple à donner aux pères et aux enfants ! Moi, j’autoriserais, par une faiblesse honteuse, le désordre de la société, la confusion du sang et des rangs, la dégradation des familles ?

Saint-Albin.

Que je suis malheureux ! Si je n’ai pas celle que j’aime, un jour il faudra que je sois à celle que je n’aimerai pas ; car je n’aimerai jamais que Sophie. Sans cesse j’en comparerai une autre avec elle ; cette autre sera malheureuse ; je le serai aussi ; vous le verrez et vous en périrez de regret.

Le Père de famille.

J’aurai fait mon devoir ; et malheur à vous, si vous manquez au vôtre.

Saint-Albin.

Mon père, ne m’ôtez pas Sophie.

Le Père de famille.

Cessez de me la demander.

Saint-Albin.

Cent fois vous m’avez dit qu’une femme honnête était la faveur la plus grande que le ciel pût accorder. Je l’ai trouvée ; et c’est vous qui voulez m’en priver ! Mon père, ne me l’ôtez pas. À présent qu’elle sait qui je suis, que ne doit-elle pas attendre de moi ? Saint-Albin sera-t-il moins généreux que Sergi ? Ne me l’ôtez pas : c’est elle qui a rappelé la vertu dans mon cœur ; elle seule peut l’y conserver.

Le Père de famille.

C’est-à-dire que son exemple fera ce que le mien n’a pu faire.

Saint-Albin.

Vous êtes mon père, et vous commandez : elle sera ma femme, et c’est un autre empire.

Le Père de famille.

Quelle différence d’un amant à un époux ! d’une femme à une maîtresse ! Homme sans expérience, tu ne sais pas cela.

Saint-Albin.

J’espère l’ignorer toujours.

Le Père de famille.

Y a-t-il un amant qui voie sa maîtresse avec d’autres yeux, et qui parle autrement ?

Saint-Albin.

Vous avez vu Sophie !… Si je la quitte pour un rang, des dignités, des espérances, des préjugés, je ne mériterai pas de la connaître. Mon père, mépriseriez-vous assez votre fils pour le croire ?

Le Père de famille.

Elle ne s’est point avilie en cédant à votre passion : imitez-la.

Saint-Albin.

Je m’avilirais en devenant son époux ?

Le Père de famille.

Interrogez le monde.

Saint-Albin.

Dans les choses indifférentes, je prendrai le monde comme il est ; mais quand il s’agira du bonheur ou du malheur de ma vie, du choix d’une compagne…

Le Père de famille.

Vous ne changerez pas ses idées. Conformez-vous-y donc.

Saint-Albin.

Ils auront tout renversé, tout gâté, subordonné la nature à leurs misérables conventions, et j’y souscrirai ?

Le Père de famille.

Ou vous en serez méprisé.

Saint-Albin.

Je les fuirai.

Le Père de famille.

Leur mépris vous suivra, et cette femme que vous aurez entraînée ne sera pas moins à plaindre que vous[4]… Vous l’aimez ?

Saint-Albin.

Si je l’aime !

Le Père de famille.

Écoutez, et tremblez sur le sort que vous lui préparez. Un jour viendra que vous sentirez toute la valeur des sacrifices que vous lui aurez faits. Vous vous trouverez seul avec elle, sans état, sans fortune, sans considération ; l’ennui et le chagrin vous saisiront. Vous la haïrez, vous l’accablerez de reproche ; sa patience et sa douceur achèveront de vous aigrir ; vous la haïrez davantage ; vous haïrez les enfants qu’elle vous aura donnés, et vous la ferez mourir de douleur.

Saint-Albin.

Moi !

Le Père de famille.

Vous.

Saint-Albin.

Jamais, jamais.

Le Père de famille.

La passion voit tout éternel ; mais la nature humaine veut que tout finisse.

Saint-Albin.

Je cesserais d’aimer Sophie ! Si j’en étais capable, j’ignorerais, je crois, si je vous aime.

