Le Musée pédagogique et la Bibliothèque centrale de l’enseignement primaire

Le Musée pédagogique et la Bibliothèque centrale de l’enseignement primaire
Revue pédagogique, second semestre 1882n. s. 1 (p. 22-36).


LE MUSÉE PÉDAGOGIQUE
ET LA BIBLIOTHÈQUE CENTRALE DE L’ENSEIGNEMENT
PRIMAIRE


L’objet d’un Musée pédagogique est, évidemment, de rendre possible la comparaison des moyens et des procédés d’instruction et d’éducation en usage, soit dans un pays et pour une période donnée, soit même dans un certain nombre de pays ou, s’il est possible, dans tous les pays, à quelque époque que ce puisse être, surtout cependant, cela va sans dire, à l’époque actuelle. Un Musée pédagogique est, proprement, une institution destinée à l’étude de la pédagogie comparée.

À ce titre, on peut dire que c’est dans une brochure, aujourd’hui bien oubliée, de Jullien (de Paris), publiée en 1817 sous ce titre : Esquisse et vues préliminaires d’un ouvrage sur l’éducation comparée, qu’on pourrait trouver la première idée qui ait été émise en France sur cette question. « La science de l’éducation, comme toutes les autres sciences et tous les arts, disait Jullien (de Paris), se compose de faits et d’observations. Il paraît donc nécessaire de former pour cette science, comme on l’a fait pour les autres branches de nos connaissances, des collections de faits et d’observations rangées dans des tables analytiques qui permettent de les rapprocher et de les comparer pour en déduire des principes certains, des règles déterminées, afin que l’éducation devienne une science à peu près positive, au lieu d’être abandonnée aux vues étroites et bornées, aux caprices et à l’arbitraire de ceux qui la dirigent, et d’être détournée de la ligne directe qu’elle doit suivre, soit par Les préjugés d’une routine aveugle, soit par l’esprit de système et d’innovation. Les recherches sur l’anatomie comparée ont fait avancer la science de l’anatomie. De même les recherches sur l’instruction comparée doivent fournir des moyens nouveaux pour perfectionner la science de l’éducation[1]. » Et Jullien (de Paris) partait de là pour demander la création d’une Commission spéciale d’éducation, « composée d’hommes chargés de recueillir par eux-mêmes et par des correspondants choisis avec soin les matériaux d’un travail général sur les établissements et les méthodes d’éducation et d’instruction des différents États de l’Europe rapprochés et comparés entre eux sous ce rapport » ; d’un Institut normal d’éducation, dans lequel les meilleures méthodes d’enseignement connues seraient successivement combinées et appliquées ; enfin d’un Bulletin d’éducation « permettant d’établir une communication périodique entre tous les hommes instruits, occupés de la science de l’éducation. » Il est certain qu’il y avait là plusieurs des éléments qui devaient entrer, soixante-deux ans plus tard, dans la constitution du Musée pédagogique créé par M. Jules Ferry. Mais l’idée de Jullien (de Paris) resta complètement inaperçue.

Elle se représenta sous une forme moins déterminée, mais qu’il eût été plus facile peut-être de réaliser matériellement, eu 1867, à la suite de l’Exposition universelle où, pour la première fois, les instituteurs avaient été appelés à Paris.

Dans la séance d’inauguration des conférences pédagogiques qui leur étaient destinées, M. Pompée, l’un des organisateurs de l’exposition scolaire au Palais du Champ-de-Mars, s’exprimait ainsi : « Pourquoi, prenant comme point de départ l’exposition scolaire de 1867, ne nous proposerions-nous pas de fonder à Paris une exposition internationale et permanente de tous les objets qui peuvent faciliter aux instituteurs le développement des facultés morales, physiques et intellectuelles des enfants confiés à leurs soins ? Cette création serait pour les maîtres et les maîtresses de Paris, des départements et de l’étranger un lieu de renseignement, de comparaison et d’étude ; ce serait pour les amis de l’instruction primaire un libre établissement destiné à fixer la valeur réelle des procédés, des instruments, des livres et des méthodes ; ce serait pour tout le monde un sanctuaire pacifique élevé au progrès des générations futures…

