Le Musée assyrien du Louvre

Le Musée assyrien du Louvre
Revue des Deux Mondes, période initialetome 20 (p. 447-467).


LE


MUSEE ASSYRIEN


DU LOUVRE.




I.

Il y a trois ans à peine, on ne connaissait de l’antique capitale du royaume d’Assyrie que l’emplacement et le nom. À ce nom se rattachaient quelques récits bibliques, quelques assertions merveilleuses des historiens de l’antiquité : on refusait aux unes toute croyance, on n’opposait aux autres que des commentaires, espèce d’arme à deux tranchans, qui, maniée avec adresse, élague ou effleure à volonté. Sur l’emplacement même de la cité assyrienne, on n’avait rien trouvé que les traces d’une enceinte assez resserrée et quelques amas de briques, vestiges informes d’édifices indéfinissables. On avait donc renoncé à l’espérance de soulever le voile impénétrable depuis si long-temps étendu sur la civilisation de l’Assyrie, lorsqu’une de ces découvertes presque miraculeuses, dont notre siècle pourra s’enorgueillir à bon droit, est venue déchirer ce voile importun et nous reporter d’un bond au cœur de cette civilisation éteinte. Et maintenant peut-on avec la même assurance accuser Diodore de Sicile d’exagération ridicule ? Doit-on chercher encore dans les textes sacrés des expressions élastiques qui permettent d’en éluder le sens grammatical ? Cela est devenu à peu près impossible, car, une fois de plus, un fait inattendu a. prouvé que

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

Aujourd’hui, grace à la munificence du gouvernement français, Paris possède un somptueux musée assyrien ; l’Angleterre a ordonné des fouilles destinées à doter Londres d’un musée analogue : nous savons donc à quoi nous en tenir sur l’existence d’une société passée presque à l’état mythologique sous la plume des historiographes modernes. Toute une civilisation, d’autant plus intéressante qu’elle était morte depuis plus long-temps, s’est révélée à nous ; des pages entières de l’histoire d’un peuple illustre ont été sauvées du naufrage des temps ces pages, on les lira, car des hommes de cœur se sont mis à l’œuvre, et bientôt sans doute Ninive sortira resplendissante de son linceul de cendres. Pour mieux faire apprécier l’importance des monumens conquis par le courage si éclairé de M. Botta, consul de France à Mossoul, il est nécessaire de rappeler ici en quelques mots ce que l’Écriture et les historiens de l’antiquité nous ont appris sur la naissance du royaume d’Assyrie et sur les principales phases de son histoire.

En face de Mossoul et sur la rive orientale du Tigre s’étend une plaine, traversée par la rivière nommée aujourd’hui Khausser : c’est là qu’était Ninive. Quelle fut la race humaine qui fonda l’empire assyrien ? Sur ce point, nous avons le témoignage irrécusable de l’Écriture sainte, et nous lisons dans la Genèse : « Les fils de Sem furent Helam et Assur. Les fils de Cham furent Chus, Mizraïm, Phuth et Chanaan. Et Chus engendra Nimrod ; Babel fut la capitale de son royaume. Assur sortit de cette terre (la terre de Sennaar), et il bâtit Ninive. » Ces passages sont d’interprétation facile. Assur est fils de Sem ; Assur, c’est le père de la race assyrienne : cette race était donc sémitique. Nimrod, le fort chasseur devant le Seigneur, était fils de Chus, fils de Cham, c’est-à-dire qu’il représente la race arabe éthiopienne ou chamique envahissant le pays d’Assur et y fondant un empire dont Babel ou Babylone fut la capitale. Alors Assur, le Semite, chassé de la terre de Sennaar, fonda Ninive. L’Écriture n’ajoute malheureusement aucune explication à ce simple exposé des faits. D’après la Genèse, nous pouvons bien admettre comme certaine l’existence de quelque grande révolution guerrière où deux races humaines furent en présence sur le même sol, mais nous manquons de détails suffisans pour apprécier les causes et les effets de cette révolution.

Les historiens profanes ne sont pas plus explicites : ils nous disent, que l’Assyrien Ninus, fils de Bélus, chassé probablement de la contrée où les Kuschites venaient de s’établir par la force, s’empara du pays situé au nord de la Babylonie, et y fonda sur les rives du Tigre un nouvel empire dont la capitale fut Ninive. Il est permis d’admettre que l’empire de Babylone fut fondé 2500 ans environ avant l’ère chrétienne ; c’est donc à la même époque que doit être assignée la fondation de Ninive. Quelques siècles plus tard (2000 ans à peu près avant Jésus-Christ), et sous le règne de Ninus et de Sémiramis, sa femme, les empires de Ninive et de Babylone furent réunis sous un même sceptre, et les deux états n’en firent plus qu’un, jusqu’au moment où, pour se soustraire à la vengeance de ses satrapes révoltés, Sardanapale se donna la mort sur un bûcher (800 ans environ avant Jésus-Christ).

Ce n’est qu’à partir de cette époque, assez rapprochée de l’ère chrétienne, que l’histoire assyrienne commence à se dégager des brouillards mythologiques. Le canon des rois de Chaldée, que Ptolémée nous a conservé, et qui fut certainement l’œuvre des sages astronomes chaldéens, doit être rangé parmi les documens historiques les plus précieux. Cette liste chronologique semble en effet mériter toute confiance. Le canon de Ptolémée commence par Nabonassar, qui en prescrivit la rédaction, et qui voulut en outre que toutes les données historiques relatives à la Chaldée commençassent à être datées de son règne. L’Écriture nous apprend que, vers la même époque, Ninive eut successivement pour rois Theglath-Phalasar et Salmanasar. Les souverains de la Babylonie, apparemment vassaux des rois assyriens de Ninive, essayèrent de se soustraire à leur suprématie et s’allièrent avec les rois de Juda pour faire face à l’ennemi commun. Mérodach Baladan s’unit à Ézéchias contre le roi de Ninive. Celui-ci triompha de cette coalition, et, quelques années plus tard, Asarhaddon, le fils du roi assyrien Sennakhérib, fut mis par son père sur le trône de Babylone, dont la couronne se trouva ainsi réunie, avec celle de Ninive, sur la même tête. Un peu plus tard, une nouvelle coalition contre Ninive est formée par les Mèdes et par les Chaldéens. Cyaxare, roi des Mèdes, se présente devant Ninive, dont un nouveau roi, du nom de Sardanapale, occupe le trône. Il est vaincu et il périt comme le premier dans les flammes de son palais. Ninive est réduite en cendres et elle tombe pour ne plus se relever jamais (626 ans avant Jésus-Christ). Le siège de l’empire est transféré à Babylone. Nabopolassar et son fils, Nabuchodonosor, occupent successivement le trône, qu’ils entourent de puissance et de gloire. Les Chaldéens deviennent à leur tour conquérans ; les Égyptiens et leur roi Nechao sont refoulés loin de l’Euphrate ; les Juifs, toujours battus, toujours révoltés, sont emmenés en captivité à Babylone dans l’année 588 avant Jésus-Christ ; l’Égypte elle-même est envahie. À son retour, Nabuchodonosor fait bâtir une seconde Babylone, en face de la première et sur la rive droite de l’Euphrate. Tout ce que l’imagination peut enfanter de plus merveilleux, il le fait exécuter dans cette somptueuse capitale, qui frappait encore d’admiration Hérodote et Ctésias, malgré les dévastations que lui avait fait subir l’invasion des Perses.