Le Père de famille.

Voulez-vous le savoir et me le prouver ? faites ce que je vous demande.

Saint-Albin.

Je le voudrais en vain ; je ne puis ; je suis entraîné. Mon père, je ne puis.

Le Père de famille.

Insensé, vous voulez être père ! En connaissez-vous les devoirs ? Si vous les connaissez, permettriez-vous à votre fils ce que vous attendez de moi ?

Saint-Albin.

Ah ! si j’osais répondre.

Le Père de famille.

Répondez.

Saint-Albin.

Vous me le permettez ?

Le Père de famille.

Je vous l’ordonne.

Saint-Albin.

Lorsque vous avez voulu ma mère, lorsque toute la famille se souleva contre vous, lorsque mon grand-papa[5] vous appela enfant ingrat, et que vous l’appelâtes, au fond de votre âme, père cruel ; qui de vous deux avait raison ? Ma mère était vertueuse et belle comme Sophie ; elle était sans fortune, comme Sophie ; vous l’aimiez comme j’aime Sophie ; souffrîtes-vous qu’on vous l’arrachât, mon père, et n’ai-je pas un cœur aussi ?

Le Père de famille.

J’avais des ressources, et votre mère avait de la naissance.

Saint-Albin.

Qui sait encore ce qu’est Sophie ?

Le Père de famille.

Chimère !

Saint-Albin.

Des ressources ! L’amour, l’indigence, m’en fourniront.

Le Père de famille.

Craignez les maux qui vous attendent.

Saint-Albin.

Ne la point avoir, est le seul que je redoute.

Le Père de famille.

Craignez de perdre ma tendresse.

Saint-Albin.

Je la recouvrerai.

Le Père de famille.

Qui vous l’a dit ?

Saint-Albin.

Vous verrez couler les pleurs de Sophie ; j’embrasserai vos genoux ; mes enfants vous tendront leurs bras innocents, et vous ne les repousserez pas.

Le Père de famille, à part.

Il me connaît trop bien… (Après une petite pause, il prend l’air et le ton le plus sévère, et dit :) Mon fils, je vois que je vous parle en vain, que la raison n’a plus d’accès auprès de vous, et que le moyen dont je craignis toujours d’user est le seul qui me reste : j’en userai, puisque vous m’y forcez. Quittez vos projets ; je le veux, et je vous l’ordonne par toute l’autorité qu’un père a sur ses enfants.

Saint-Albin, avec un emportement sourd.

L’autorité ! l’autorité ! Ils n’ont que ce mot.

Le Père de famille.[6]

Respectez-le.

Saint-Albin, allant et venant.

Voilà comme ils sont tous. C’est ainsi qu’ils nous aiment. S’ils étaient nos ennemis, que feraient-ils de plus ?

Le Père de famille.

Que dites-vous ? que murmurez-vous ?

Saint-Albin, toujours de même.

Ils se croient sages, parce qu’ils ont d’autres passions que les nôtres.

Le Père de famille.

Taisez-vous.

Saint-Albin.

Ils ne nous ont donné la vie, que pour en disposer.

Le Père de famille.

Taisez-vous.

Saint-Albin.

Ils la remplissent d’amertume ; et comment seraient-ils touchés de nos peines ? ils y sont faits.

Le Père de famille.

Vous oubliez qui je suis, et à qui vous parlez. Taisez-vous, ou craignez d’attirer sur vous la marque la plus terrible du courroux des pères.

Saint-Albin.

Des pères ! des pères ! il n’y en a point… Il n’y a que des tyrans.

Le Père de famille.

Ô ciel !

Saint-Albin.

Oui, des tyrans.

Le Père de famille.

Éloignez-vous de moi, enfant ingrat et dénaturé. Je vous donne ma malédiction : allez loin de moi. (Le fils s’en va ; mais à peine a-t-il fait quelques pas, que son père court après lui, et lui dit :) Où vas-tu, malheureux ?

