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XXVI


Le jeune homme, plein d’une frayeur superstitieuse, pénétra dans un lugubre réduit.

On y voyait encore quelques débris de meubles grossiers ; de forts anneaux de fer scellés dans les angles de ce caveau indiquaient qu’il avait pu servir de prison. C’était là, en effet, que Bertha de Steinberg et le sire de Stoffensels avaient péri, disait-on, victimes de l’implacable vengeance du baron Emmanuel.

Mais Frantz ignorait cette légende, et, l’eût-il sue, rien n’eût pu ajouter à l’horreur que lui inspirait cette cache mystérieuse des farouches barons de Steinberg.

Il allait se retirer en frissonnant, quand il aperçut un petit bahut de chêne scellé dans le roc. Il souleva le couvercle, qui semblait avoir été fermé autrefois par un ressort secret, maintenant brisé. Le coffre contenait des liasses de papiers et de parchemins portant encore des traces d’armoiries ; plusieurs de ces papiers semblaient être des titres de propriété, des créances.

Là sans doute les barons de Steinberg avaient jadis caché leurs richesses, fruit du pillage et des exactions. Mais le coffre ne contenait plus aucune valeur en or ou en argent ; ces papiers eux-mêmes, que le baron Hermann, le dernier qui fût venu dans ces tristes lieux, avait déposés là, ne pouvaient plus être utiles à ses descendans ; à peine Frantz les eût-il touchés qu’ils tombèrent en poussière.

L’étudiant poussa un profond soupir, et quitta ce triste caveau. Il s’engagea dans le couloir escarpé qui devait le conduire à la tour.

Bientôt il reconnut à des signes certains qu’il approchait du terme de sa course. Le passage n’était plus taillé dans le roc, mais construit dans l’épaisseur d’une muraille. Frantz avait maintenant à gravir un escalier raide et difficile ; il sentait l’air devenir moins dense autour de lui ; souvent même un souffle de la brise extérieure lui arrivait par quelque fissure imperceptible de la muraille.

Plein d’ardeur, il continuait son ascension, écoutant si quelque bruit étranger viendrait lui révéler le voisinage des hommes.

Tout à coup il fut arrêté par un obstacle inattendu… Une muraille se dressait devant lui ; le passage s’arrêtait brusquement en cet endroit ; nulle issue.

Frantz fut atterré. Cependant, en examinant avec plus de soin la nature de l’obstacle, il reprit quelque espérance. Les pierres de cette muraille, quoique disposées régulièrement, n’avaient aucune adhérence entre elles, comme celles qui masquaient l’autre extrémité du passage ; elles ne pouvaient donc lui opposer une barrière sérieuse.

Mais le malheureux jeune homme, épuisé par sa récente maladie, était à bout de forces ; cette marche fatigante, ce travail manuel auquel il n’était pas habitué, cet air vicié qu’il avait respiré, l’affaiblissaient cruellement ; sa tête bourdonnait, ses jambes se dérobaient sous lui.

La pensée de Wilhelmine en proie aux violences d’un frère insensé lui rendit l’énergie ; il attaqua la fatale muraille avec son pic ; les pierres, n’étant retenues par aucun ciment, tombaient au moindre effort.

C’était le bruit de cette démolition qui, répercuté par les échos du souterrain, avait frappé de terreur la pauvre Wilhelmine.

Frantz était enfin parvenu à déblayer les matériaux qui obstruaient l’issue de la galerie ; mais il n’était pas au bout de son pénible travail.

Derrière la muraille se trouvait une énorme plaque de fer ; il fallait encore renverser cet obstacle pour pénétrer dans le château. Or, son front ruisselait d’une sueur froide, sa main engourdie soutenait avec peine l’outil dont il se servait ; il n’agissait plus que par une espèce de mouvement machinal et convulsif.

Heureusement, il aperçut à l’extrémité de la plaque un verrou communiquant à un ressort secret placé de l’autre côté. Il parvint à faire jouer ce verrou, puis, réunissant toutes ses forces dans un effort suprême, il tenta d’ébranler cette pesante clôture.

Si elle eût résisté, le pauvre Frantz eût succombé sous le poids de tant de fatigues et d’émotions ; mais cette dernière épreuve ne lui était pas réservée. La plaque tourna lentement sur elle-même, et le tableau qui frappa les regards du jeune homme lui rendit la vie près de l’abandonner.

La lourde masse de fer qu’il venait de déplacer était la plaque de cheminée de la chambre occupée par Wilhelmine.

Frantz, s’appuyant d’une main contre la muraille, resta un moment immobile et comme en extase. Wilhelmine, éclairée faiblement par une lampe, était debout en face de lui, les bras tendus, l’œil égaré ; elle était vêtue de blanc, elle était pâle ; on eût dit d’une statue de marbre. Elle semblait vouloir crier, car sa bouche était entr’ouverte et sa poitrine haletante, mais le son expirait sur ses lèvres.

Cependant elle souriait. Sans doute elle croyait être dupe de son imagination ; Frantz lui-même n’osait en croire ses yeux, tant son bonheur était grand, imespéré.