A Nabuchodonosor succéda, en 561, son fils Evilmerodach, qui périt deux années plus tard, assassiné par son beau-frère Neriglissor. Cet usurpateur ne garda la couronne que quatre années, au bout desquelles il la perdit avec la vie dans une bataille contre Cyrus, roi des Perses et des Mèdes. Alors son jeune fils, Laborosoarchod, monta sur le trône, mais il en descendit presque aussitôt, chassé par ses ministres, indignés de ses cruautés. Nabonid, le Labynitus d’Hérodote et le Baalthasar de l’Écriture, lui fut substitué. Après son expédition contre les Lydiens, Cyrus, qui avait appris déjà le chemin de Babylone, revint sur l’Euphrate. Nabonid essaya vainement d’arrêter la marche du conquérant ; il fut battu et courut s’enfermer dans sa capitale, qu’il croyait imprenable. Cyrus alors détourna les eaux du fleuve, et, par son lit mis à sec, il pénétra dans Babylone au moment où, suivant le récit du prophète Daniel, une main mystérieuse écrivait sur les murs de la salle du festin les trois mots terribles manè, thecel, phares, dont la vue seule brisa les reins de Baalthasar. Babylone une fois prise (538 avant Jésus-Christ), de l’empire chaldéen il ne resta plus qu’un nom illustre.

Parmi les faits que nous venons de grouper le plus brièvement possible, il en est de certains, mais il en est aussi de fort douteux. Ne nous attachons donc qu’aux données historiques qui nous permettent de conjecturer l’époque où furent construits les monumens découverts par M. Botta. Ninive périt en 626 avant Jésus-Christ : à partir de cet effroyable désastre, elle ne se releva plus, et quatre-vingt-huit ans plus tard Babylone elle-même devint la proie de Cyrus. Comme l’écriture cunéiforme persépolitaine se retrouve à la place d’honneur dans tous les monumens écrits, bilingues ou trilingues, que nous possédons sur la dynastie des Achéménides, à laquelle appartient le conquérant de Babylone, nous pouvons être assurés que tout monument que l’on découvrira en Chaldée, soit à Babylone, soit à Ninive, sans adjonction d’une traduction persépolitaine des textes écrits, sera antérieur à la conquête persane, c’est-à-dire à l’année 538 avant notre ère. De cette remarque toute simple et toute naturelle il résulte que le palais de Khorsabad, découvert par M. Botta, est de construction antérieure à la conquête de Cyrus, et très probablement aussi à la destruction de Ninive par Cyaxare en 626 avant l’ère chrétienne.

Il serait inutile de revenir ici avec de grands détails sur les circonstances qui ont précédé et en quelque sorte préparé la magnifique découverte de M. Botta[1] ; quelques mots suffiront. Le propre des esprits d’élite est de mettre toujours à profit les circonstances dans lesquelles ils se trouvent, dès que ces circonstances leur semblent favorables au développement des connaissances humaines. Placé par ses honorables fonctions à côté de cette Ninive dont le nom avait tant de fois émerveillé son enfance, poussé par une espérance que peut-être il regardait lui-même comme chimérique, M. Botta entreprit des fouilles dans l’enceinte signalée par les voyageurs anglais comme l’enceinte de la ville[2]. N’y trouvant que des briques et des débris informes, il eût sans doute renoncé à tenter plus long-temps la fortune, qui semblait lui échapper, lorsque le hasard vint le décider à porter ses ouvriers sur un point assez éloigné de cette enceinte, au village de Khorsabad. Ce village était bâti sur une éminence de terrain, à la pointe nord-ouest de laquelle les ouvriers furent mis à l’œuvre, et dès le premier jour M. Botta était maître de l’une des plus admirables découvertes des temps modernes. Il s’empressa d’en faire part au monde savant. Malheureusement l’édifice somptueux dont notre consul explorait les ruines avait évidemment péri dans un violent incendie. Les murailles, formées d’épais massifs de briques crues, étaient toutes primitivement revêtues de plaques de gypse couvertes partout de bas-reliefs et d’inscriptions cunéiformes. Or, la nature même de ces plaques de revêtement en rendait la conservation presque impossible ; dès qu’elles étaient exposées au contact de l’air, elles se délitaient avec une rapidité désespérante, et, à mesure que les fouilles avançaient, tout ce qui avait été précédemment découvert s’anéantissait. M. Botta voyait donc lui échapper le fruit de ses patientes recherches ; mais la nécessité et la volonté sont deux professeurs excellens, et le savant consul essaya de dessiner les bas-reliefs assyriens que les ouvriers mettaient au jour, à mesure qu’ils étaient tirés de terre. Nous n’avons pu nous défendre d’un sentiment d’admiration à la vue des copies de reliefs et d’inscriptions que nous devons au crayon de M. Botta. Il ne savait pas dessiner, et pourtant, en quelques jours d’application persévérante, il parvint à se mettre en état de rendre, avec toute l’exactitude et tout l’esprit désirables, des sujets dont il était certainement très difficile de saisir aussi bien le caractère.

Cependant les ressources de M. Botta s’épuisaient ; la dextérité nécessaire lui manquait pour prendre, avec les copies des inscriptions, des dessins suffisamment exacts au fur et à mesure des découvertes. Il s’adressa donc au gouvernement, et l’Académie des inscriptions et belles-lettres, que la découverte de Khorsabad intéressait au plus haut point, s’empressa de solliciter le patronage des ministres du roi. Sa demande fut favorablement accueillie ; des fonds suffisans furent mis à la disposition de M. Botta, et un jeune artiste de talent éprouvé, déjà préparé d’ailleurs au genre de travail que l’on attendait de son zèle par de longues études sur les monumens de Persépolis, qui sont parfaitement analogues à ceux de Ninive, M. Flandin, reçut la mission d’aller dessiner, sous la direction de M. Botta, les antiquités de toute nature qui se découvriraient dans les fouilles de Khorsabad. Après quelques retards dont il importe peu de rappeler ici les causes, ces fouilles furent reprises pour ne plus être abandonnées, jusqu’au moment où toute la partie supérieure du monticule sur lequel avait existé le village moderne de Khorsabad fut pour ainsi dire rasée. Ce monticule n’était en effet que le cercueil de terre d’un immense palais qu’il recélait dans ses flancs, et que les fouilles dirigées par M. Botta ont presque entièrement exhumé. Nous l’avons dit, ce palais avait été ruiné par un incendie ; de là la destruction rapide des plaques de gypse servant de revêtement aux épaisses murailles de terre, qui, n’étant plus soutenues, finirent en se délitant par former le monticule même dans lequel les parties inférieures du palais restèrent enfouies. On ne pourrait mieux comparer l’état dans lequel s’est trouvé ce palais ninivite qu’à celui dans lequel se retrouvent encore les rez-de-chaussée des maisons de Pompéi, enterrés dans quelques pieds de lapilli ou petites pierres ponces auxquelles s’est superposée une très épaisse couche de cendres ; toutefois il faut faire observer que, dans certaines parties du palais, les plaques de revêtement avaient été enlevées ou martelées depuis l’incendie. Le plan presque entier du palais a pu se reconstruire à mesure que l’on pénétrait dans les salles immenses qui l’avaient jadis orné. Presque partout les murailles, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, étaient encore revêtues de plaques de gypse de très grandes dimensions, de 30 à 35 centimètres d’épaisseur moyenne, et représentant des figures plus grandes que nature de dieux, de prêtres, de rois, de guerriers, d’eunuques ou de captifs ; ailleurs, c’étaient des scènes de toute espèce, des attaques de villes fortifiées, des débarquemens, des combats, des triomphes, des chasses, des festins. Où les figures en relief n’étaient pas d’assez forte dimension pour garnir toute la hauteur de la paroi, on voyait deux rangs de bas-reliefs superposés et séparés constamment par une assez, large zone d’inscriptions cunéiformes sans aucun doute explicatives, et formées d’une dizaine de lignes régnant sur toute l’étendue de ces doubles bas-reliefs. Toutes ces sculptures avaient été peintes, il n’était pas possible d’en douter. Enfin de nombreuses portes extérieures du palais furent mises à découvert, et que l’on juge de la joie de M. Botta quand il reconnut que ces portes, constamment construites sur le même plan, avaient pour pieds-droits, comme à Persépolis, de gigantesques taureaux ailés à face humaine, d’un seul bloc d’albâtre, hauts de plus de cinq mètres, et la tête recouverte d’une riche tiare ! Derrière ces taureaux se trouvaient d’autres colosses également monolithes, et représentant des hommes étouffant des lions.