Saint-Albin.

Mon père !

Le Père de famille, se jette dans un fauteuil, et son fils se met à ses genoux.

Moi, votre père ? vous, mon fils ? Je ne vous suis plus rien ; je ne vous ai jamais rien été. Vous empoisonnez ma vie, vous souhaitez ma mort ; eh ! pourquoi a-t-elle été si longtemps différée ? Que ne suis-je à côté de ta mère ! Elle n’est plus, et mes jours malheureux ont été prolongés.

Saint-Albin.

Mon père !

Le Père de famille.

Éloignez-vous, cachez-moi vos larmes ; vous déchirez mon cœur, et je ne puis vous en chasser.



Scène VII


LE PÈRE DE FAMILLE, SAINT-ALBIN, LE COMMANDEUR.
(Le Commandeur entre. Saint-Albin, qui était aux genoux de son père, se lève, et le Père de famille reste dans son fauteuil, la tête penchée sur ses mains, comme un homme désolé.)


Le Commandeur, en le montrant à Saint-Albin, qui se promène sans écouter.

Tiens, regarde. Vois dans quel état tu le mets. Je lui avais prédit que tu le ferais mourir de douleur, et tu vérifies ma prédiction. (Pendant que le Commandeur parle, le Père de famille se lève et s’en va. Saint-Albin se dispose à le suivre.)

Le Père de famille, en se retournant vers son fils.

Où allez-vous ? Écoutez votre oncle ; je vous l’ordonne.



Scène VIII


SAINT-ALBIN, LE COMMANDEUR.
Saint-Albin.

Parlez donc, monsieur, je vous écoute… Si c’est un malheur que de l’aimer, il est arrivé, et je n’y sais plus de remède… Si on me la refuse, qu’on m’apprenne à l’oublier… L’oublier !… Qui ? elle ? moi ? je le pourrais ? je le voudrais ? Que la malédiction de mon père s’accomplisse sur moi, si jamais j’en ai la pensée !

Le Commandeur.

Qu’est-ce qu’on te demande ? de laisser là une créature que tu n’aurais jamais dû regarder qu’en passant ; qui est sans bien, sans parents, sans aveu, qui vient de je ne sais où, qui appartient à je ne sais qui, et qui vit je ne sais comment. On a de ces filles-là. Il y a des fous qui se ruinent pour elles ; mais épouser ! épouser !

Saint-Albin, avec violence.

Monsieur le Commandeur !…

Le Commandeur.

Elle te plaît ? Eh bien ! garde-la. Je t’aime autant celle-là qu’une autre ; mais laisse-nous espérer la fin de cette intrigue, quand il en sera temps. (Saint-Albin veut sortir.) Où vas-tu ?

Saint-Albin.

Je m’en vais.

Le Commandeur, en l’arrêtant.

As-tu oublié que je te parle au nom de ton père ?

Saint-Albin.

Eh bien ! monsieur, dites. Déchirez-moi, désespérez-moi ; je n’ai qu’un mot à répondre. Sophie sera ma femme.

Le Commandeur.

Ta femme ?

Saint-Albin.

Oui, ma femme.

Le Commandeur.

Une fille de rien !

Saint-Albin.

Qui m’a appris à mépriser tout ce qui vous enchaîne et vous avilit.

Le Commandeur.

N’as-tu point de honte ?

Saint-Albin.

De la honte ?

Le Commandeur.

Toi, fils de M. d’Orbesson ! neveu du Commandeur d’Auvilé !

Saint-Albin.

Moi, fils de M. d’Orbesson, et votre neveu.

Le Commandeur.

Voilà donc les fruits de cette éducation merveilleuse dont ton père était si vain ? Le voilà ce modèle de tous les jeunes gens de la cour et de la ville ?… Mais tu te crois riche peut-être ?

Saint-Albin.