Ce n’est pas ici, ajoutait M. Pompée, le moment de vous développer le plan de cette institution telle que j’aime à la concevoir, mais laissez-moi du moins vous dire que je serais bien heureux, quand ces instants trop courts que nous allons passer ensemble seront écoulés, s’il pouvait m’être donné de vous revoir, l’an prochain et les années suivantes, sous les murs plus ou moins somptueux de l’Institut pédagogique universel[2] ! »

Malheureusement, les démarches que tenta M. Pompée, après l’Exposition de 1867, pour créer, avec l’aide et sous les auspices de l’administration, « l’Institut pédagogique universel », demeurèrent alors infructueuses et il cessa d’en être question lorsque M. Duruy eut quitté le ministère.

En 1872, presque au lendemain de ces désastres militaires dont il semblait que l’instruction du peuple, développée et généralisée, pût seule empêcher le retour, M. Jules Simon reprit le projet de 1867, en lui donnant d’ailleurs des proportions beaucoup plus modestes. Une note insérée dans la partie non officielle du Bulletin administratif portant la date du 6 mai fit connaître que, par décision ministérielle, une collection de livres, tableaux et appareils à l’usage des écoles, des salles d’asile et des cours d’adultes, serait établie au ministère et rattachée au 2e bureau de la Direction de l’enseignement primaire. Cette collection devait recevoir, outre les ouvrages et objets composant le matériel des établissements d’instruction primaire, les livres et instruments scolaires en usage dans les pays étrangers[3].

Une circulaire aux recteurs, du 14 décembre, leur annonçait l’organisation d’un Musée scolaire, dont le but devait être, « d’une part, de fournir à l’étude de ceux qui se préoccupent des progrès de notre instruction primaire, un spécimen de tous les objets mobiliers et classiques qui sont actuellement en usage dans les écoles françaises et étrangères ; d’autre part, de recueillir, soit les documents, quand la chose sera possible, soit l’indication des documents pouvant servir à tracer bibliographiquement l’histoire de ces progrès[4]. »

« En vue de ce second objet, ajoutait le ministre, j’ai besoin de connaître les ressources de chaque département. Je vous prie, en conséquence, de faire relever très exactement, dans les bibliothèques publiques de votre ressort académique, la liste des ouvrages manuscrits ou imprimés, documents d’intérêt général, monographies locales, règlements, statistiques, antérieurs ou postérieurs à 1789, qui se rapportent aux écoles primaires ou à ce qu’on appelait, avant la Révolution, petites écoles, écoles de charité, etc. Indépendamment des renseignements que vous obtiendrez par l’intermédiaire des inspecteurs d’académie, je pense que vous pourrez utilement faire appel aux lumières des bibliothécaires et des présidents de Sociétés savantes. Je suis assuré qu’ils vous prêteront avec empressement le concours que vous leur demanderez. Vous voudrez bien les remercier à l’avance en mon nom. »

Cette circulaire fut renouvelée, en ce qui concerne les documents relatifs à l’histoire de l’enseignement primaire, le 4 mai 1873[5], et même le 6 août suivant[6], sous le ministère de M. Batbie.

Le Musée scolaire reçut un commencement officiel d’organisation. Une commission, placée sous la présidence du ministre lui-même et composée de sénateurs, de députés, parmi lesquels nous remarquons les noms de MM. Bardoux, Charton, de Salvandy, Lefébure, La Caze, Calmon, Hérold, et aussi d’un certain nombre de hauts fonctionnaires de l’administration et de l’enseignement, avait été chargée d’en déterminer le fonctionnement ; elle se réunit plusieurs fois ; M. Rapet, inspecteur général honoraire de l’enseignement primaire, désigné pour la direction de l’établissement, prépara un projet de règlement intérieur, qui put être livré aux presses de l’Imprimerie nationale.

Malheureusement, l’hôtel du ministère, où tous les services sont fort à l’étroit, ne pouvait offrir un local convenable, et l’on dut songer à placer le Musée dans une partie du magasin scolaire de la ville de Paris, situé sur le quai Morland, dans un coin ignoré et perdu du quartier de l’Arsenal. Il y eut là, le dimanche 2 mars 1873, une séance d’inauguration. Mais des difficultés d’installation surgirent bientôt ; des difficultés d’un autre ordre emportèrent le ministère libéral, et, à la suite du 24 mai, les travaux commencés furent ajournés indéfiniment.