L’importance même de ces découvertes augmentait la difficulté de la tâche que MM. Botta et Flandin s’étaient imposée. Le premier s’en réserva la partie la plus délicate, c’est-à-dire l’estampage et la copie de tous les textes cunéiformes découverts ; le second fut chargé de dessiner tous les bas-reliefs. Tous les deux se sont dignement acquittés de leur mission, et déjà la publication du magnifique ouvrage, fruit de ce double travail, est arrivée à un point qui donne la plus haute idée du service que les sciences philologiques et historiques sont en droit d’attendre des efforts réunis de MM. Botta et Flandin.

On comprend avec quelle ardeur on désirait voir arriver à Paris les débris de ce somptueux palais. Il fallait donc tenter d’en sauver quelques-uns ; pour le faire, M. Botta dut se créer toutes les ressources qui lui manquaient. Voulant d’abord assurer au musée assyrien de Paris la possession de l’une des portes merveilleuses du palais, il fut obligé de faire construire un chariot de transport qui permît de conduire les blocs jusqu’au bord du Tigre ; mais il était impossible de songer à effectuer une pareille manœuvre sur des masses aussi considérables que celles des colosses ninivites. Force fut donc de se décider à les dépecer à la scie en tronçons maniables. Cette opération fut exécutée sous l’active surveillance de M. Botta ; mais il eut la sage précaution de faire enterrer intacts quelques colosses du même genre, afin que l’on pût, si le gouvernement du roi le désirait, faire arriver à Paris quelques-unes de ces magnifiques sculptures entièrement vierges des mutilations nécessitées alors par l’insuffisance des ressources.

Aujourd’hui que ces débris sont placés au Louvre, et que l’on a reconstruit les colosses, en en rajustant les morceaux avec un soin qui fait honneur au talent des hommes chargés de ce travail, nous pouvons nous reporter par la pensée en face de ce palais de Khorsabad, de cette véritable ville peuplée d’un monde de colosses et de figures en relief, couverte de textes sacrés et historiques, et cela avec une telle profusion, qu’il n’y a pas une des plaques de revêtement qui ne porte au revers une longue inscription destinée pourtant à être noyée dans la maçonnerie. Que doit-on penser d’un peuple dont la capitale contenait assez d’artistes pour exécuter en peu d’années, avec un ensemble inoui de style et d’art, une œuvre aussi gigantesque ? Nous avons dit en peu d’années, car des monticules semblables à celui de Khorsabad couvrent la plaine de Ninive autour de cette enceinte que l’on croyait avoir enclos la ville elle-même, et qui n’est, tout bien considéré, que l’enceinte d’un palais un peu plus grand que les autres. Ces monticules merveilleux, qui recèlent des palais, sont fort multipliés dans la plaine de Ninive, et déjà un Anglais, M. Layard, a fait exécuter des fouilles au sein du monticule de Nemroud, situé à douze heures de marche de Khorsabad et à l’embouchure du Zab dans le Tigre. Deux nouveaux palais ont été mis, au jour : l’un, de la même époque vraisemblablement que celui de Khorsabad, a été, comme ce monument, ruiné par un incendie ; l’autre a péri de vieillesse, et cela est si vrai, que les plaques de gypse qui avaient servi à revêtir ses antiques murailles ont été, quand ce palais tombait de vétusté, reprises pour être employées aux revêtemens du palais neuf ; par économie de temps, on s’est borné à les retourner, en engageant dans la maçonnerie en brique crue les bas-reliefs primitifs. Ainsi donc, à Nemroud, M. Layard a retrouvé un palais mort sur pied de vieillesse, et dont les débris ont servi à reconstruire le palais moderne, qui date lui-même de six siècles au moins avant l’ère chrétienne. Dans le palais moderne de Nemroud, même arrangement qu’à Khorsabad, même système de bas-reliefs et d’inscriptions. Dans l’autre palais, que le feu n’avait pas anéanti, ont été retrouvés des fragmens nombreux d’armes et d’ustensiles en bronze et en ivoire, dont l’étude pourra servir à pénétrer plus avant dans cette civilisation assyrienne qui se révèle à nous après tant de siècles d’oubli. Une des plus belles conquêtes de M. Layard est une sorte d’obélisque de pierre noire et dure, parfaitement conservé et haut de quelques mètres. Sur les quatre faces de cet obélisque sont représentées des scènes guerrières, dans lesquelles figurent des animaux qui ne se retrouvent que dans l’Inde. Des textes cunéiformes accompagnent ces représentations, et ces textes, qu’on lira un jour, serviront sans doute à reconstruire quelques belles pages de l’histoire assyrienne. Déjà Londres a reçu un certain nombre de bas-reliefs enlevés au palais de Nemroud par M. Layard ; tous sont d’une admirable conservation, et ils sont à bon droit mis au rang des plus précieux ornemens du British Museum, où tant de trésors étaient déjà accumulés.

Le musée assyrien du Louvre, après avoir été ouvert aux curieux pendant quelques journées du mois de mai dernier, sera dans quelques semaines définitivement livré au public. Deux salles du rez-de-chaussée ont été consacrées à recevoir tout ce qui a été rapporté de Khorsabad. Embarquées d’abord sur des keleks, sorte de frêles radeaux soutenus par des outres gonflées, à l’aide desquels se font tous les transports sur le Tigre, les caisses contenant ces précieux débris ont été conduites à Bassora, où un bâtiment de la marine royale est allé les chercher par un ordre exprès du roi. Vers le commencement de l’année 18147, ce bâtiment arrivait au Havre, et, peu de semaines après, toutes les caisses étaient transportées au Louvre.