Non.

Le Commandeur.

Sais-tu ce qui te revient du bien de ta mère ?

Saint-Albin.

Je n’y ai jamais pensé ; et je ne veux pas le savoir.

Le Commandeur.

Écoute. C’était la plus jeune de six enfants que nous étions ; et cela dans une province où l’on ne donne rien aux filles. Ton père, qui ne fut pas plus sensé que toi, s’en entêta et la prit. Mille écus de rente à partager avec ta sœur, c’est quinze cents francs pour chacun ; voilà toute votre fortune.

Saint-Albin.

J’ai quinze cents livres de rente ?

Le Commandeur.

Tant qu’elles peuvent s’étendre.

Saint-Albin.

Ah, Sophie ! vous n’habiterez plus sous un toit ! vous ne sentirez plus les atteintes de la misère. J’ai quinze cents livres de rente !

Le Commandeur.

Mais tu peux en attendre vingt-cinq mille de ton père, et presque le double de moi. Saint-Albin, on fait des folies ; mais on n’en fait pas de plus chères.

Saint-Albin.

Et que m’importe la richesse, si je n’ai pas celle avec qui je la voudrais partager ?

Le Commandeur.

Insensé !

Saint-Albin.

Je sais. C’est ainsi qu’on appelle ceux qui préfèrent à tout une femme jeune, vertueuse et belle ; et je fais gloire d’être à la tête de ces fous-là.

Le Commandeur.

Tu cours à ton malheur.

Saint-Albin.

Je mangeais du pain, je buvais de l’eau à côté d’elle, et j’étais heureux.

Le Commandeur.

Tu cours à ton malheur.

Saint-Albin.

J’ai quinze cents livres de rente !

Le Commandeur.

Que feras-tu ?

Saint-Albin.

Elle sera nourrie, logée, vêtue, et nous vivrons.

Le Commandeur.

Comme des gueux.

Saint-Albin.

Soit.

Le Commandeur.

Cela aura père, mère, frère, sœur ; et tu épouseras tout cela.

Saint-Albin.

J’y suis résolu.

Le Commandeur.

Je t’attends aux enfants.

Saint-Albin.

Alors je m’adresserai à toutes les âmes sensibles. On me verra, on verra la compagne de mon infortune, je dirai mon nom, et je trouverai du secours.

Le Commandeur.

Tu connais bien les hommes !

Saint-Albin.

Vous les croyez méchants.

Le Commandeur.

Et j’ai tort ?

Saint-Albin.

Tort ou raison, il me restera deux appuis avec lesquels je peux défier l’univers, l’amour, qui fait entreprendre, et la fierté, qui fait supporter… On n’entend tant de plaintes dans le monde, que parce que le pauvre est sans courage… et que le riche est sans humanité…

Le Commandeur.

J’entends… Eh bien ! aie-la, ta Sophie ; foule aux pieds la volonté de ton père, les lois de la décence, les bienséances de ton état. Ruine-toi, avilis-toi, roule-toi dans la fange, je ne m’y oppose plus. Tu serviras d’exemple à tous les enfants qui ferment l’oreille à la voix de la raison, qui se précipitent dans des engagements honteux, qui affligent leurs parents, et qui déshonorent leur nom. Tu l’auras, ta Sophie, puisque tu l’as voulu ; mais tu n’auras pas de pain à lui donner, ni à ses enfants qui viendront en demander à ma porte.

Saint-Albin.

C’est ce que vous craignez.

Le Commandeur.