Enfin, surmontant son saisissement, il s’élanca dans la chambre. Wilhelmine fit un mouvement d’effroi ; mais son mari la saisit par la main et la pressa contre son cœur avec transport.

— Wilhelmine, mon ange ! murmura-t-il hors de lui, esi-ce bien vous que je revois ? Oh ! que Dieu soit loué pour m’avoir conduit si heureusement jusqu’ici, où vous souffriez, où vous m’appeliez peut-être !

Il la couvrait de baisers et de larmes. Wilhelmine recevait passivement ces brûlantes caresses ; elle avait été éprouvée par lant d’émotions, qu’elle ne pouvait croire à la réalité même.

— Oh ! mon Dieu ! murmurait-elle, deviendrais-je folle aussi ? J’entends sa voix, je sens sa main, je le touche, je le vois… et cependant c’est un rêve ; oui, oui, c’est un rêve !

— Non, ce n’est pas un rêve, ma chère et bonne Wilhelmine, reprit Frantz en redoublant ses caresses ; c’est moi, c’est Frantz, votre ami, votre époux… Regardez, continua-t-il en désignant la galerie secrète au fond de laquelle brillait la lueur pâle de la lanterne, ceci n’est ni magie ni sortilége. Le hasard, ou plulôt la Providence, m’a fait découvrir aujourd’hui ce passage ignoré de l’humanité entière, de votre frère lui-même… J’en ai profité pour venir vous consoler, vous défendre, vous sauver.

À mesure qu’il parlait, la jeune femme semblait recouvrer l’usage de ses facultés. Une joie pure, ineffable se réflétait dans ses yeux, sur son visage ; elle se suspandit à son tour au cou de Frantz.

— Cela est-il possible ! murmurait-elle avec un reste d’égarement ; Frantz, mon bien-aimé… Oh ! je ne comprends pas comment vous êtes ici, par quel pouvoir sur humain vous avez pénétré jusqu’à moi ; mais c’est bien vous… je suis heureuse… Merci, mon Dieu, merci !

Franz la soutint dans ses bras, car elle fût tombée, :

— Calmez-vous, Wilhelmine, je vous en supplie ; cette agitation pourrait vous être fatale. Pauvre enfant, continua-t-il en examinant avec douleur ses traits amaigris, comme vous avez souffert !

— Oh ! oui, oui, Frantz, j’ai bien souffert, car j’étais séarée de vous… Et vous, pauvre ami, continua-t-elle en remarquant à son tour l’altération du visage de son mari, vous avez aussi cruellement senti le coup qui nous a frappés tous les deux !

— La douleur nous a brisés l’un et l’autre, dit Frantz en souriant, le bonheur nous remettra. Wilhelmine, vous ne pouvez plus rester ici ; je sais quels dangers vous courez auprès de votre frère…

— Mais ce danger vous menacerait de même si l’on vous rencontrait ici, répliqua, Wilhelmine en tressaillant ; Par lez bas, Frantz, mon frère est dans la tour, s’il vous voyait, s’il vous entendait, nous serions perdus

— Moi, qu’importe !… c’est de vous Wilhelmine, qu’il faut s’occuper. Écoutez : ce passage aboutit au bord du Rhin : une barque est préparée ; en peu d’heures nous pouvons être hors de toute atteinte… Wilhelmine, au nom de ce qu’il y a de plus sacré, partons !.

— Frantz ! n’est-il aucun autre moyen…

— Hésiteriez-vous donc à me suivre, à vous attacher à mon sort ?

— Je vous suivrais jusqu’au bout du monde, dit la jeune fille avec chaleur ; seulement, ajouta-t-elle avec hésitation, mon pauvre frère…

— Eh bien ?

— Sa raison, est égarée, mais il est si malheureux ! Qui l’aimera, qui le protégera contre ses propres fureurs ?

— Wilhelmine, vous péririez à la peine, sans réussir à lui rendre sa raison. Quand vous serez en sûreté, nous prendrons des mesures pour lui faire donner les soins que son état réclame ; d’ailleurs n’a-t-il pas dame Reutner ei son fils ? De grâce, Wilhelmine, ne persistez pas dans ! un dévouement aveugle, insensé. Pour moi, sinon pour vous, consentez à me suivre.

— Eh bien ! Frantz, je m’abandonne à toi, dit la jeune femme avec amour, en tendant ses mains à Frantz avec un sourire céleste ; conduis-moi, je te suivrai jusqu’à la tombe.

L’étudiant la serra contre sa poitrine et l’entraîna doucement vers la porte secrète,

— Enfin elle est à moi ! dit-il avec une joie qui tenait du délire ; rien ne nous séparera plus désormais ; le bonheur va commencer pour nous.

Un éclat de rire strident, saccadé, retentit derrière eux. Les deux jeunes gens s’arrétèrent glacés de terreur ; au même instant la porte s’ouvrit, et le baron entra dans la chambre, suivi de Fritz Reutner,