Dans la première salle, les quatre murailles ont été revêtues de larges encadremens en maçonnerie, dans lesquels des bas-reliefs sont venus prendre place. Quelques-uns de ces bas-reliefs ont malheureusement subi l’action dévorante du feu : ce sont ceux qui représentent des scènes maritimes. De nombreux bâtimens, conduits à la rame, transportent de fortes pièces de bois qui semblent destinées à servir à l’attaque d’une place forte construite sur un rocher. Des animaux aquatiques de toute espèce sont sculptés sur le champ de ces bas-reliefs : ce sont des crabes, des crocodiles, des serpens, des poissons et des coquilles. Parmi ces monumens, il en est un qui présente l’image du dieu poisson, ou de Dagon ; sur un autre paraît un taureau ailé, animal symbolique, ou, plus vraisemblablement, image d’une divinité assyrienne ; sur un troisième, des matelots tirent au rivage des pièces de bois, et il n’est pas possible de méconnaître dans le dessin de ces figures un mouvement très bien senti et très énergique[3]. On remarque dans la même salle un bas-relief représentant trois guerriers dont les deux premiers conduisent des chevaux bien campés et très convenablement dessinés. On est frappé tout d’abord de l’extrême ressemblance de ces chevaux avec ceux que l’on retrouve sur les sculptures grecques de l’époque archaïque. Les guerriers assyriens, tenant à la main des javelines, ont les épaules et les reins couverts d’une peau de mouton ; une tunique leur entoure le corps, et leurs chaussures, à pointe relevée comme les chaussures indiennes, sont lacées sur le devant de la jambe. Chacun d’eux porte suspendu à la ceinture une sorte de petit sachet elliptique dont il est fort difficile de deviner l’usage. Ce bas-relief était surmonté d’une longue inscription cunéiforme, malheureusement endommagée.

Au-dessous de ce précieux morceau de sculpture est encastré un fragment de pierre noirâtre beaucoup plus dure que le gypse, et offrant la partie inférieure d’un personnage qui tient à la main un triple bouton de lotus. Devant lui s’élève une plante mystique, sans doute le homa ou le soma, cette herbe divine qui joue un si grand rôle dans les rites religieux de l’Inde, je dirai presque de l’Asie entière.

En face de ces deux bas-reliefs, on a placé une énorme plaque de revêtement sur laquelle paraissent deux guerriers assyriens transportant à l’épaule un char de guerre, faisant peut-être partie du butin enlevé à l’ennemi. Ce char, dont le corps s’élève verticalement, est exactement construit comme tous les chars de guerre égyptiens sculptés à Karnak et à Medinet-Abou, c’est-à-dire que l’essieu se trouve placé à la partie postérieure de la plate-forme sur laquelle se tenaient debout l’homme de guerre et le cocher qui guidait les chevaux. Cette étrange disposition des chars paraît avoir été universellement adoptée, puisqu’on la retrouve en Égypte et à Persépolis, à plusieurs siècles de distance ; probablement elle fut empruntée par les Assyriens aux Égyptiens, puisque les monumens thébains, sur lesquels on la retrouve clairement indiquée, datent de cinq siècles peut-être avant la construction du palais de Khorsabad.

En pénétrant dans la seconde salle du musée assyrien, on se sent saisi d’admiration à la vue de l’une des portes colossales du palais que l’on a reconstruite avec un très grand soin. Il est impossible de se faire une idée exacte de l’effet prodigieux que produisent ces énormes taureaux ailés à face humaine qui se trouvent placés à droite et à gauche de la porte. Les proportions en sont réellement magnifiques, et les parties du corps sont toutes accusées avec un soin qui dénote une étude fort attentive et fort avancée de la nature. Les muscles sont bien sentis, les tendons et les veines sont exprimés avec justesse, et le tout est ciselé avec un talent réel. Les têtes sont d’un beau caractère, et la coiffure affecte une forme très noble : c’est une tiare cylindrique ornée de belles rosaces, et de laquelle s’échappe une ample chevelure bouclée. Une triple corne monte de part et d’autre de la tiare ; la barbe même est frisée en petites boucles très multipliées, qui lui donnent, comme à la chevelure, ce caractère tout particulier qu’on remarque dans les monumens persépolitains. Les vastes ailes de ces colosses tapissent les parois intérieures de la baie à laquelle ils servent de pieds-droits. Entre les jambes des taureaux sont gravés avec une délicatesse extrême de longs textes cunéiformes d’une conservation parfaite.

L’espace n’ayant pas permis de placer les deux colosses humains à côté des taureaux ailés qu’ils accompagnent constamment, on a dû les appliquer en retour aux massifs de maçonnerie formant les pieds-droits de la porte reconstruite au Louvre. Ces énormes statues ne sont pas moins curieuses que celles que nous venons de décrire. Que l’on se figure des géans de quinze à dix-huit pieds de haut, la tête et le corps de face, tandis que les jambes sont sculptées de profil et en marche vers les taureaux auprès desquels ils sont placés. De la main droite, ils tiennent une arme tranchante fortement recourbée et à la poignée ornée d’une tête de génisse ; de la main gauche, ils serrent la patte gauche antérieure d’un lion qu’ils étreignent contre leur poitrine, en l’étouffant sous la pression de leurs bras. La douleur et les crispations de l’animal sont rendues avec une admirable énergie. Nous ne craignons pas de le dire, les muffles des lions du Parthénon n’étaient pas plus puissamment conçus et exécutés que ceux de Khorsabad. Les colosses ont la chevelure et la barbe artistement tressées comme les têtes humaines des taureaux ailés ; comme eux, ils portent d’élégans pendans d’oreille. Leurs bras sont ornés de bracelets massifs d’un beau dessin et terminés par des têtes de lion. Il faut le dire néanmoins, l’aspect général de ces figures est choquant, par suite de la malheureuse disposition des jambes de profil avec un corps entièrement de face. Les proportions d’ailleurs paraissent un peu écrasées, et, dans les formes de ces corps gigantesques, il n’y a rien de svelte, rien de dégagé, par conséquent rien d’élégant. Il n’en est pas moins vrai que certaines parties sont traitées avec un talent incontestable ; les muscles des bras et des jambes, les genoux, les pieds surtout, sont parfois à peu près irréprochables, et ne seraient désavoué, par aucun artiste. A droite et à gauche de ces colosses sont encastrés dans la maçonnerie de charmans petits bas-reliefs représentant, sans aucun doute, des divinités assyriennes reconnaissables à leurs quadruples ailes. L’une d’elles a une tête d’aigle, et il nous paraît très vraisemblable qu’elle nous offre l’image vulgaire du Nesrokh, l’aigle tout-puissant, divinité primordiale de la théogonie assyrienne, le prototype de l’oiseau fabuleux des contes arabes, de cet aigle gigantesque qui a conservé le nom de Rokh, finale du nom primitif de la divinité oubliée.

Dans la seconde salle du musée assyrien a été aussi placé un autel de pierre à table circulaire, supportée par un pied prismatique dont les trois arêtes se terminent en griffes de lion. La circonférence extérieure de la table est occupée par une inscription cunéiforme du même système d’écriture qui se retrouve dans tous les textes recueillis à Khorsabad. Sans la présence de cette inscription, l’autel, bien que déterré à Khorsabad même, mais non dans le palais que recouvrait ce misérable village, pourrait presque être considéré comme un ouvrage grec. Au-dessus de cet autel a été placé l’un des monumens les plus précieux de l’art assyrien. C’est un lion de bronze couché à plat ventre, et dont le dos est garni d’un fort anneau circulaire. Ce lion, qui a été retrouvé scellé sur le seuil d’une porte intérieure du palais, est tout simplement un chef-d’œuvre de plastique. Cette figure, admirablement modelée et exécutée, a d’ailleurs plus de quarante centimètres de long, et un bronze antique de cette dimension est bien précieux lorsqu’il décèle un art aussi avancé à une époque aussi reculée. Quel pouvait être l’usage de ces lions, dont M. Layard a retrouvé, dit-on, un certain nombre dans l’un des palais assyriens de Nemroud ? Nous ne saurions le préciser. Néanmoins il nous semble vraisemblable que l’anneau que supporte le lion de Khorsabad servait à attacher quelque tapisserie faisant fonction de portière, d’autant mieux que dans une des parois de la porte se trouvait scellé un anneau de bronze semblable.