Ne suis-je pas bien à plaindre ?… Je me suis privé de tout pendant quarante ans ; j’aurais pu me marier, et je me suis refusé cette consolation. J’ai perdu de vue les miens, pour m’attacher à ceux-ci : m’en voilà bien récompensé !… Que dira-t-on dans le monde ?… Voilà qui sera fait : je n’oserai plus me montrer ; ou si je parais quelque part, et que l’on demande : « Qui est cette vieille croix, qui a l’air si chagrin, » on répondra tout bas : « C’est le Commandeur d’Auvilé… l’oncle de ce jeune fou qui a épousé… oui… » Ensuite on se parlera à l’oreille, en me regardera ; la honte et le dépit me saisiront ; je me lèverai, je prendrai ma canne, et je m’en irai… Non, je voudrais pour tout ce que je possède, lorsque tu gravissais le long des murs du fort Saint-Philippe[7], que quelque Anglais, d’un bon coup de baïonnette, t’eût envoyé dans le fossé, et que tu y fusses demeuré enseveli avec les autres ; du moins on aurait dit : « C’est dommage, c’était un sujet ; » et j’aurais pu solliciter une grâce du roi pour l’établissement de ta sœur… Non, il est inouï qu’il y ait jamais eu un pareil mariage dans une famille.

Saint-Albin.

Ce sera le premier.

Le Commandeur.

Et je le souffrirai ?

Saint-Albin.

S’il vous plaît.

Le Commandeur.

Tu le crois ?

Saint-Albin.

Assurément.

Le Commandeur.

Allons, nous verrons.

Saint-Albin.

Tout est vu.



Scène IX


SAINT-ALBIN, SOPHIE, MADAME HÉBERT.
(Tandis que Saint-Albin continue comme s’il était seul, Sophie et sa bonne s’avancent, et parlent dans les intervalles du monologue de Saint-Albin.)


Saint-Albin, après une pause, en se promenant et rêvant.

Oui, tout est vu… ils ont conjuré contre moi… je le sens…

Sophie, d’un ton doux et plaintif.

On le veut… Allons, ma bonne.

Saint-Albin.

C’est pour la première fois que mon père est d’accord avec cet oncle cruel.

Sophie, en soupirant.

Ah ! quel moment !

Madame Hébert.

Il est vrai, mon enfant.

Sophie.

Mon cœur se trouble.

Saint-Albin[8].

Ne perdons point de temps ; il faut l’aller trouver.

Sophie, apercevant Saint-Albin.

Le voilà, ma bonne, c’est lui.

Saint-Albin, allant à Sophie.

Oui, Sophie, oui, c’est moi ; je suis Sergi.

Sophie, en sanglotant.

Non, vous ne l’êtes pas… (Elle se retourne vers madame Hébert.) Que je suis malheureuse ! je voudrais être morte. Ah, ma bonne, à quoi me suis-je engagée ! Que vais-je lui apprendre ? que va-t-il devenir ? ayez pitié de moi… dites-lui.

Saint-Albin.

Sophie, ne craignez rien. Sergi vous aimait ; Saint-Albin vous adore, et vous voyez l’homme le plus vrai et l’amant le plus passionné.

Sophie, soupire profondément.

Hélas !

Saint-Albin.

Croyez que Sergi ne peut vivre, ne veut vivre que pour vous.

Sophie.

Je le crois ; mais à quoi cela sert-il ?

Saint-Albin.

Dites un mot.

Sophie.

Quel mot ?

Saint-Albin.

Que vous m’aimez. Sophie, m’aimez-vous ?

Sophie, en soupirant profondément.

Ah ! si je ne vous aimais pas !

Saint-Albin.

Donnez-moi donc votre main ; recevez la mienne, et le serment que je fais ici à la face du ciel, et de cette honnête femme qui vous a servi de mère, de n’être jamais qu’à vous.

Sophie.

Hélas ! vous savez qu’une fille bien née ne reçoit et ne fait de serments qu’au pied des autels… Et ce n’est pas moi que vous y conduirez… Ah ! Sergi ! c’est à présent que je sens la distance qui nous sépare !

Saint-Albin, avec violence.

Sophie, et vous aussi ?

Sophie.

Abandonnez-moi à ma destinée, et rendez le repos à un père qui vous aime.

Saint-Albin.