On peut dire cependant que l’idée était dans l’air. Outre que depuis longtemps des précédents étrangers venaient de toutes parts solliciter l’opinion publique, de divers côtés l’initiative privée s’essayait à des tentatives d’organisation de collections de matériel, de bibliothèques pédagogiques, de salles de lecture à l’usage du corps enseignant. Ce fut ainsi que la Société des instituteurs et des institutrices de la Seine, qui est composée en très grande majorité d’instituteurs libres, ouvrit avec le concours des éditeurs, dans un local provisoire situé au no  60 de la rue de la Verrerie, un véritable Musée pédagogique, pour lequel elle reçut une subvention du conseil municipal de Paris, mais qui devait bientôt devenir inutile, quand l’administration de l’instruction publique, remise de nouveau entre des mains républicaines, put à son tour revenir à l’œuvre prématurément interrompue de M. Jules Simon.

Déjà, en 1877, comme rapporteur du budget de l’instruction publique pour l’exercice suivant, M. Bardoux avait exprimé le regret que la France ne possédât rien d’analogue au Bureau national d’éducation de Washington, qui est chargé, aux États-Unis, de recueillir et de publier les statistiques scolaires des divers États de l’Union, de réunir des documents sur l’éducation à l’étranger, et de fournir d’utiles indications à tous les amis des écoles. Devenu ministre de l’instruction publique, il déposa, le 16 mai 1878, un projet de loi ayant pour objet « la création d’un Musée pédagogique et d’un Bureau central de statistique scolaire. »

« La plupart des nations de l’Europe, disait M. Bardoux dans son remarquable exposé de motifs, ont créé leur Musée pédagogique, les unes avec un grand luxe, les autres sur un plan plus modeste et non moins pratique. Partout, ces collections, où chaque peuple profite de l’expérience et de l’initiative de tous les autres, ont rendu de réels services.

Chez nous, une raison de plus doit déterminer une création de ce genre : le crédit de 120 millions généreusement ouvert par la Chambre pour la construction de bâtiments scolaires donne lieu en ce moment à un mouvement d’études que nous ne saurions trop encourager ; de toutes parts, on s’enquiert des meilleures conditions hygiéniques, pédagogiques, économiques à adopter pour ce grand nombre de constructions nouvelles ; on demande à l’administration, aux publications étrangères même, les plans d’école, les types de matériel, les appareils d’enseignement les mieux entendus, tous les moyens enfin d’employer le plus fructueusement possible les sommes considérables que le pays consacre à ses écoles.

L’administration de l’instruction publique n’a pas sans doute à édicter des modèles officiels de constructions et ameublements scolaires, mais elle ne peut se dissimuler quelle influence heureuse elle pourrait exercer en offrant à ce public, avide de renseignements précis, une exposition permanente méthodiquement classée, de tout ce qui intéresse l’installation matérielle des écoles. Un tel Musée serait à notre instruction primaire ce qu’est à l’enseignement technique le Conservatoire des Arts et Métiers. »

M. Bardoux faisait ensuite valoir les avantages du Bureau permanent de statistique, dont le Musée devait être le siège, et qui trouverait les premiers éléments de son travail dans la Bibliothèque spéciale de l’enseignement primaire également comprise dans l’établissement projeté. « C’est à, en effet, que seront peu à peu réunies et que pourront être dépouillées les collections, jusqu’ici dispersées et incomplètes, de ces documents imprimés ou inédits qui forment les archives véritables de l’instruction primaire en France avant et depuis 1789 ; c’est là que seront recueillies aussi et analysées les grandes collections de statistique scolaire étrangère dont nous aurons de plus en plus à tenir compte ; c’est là enfin qu’on pourra le mieux entreprendre de réaliser un projet qui a plusieurs fois attiré l’attention des hommes compétents et des sociétés savantes, celui d’établir une statistique comparée de l’instruction populaire dans les différents pays. »

Tel devait être, aux veux de M. Bardoux, le Musée pédagogique pour lequel il sollicitait un vote favorable des Chambres françaises : « Ce serait surtout un centre de renseignements pédagogiques et statistiques. Il n’aurait d’action à exercer que par les informations qu’il recueillerait et qu’il répandrait, par les conférences spéciales dont il serait le siège et qui pourraient devenir pour une élite d’instituteurs laborieux un complément d’éducation professionnelle ; enfin, par les facilités d’étude et d’examen que procureraient à tous les amis de l’instruction populaire ses propres publications statistiques et aussi celles qu’il inspirerait. » Au lendemain même de l’ouverture de l’Exposition universelle, la création d’un établissement de ce genre semblait à l’honorable ministre de toute opportunité.