Des bas-reliefs généralement bien conservés représentent ici des eunuques imberbes et aux formes rebondies, revêtus de longues robes talaires, les pieds chaussés de sandales attachées par un seul cordon à l’orteil, s’avançant, les deux mains horizontalement croisées, paume contre paume, en signe de soumission, et portant des épées suspendues au flanc gauche par d’élégans baudriers. Là c’est un soldat assyrien soutenant sur ses épaules un char orné à droite et à gauche de charmantes figures de cheval. Devant lui marche un autre soldat portant deux vases terminés en muffle de lion, et qui probablement font, ainsi que le char, partie du butin enlevé à l’ennemi. Plus loin, un personnage royal, reconnaissable à son air d’autorité et à son long sceptre, a la tête recouverte d’un bonnet conique tout-à-fait semblable à la coiffure actuelle des Persans. Il harangue un guerrier tourné vers lui et faisant des deux mains un geste de soumission. Plus loin encore, deux eunuques portent sur leurs épaules une table aux pieds élégamment façonnés en griffes de lion, et qui semble destinée à figurer dans un festin. Un autre eunuque porte deux vases ronds contenant peut-être les mets qui doivent paraître sur la table du banquet.

Sur un bas-relief bien plus curieux encore, paraît un personnage divin aux ailes quadruples, la tête coiffée d’une tiare tricorne et surmontée d’une véritable fleur de lis[4]. Il porte en avant de la main droite une pomme de pin, tandis que de la main gauche il tient un vase destiné sans doute à contenir de l’eau. Il paraît évident que nous avons là l’image de quelque divinité analogue à l’Ormuzd des Perses, octroyant à l’homme les deux principes essentiels, c’est-à-dire le feu et l’eau, le feu représenté par la pomme de pin, l’eau par le vase qui la contient. Devant cette divinité sont placés deux personnages faisant de la main droite le signe de l’invocation religieuse ; l’un d’eux porte de la main gauche un bouquetin destiné probablement à être sacrifié sur l’autel de la divinité invoquée, l’autre tient de la même main un triple bouton de lotus. Un des bas-reliefs placés dans la même salle nous montre un guerrier assyrien armé d’un arc, d’un carquois, d’une épée et d’une véritable masse d’armes. Sur un autre un soldat conduit plusieurs chevaux marchant de front. Enfin deux ou trois fragmens, malheureusement fort incomplets, appartiennent évidemment soit à des guerriers costumés comme ceux que nous avons décrits, soit à des représentations de la même divinité protectrice.

Toutes ces sculptures étaient incontestablement recouvertes de peinture, sans aucune exception. Les traces en sont trop multipliées et trop apparentes pour qu’il soit permis d’élever le moindre doute à cet égard. Ce fait nous rappelle que lorsque M. Texier, à son retour de Persépolis, avança qu’il croyait avoir reconnu quelques faibles traces de peinture sur les bas-reliefs de ces ruines somptueuses, on se récria d’une voix presque unanime contre l’invraisemblance d’un pareil fait. L’observation fort juste de M. Texier fut reléguée au rang des plus déplorables hypothèses, et voilà que les ruines du palais de Khorsabad sont venues, quelques années plus tard, donner à cette hypothèse toute la valeur d’un fait parfaitement avéré. Il y a plus, la Perse moderne est couverte de mosquées et de palais où les carreaux émaillés jouent un très grand rôle, et surtout un rôle d’un effet merveilleux ; il est également démontré aujourd’hui qu’au-dessus des plaques de gypse sculptées et peintes du palais de Khorsabad régnait une zone de carreaux émaillés d’une hauteur qu’il n’est pas possible de fixer et à laquelle se rattachait un cordon d’oves striés, peints en jaune, et faisant probablement fonction de corniche. Quant aux plafonds, ils étaient en bois et peints en bleu, à en juger par les charbons et les poutres calcinées qui ont été retrouvés dans les fouilles, mélangés avec de nombreux fragmens d’un enduit, bleu fort épais. Tous ces faits sont parfaitement constatés par les débris que M. Botta a recueillis et dont il a rapporté de précieux échantillons — qui seront nécessairement réunis au musée assyrien du Louvre.

Ne semble-t-il pas, en effet, que tout ce qui provient des fouilles de Khorsabad devrait y avoir déjà pris place ? À ce sujet, nous demanderons comment il se fait que trois figurines de terre cuite représentant, l’une un personnage barbu à tête de lion, les deux autres des dieux barbus, la tête armée de cornes et ayant une queue et des jambes de taureau, sont allées au cabinet des antiques de la Bibliothèque royale, avec un scarabée assyrien, avec des sceaux en terre cuite et avec une tête d’enfant. Nous n’hésitons pas à le dire, telle ne saurait être la destination de ces figurines, et nous ne pourrions en aucune façon comprendre qu’on voulût appliquer une fois de plus le déplorable système qui dissémine en vingt établissemens publics les objets qui, par leur nature, devraient être rapprochés les uns des autres, pour conserver toute leur valeur collective. Nous aimons donc à croire que les figurines de Khorsabad iront bientôt rejoindre les bas-reliefs et le lion du musée du Louvre ; ces objets ont été trouvés ensemble, et c’est ensemble qu’ils doivent être conservés et étudiés.

Tout le palais dont les précieux débris ornent aujourd’hui le musée assyrien était bâti sur une aire formée d’un seul rang de briques fort dures et portant des inscriptions ; au-dessous se trouvait un lit de sable du Tigre, de dix pouces d’épaisseur, étendu sur un massif de briques disposées sur plusieurs rangs reliés entre eux par du bitume. Enfin. tous les seuils des portes intérieures étaient couverts d’une dalle de pierre sur laquelle était gravé un texte cunéiforme très développé, dont les creux paraissent avoir été garnis primitivement de cuivre, à en juger par les nombreuses traces d’oxide vert qui s’y remarquent encore.


II.

Il nous reste maintenant à parler de la portion la plus précieuse à notre avis des trésors découverts à Khorsabad : on devine que nous voulons désigner ainsi les nombreuses inscriptions cunéiformes rencontrées dans ce somptueux palais et dont le déchiffrement doit infailliblement jeter tant de lumière sur l’histoire encore si obscure de l’empire assyrien. Ces inscriptions à Khorsabad se partagent en plusieurs classes bien distinctes : 1° celles qui se lisent au revers des plaques de revêtement ; 2° celles qui se lisent sur les seuils des portes intérieures ; 3° celles qui se lisent entre les jambes des taureaux à face humaine ; 4° celles qui servent incontestablement de commentaires aux innombrables bas-reliefs qui décorent les faces de toutes les murailles ; 5° enfin celles qui se lisent sur les bas-reliefs mêmes.