Ce n’est pas vous qui parlez, c’est lui. Je le reconnais, cet homme dur et cruel.

Sophie.

Il ne l’est point ; il vous aime.

Saint-Albin.

Il m’a maudit, il m’a chassé : il ne lui restait plus qu’à se servir de vous pour m’arracher la vie.

Sophie.

Vivez, Sergi.

Saint-Albin.

Jurez donc que vous serez à moi malgré lui.

Sophie.

Moi, Sergi ? ravir un fils à son père !… J’entrerais dans une famille qui me rejette !

Saint-Albin.

Et que vous importe mon père, mon oncle, ma sœur, et toute ma famille, si vous m’aimez ?

Sophie.

Vous avez une sœur ?

Saint-Albin.

Oui, Sophie.

Sophie.

Qu’elle est heureuse !

Saint-Albin.

Vous me désespérez.

Sophie.

J’obéis à vos parents. Puisse le ciel vous accorder, un jour, une épouse qui soit digne de vous, et qui vous aime autant que Sophie !

Saint-Albin.

Et vous le souhaitez ?

Sophie.

Je le dois.

Saint-Albin.

Malheur, malheur à qui vous a connue, et qui peut être heureux sans vous !

Sophie.

Vous le serez ; vous jouirez de toutes les bénédictions promises aux enfants qui respecteront la volonté de leurs parents. J’emporterai celles de votre père. Je retournerai seule à ma misère, et vous vous ressouviendrez de moi.

Saint-Albin.

Je mourrai de douleur, et vous l’aurez voulu… (En la regardant tristement.) Sophie…

Sophie.

Je ressens toute la peine que je vous cause.

Saint-Albin, en la regardant encore.

Sophie…

Sophie, à madame Hébert, en sanglotant.

Ô ma bonne, que ses larmes me font de mal !… Sergi, n’opprimez pas mon âme faible… j’en ai assez de ma douleur… (Elle se couvre les yeux de ses mains.) Adieu, Sergi.

Saint-Albin[9].

Vous m’abandonnez ?

Sophie.

Je n’oublierai point ce que vous avez fait pour moi. Vous m’avez vraiment aimée : ce n’est pas en descendant de votre état, c’est en respectant mon malheur et mon indigence, que vous l’avez montré. Je me rappellerai souvent ce lieu où je vous ai connu… Ah ! Sergi !

Saint-Albin.

Vous voulez que je meure.

Sophie.

C’est moi, c’est moi qui suis à plaindre.

Saint-Albin.

Sophie, où allez-vous ?

Sophie.

Je vais subir ma destinée, partager les peines de mes sœurs, et porter les miennes dans le sein de ma mère. Je suis la plus jeune de ses enfants, elle m’aime ; je lui dirai tout, et elle me consolera.

Saint-Albin.

Vous m’aimez et vous m’abandonnez ?

Sophie.

Pourquoi vous ai-je connu ?… Ah !… (Elle s’éloigne.)

Saint-Albin.

Non, non… je ne le puis… Madame Hébert, retenez-la… ayez pitié de nous.

Madame Hébert.

Pauvre Sergi !

Saint-Albin, à Sophie.

Vous ne vous éloignerez pas… j’irai… je vous suivrai… Sophie, arrêtez… Ce n’est ni par vous, ni par moi que je vous conjure… Vous avez résolu mon malheur et le vôtre… C’est au nom de ces parents cruels… Si je vous perds je ne pourrai ni les voir, ni les entendre, ni les souffrir… Voulez-vous que je les haïsse ?

Sophie.

Aimez vos parents ; obéissez-leur ; oubliez-moi.

Saint-Albin, qui s’est jeté à ses pieds, s’écrie en la retenant par ses habits.

Sophie, écoutez… vous ne connaissez pas Saint-Albin.

Sophie, à madame Hébert, qui pleure.

Ma bonne, venez, venez ; arrachez-moi d’ici. (Elle sort[10].)