Sur la demande de M. Bardoux, la Chambre des députés renvoya le projet à la Commission générale de l’enseignement primaire, qui se trouva en principe unanimement favorable à son adoption ; mais, lorsque la Commission vint à en délibérer, dans la séance du 23 mai, elle fut amenée à considérer que la création du Musée pédagogique «ne constituait pas matière législative » et pouvait être décidée par décret. Elle invita donc son président à en conférer avec le ministre, en l’assurant de l’appui de la Commission pour son excellente idée, lorsqu’il reviendrait demander à la Chambre les crédits nécessaires.

Le plus pressé, d’après cette décision, c’était de ne pas laisser disperser, après la fermeture de l’Exposition universelle, les richesses réunies dans les expositions scolaires des divers pays sans essayer d’en retenir, par voie d’échange ou d’acquisition, une notable part.

M. Bardoux, ne perdant pas de vue cet intérêt, engagea des négociations avec le président et les questeurs de la Chambre des députés pour obtenir la jouissance provisoire de quelques salles du Palais-Bourbon, qui était alors vacant, la Chambre siégeant encore à Versailles. C’est dans ces salles que furent déposées les premières collections, françaises et étrangères, du Musée pédagogique.

Les choses en étaient là, lorsque, le 4 février 1879, M. Jules Ferry succéda à M. Bardoux au ministère de l’instruction publique.

L’un des premiers actes importants de son administration fut la constitution officielle du Musée pédagogique.

Dans un rapport au Président de la République en date du 13 mai, M. Jules Ferry insistait sur l’utilité qu’il y aurait pour la France à réaliser enfin l’idée toute française d’un « Bureau permanent d’études pédagogiques, à la fois musée et bibliothèque centrale de l’instruction primaire », pour la création duquel nous nous étions, comme cela nous arrive souvent, laissé devancer par plusieurs pays étrangers. Rappelant ensuite les efforts qui avaient été faits en France même depuis le mémoire de Jullien (de Paris) jusqu’aux dispositions récentes prises par M. Bardoux : « Il ne me reste, disait le ministre, qu’à achever l’œuvre de mon honorable prédécesseur, et j’en sens d’autant plus la nécessité que les différentes commissions consultatives dont j’ai cru devoir m’entourer, les unes déjà anciennes au ministère, les autres de création toute récente, sont unanimes à me demander la constitution d’un musée, d’une bibliothèque et d’un corps d’archives historiques, statistiques et pédagogiques qui leur fournissent des informations complètes sur les divers objets de leurs études.

Ces commissions seront le conseil d’administration tout naturellement indiqué pour le nouvel établissement, et l’établissement lui-même ne peut être mieux défini que par ce mot très juste du projet de loi de M. Bardoux : « Le Musée pédagogique est fait pour rendre à notre instruction primaire les mêmes services que rend à l’enseignement technique le Conservatoire des Arts et Métiers. »

C’est dans cette conviction que je vous demande, monsieur le Président, de placer par décret cet utile établissement au nombre des institutions publiques dotées au budget et installées dans les bâtiments de l’État. »

En conformité de ce rapport, un décret du même jour, 13 mai 1879, constituait ainsi qu’il suit le Musée pédagogique :

« Article premier.— Il est créé au ministère de l’Instruction publique un Musée pédagogique et une Bibliothèque centrale de l’enseignement primaire, comprenant des collections diverses de matériel scolaire, des documents historiques et statistiques et des livres de classe provenant de la France et de l’étranger.