Les inscriptions de la quatrième catégorie contiennent très probablement des narrations suivies dont la possession serait d’un prix inestimable ; mais il n’est guère possible de commencer l’œuvre de déchiffrement en abordant des textes aussi étendus, malgré le secours des faits figurés que ces textes accompagnent. Il y aurait plus de chance de deviner la valeur des noms de villes et de personnages que l’on voit inscrits sur les bas-reliefs mêmes ; mais où l’on est réduit à ne marcher qu’à l’aide de la seule divination, il est bien à craindre que l’on ne s’égare. Les textes inscrits entre les jambes des taureaux sont peut-être des textes religieux ; on peut le supposer du moins en tenant compte de l’adjonction de ces textes à des représentations d’êtres éminemment symboliques et religieux. Ne semble-t-il pas que les textes inscrits sur les seuils de toutes les portes doivent contenir quelque invocation en faveur du souverain maître du palais, quelque chose comme une prière en son honneur, ou comme un éloge pompeux des vertus du monarque devant lequel on va paraître en franchissant ce passage ? Restent les inscriptions gravées, assez négligemment d’ailleurs, au revers de toutes les plaques de revêtement, et dont l’existence est sans contredit l’un des faits les plus extraordinaires que nous aient révélés les fouilles de Khorsabad. Quel était donc le caractère de ce peuple qui s’astreignait à tracer des inscriptions énormes sur toutes les pierres d’un palais, avec l’assurance que ces inscriptions ne verraient jamais le jour, mais qu’elles resteraient perpétuellement noyées dans la maçonnerie ? Certes une idée éminemment religieuse a pu seule dicter une semblable mesure, qui deviendrait inexplicable si l’on ne consentait à y retrouver un indice palpable d’une influence hiératique toute puissante. Nous n’hésitons donc pas à croire que ces inscriptions placées au revers des bas-reliefs ont un caractère religieux, et ne sont très probablement qu’une seule et même invocation, mille fois répétée en l’honneur du roi pour lequel le palais a été construit.

Tel est le caractère, telle est la destination probable des inscriptions de Khorsabad ; mais un jour viendra certainement où l’on n’en sera plus réduit à de vagues conjectures sur le sens de ces textes si précieux. Il suffit d’examiner la nature du problème que présente le déchiffrement de cette écriture mystérieuse pour se convaincre que cette solution ne saurait échapper, dans un temps plus ou moins éloigné, aux efforts de la science moderne.

Tout le monde a entendu parler du système d’écriture que l’on est convenu d’appeler cunéiforme, du nom de l’élément primitif qui en est la base. Cet élément est un coin aigu, un clou, qui peut se combiner indéfiniment avec lui-même par des changemens de taille ou de position, et fournir ainsi des groupes représentant toutes les articulations d’un alphabet, quelque développé qu’il puisse être. On le voit, rien ne saurait être plus simple que la création d’un semblable système alphabétique. Il y a plus, l’élément des écritures cunéiformes a été certainement choisi par suite d’une idée religieuse dont nous avons perdu la trace, car un monument babylonien, le caillou de Michaud, conservé au cabinet des antiques de la Bibliothèque du roi, parmi un certain nombre de figures se rattachant à des idées évidemment religieuses, nous représente le clou, base essentielle des écritures cunéiformes, placé comme un objet sacré sur un autel. Un pareil assemblage ne saurait être fortuit, et, sans aucun doute, il y a dans ce seul fait une indication suffisamment explicite de l’origine toute divine de l’élément principal de ces bizarres écritures.

Jusqu’ici, l’on a distingué parmi les écritures cunéiformes trois systèmes qui, probablement, sont destinés à peindre les sous de trois idiomes différens. Des monumens épigraphiques, appartenant exclusivement à la dynastie des souverains Achéménides de la Perse, ont été retrouvés dans les ruines du palais de Persépolis. D’ordinaire, ces inscriptions offrent trois textes cunéiformes se rapportant très certainement aux trois langues parlées par les trois races principales soumises à la dynastie des Achéménides, c’est-à-dire par les Perses, les Mèdes et les Assyriens. Il était naturel que l’idiome de la race dominatrice conservât la place d’honneur ; aussi a-t-on, avant toute espèce de lecture, deviné que le premier rang appartenait, dans ces inscriptions trilingues, à la langue et à l’écriture persanes. Le même raisonnement a fait attribuer le second à l’écriture médique, le troisième à l’écriture assyrienne.

On comprend l’ardente curiosité qui s’attacha tout d’abord à ces écritures, et tous les vœux que l’on forma pour en voir opérer le déchiffrement. Bien long-temps ces vœux restèrent stériles ; mais il n’est pas de problème de ce genre que l’intelligence humaine doive regarder comme insoluble, et la connaissance des écritures cunéiformes des trois classes signalées plus haut a fait, depuis quelques années, des progrès considérables. L’une d’elles, l’écriture persane, se lit aujourd’hui, non pas avec une extrême facilité, mais elle se lit. À l’aide de tâtonnemens dirigés par une saine critique philologique et continués avec une louable persévérance, on est parvenu à s’assimiler complètement la teneur de ces textes si importans. A un Allemand, le docteur Grotefend, appartient l’honneur d’avoir le premier fixé, mais d’instinct seulement, la valeur de quelques-unes des étranges lettres qui constituent le système persique. Après une longue étude de ces textes, un jour il arrêta ses regards sur un groupe de caractères, et il se dit avec une assurance tout instinctive : Ceci est le nom de Darius ! Grotefend avait deviné juste. C’était bien le nom de Darius qu’il avait rencontré et désigné. Il reconnut de même que tous les mots de ce premier système étaient séparés les uns des autres par un clou oblique, isolé et incliné de gauche à droite. A partir de ce moment, la porte fut ouverte, et les essais de déchiffrement se multiplièrent. A en juger par la nature de la langue moderne des Perses, à en juger surtout par la langue des livres sacrés, recueillis et traduits au prix de tant de sacrifices par un Français, Anquetil-Duperron, on pouvait à l’avance assurer que ces textes cunéiformes étaient conçus dans cet idiome connu sous le nom de zend, et qui est au sanscrit ce que l’italien est au latin. En France, M. de Saint-Martin fut le premier à marcher dans cette voie nouvelle ; mais il était réservé à notre savant ami Al. Eugène Burnouf d’y marcher le premier d’un pas ferme et rapide. Préparé de longue main à cette découverte par des études profondes de tous les idiomes de l’Inde, son esprit, éminemment doué de tout ce qui caractérise le génie philologique, reconstruisit, comme en se jouant, quelques belles pages de cette histoire de la langue persane. Des textes importans furent analysés et traduits. Le problème était résolu en ce qui concerne la première écriture. Depuis l’apparition du mémoire de M. Eugène Burnouf, des philologues étrangers ont abordé le même sujet, et, en tête de ceux-ci, il est juste de mettre le savant Lassen, dont les travaux en ce genre sont de véritables chefs-d’œuvre. Réformant les lectures de M. Burnouf en quelques points de détail, M. Lassen, à son tour, a vu les siennes réformées par les analyses de M. Rawlinson, et chaque jour encore la science philologique gagne à ces recherches profondes, que soutient et dirige la plus noble émulation. Le premier système cunéiforme est donc lu et bien lu, et l’on peut affirmer que désormais il ne se présentera plus une seule inscription de ce genre qui puisse résister à la science moderne.