Saint-Albin, en se relevant.

Il peut tout oser ; vous le conduisez à sa perte… Oui, vous l’y conduisez… (Il marche. Il se plaint ; il se désespère. Il nomme Sophie par intervalles. Ensuite il s’appuie sur le dos d’un fauteuil, les yeux couverts de ses mains.)



Scène X


SAINT-ALBIN, CÉCILE, GERMEUIL.
(Pendant qu’il est dans cette situation, Cécile et Germeuil entrent.)


Germeuil, s’arrêtant sur le fond, et regardant tristement Saint-Albin, dit à Cécile :

Le voilà, le malheureux ! il est accablé, et il ignore que dans ce moment… Que je le plains !… Mademoiselle, parlez-lui.

Cécile.

Saint-Albin…

Saint-Albin, qui ne les voit point, mais qui les entend approcher, leur crie, sans les regarder :

Qui que vous soyez, allez retrouver les barbares qui vous envoient. Retirez-vous.

Cécile.

Mon frère, c’est moi ; c’est Cécile qui connaît votre peine, et qui vient à vous.

Saint-Albin, toujours dans la même position.

Retirez-vous.

Cécile.

Je m’en irai, si je vous afflige.

saint-albin.

Vous m’affligez. (Cécile s’en va ; mais son frère la rappelle d’une voix faible et douloureuse.) Cécile !

cécile, se rapprochant de son frère.

Mon frère ?

saint-albin, la prenant par la main, sans changer de situation
et sans la regarder.

Elle m’aimait ! ils me l’ont ôtée ; elle me fuit.

germeuil, à lui-même.

Plût au ciel !

saint-albin.

J’ai tout perdu… Ah !

cécile.

Il vous reste une sœur, un ami.

saint-albin, se relevant avec vivacité.

Où est Germeuil ?

cécile.

Le voilà.

saint-albin, se promène un moment en silence, puis il dit :

Ma sœur, laissez-nous. (Cécile parle bas à Germeuil et sort.)



Scène XI


SAINT-ALBIN, GERMEUIL.
saint-albin, en se promenant, et à plusieurs reprises.

Oui… c’est le seul parti qui me reste… et j’y suis résolu… Germeuil, personne ne nous entend ?

germeuil.

Qu’avez-vous à me dire ?

saint-albin.

J’aime Sophie, j’en suis aimé ; vous aimez Cécile, et Cécile vous aime.

germeuil.

Moi ! votre sœur !

saint-albin.

Vous, ma sœur ! Mais la même persécution qu’on me fait, vous attend ; et si vous avez du courage, nous irons, Sophie, Cécile, vous et moi, chercher le bonheur loin de ceux qui nous entourent et nous tyrannisent.

germeuil.

Qu’ai-je entendu ?… Il ne me manquait plus que cette confidence… Qu’osez-vous entreprendre ; et que me conseillez-vous ? C’est ainsi que je reconnaîtrais les bienfaits dont votre père m’a comblé depuis que je respire ? Pour prix de sa tendresse, je remplirais son âme de douleur ; et je l’enverrais au tombeau, en maudissant le jour qu’il me reçut chez lui !

saint-albin.

Vous avez des scrupules ; n’en parlons plus.

germeuil.

L’action que vous me proposez, et celle que vous avez résolue, sont deux crimes… (Avec vivacité.) Saint-Albin, abandonnez votre projet… Vous avez encouru la disgrâce de votre père, et vous allez la mériter ; attirer sur vous le blâme public ; vous exposer à la poursuite des lois ; désespérer celle que vous aimez… Quelles peines vous vous préparez !… Quel trouble vous me causez !…

saint-albin.

Si je ne peux compter sur votre secours, épargnez-moi vos conseils.

germeuil.

Vous vous perdez.

saint-albin.

Le sort en est jeté.

germeuil.

Vous me perdez moi-même : vous me perdez… Que dirai-je à votre père lorsqu’il m’apportera sa douleur ?… à votre oncle ?… Oncle cruel ! Neveu plus cruel encore !… Avez-vous dû me confier vos desseins ?… Vous ne savez pas… Que suis-je venu chercher ici ?… Pourquoi vous ai-je vu ?…

saint-albin.

Adieu, Germeuil, embrassez-moi, je compte sur votre discrétion.

germeuil.

Où courez-vous ?

saint-albin.

M’assurer le seul bien dont je fasse cas, et m’éloigner d’ici pour jamais.



Scène XII


GERMEUIL, seul.

Le sort m’en veut-il assez ! Le voilà résolu d’enlever sa maîtresse, et il ignore qu’au même instant son oncle travaille à la faire enfermer… Je deviens coup sur coup leur confident et leur complice… Quelle situation est la mienne ! je ne puis ni parler, ni me taire, ni agir, ni cesser… Si l’on me soupçonne seulement d’avoir servi l’oncle, je suis un traître aux yeux du neveu, et je me déshonore dans l’esprit de son père… Encore si je pouvais m’ouvrir à celui-ci… mais ils ont exigé le secret… Y manquer, je ne le puis ni ne le dois… Voilà ce que le Commandeur a vu lorsqu’il s’est adressé à moi, à moi qu’il déteste, pour l’exécution de l’ordre injuste qu’il sollicite… En me présentant sa fortune et sa nièce, deux appâts auxquels il n’imagine pas qu’on résiste, son but est de m’embarquer dans un complot qui me perde… Déjà il croit la chose faite ; et il s’en félicite… Si son neveu le prévient, autres dangers : il se croira joué ; il sera furieux ; il éclatera… Mais Cécile sait tout ; elle connaît mon innocence… Eh ! que servira son témoignage contre le cri de la famille entière qui se soulèvera ?… On n’entendra qu’elle ; et je n’en passerai pas moins pour fauteur d’un rapt… Dans quels embarras ils m’ont précipité ; le neveu, par indiscrétion ; l’oncle, par méchanceté !… Et toi, pauvre innocente, dont les intérêts ne touchent personne, qui te sauvera de deux hommes violents qui ont également résolu ta ruine ? L’un m’attend pour la consommer, l’autre y court ; et je n’ai qu’un instant… mais ne le perdons pas[11]. Emparons-nous d’abord de la lettre de cachet… Ensuite… nous verrons.

  1. Cette scène est composée de deux scènes simultanées. Celle de Cécile se dit à demi-voix. — On ne jouait, au théâtre, que la scène principale.
  2. Ce passage et plusieurs autres, sortis de la même inspiration, étaient coupés à la représentation.
  3. Variante : comme il y en a tant.
  4. Tout ce passage, depuis : Vous êtes mon père, était supprimé à la représentation.
  5. À la représentation on disait : lorsque votre père.
  6. On supprimait à la représentation jusqu’à : Vous oubliez qui je suis.
  7. Après la prise de Port-Mahon par les Français en 1756, les Anglais s’étaient retirés au fort Saint-Philippe. (Br.)
  8. Toutes les éditions font prononcer ces paroles par Saint-Albin ; seule l’édition Brière les met dans la bouche de Mme  Hébert. Elles sont là pour préparer la rencontre des deux amants et la fusion des deux scènes simultanées.
  9. On coupait à la représentation depuis ce passage jusqu’à : Non, non, je ne le puis.
  10. À la représentation la scène finissait sur ces paroles de Sophie : Oubliez-moi. Ne me suivez pas, je vous le défends.
  11. Variante : « Emparons-nous d’abord de l’ordre. Je m’expose, je le sais ; mais il faut faire son devoir, et fermer les yeux sur le reste. » À la représentation, ce monologue était un peu écourté et la fin était celle que nous rapportons dans la variante. Lettre de cachet était un mot que la censure ne pouvait laisser passer.