Art. 2. — La direction en sera confiée à un inspecteur général de l’enseignement primaire (hors cadre). »

Quelques mois plus tard, lorsque le vote du budget de 1880, où pour la première fois le Musée pédagogique était compris, eut affirmé implicitement l’approbation des Chambres à l’égard de l’œuvre nouvelle et assuré pour l’avenir la régularité de son fonctionnement, un arrêté en date du 30 décembre 1879 nomma M. Berger, inspecteur général (hors cadre), directeur du Musée pédagogique ; des arrêtés du même jour, du 1er janvier 1880, et du 3 juin 1881 ont complété depuis, par la nomination d’un bibliothécaire, d’un bibliothécaire-adjoint et d’un employé, le personnel de l’établissement.

Divers arrêtés, dont le premier date du 5 mai 1880, ont constitué auprès du Musée pédagogique et de la Bibliothèque centrale de l’enseignement primaire un Conseil d’administration « chargé de statuer sur l’admission des livres, cartes et appareils scolaires offerts au musée par les auteurs, éditeurs et fabricants, ainsi que sur les acquisitions, souscriptions et échanges. »

Ce Conseil est aujourd’hui composé de :

M. Gréard, membre de l’Institut, vice-recteur de l’académie de Paris, président ;

M. Buisson, directeur de l’enseignement primaire au ministère de l’instruction publique, vice-président ;

MM. de Bagnaux, conseiller d’État, directeur du secrétariat au ministère du commerce ; Berger, directeur du Musée ; Maurice Block, membre de l’institut, publiciste ; Boutan, inspecteur général, directeur honoraire de l’enseignement primaire ; Brouard, inspecteur général de l’enseignement primaire ; Bureau, professeur au Muséum d’histoire naturelle ; Carriot, directeur de l’enseignement primaire de la Seine ; Compayré, député, professeur de faculté des lettres en congé ; Dethomas, député, membre du jury aux expositions de Vienne et de Paris ; Duvaux, député, sous-secrétaire d’État au ministère de l’instruction publique ; de Montmahou, inspecteur général de l’enseignement primaire ; Pécaut, inspecteur général de l’enseignement primaire (hors cadre) ; Rapet, inspecteur général honoraire ; Wolff, astronome à l’Observatoire, professeur à la faculté des sciences de Paris :

MM. Armagnac, chef du 5e bureau de la direction de l’enseignement primaire ; Boniface, chef du 1er bureau de la direction de l’enseignement primaire, Ernest Cadet, chef du 2e bureau de la même direction ; Defodon, bibliothécaire du Musée, secrétaires.

Le Conseil d’administration du Musée pédagogique se réunit en séance ordinaire au commencement de chique trimestre. Le règlement intérieur du Musée et de à Bibliothèque, qui a été le premier objet de ses travaux, a reçu l’approbation du ministre de l’instruction publique le 1er novembre 1881.

Bien avant que le Musée pédagogique n’eût été ainsi constitué officiellement, le retour des Chambres à Paris l’obligeait à quitter les salles du Palais-Bourbon, et, au mois de septembre 1879, il était transféré rue Lhomond, 42, dans des bâtiments qui dépendent de l’ancien collège Rollin, où provisoirement il reçoit, à titre gracieux, l’hospitalité de la ville de Paris.

Ce déménagement, au moment même où les collections étaient à peine formées, et un commencement d’incendie, qui eut lieu le 4 février 1880, ont retardé quelque temps l’installation du Musée et l’admission du public dans les salles de visite et d’étude ; c’est seulement à partir du printemps de 1880 qu’il a été complètement ouvert.

Il est formé de trois parties : le matériel scolaire, la bibliothèque, les collections scientifiques.

La plupart des objets comprenant le matériel scolaire français ont été donnés ou placés en dépôt par les éditeurs ou les fabricants ; les objets de matériel étranger proviennent de l’Exposition universelle ; une salle de dessin comprenant des modèles en relief, des spécimens de stéréotomie, des modèles gravés, et des méthodes, a été récemment disposée.

La Bibliothèque centrale de l’enseignement primaire annexée au Musée pédagogique comprend une section française et une section étrangère.