L’honneur du premier essai tenté sur l’écriture intermédiaire, c’est-à-dire sur celle que l’on est convenu d’appeler médique, appartient à M. Westergaard. Cette fois, on était privé du secours que donne nécessairement la présence d’un signe constamment employé pour séparer les mots les uns des autres. Les lettres se suivent, et une inscription médique forme un tout compact d’autant plus rebelle au déchiffrement, qu’il est plus difficile de le scinder convenablement en groupes significatifs. Cependant, comme on savait à l’avance, par l’analyse des textes correspondans du premier système, où devaient se trouver les noms déjà déchiffrés dans le persan, tels que ceux de Darius, de Xerxès, d’Hystaspe, d’Achéménès et d’Ormuzd, il est devenu facile de déterminer de même les limites de ces noms et de les disséquer en assignant à chaque caractère une certaine valeur, qu’on se réservait d’ailleurs de vérifier ultérieurement par l’analyse des mots représentatifs des idées. C’est M. Westergaard qui s’est chargé de ce soin. Les résultats qu’il a obtenus ne sont pas, il faut le dire, tout-à-fait satisfaisans. Ainsi, tous les mots dont il connaissait le sens à l’avance par la décomposition purement mécanique des textes médiques, comparés aux textes persans bien connus, tous ces mots, dis-je, s’ils étaient bien transcrits, appartiendraient à un idiome extraordinaire et ne se rattachant à aucune famille de langues connue. Comme il est à peu près impossible qu’il en soit ainsi, il est assez naturel de croire que les lectures de M. Westergaard sont loin d’être toutes exactes, et que le travail qu’elles constituent a besoin d’un contrôle sérieux. Un jeune savant allemand, M. le docteur Oppert, s’occupe activement de cette curieuse étude, et ses premières recherches l’ont déjà conduit à reconnaître dans l’idiome des textes cunéiformes médiques beaucoup de traits de ressemblance avec les idiomes de souche mongolique. Ce fait tout inattendu n’a pourtant rien qui doive nous causer une grande surprise. Chacun sait, en effet, que de la souche mongolique partent les nombreux rameaux des idiomes tartares. Il est fort vraisemblable que la langue antique des Scythes se rattachait à la même origine ; il est donc possible que la langue représentée par la seconde espèce d’écriture cunéiforme ait été destinée à peindre les sons d’un langage appartenant à quelque race issue de la même grande famille.

Le troisième système des écritures cunéiformes, c’est-à-dire celui qu’on est convenu de nommer système assyrien, est maintenant représenté par des monumens fort nombreux, grace aux découvertes de Schulz sur les bords du lac de Van, grace surtout à celles de MM. Botta et Layard. On possède donc aujourd’hui des textes assez développés et en assez grand nombre pour qu’il y ait tout lieu d’espérer que la solution du problème offert par le déchiffrement de ces textes ne se fera pas trop long-temps attendre. Naturellement on ne peut arriver à cette solution qu’en procédant cette fois encore du connu à l’inconnu, et qu’en profitant des ressources que peuvent fournir les textes trilingues tracés sous les souverains de la dynastie Achéménide. L’étude attentive de ces monumens trilingues, qui existent encore de nos jours à Persépolis, à Ramadan, à Mourghâb, à Van et à Nakchi-Roustam, a mis les philologues en mesure de déterminer quelques noms propres, tels que ceux d’Ormuzd, de Cyrus, de Darius, d’Hystaspe, de Xerxès, d’Artaxerxès et d’Achéménès ; mais on comprend que l’analyse de sept noms seulement ne peut donner des résultats suffisans pour arriver à la détermination de plusieurs centaines de caractères. Ce que l’on sait parfaitement déjà, c’est que les noms propres de personnages, dans l’écriture assyrienne, sont constamment précédés d’un clou vertical isolé, tracé la pointe en bas, et qui ne paraît jouer d’autre rôle que celui d’un indice imprononçable, d’une simple caractéristique des noms propres. Ce fait permet de reconnaître à première vue, dans un texte assyrien quelconque, la place occupée par les noms ; mais voilà tout. Quant à l’étendue de ces noms, il sera impossible de la déterminer à priori d’une manière certaine, tant qu’on n’aura pas une connaissance précise d’articulations alphabétiques plus nombreuses que celles qui se rencontrent dans les noms divins et royaux tirés des inscriptions trilingues. A Nakchi-Roustam, une vaste inscription de cette classe, tracée à une grande hauteur sur la face aplanie d’un rocher, contient une longue énumération des peuples soumis à Darius. M. Westergaard, à l’aide d’un télescope, a tenté de copier cette triple inscription si précieuse ; mais les textes obtenus ainsi sont naturellement d’une correction fort problématique, et d’ailleurs le texte assyrien, mutilé en beaucoup d’endroits, se trouve, par une désolante fatalité, moins bien conservé dans l’énumération des peuples assujettis au monarque persan que partout ailleurs. Il y a plus, la comparaison des noms de lieux ou de peuples ne peut offrir des résultats positifs ; car souvent, d’une contrée à une contrée toute voisine, le nom d’une même localité change de physionomie au point de ne plus présenter les mêmes consonnances. Il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit de noms propres de personnages, parce que ceux-ci ne peuvent, en passant d’un idiome dans un autre, subir que des altérations peu profondes et incapables d’en modifier radicalement la physionomie. À ce compte, il existe un texte trilingue dont la possession accélérerait notablement, sans nul doute, le déchiffrement de l’écriture assyrienne : c’est la fameuse inscription de Bisitoun. Cette inscription accompagne un immense bas-relief sculpté sur un rocher et représentant Darius haranguant une foule de chefs de nations soumises à sa loi. Chacun de ces chefs est accompagné d’une légende particulière, contenant son nom et celui de la nation qui l’avait à sa tête. Cet inestimable monument épigraphique a été copié avec grand soin par M. Rawlinson, agent diplomatique de l’Angleterre, établi depuis longues années à Bagdad, et explorateur plein de talent de tous les monumens des écritures cunéiformes. Malheureusement M. Rawlinson, désireux sans doute de se réserver la gloire de découvrir le premier le sens des inscriptions assyriennes, s’est jusqu’ici refusé à communiquer au monde savant le texte inappréciable qu’il possède seul, et il faudra que quelque courageux voyageur se dévoue à aller conquérir ce trésor philologique devant lequel MM. Coste et Flandin se sont arrêtés long-temps, sans en enrichir leurs portefeuilles. Nous ne voudrions pas avancer que de la possession seule de l’inscription de Bisitoun dépend le succès des efforts tentés pour arriver à la connaissance de l’écriture assyrienne, mais nous affirmons sans crainte que, le jour où cette inscription ne sera plus confisquée au profit d’un seul, la question aura fait un pas immense.

Voyons quels sont les résultats obtenus jusqu’ici. Depuis long-temps, le rôle de l’indice des noms assyriens avait été reconnu dans les textes trilingues. L’analyse de ces noms mêmes avait été à plusieurs reprises opérée à petit bruit et dans le silence du cabinet. M. Isidore de Lœwenstern est le premier qui, sur cet intéressant sujet, ait livré au public un travail important. Reprenant la question ab ovo, il a opéré l’analyse de ces noms propres, et a publié les résultats de cette analyse. Ses recherches l’ont conduit de plus à reconnaître, dans l’écriture assyrienne, l’emploi de signes homophones dans toute l’acception du mot, c’est-à-dire de signes très divers de forme, représentant, comme cela a lieu dans les écritures égyptiennes, des articulations alphabétiques identiques. En résumé, le livre de M. de Lœwenstern, s’il n’est pas inattaquable dans toutes ses parties, a du moins le premier mis le public lettré en possession d’un certain nombre de valeurs alphabétiques qui nous paraissent parfaitement certaines. De son côté, M. Botta a commencé la publication d’un travail dont il n’est pas possible de méconnaître l’importance. Il a, avec une patience merveilleuse, disséqué lettre par lettre les innombrables textes assyriens que le palais de Khorsabad lui avait fournis. Il a fait le même travail sur les inscriptions de Van et sur les inscriptions trilingues, et il est parvenu de la sorte à construire un catalogue extrêmement curieux, dans lequel toutes les permutations des signes assyriens sont enregistrées. Quand ce travail sera achevé, nous posséderons très probablement de bien précieux élémens à mettre en œuvre dans la recherche du problème. Tous les signes qui permutent entre eux dans les textes assyriens y seront classés, et il restera alors à reconnaître si, parmi les permutations constatées, toutes sont des indices évidens d’homophonie, ou si quelques-unes d’entre elles ne cachent pas en réalité de simples désinences grammaticales à déterminer.