La section étrangère a été formée en très grande partie des ouvrages de pédagogie et des livres de classe achetés par le ministère ou concédés par les divers gouvernements après l’Exposition. La partie la plus importante de cette section est celle des États-Unis, comprenant une collection complète des documents relatifs à l’instruction publique de l’Union, des livres scolaires de tous les degrés, des albums de travaux d’élèves, etc. Viennent ensuite des séries de livres et travaux scolaires provenant du Canada français et anglais, de l’Autriche, de la Suisse allemande, de l’Italie, de l’Espagne, de la Russie, du Japon.

Environ 700 ouvrages allemands et un certain nombre d’ouvrages anglais ont été, en outre, acquis par le Musée.

La section française, sans compter les publications scolaires périodiques, bulletins des départements et documents émanant des sociétés d’instruction et d’éducation, comprend deux grandes divisions : 1° les ouvrages de pédagogie (pédagogie administrative et historique : lois, plans d’organisation, documents officiels, statistiques, ouvrages d’histoire, de critique et de polémique relatifs à l’enseignement ; pédagogie théorique ou pratique : traités généraux ou spéciaux, manuels pour la direction des maîtres, etc.) ; 2 °les méthodes et livres de toute sorte en usage dans les classes. L’ensemble de la bibliothèque ainsi divisée peut s’élever aujourd’hui à environ 5000 ouvrages (sans compter les doubles, qui, pour les livres de classe, sont fort nombreux), Cette bibliothèque s’est constituée d’abord par un fonds assez important que le ministère a mis à la disposition du Musée lors de sa création, et provenant, en très grande partie, du dépôt légal, puis par d’autres envois du dépôt légal et du ministère, par des dons volontaires que les éditeurs ou auteurs font pour ainsi dire quotidiennement au Musée ; enfin par des achats opérés, aux frais du ministère, soit chez les éditeurs, soit dans les ventes publiques.

L’acquisition de la bibliothèque pédagogique de M. l’inspecteur général honoraire Rapet, faite par l’État, en vertu de la loi du 5 juin 1880, au prix de 45,000 francs, a enrichi le Musée pédagogique d’une collection spéciale à peu près unique au monde. Cette collection, à la formation de laquelle M. Rapet a consacré cinquante années de sa vie, comprend environ 6,000 ouvrages, tant en langue française qu’en langues étrangères, sur toutes les parties de la pédagogie, et dont un grand nombre sont aujourd’hui introuvables. C’est ainsi que l’exposé des motifs du projet de loi présenté à la Chambre des députés mentionnait parmi les richesses de la bibliothèque Rapet : « une collection unique de revues périodiques étrangères dont trois remontent au xviiie siècle, et l’une jusqu’en 1771, et, dans le groupe des documents officiels, une collection plus remarquable encore et qu’on tenterait vainement de reconstituer avec les archives de nos administrations. » Le même rapport mentionnait aussi « d’une manière toute spéciale une suite de 284 ouvrages relatifs à Pestalozzi et à sa méthode, accompagnés de notes du plus haut intérêt. Lors de l’exposition qui fut faite à Zurich, la ville natale de l’illustre pédagogue suisse, on n’avait pu rassembler à grand’peine que 210 ouvrages formant la bibliothèque pestalozzienne. »

Un certain nombre seulement des ouvrages de la bibliothèque Rapet, 1,500 environ, sont aujourd’hui déposés au Musée pédagogique, mais le catalogue général en a été dressé, et la bibliothèque tout entière peut être mise à la disposition des lecteurs.

Depuis le commencement de cette année, en vue d’aider à la préparation des aspirants et aspirantes au professorat et à la direction des écoles normales, à l’inspection des écoles primaires et à celle des écoles maternelles, il a été institué au Musée pédagogique une bibliothèque circulante, comprenant 207 ouvrages choisis parmi les plus propres à guider les candidats. Elle est divisée en trois sections : lettres, sciences et pédagogie.

Sur une simple attestation de l’inspecteur d’académie ou de l’inspecteur primaire, certifiant que la personne qui désire emprunter des livres se prépare réellement à l’un des examens pédagogiques, le Musée adresse gratuitement, dans toutes les parties du territoire français, sous la forme de colis postal, une petite caisse ou un paquet de volumes, dont le poids ne doit pas dépasser cinq kilogrammes. Le délai ordinaire du prêt est de deux mois, et il peut être renouvelé indéfiniment. Le port au retour est seul à la charge des emprunteurs.

Le fonctionnement régulier de la bibliothèque circulante du Musée pédagogique a commencé au mois de février dernier, et déjà, depuis cette époque, plus de trois cents envois ont été échangés entre le Musée et les emprunteurs : instituteurs et institutrices, maîtres adjoints et maîtresses adjointes d’écoles normales, professeurs élémentaires de lycées et de collèges.

Les collections scientifiques sont, comme le dépôt de mobilier et de matériel, en voie de formation. Cependant le Musée possède déjà un modèle très complet de laboratoire de chimie, des collections de produits chimiques, de réactifs, d’ engrais agricoles ; des spécimens d’appareils pour le premier enseignement de la physique et de la chimie dans les écoles primaires ; des instruments types de physique et de météorologie pour les écoles normales ; des appareils de projection ; des échantillons de zoologie, de botanique, d’horticulture, notamment une fort belle série de fruits imités ; des objets d’anatomie réelle et clastique et des tableaux d’enseignement sur toutes ces matières ; une très nombreuse collection de cartes et plans en relief, d’appareils cosmographiques, de globes, de cartes murales, françaises et étrangères, etc., etc.

Ces collections, aussi bien que toutes les autres parties du Musée, s’accroissent par les dons des auteurs, éditeurs ou fabricants, qui ont été agréés par le Conseil d’administration ; par les envois du ministère de l’instruction publique ct des autres départements ministériels, ainsi que par ceux des administrations scolaires de l’étranger ; enfin par les acquisitions que le Conseil d’administration a reconnues utiles.

En vertu de son règlement, le Musée reçoit aussi, à titre de dépôt temporaire, après avis du Conseil d’administration, les livres et les objets d’enseignement sur lesquels les auteurs ou éditeurs veulent appeler l’attention. Il n’est tenu de conserver les livres ou objets déposés dans ces conditions que trois mois au plus à partir du jour de la réception. Ceux qui n’auraient pas été admis par le Conseil d’administration doivent être enlevés par les auteurs ou éditeurs, dans un délai de quinzaine à compter du jour où l’avis leur en a été donné ; ce délai expiré, ils leur sont renvoyés à leurs frais, l’administration ne se considérant pas, d’ailleurs, comme responsable des dépréciations qui pourraient résulter de l’exposition des objets.

C’est le Conseil qui désigne les publications périodiques auxquelles le Musée peut s’abonner ; il en reçoit actuellement 56, dont 25 de langue française ; c’est encore le Conseil qui désigne, le cas échéant, les livres ou objets qu’il y aurait lieu de retrancher des collections[7].

La salle de lecture reçoit, le jeudi et le dimanche, depuis le mois de novembre 1880, d’assez nombreux lecteurs ; quelquefois la place a manqué autour des deux grandes tables qui leur sont destinées.

Les autres jours (sauf le lundi, où les salles sont fermées), le Musée n’admet que les personnes munies de cartes de travail délivrées par son directeur et par le ministère de l’instruction publique (Direction de l’enseignement primaire). Environ 140 de ces cartes ont été délivrées.

En dehors des ouvrages de la Bibliothèque circulante, il peut être, exceptionnellement et sur une autorisation spéciale du directeur, donné communication au dehors des livres de la bibliothèque proprement dite du Musée : ces prêts se sont élevés à 1,200 en chiffres ronds.

Il est tenu un registre des visiteurs ; ce registre compte aujourd’hui 1,500 noms, mais il faut remarquer que les visiteurs habituels n’y sont inscrits qu’une fois ; il faut remarquer aussi que beaucoup de visiteurs négligent l’inscription de leur nom ou refusent même de se prêter à cette mesure, on peut affirmer qu’en moyenne 40 personnes environ par semaine parcourent les salles du Musée. La plupart de ces visiteurs viennent de Paris ; mais il en arrive aussi en assez grand nombre des départements : ce sont, sans parler du personnel scolaire proprement dit, des maires et des conseillers généraux, des architectes, des fournisseurs de mobilier ou de matériel scolaire. Plusieurs étrangers aussi, Américains, Danois, Allemands, Suisses, Russes, Espagnols, Italiens, Portugais, Brésiliens, sont venus visiter les collections ou la bibliothèque.

Ajoutons qu’un noyau important de pièces d’archives, manuscrites ou imprimées, manuscrites surtout, recueillies à diverses époques, et provenant de diverses sources, principalement des enquêtes provoquées par les circulaires de MM. Jules Simon et Batbie, a été réuni au Musée pédagogique, et que le bibliothécaire-adjoint du Musée, M. Charles Sauvestre, est spécialement chargé du récolement et de la classification de ces pièces, dont l’ensemble pourra donner de nouvelles lumières sur la question si controversée des origines et des développements successifs de l’instruction primaire en France.

Ajoutons encore que plusieurs Commissions ont au Musée pédagogique leur point d’appui, et en quelque sorte leur office de renseignements. Ce sont : celle des bâtiments scolaires (spécialement pour le mobilier) ; celle des bibliothèques pédagogiques ; celle des souscriptions pour les cartes et appareils géographiques ; celle de l’enseignement des sciences physiques et naturelles. La direction de l’enseignement secondaire a, en outre, fait déposer au Musée les spécimens divers destinés à l’enseignement des sciences dans les classes élémentaires et les classes de grammaire ; une commission est venue depuis la fin de février dernier, deux fois par semaine, examiner ces objets.

Tel est, dans son ensemble, le Musée pédagogique. Aux yeux de ceux qui l’ont établi, il n’est pas seulement destiné à constituer un centre d’informations sur l’instruction primaire, tant en France qu’à l’étranger, et une exposition permanent de tous les objets servant à l’éducation ; il doit être aussi un foyer de communication entre toutes les personnes qui se préoccupent des intérêts et du progrès des écoles, un organe d’action non seulement pour l’administration supérieure de l’instruction publique dont il émane, mais aussi pour tous ceux qui de près ou de loin peuvent avoir besoin de s’adresser à elle par l’intermédiaire d’une institution assurément respectueuse des prérogatives officielles, mais libre aussi et indépendante dans la mesure de ses attributions, dans celle, plus large encore, de sa compétence. C’est, en particulier, pour faciliter cette action bienfaisante et féconde qu’a été créé le présent bulletin du Musée pédagogique ; c’est aussi en vue du même objet que nous souhaitons en terminant que le Musée reçoive bientôt, par une installation définitive, le complément d’organisation matérielle absolument indispensable à son extension et à sa légitime influence. De quelque reconnaissance qu’ils doivent être animés à l’égard de l’administration hospitalière qui l’a accueilli le jour où il se trouvait sur le point d’être sans asile, ceux qui voudraient le voir à la hauteur de sa situation et de son avenir ne peuvent s’empêcher de reconnaitre qu’il manque au Musée, nous ne dirons pas le luxe ou le confortable, mais même l’absolument nécessaire ; qu’il n’a, par exemple, ni une grande galerie d’exposition, ni une salle de conférences ; qu’il lui serait fort difficile de loger, sans la fractionner, cette bibliothèque Rapet, qui sera longtemps sa plus belle richesse ; que ses autres collections débordent déjà de salles qui ne comportent point un arrangement méthodique des objets, qui chevauchent en quelque sorte les unes sur les autres, où l’espace, l’air et la lumière sont également insuffisants, et dont les visiteurs, passablement déroutés dans les solitudes d’un quartier qui n’est déjà plus le quartier classique, éprouvent toujours quelque peine à apprendre le chemin.


  1. Esquisse et vues préliminaires d’un ouvrage sur l’éducation comparée, etc., par M. M.-A. Jullien, de Paris, in-8o de 56 p., Paris, L. Colas, 1817.
  2. Conférences, 3 vol. in-12, 1879. Hachette et Cie, 1re partie.
  3. Bulletin administratif, année 1872, n° 279, p. 193, 6 mai.
  4. Bulletin administratif, année 1872, n° 297, p. 893, 31 décembre.
  5. Bulletin administratif, année 1873, n° 306, p. 312, 26 mai.
  6. Bulletin administratif, année 1873, n° 312. p. 547, 30 août.
  7. Art. 4, 5 et 6 du Règlement.