Jusqu’ici, la langue elle-même nous échappe, et il reste impossible d’en fixer à priori la nature. Toutefois la position géographique de la contrée dans laquelle cette langue était parlée permet de pressentir qu’elle offrira certains rapports plus ou moins étroits avec les idiomes des contrées limitrophes. L’origine sémitique de la race assyrienne, origine suffisamment constatée par l’Écriture, ne permet pas de douter qu’on y trouvera de nombreux radicaux sémitiques, très probablement comparables à ceux qui constituent la langue chaldéenne. D’un autre côté, il n’est guère possible de méconnaître dès à présent dans l’écriture assyrienne une fréquence de voyelles qui semble la relier assez intimement au système persan lui-même, et par suite à la langue mère de tous les idiomes indo-germaniques, c’est-à-dire au sanscrit. De plus, s’il est vrai que la langue cachée sous le système médique se rapproche des idiomes tartares ou mongoliques, il n’y a rien d’absurde à présumer que certains mots, certaines formes peut-être se rencontreront dans l’écriture assyrienne, qu’il sera possible de rattacher à cette classe de langues. Enfin, sur le sol même que foulait la race assyrienne, vit encore aujourd’hui une race antique, évidemment aborigène, et dont l’idiome a dû conserver bien des traces de la langue des Assyriens : c’est la race arménienne.

On le voit, le problème à résoudre offre de sérieuses difficultés, puisqu’il est absolument impossible de prévoir ce que sera tel ou tel mot représentant telle ou telle idée, même déterminée à l’avance. Trouver la valeur précise des caractères, voilà le premier pas à franchir, et jusqu’ici les élémens de détermination, c’est-à-dire les noms propres à disséquer, sont trop peu nombreux pour qu’il soit possible de marcher avec assurance. Vienne l’inscription de Bisitoun, et plus de la moitié de la besogne sera faite. Jusqu’à la publication de ce texte précieux, on ne pourra procéder que par des tâtonnemens plus ou moins heureux. Une fois maître de la valeur d’un nombre suffisant de caractères alphabétiques extraits des noms propres, on reportera ces caractères dans les mots qui constituent des phrases. Comme, à l’aide des inscriptions trilingues dont le sens est découvert, on pourra fixer à l’avance les limites et le sens des groupes significatifs, beaucoup d’entre ces groupes pourront alors se transcrire intégralement, et dès-lors il deviendra possible, sinon aisé, de les rattacher à des radicaux bien connus des langues dont nous avons fait plus haut l’énumération. Il n’y a pas d’autre marche à suivre, pas d’autre moyen d’avancer avec certitude ; on doit donc souhaiter ardemment, ou que M. Rawlinson consente à communiquer les matériaux dont il s’est jusqu’ici réservé le monopole, ou que quelque courageux voyageur se dévoue pour nous procurer à ses risques et périls le texte dont la possession ne saurait manquer de jeter la plus grande lumière sur la voie encore si ténébreuse qu’il s’agit de parcourir. Dire que des hommes tels que M. Eugène Burnouf, l’honneur de l’école philologique française, s’occupent sérieusement de la recherche de cet important problème, c’est dire qu’à coup sûr, s’il est donné à quelqu’un de déchiffrer les mystérieuses inscriptions des monumens assyriens, le voile qui les recouvre sera promptement soulevé.

Nous ne pouvons ici entrer dans des détails purement techniques sur le caractère essentiel du système cunéiforme assyrien : il nous suffira de dire que l’écriture des inscriptions de Van a un aspect de simplicité qui semblerait les reporter à une époque antérieure à celle des inscriptions de Khorsabad ; mais une pareille conclusion ne saurait être absolue, par la raison seule que l’éloignement de deux localités aussi distantes que Van et Khorsabad peut et doit même avoir influé d’une façon notable sur l’écriture, et probablement sur le dialecte. Quant à l’écriture des inscriptions trilingues tracées sous les souverains Achéménides, elle offre également des modifications de caractères dont l’appréciation permet presque d’affirmer d’instinct que ces inscriptions sont postérieures à celles de Van et de Khorsabad. Toutefois il est aujourd’hui bien démontré, par les recherches comparatives de M. Botta, que les écritures de ces trois séries de monumens se confondent radicalement en une seule, et que le système babylonien lui-même, système en apparence beaucoup plus compliqué, n’est au fond que le système assyrien.

En résumé, bien qu’on soit parvenu, à l’aide des inscriptions de Van, à reconstruire avec certitude un lambeau généalogique d’une dynastie royale, bien que sur les monumens de Khorsabad on ait pu lire le nom d’un roi Aparanadis ou Aporanadis, qui n’est certainement que l’Aparanadisos du canon de Ptolémée (ce roi a régné de 699 à 693 avant Jésus-Christ), la question du déchiffrement de l’écriture cunéiforme assyrienne ne pourra marcher rapidement vers une solution que du jour où un texte trilingue comme celui de Bisitoun sera mis entre les mains des philologues. Les bas-reliefs déjà rapportés à Londres, et provenant des fouilles exécutées à Nemroud par M. Layard, portent de nouveaux noms royaux. Ceux qui proviennent d’un palais beaucoup plus ancien, d’un palais abandonné et ruiné déjà peut-être au moment où une même catastrophe a détruit les palais relativement modernes de Khorsabad et de Nemroud, offriront d’autres noms royaux à étudier, ainsi que l’a déclaré M. Layard. De l’analyse de ces noms sortiront nécessairement de nouveaux élémens alphabétiques dont la possession simplifiera d’autant les recherches ultérieures. On comprend que nous souhaitions ardemment la publication de ces monumens, puisqu’ils doivent contribuer puissamment à nous donner la clé de documens historiques bien inespérés naguère, et nous aider ainsi à reconstruire au moins quelques lambeaux des annales de l’un des peuples les plus illustres de l’antiquité.


F. DE SAULCY.

  1. On n’a point oublié les articles publiés par M. Flandin dans les livraisons de cette Revue du 15 juin et du ter juillet 1545, sous ce titre : Voyage archéologique à Ninive.
  2. Cette enceinte a environ cinq kilomètres de long sur deux kilomètres de large.
  3. A propos de ces bas-reliefs si curieux et malheureusement en si mauvais état, nous demanderons pourquoi on s’est laissé conduire par une simple considération de dimension à garnir un même trumeau de deux fragmens de bas-reliefs distincts, dont les complémens ont été accouplés aussi déplorablement sur un autre trumeau ? Il en résulte que pour étudier et comprendre ces bas-reliefs déjà si difficiles à juger, à cause de l’état avancé de mutilation dans lequel ils se trouvent, il faut devant chaque cadre faire abstraction de la moitié de ce qu’on voit et rétablir en pensée la moitié de ce qu’on ne voit plus. Nous sommes désolé d’avoir à signaler ce bizarre parti pris que nous ne nous chargeons pas d’excuser.
  4. Hérodote nous apprend que l’ornement habituel qui servait de pomme aux cannes es personnages assyriens était une fleur de lis. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil.