Le Musée Thorvaldsen et l’église Notre-Dame de Copenhage/01

Le Musée Thorvaldsen et l’église Notre-Dame de Copenhage
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 35 (p. 142-175).
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LE
MUSÉE THORVALDSEN
ET
L’EGLISE NOTRE-DAME DE COPENHAGUE

I.
L’ŒUVRE ANTIQUE DE THORVALDSEN.

C’est un fait singulier et vraiment unique dans l’histoire de l’art moderne, que la renommée de Thorvaldsen, si universelle et si éclatante durant sa vie, si durable encore et si populaire non-seulement dans les pays scandinaves, mais en Allemagne, en Angleterre et en Italie, n’ait jamais pu se répandre et s’acclimater en France. Il n’y a guère de capitale en Europe où l’on ne rencontre quelques chefs-d’œuvre du célèbre Danois, originaux, copies ou moulages : à Paris on ne trouve de lui qu’un buste et une statuette que personne ne connaît. A qui faut-il s’en prendre de cette indifférence? Aux amateurs et aux gouvernemens français qui n’ont pas su jadis attirer l’auteur du Lion de Lucerne et du Triomphe d’Alexandre, ou bien à l’artiste lui-même, qui n’a point cherché de travaux dans notre pays, qui n’y est pas même venu une fois, ne tenant pas compte de cette consécration que Paris, à tort ou à raison, donne depuis longtemps à toutes les célébrités? Ne lui a-t-on pas peut-être d’autant moins pardonné cette insouciance qu’il était plus acclamé et plus fêté chez nos voisins d’outre-Rhin? Quoi qu’il en soit, il y a parmi nous, à l’endroit du grand statuaire, une ignorance ou un malentendu qui font peser sur sa mémoire une sorte d’ostracisme, à ce point que les plâtres de ses meilleurs ouvrages, achetés en 1849 par M. Charles Blanc, alors directeur des beaux-arts, pour le compte de l’état, n’ont jamais été exposés, ni au Louvre, ni à l’École des Beaux-Arts, et restent toujours cachés dans la plus mystérieuse oubliette.

Ce parti pris est d’autant plus fâcheux que nos artistes n’ont guère moyen, sans le secours de ces moulages, de connaître et d’étudier un des maîtres modernes les plus utiles à consulter; car ce que l’on voit de lui communément en Italie ne peut pas, tant s’en faut, donner la mesure de son génie et de ses enseignemens. Il est pourtant un peu difficile de parcourir l’Europe pour voir, dispersé de tous côtés, dans les musées, les châteaux et les palais, l’œuvre immense de Thorvaldsen. Le seul parti à prendre, c’est d’en aller voir les plâtres réunis à Copenhague, où se trouvent d’ailleurs tous les travaux religieux du sculpteur, c’est-à-dire une part considérable de ses créations. Un écrivain qui est en même temps l’un des principaux éditeurs de Paris, M. Eugène Plon, fit un jour ce voyage et en rapporta un livre excellent, une biographie détaillée et très intéressante de Thorvaldsen, accompagnée d’un catalogue descriptif et de nombreux dessins, qui suppléaient à l’insuffisance de la critique. Croirait-on que ce précieux volume, traduit jusqu’en Amérique, honoré de plusieurs éditions en Angleterre et en Allemagne, n’en a pas eu seulement trois à Paris? Il offrit du moins à M. Henri Delaborde l’occasion d’écrire ici même sur Thorvaldsen une belle étude, où l’éminent critique jugeait avec la science et l’autorité que l’on sait plusieurs œuvres capitales du maître danois; étude cependant trop incomplète encore, dans ses analyses et dans ses conclusions, M. Delaborde ayant borné son examen aux seuls marbres qu’il connût par lui-même, aux seuls par conséquent qu’il pût apprécier et juger en détail.

Il reste donc beaucoup à dire sur Thorvaldsen en conduisant le lecteur à Copenhague, soit à l’académie, où l’on conserve religieusement les premiers essais du sculpteur, soit à l’église Notre-Dame, qu’il a décorée au dedans et au dehors de magnifiques ouvrages, et surtout au musée, où l’on peut saisir comme d’un coup d’œil l’ensemble de son œuvre. Thorvaldsen gardait les plâtres, souvent même une bonne copie des morceaux qu’on lui demandait de tous les coins de l’Europe. Dans son testament, il a légué cette admirable collection à sa ville natale. Elle forme aujourd’hui le Musée Thorvaldsen, l’orgueil de Copenhague, ce que l’on y montre tout d’abord aux étrangers. Une visite au maître sévère de l’art classique n’est peut-être pas hors de propos dans un moment où le goût de l’antique semble un peu décroître, où nos jeunes sculpteurs les plus brillans, entraînés par de glorieux exemples et par le besoin légitime du changement, se retournent vers les dangereuses séductions de l’école de Michel-Ange.

Derrière le lourd palais royal de Christianborg on trouve, au milieu d’une esplanade déserte, près d’un noir et triste canal, un monument du plus singulier aspect. C’est un bâtiment de forme rectangulaire et allongée, avec un toit presque plat, une corniche saillante ornée de denticules, de petits médaillons en terre cuite sur la frise, des pilastres aux quatre angles, en un mot tous les dehors d’un édifice grec. L’architecte s’est cru obligé sans doute de loger dans ce style un disciple de la Grèce. Les parois sont peintes en noir et les grandes divisions architecturales distinguées par une teinte rouge. Les fenêtres des deux étages sont carrées, celles du rez-de-chaussée très élevées au-dessus du sol, pour donner un éclairage spécial à l’intérieur. Au-dessus de ces fenêtres se déroule, sur trois côtés de l’édifice, une série de peintures représentant l’arrivée triomphale de Thorvaldsen à Copenhague en 1838. Les personnages et les divers sujets de ces peintures se détachent vivement en jaune, en rouge ou en blanc, mais d’un seul ton, sur le fond noir des murailles, à la manière des peintures étrusques ou égyptiennes. Enfin la façade, formée par l’un des petits côtés, est percée de cinq grandes portes de style dorique, et surmontée au centre d’une Victoire conduisant un quadrige en bronze, d’après une esquisse de Thorvaldsen. Au premier coup d’œil, ces murailles noires, percées de petites fenêtres et bariolées de jaune et de rouge, ne semblent pas d’un goût irréprochable. On se rappelle certains monumens bizarres de Munich, pastiches d’architecture grecque élevés par la ferveur hellénique du roi louis Ier, et l’on se demande malgré soi si les divinités du sanctuaire n’auront rien du pédantisme de leur demeure. Ce n’est qu’après avoir visité l’intérieur du monument, après en avoir compris et apprécié la destination, et peut-être aussi sous l’heureuse impression du musée, qu’on se réconcilie avec l’architecte danois Bindesböll.

L’intérieur en effet est admirablement approprié à son objet. Sur la façade, une grande salle ou vestibule, aussi élevée que le bâtiment et éclairée par les cinq portes, renferme les compositions colossales du maître, statues équestres et autres. Derrière ce vestibule, sur les quatre côtés d’une cour, s’étend un large corridor qui donne accès à vingt-deux chambres ou cabinets, communiquant de l’un à l’autre, dont la série se développe tout autour de l’édifice. Chacune de ces chambres contient une ou plusieurs statues, éclairées comme dans un atelier, et quantité de bas-reliefs fixés sur les parois. Ces chambres sont peintes en rouge et sobrement décorées dans le goût pompéien. La plus vaste, à l’extrémité opposée au vestibule d’entrée, est remplie par les plâtres du Christ et des Douze Apôtres qui ornent l’église Notre-Dame. Même distribution à peu près au premier étage, dont les corridors et les cabinets contiennent quelques plâtres qui n’ont pu trouver place au rez-de-chaussée, et les riches collections léguées à sa patrie par Thorvaldsen, galerie de tableaux, pierres gravées, vases grecs, marbres anciens et terres cuites, la bibliothèque du maître, ses esquisses, ses dessins et son humble mobilier conservé là comme une relique. Plusieurs ouvrages de sa première jeunesse sont aussi rassemblés dans les galeries du sous-sol. Enfin, au milieu de la cour, dont les parois sont ornées, comme les murs extérieurs, de peintures jaunes ou rouges sur un fond noir, une touffe épaisse et verdoyante de lierre s’étend un peu au-dessus du sol, contenue par une bordure de granit en forme de pierre sépulcrale. C’est la tombe de Thorvaldsen. Les cendres du statuaire reposent au milieu de ses œuvres, et son musée est en même temps son tombeau. Idée grandiose qui explique et justifie la décoration un peu funèbre de l’édifice.

Plus de soixante statues, quelques-unes de grandeur colossale, plus de deux cents bas-reliefs, grands ou petits, et une centaine de bustes ou d’hermès remplissent les corridors, les salles, les cabinets du musée. La plupart de ces compositions ne sont que des moulages, quelques-unes sont des marbres, originaux précieux ou copies exécutées sous les yeux du maître ; d’autres enfin sont représentées à la fois par le plâtre et le marbre. On en trouvera le catalogue complet dans le livre de M. Plon. La première impression, à la vue de cette œuvre immense, c’est l’étonnement. Mais on se rappelle qu’il y a là le travail incessant de quarante années et que Lysippe, au dire des historiens, a modelé quinze cents statues. Bientôt d’ailleurs la surprise fait place à un autre sentiment. A mesure que l’on avance au milieu de cette collection, ce n’est plus la fécondité de l’artiste qui étonne, mais la force, la vérité et l’élégance de ses créations. On reconnaît, à travers la variété des sujets, des conceptions et des formules, l’unité du style et quelque chose d’individuel qu’on n’a pas vu ailleurs. On est en présente d’une grande théorie esthétique réalisée, et, quelque opinion qu’il ait apportée là, aucun visiteur ne peut demeurer indifférent. Bon gré, mal gré, on salue l’empreinte irrésistible du génie, et l’on s’approche avec respect de ce lierre toujours vert, symbole de l’immortalité, qui recouvre les restes du grand sculpteur. Cette tombe est simple, grave ; elle rappelle, dans son modeste recueillement, la pensée sévère et philosophique de l’artiste, que reflètent tous ses ouvrages. Point d’épitaphe : les œuvres parlent assez haut. La bordure de granit porte seulement ces mots : Bertel Thorvaldsen, né le 19 novembre 1770, mort le 24 mars 1844. Jetons un coup d’œil sur la longue carrière qui sépare ces deux dates, et nous reviendrons après à ces créations qui entourent la dépouille du maître comme un cortège triomphal.

II.

Bertel Thorvaldsen était fils d’un artisan de Copenhague et d’une paysanne du Jutland[1]. Gottskalk Thorvaldsen sculptait dans les chantiers de la marine danoise ces colossales et grossières figures de bois qui jadis, beaucoup plus qu’aujourd’hui, ornaient la proue des vaisseaux. Pour le jeune Bertel ce fut une première chance. Au lieu de lutter contre sa naissance, comme tant d’autres artistes fils d’ouvriers, et de chercher péniblement sa vocation, il trouva tout d’abord dans la profession de son père une occasion de la révéler. On le voyait tout enfant quitter les jeux de ses camarades pour venir seul, au milieu de la place Royale, contempler la statue équestre de Christian V. Puis lorsqu’il allait retrouver son père aux chantiers du port, il saisissait ses outils et de ses petites mains commençait à tailler des figures qui étonnaient tous les compagnons.

Rien n’est plus fréquent, dans l’histoire de toutes les écoles, que ces destinées d’artistes issus de la plus humble origine. On a pu lire ici même, il n’y a pas longtemps, le singulier roman du peintre Laurens. Mais ces vocations puissantes sont presque toujours aidées d’heureuses circonstances, un beau ciel, l’éclat des œuvres d’art et surtout l’exemple de concitoyens illustres qui les entoure comme une contagion féconde ou un courant irrésistible. Rien de pareil pour l’apprenti de Copenhague. Au moment où il vint au monde, les arts, déjà si vieux dans presque toute l’Europe, venaient à peine de naître sur cette terre brumeuse et froide du Danemark. Non pas que la civilisation y fût plus retardée qu’en d’autres contrées; mais toutes les races n’ont pas les mêmes aptitudes. Comme les Anglais, les Danois se souciaient plus d’agriculture, de marine et de commerce que de statues et de tableaux. C’était aux pays étrangers que les rois de Danemark demandaient les ornemens de leurs palais et le luxe de leur cour. Lorsque, vers la fin du XVIIe siècle, ils s’avisèrent de protéger les beaux-arts et de les acclimater chez eux, leurs premiers artistes vinrent de France. Il fallait en ce temps-là, pour bien faire, imiter le goût français et la cour du grand roi. Tout devait être à la mode de Versailles. Jacques d’Agar devint peintre des portraits de la cour de Danemark. L’Amoureux exécuta en 1688 la statue équestre de Christian V, et Saly, un demi-siècle plus tard, celle de Frédéric V, beaucoup plus belle. Les élèves de ces artistes furent les premiers maîtres de Thorvaldsen, qui se trouva ainsi avoir l’école française du XVIIe siècle pour nourrice ou pour marraine au début de sa carrière. Tous les artistes de l’Europe passaient alors par le même chemin.

L’académie des beaux-arts de Copenhague, installée depuis une trentaine d’années par le roi Frédéric Y dans le palais de Charlottenborg, n’avait encore produit que d’estimables mais obscurs talent lorsque l’honnête Gottskalk Thorvaldsen y présenta son fils, âgé de onze ans, pour l’école gratuite de dessin. Surpris des heureuses dispositions de son fils, il ne voyait pourtant pas en lui un futur artiste, et ne songeait qu’à en faire un ouvrier plus habile que son père et qui pût gagner davantage. Bertel n’avait jamais tenu un crayon, il savait tout juste lire et écrire et, soit paresse d’esprit, soit plutôt que son goût pour le plastique fût déjà une passion maitresse, il se montrait rebelle à toute autre étude que celle du dessin. Mais pour celle-là, il s’y adonnait tout entier, autant du moins que le permettait la nécessité du travail ; car il continuait à aider son père, dont il put bientôt corriger les figures.

A dix-sept ans, l’élève obtint un prix de dessin à l’académie, une médaille d’argent, et deux ans après, une autre médaille, pour un petit bas-relief, son premier ouvrage connu, qui représente l’Amour au repos. Il avait dix-neuf ans. Son père, le jugeant sans doute capable de dépasser tous les sculpteurs des constructions navales, voulut le retirer de l’académie. Mais il était trop tard : les maîtres de Bertel le gardèrent à l’académie et, par une singularité peut-être unique, ce ne fut pas le fils qui redevint ouvrier dans la compagnie de son père, ce fut le père qui devint une manière d’artiste et l’aide de son propre fils.

Ces maîtres, à qui le jeune homme devait sa liberté et sa carrière, n’étaient pourtant pas capables de le conduire bien loin. Dans ses premières œuvres, par exemple, dans le bas-relief d’Héliodore chassé du Temple, où le talent se révèle par la vigueur de l’exécution, Bertel n’est encore que le brillant écolier d’une mauvaise école. Deux bas-reliefs qui suivirent Priam aux pieds d’Achille et Hercule chez Omphale, œuvres indécises encore et sans caractère, mais conçues avec naturel et simplicité, sont le premier témoignage de ses tendances vers une voie nouvelle. Comme tous les vrais artistes, Bertel rêvait de l’Italie. A vingt-trois ans, il entra en loge pour le grand prix de sculpture qui devait lui donner le droit de voyager pendant trois années au moyen d’une pension. Il sortit le premier du concours avec un bas-relief, Saint Pierre guérissant le paralytique, et, par une sorte de prédestination, ce prix de Rome fut en même temps la marque de son affranchissement. Il y a déjà une distance considérable de ses essais antérieurs à cette composition. C’est une grande scène bien ordonnée où, malgré quelques gestes déclamatoires ou maladroits, quelques lignes disgracieuses, on remarque des personnages franchement dessinés et bien posés, des mouvemens vrais et des draperies d’un beau style.

Ce jour-là Bertel Thorvaldsen changea de condition, et d’ouvrier devint artiste. Contraint de rester encore à Copenhague pendant quelques années pour attendre que la pension attachée à son prix fût disponible, il reçut de l’académie une subvention annuelle el les commandes lui vinrent avec la réputation. On lui demanda des médaillons, des bustes, des statues même, et chaque ouvrage marquait un nouveau progrès. Le bas-relief de Numa et la nymphe Égérie par exemple, est un joli dessin, presque sans défaut. Les quatre statues de Muses qui ornent aujourd’hui le palais royal d’Amalienborg méritent encore plus l’attention. Le modelé en est ferme et précis, les proportions irréprochables, et, si ces figures manquent encore de caractère et d’accent, on voit déjà percer dans leurs attitudes, dans l’arrangement des draperies et des coiffures, une recherche du style classique, un sentiment de l’élégance et de l’harmonie que personne à coup sûr n’avait jusque-là montré en Danemark, Bertel désormais n’avait plus rien à apprendre dans son pays : il était mûr pour d’autres enseignemens.

Au mois de mai 1796, le jeune pensionnaire s’embarqua pour l’Italie. Les hasards d’une pénible traversée ou la maladie l’arrêtèrent longtemps en route, et il n’arriva à Rome que dix mois après. Chemin faisant il avait vu Malte, Palerme et Naples. Quelques notes écrites au jour le jour sur son album de voyage révèlent mieux que toutes les analyses le caractère et la physionomie de cette âme d’artiste, simple, tendre et insouciante. Point de description des paysages splendides ou des monumens qu’il rencontre dans ce pays où tout éblouit les yeux : à peine semble-t-il les voir. Il jette seulement un cri d’admiration et d’enthousiasme devant les antiques du musée de Naples. Ainsi Mozart, conduit dans sa jeunesse à travers les palais et les galeries de Rome et racontant son voyage, se contente d’écrire : « J’ai vu là diverses belles choses, » et tout est dit. Pour l’un il n’y a rien au monde que la statuaire, pour l’autre rien que la musique.

Arrivé à Rome, Thorvaldsen n’en devait plus sortir pendant vingt-deux ans. Faisant allusion au jour de son entrée dans la ville éternelle, il disait plus tard : « Je suis né le 8 mars 1797; jusque-là je n’existais pas. » A Rome en effet il vit pour la première fois le génie des Grecs vivant dans leurs marbres et il salua en eux l’idéal rêvé, attendu, qui devait être désormais l’amour unique de son came. La vue de ces souverains modèles lui montra d’abord qu’il ne savait rien et qu’il devait tout apprendre. Loin de vouloir produire, il se mit à l’étude avec la même modestie, la même persévérance opiniâtre qu’il avait montrées dans ses premières études à Copenhague. Dessiner du matin au soir des antiques, comme pour apprendre par cœur les règles et le style des grandes écoles grecques, puis modeler la copie des marbres qui lui plaisaient le plus, c’est-à-dire des meilleurs, telle fut la tâche qu’il s’imposa. Il vivait chichement, n’ayant d’autres ressources que sa pension de 1,200 francs et l’aide qu’il donnait à un peintre anglais pour peupler de figures ses paysages. Ombrageux et indépendant, résolu de se frayer sa voie lui-même, sa vie solitaire ressemble à celle que Poussin, dans sa jeunesse, avait aussi menée à Rome. Bertel n’avait guère d’amis que trois ou quatre jeunes artistes, danois ou allemands, et, bien qu’il y eût alors à Rome des maîtres de grand renom et des ateliers à la mode, il ne les recherche pas. Il n’avait alors aucun protecteur, si ce n’est son compatriote, le savant archéologue Zoëga, son ami et son guide, qui l’encourageait dans ses sévères études et lui fit même détruire quelques essais de compositions. Un seul a survécu, un tout petit groupe de Bacchus et Ariane, où le naturel et la grâce révèlent déjà un commerce intime avec l’art antique.

Cinq années se passèrent ainsi. L’académie de Copenhague, reconnaissante de quelques excellentes copies envoyées par son élève, avait renouvelé sa pension. Le terme où elle allait expirer approchait, lorsque dans l’âme du jeune sculpteur jaillit pour la première fois l’éclair de l’inspiration. Sa pensée s’était arrêtée sur un beau sujet de la fable. Il le médita longtemps, brisa même un premier essai, et, au commencement de l’année 1803, exposa le plâtre de son célèbre Jason. Le héros y est représenté s’avançant d’un air de triomphe, sa lance reposée sur l’épaule droite, et portant sur le bras gauche la Toison d’or. En peu de jours, ce fut le bruit de Rome. Artistes et amateurs, tout le monde se pressait dans l’humble atelier du pauvre statuaire, tout à fait inconnu. Canova, alors au faîte de sa renommée, y vint aussi et exprima hautement son admiration : « L’ouvrage de ce jeune Danois, dit-il, est d’un style tout nouveau et grandiose. » Ce mot de Canova, qui aurait suffi en ce temps-là pour consacrer le mérite de Thorvaldsen, garde à nos yeux un prix singulier. Le grand artiste, critique beaucoup plus fin et plus sévère qu’on ne pourrait croire en raison de ses ouvrages, comprenait que personne alors n’aurait fait le Jason, pas même lui, qui avait adopté un tout autre style. Du premier coup, Thorvaldsen s’était mis hors de pair. Il a fait bien mieux plus tard, mais le Jason marque la date la plus importante de sa carrière, et, soit pour ce motif, soit plutôt parce que l’œuvre encore un peu théâtrale frappe davantage le gros du public, elle est restée la plus populaire de toutes celles du sculpteur dans les pays scandinaves.

Rien ne manqua d’ailleurs à cette création pour être un véritable coup de dé et devenir légendaire. Thorvaldsen lui dut à la fois la réputation et le moyen de vivre, c’est-à-dire de poursuivre la gloire. Il était alors à bout d’argent, sa pension terminée, ses maigres ressources épuisées, et de tous les amateurs qui venaient admirer le Jason, pas un ne lui en avait offert seulement cinquante écus. Contraint par son dénûment de quitter Rome, le pauvre artiste avait tout préparé pour son départ, aussi désespéré qu’Annibal quittant l’Italie ; déjà le vetturino amenait à sa porte la charrette qui devait emporter ses plâtres, lorsqu’un riche banquier anglais entre dans l’atelier et demande à voir le Jason. Saisi d’admiration, M. Hope se décide sur-le-champ et commande un Jason en marbre de Carrare ; Bertel s’engage à l’exécuter pour la somme de 600 sequins, dont une part lui est aussitôt payée. Ainsi délivré de tout souci, il resta à Rome, et dut peut-être à un Anglais sa carrière et sa gloire. Pourquoi faut-il qu’on ait à lui reprocher dans cette circonstance le seul trait regrettable de sa vie ? M. Hope attendit vingt-cinq ans la statue qu’il avait commandée.

Je ne m’arrêterais pas à rappeler sa passion pour une Romaine qu’il rencontra vers ce temps-là chez Zoëga, et les déboires que lui causèrent la jalousie et le mauvais caractère de sa maîtresse, si l’on n’avait sérieusement reproché au pauvre sculpteur ces amours un peu vulgaires. Qu’importe en effet qu’il se soit fait aimer d’une camériste, qu’il l’ait laissée se marier à un autre et l’ait reprise ensuite ? Pour prendre garde à ces misères, il faut oublier ce que c’est qu’un poète ou un artiste, chose ailée et légère, mélange inexplicable d’ardeurs, d’inconséquence et de faiblesse. Thorvaldsen n’a pas connu un seul moment de sa vie la débauche ; mais ses œuvres sont là pour montrer quel souverain empire exerçait sur lui la beauté plastique, et son cœur garda toujours une intarissable jeunesse. C’est sa propre histoire qu’il a plusieurs fois et complaisamment sculptée dans ses jolis bas-reliefs de l’Amour chez Anacréon. Il avait plus de cinquante ans lorsqu’une jeune Anglaise, riche et de bonne famille, miss Mackenzie, s’éprit de sa renommée, s’attacha à lui, le soigna pendant une maladie et, à force d’attentions et de coquetterie, l’amena jusqu’à une promesse de mariage. Pendant que l’artiste hésite encore à sacrifier sa liberté, il voit passer dans le monde de Rome une jeune Viennoise, très jolie, très spirituelle, qui soudain fait échec à l’Anglaise. Thorvaldsen, amoureux fou de Mlle Caspers, rend sa parole à miss Mackenzie. Mais il a trop d’honneur pour ne pas garder la sienne et, bien que sa passion pour la charmante Viennoise soit très partagée, ils se séparent tristement l’un de l’autre, invitus invitam. Voilà le vrai roman de Thorvaldsen, et rien ne peint mieux à la fois sa générosité et sa faiblesse.

Au fond peut-être, il n’eut de toute sa vie qu’une seule grande passion, à laquelle il eut raison de sacrifier les autres, l’amour de son art. La rencontre de la belle Anna-Maria lui avait d’abord fait oublier ses engagemens envers le banquier anglais, mais ses études et ses travaux l’en écartèrent bien davantage. Avec son premier succès, il était loin de se croire en possession de l’idéal poursuivi, et c’est pourquoi dix ans plus tard il offrait à M. Hope de lui faire un autre Jason, plus beau que le premier. On peut dire que, s’il ne fut pas assez reconnaissant pour son bienfaiteur, il le fut du moins envers la Providence, car il ne se servit de la liberté conquise que pour redoubler ses études et aider de toute son ardeur à sa vocation. Depuis la vente du Jason, sa bonne étoile ne l’abandonnait plus. Le baron de Schubart, ambassadeur de Danemark à Naples, et sa femme, qui aimaient les arts, s’empressent d’adopter leur jeune compatriote. Ils le présentent à Rome chez le baron Guillaume de Humboldt, ministre de Prusse. L’artiste rencontre là de grands personnages, l’élite de l’aristocratie allemande, russe ou anglaise, et chacun de lui demander un marbre. Le voilà sans relâche au travail, exécutant pour ses riches protecteurs une série de commandes sur des sujets empruntés au paganisme. Dès ce moment, sa carrière est tracée : il sera l’artiste favori des grands seigneurs ou des souverains du Nord. Cette clientèle cosmopolite et princière, qui fit d’abord sa fortune, ne favorisa peut-être pas également dans la suite le libre développement de son génie. Mais au moment dont nous parlons elle lui permit de travailler et de grandir sans cesse pendant quinze années, pendant tout le temps que les guerres de l’empire bouleversaient l’Europe. Toute cette période de sa vie fut consacrée à des œuvres mythologiques dont les plus connues sont, en suivant l’ordre du temps : l’Amour et Psyché, Adonis (1808), Psyché (1811), l’Amour vainqueur (1814), Hébé (1816), Venus triomphante (1816), Mercure épiant Argus (1818), etc.[2].

Ainsi aidé par la fortune, Thorvaldsen, en fixant son séjour à Rome, servait à la fois ses goûts, son talent et sa renommée. Les amateurs venaient facilement à lui de tous les points de l’Europe, où son nom devint célèbre en peu d’années. Mais à Rome il eut plus de peine à se faire une place. Canova y régnait sans partage, et il était difficile au Danois de balancer sur son propre terrain le brillant, l’aimable, le pathétique Vénitien. Son origine même et la religion mettaient en défiance les Romains, de tout temps si jaloux des étrangers. Ce qui fit le plus peut-être pour dissiper ces préjugés et assurer peu à peu dans Rome la réputation de Thorvaldsen, ce furent ses bas-reliefs. Soit souvenir de ses premiers succès d’école, soit plutôt cet instinct vraiment hellénique qui le guidait, Thorvaldsen eut de bonne heure et toute sa vie une prédilection marquée pour le bas-relief. On sait qu’il le porta à la dernière perfection et que dans ce genre la prééminence ne lui est pas disputée. Ce fut dans Rome un cri d’admiration lorsqu’on vit apparaître l’Enlèvement de Briséis (1805), puis Hector chez Pâris, puis le Génie des arts (1808), offert à l’académie de Saint-Luc par le sculpteur au moment de sa réception. Lorsque Napoléon fait annoncer en 1811 sa prochaine venue à Rome et que l’Académie de France songe à décorer pour lui le palais du Quirinal, on demande un bas-relief à Thorvaldsen, qui accepte la commande comme une excellente occasion de faire quelque chose de nouveau et de grand. Il étudie Plutarque et Quinte-Curce, et en quelques mois exécute la célèbre frise de l’Entrée d’Alexandre à Babylone. Le plâtre seulement fut placé au Quirinal, où on le voit encore. Avant que l’artiste eût achevé son marbre, la fortune de Napoléon avait sombré. Personne, hélas ! ne s’inquiéta plus de ce magnifique travail, si ce n’est un amateur italien, le comte de Sommariva, qui acheta le marbre à moitié prix pour le placer dans sa villa du lac de Côme. En revanche l’Atelier de Vulcain, Priam aux pieds d’Achille, la Nuit, vingt autres bas-reliefs admirables, modelés à la même époque et répandus dans toute l’Europe, contribuèrent autant que ses plus belles statues à la célébrité du maître danois.

Il devait d’ailleurs remporter dans son art tous les genres de succès, même les plus inattendus. Vers 1817 le prince Louis de Bavière lui confia un grand travail, la restauration des fameux marbres d’Égine. La mode était encore à cette époque de restaurer les antiques mutilés, usage qui semble maintenant une profanation à notre goût plus sévère et plus scrupuleux. Mais si jamais un artiste a mérité de se faire pardonner cette hardiesse, de se prendre pour ainsi dire corps à corps avec l’art antique, c’est assurément Thorvaldsen. Le prince de Bavière, en lui confiant ses précieux marbres, ne se laissait pas égarer par son amitié. Peu de restaurations ont été aussi difficiles que celle de ces statues, œuvre archaïque sans doute, mais très savante, dont les formes et les procédés attestent, sous des apparences rudimentaires, un art consommé. Il fallait pénétrer les règles de cet art tout à fait ignoré, et Thorvaldsen, quoi qu’on en ait pu dire, a retrouvé ce secret. Ce n’est guère que par la différence du ton des marbres que l’on peut aujourd’hui distinguer les quelques membres qu’il a rendus aux combattans des frontons d’Égine et l’on ne regrette pas, en visitant le musée de Munich, une restauration habile, qui permet de saisir dans tout son ensemble cette dramatique composition.

Il fallut des sollicitations pressantes et répétées pour arracher Thorvaldsen à son atelier et le ramener à Copenhague, après une absence de vingt-trois ans. L’artiste ne se souciait pas de faire parade dans sa patrie d’une immense réputation qu’il portait très modestement et qui lui était moins à cœur que ses travaux. Au mois d’octobre 1819, il revint à Copenhague, où l’attendait un premier triomphe. Réception solennelle à l’académie en présence de toute la société danoise, banquets, cantates, rien ne manqua à la fête, pas même des salves d’artillerie. Le roi nomma le statuaire conseiller d’état, afin de le recevoir à sa table sans déroger à l’étiquette, honneur insigne et très nouveau pour un artiste danois. Des croix et des cordons, nous n’en parlons pas. Bref, le fils du pauvre Gottskalk devenait un seigneur dans sa ville natale, et il eût pu dès lors y vivre entouré d’honneurs. Mais la patrie de son cœur et de ses pensées, c’était Rome; il en reprit le chemin dix mois après.

Il rapportait de Copenhague des projets immenses, toute la décoration de l’église Notre-Dame, c’est-à-dire trente statues et deux vastes bas-reliefs. Mais ce n’était rien encore. En retournant à Rome à travers l’Allemagne et la Pologne, Thorvaldsen, reçu avec toute sorte d’honneurs par les artistes et les académies des pays qu’il traversait, par les deux empereurs de Russie et d’Autriche, fut partout assailli de commandes non moins importantes : à Varsovie, une statue équestre de Poniatowski, une autre de Copernic, un mausolée pour le prince Potoçki, etc., sans compter les bustes qu’il modelait chemin faisant. Alors s’ouvre dans sa carrière une nouvelle période. Des sculptures mythologiques, il passe aux sujets modernes ou religieux. Déjà, avant son voyage, il avait préludé à cette nouvelle phase par le Lion de Lucerne, que lui demanda la Suisse en 1819. Ce que la gloire de Thorvaldsen a gagné ou perdu à cette transformation, à ce nouvel emploi de son talent, j’essaierai de le dire plus loin. Je veux seulement relever en passant le reproche qu’on lui a sévèrement adressé d’avoir accepté un nombre de commandes auquel la plus longue vie d’artiste n’eût jamais pu suffire. Il n’en put venir à bout qu’avec l’aide de ses élèves ou de ses praticiens, et encore laissait-il souvent les commandes en souffrance pendant de longues années.

L’on s’est demandé comment un artiste loyal avait pu accepter si aisément des travaux auxquels il savait fort bien ne pouvoir suffire lui-même, et on l’a même représenté comme un habile industriel mettant à profit sa réputation, au détriment de son art et de sa dignité. A une aussi grave accusation la réponse, heureusement, est facile. Si Thorvaldsen eût beaucoup aimé l’argent, son travail prodigieux de quarante années, ces statues, ces bustes, ces bas-reliefs sans nombre que les souverains et les plus riches seigneurs de l’Europe se disputaient et que l’artiste pouvait reproduire à volonté dans son atelier, lui auraient valu des millions. Sans famille cependant, ayant toujours vécu dans une extrême simplicité, quelle fortune a-t-il laissée ? Tout au plus 450,000 francs, en y comprenant la valeur de ses collections. Combien d’artistes, aujourd’hui, de ceux qui atteignent à la vogue et à la popularité, se contenteraient, au bout de leur carrière, de cette simple retraite ?.. Non, Dieu merci, ce n’est pas dans l’avarice qu’il faut chercher le motif de la légèreté de Thorvaldsen à prendre des engagemens qu’il ne pouvait tenir.

J’ai parlé de la faveur qu’il avait rapidement acquise dans toute l’Europe septentrionale. Quoique Danois et d’une race souvent ennemie de la leur, les Allemands le traitèrent tout de suite en fils de la Germanie. Déjà en 1805 William Schlegel, et après lui Mme de Staël écrivaient sans hésiter que Thorvaldsen, «élevé en Allemagne, possédant une culture tout allemande, appartenait en quelque sorte à l’Allemagne. » La vérité est que Thorvaldsen avait cinquante ans lorsqu’il vit pour la première fois l’Allemagne, dont il ne parla jamais bien la langue. Mais peu importe, c’était un homme du Nord, et aux yeux des Allemands aussi bien que des Scandinaves, des Polonais ou des Russes, le Danois personnifiait le génie du Nord. Chez ces peuples encore à peu près déshérités de l’art et tributaires depuis deux siècles des Italiens et des Français, il fut salué comme le héros d’une éclatante revanche sur le génie des races latines, des races privilégiées. Thorvaldsen, trop fin et trop modeste à la fois pour se tromper jamais sur son mérite et la vraie valeur de ses œuvres, ne pouvait pas cependant ne point ressentir quelque fierté de cet engouement prodigieux et en quelque sorte national qu’il inspirait, et il se trouvait d’autant moins libre de résister aux demandes pressantes d’admirateurs si passionnés. Il est juste de se rappeler aussi l’autorité de la hiérarchie sociale dans ce pays du Nord, dont Bertel avait gardé toutes les habitudes et tous les sentimens. La plupart de ses travaux lui étaient demandés par des personnages à qui il n’osait pas refuser expressément. Je marquerai cependant plus loin, en parlant de ses œuvres modernes, quelques circonstances où il eût mieux fait de montrer plus d’indépendance et de fermeté.

Il se réservait, en acceptant des travaux qui avaient d’ailleurs l’avantage d’ouvrir un champ nouveau à son imagination, de n’exécuter avec soin que ceux qui lui plaisaient. Pour les autres, non-seulement il n’en touchait pas le marbre, mais il laissait même souvent à ses élèves le soin d’en modeler la terre d’après ses ébauches ou ses dessins. On reconnaît bien vite dans son musée ces produits bâtards. Faut-il lui faire un crime de ce sans-façon, qui n’était pas une supercherie? Son atelier était toujours ouvert, et les nombreux Allemands ou Danois qui venaient à Rome ne manquaient pas de le visiter. Le maître d’ailleurs pouvait se dire que ces choses ne se passaient pas autrement au XVIe siècle, et que Raphaël, André del Sarto et d’autres encore ont bravement fait peindre par leurs élèves, aux yeux de leurs contemporains, une bonne part des fresques ou des tableaux qui portent leur nom.

Et véritablement, pendant vingt années, Bertel Thorvaldsen mena la vie des grands artistes de la Renaissance dans cette Rome des papes, redevenue pour un temps la paisible et charmante capitale des beaux-arts, l’asile de l’étude, le rendez-vous préféré de tout ce qui était grand ou illustre en Europe. Il conduisait de front les plus vastes travaux, entouré dans son atelier d’un cortège d’élèves de toutes nations[3] qui donnaient avec joie leur travail à ses œuvres. Le soir on le rencontrait dans les salons des princes romains ou des grands personnages étrangers, avec ses amis Horace Vernet et Mendelssohn. Pour avoir une idée de la popularité dont il jouissait parmi les artistes, on n’a qu’à se souvenir de ce banquet donné à Horace Vernet, au moment où il quitta Rome, par tous les artistes, romains ou étrangers. Au moment du toast, Thorvaldsen voulut mettre sur la tête de son ami une couronne de laurier, mais celui-ci l’arrêta, et, plaçant la couronne sur le front du statuaire, s’écria: « La voilà à sa place! » et toute la salle d’éclater en applaudissemens. Peu de sculpteurs ont étudié à Rome de 1817 à 1840 sans éprouver plus ou moins l’influence de Thorvaldsen. Sur les Allemands elle fut très efficace, elle l’eût été bien davantage sans l’indiscipline et l’emphase incorrigibles de l’esprit germanique. Des artistes français, j’en parlerai plus loin. Après la mort de Canova en 1822, la célébrité du Danois resta sans rivale en Europe, et sa situation dans Rome dépassa tout ce qu’un étranger aurait pu rêver. Protestant, il voyait le pape Léon XII insister pour qu’on le nommât président de l’académie de Saint-Luc, et recevait du cardinal Consalvi la mission d’élever le tombeau de Pie VII dans la basilique de Saint-Pierre.

Un jour, à Copenhague, j’exprimais mon étonnement de ce que les Danois, si actifs, si commerçans et si bons marins, se répandaient pourtant fort peu au dehors et n’avaient jamais créé de colonies : « Les Danois, me répondit-on, quittent assez facilement leur pays, mais ils y reviennent toujours.» Ces insulaires s’attachent à leurs rivages verdoyans et à leurs forêts de hêtres immenses, comme les Suisses à leurs montagnes. Thorvaldsen devait aussi obéir à cet amour du sol natal, qui se réveilla un jour en lui au milieu de sa vie sereine et heureuse : ce fut là le vrai motif qui lui fit quitter Rome et non de prétendues tracasseries populaires, ni le départ de quelques amis, ni même le choléra de 1837. Rappelé en Danemark par les plus pressantes sollicitations, il ne se décida à partir que deux ans après, en 1839, Une frégate de la marine royale danoise fut exprès envoyée à Livourne pour le prendre, lui et toutes ses caisses de marbres, de plâtres et d’objets d’art destinés à sa ville natale.

Aucun épisode de sa vie n’est connu comme celui de l’incomparable réception qu’on lui fit alors à Copenhague. C’est qu’en effet l’histoire des temps modernes ne présente rien de pareil, et que cette ovation sans exemple donne bien la mesure de ce qu’était Thorvaldsen pour les peuples du Nord, un peu plus qu’un homme. Il faut lire, dans le livre de M. Plon, le récit très pittoresque, très saisissant de cette marche triomphale de la frégate, escortée sur le Sund, depuis Elseneur jusqu’à Copenhague, de bateaux danois et suédois où retentissent des chœurs et des fanfares. Tantôt un brouillard l’arrête, tantôt le ciel s’illumine au-dessus d’elle d’une splendide aurore boréale, symbole de la gloire du maître. Cependant toute la population de Copenhague, impatiente, inquiète, se presse sur les quais du port et dans les rues voisines, attendant en vain pendant une longue journée de pluie. Le lendemain le ciel s’éclaircit, on signale la frégate, un drapeau hissé sur le plus haut clocher avertit toute la ville, qui se précipite avec une rumeur de joie vers le port et la rade. Au moment où la frégate s’avance entre les îlots couronnés le batteries et le rideau vert du Langeline, une flotte d’embarcations se détache des quais et vogue à sa rencontre, chacune portant un corps de métier de la ville et sa bannière. L’une d’elles, décorée à la grecque, porte à bord l’académie des beaux-arts, chargée de complimenter le maître, et de tous les autres canots, déployés en cercle autour du vaisseau, s’élève un chœur immense chantant un hymne composé par le poète Hisberg. Ainsi escorté Thorvaldsen descend à terre au milieu de hourrahs frénétiques. Il monte en calèche pour se rendre au palais de Charlottenborg, mais le peuple dételle ses chevaux et traîne sa voiture. A peine est-il au palais que la foule qui encombre la vaste place de Kongens Nytorv demande à le voir, et il faut que l’artiste, très étonné d’ailleurs et nullement préparé à de tels éclats, paraisse au balcon pour saluer ses compatriotes. On dirait le retour d’un souverain ou d’un grand général après une glorieuse campagne, et les récits de cette fête nationale sembleraient à peine croyables, si on ne les trouvait dans les journaux du temps et si les fresques du musée n’en consacraient le souvenir avec la plus naïve expression. Certes ces ouvriers, ces marins, ces bourgeois de Copenhague ne comprennent guère les chefs-d’œuvre de Thorvaldsen, mais on leur dit que ce vieillard a fait parler du Danemark dans toute l’Europe, et c’est assez pour le recevoir comme un roi. Il faut remonter à l’histoire du couronnement de Pétrarque ou aux jeux olympiques pour retrouver l’image de cette pacifique royauté. Les Danois méritaient bien, par ces hommages dignes de la Grèce, de compter dans leur nation le plus grec de tous les sculpteurs modernes. Au reste, nous avons vu depuis ce que valait le patriotisme du Danemark, lorsque ce petit pays, tristement abandonné, se défendit seul contre deux grands empires. La ville de Copenhague allant au-devant de Thorvaldsen et les trente mille hommes du général Méza arrêtant à Düppel tous les efforts de l’armée austro-prussienne, ce sont des traits dignes l’un de l’autre, qui donnent la mesure de ce vaillant peuple.

De tous les acteurs de cette grande fête le plus étonné et le plus embarrassé était le sculpteur lui-même, qui se gardait bien de prendre au sérieux son rôle de triomphateur. Au lieu de rester à Copenhague, où l’académie lui donnait un appartement dans son palais, et d’y jouir de sa popularité, il s’enfuyait à la campagne chez une vieille amie, la baronne de Stampe, et y reprenait son travail. Ce fut là qu’il exécuta de nombreux ouvrages, plusieurs encore de très bonne venue, un Christian IV, sa propre statue en costume d’atelier, que lui arracha à grand’peine son amie, et surtout les deux grands bas-reliefs qui décorent l’église Notre-Dame. Il avait alors soixante-dix ans et sa verte vieillesse rappelle le tempérament athlétique de Michel-Ange et de Titien. Son regard se tourna encore vers Rome, et il y revint en 1841. Cette fois son passage à travers l’Allemagne ne fut qu’une suite de triomphes comparables à celui de Copenhague. A Berlin, à Dresde, à Munich, les rois le reçoivent comme un ami, les villes s’illuminent pour lui, on donne des spectacles de gala, et, quand il y paraît, la foule se lève pour l’acclamer.

Pendant une année encore, il travailla à Rome, mais seulement à des sujets religieux, comme si l’approche de la mort eût réveillé en lui la foi chrétienne. Sa carrière touchait en effet à son terme. Lorsqu’il revint l’année suivante en Danemark, sa pensée et ses forces trahirent désormais l’infatigable sculpteur, et ses dernières œuvres méritent à peine une mention. Le 24 mars 1844, il tomba foudroyé par une apoplexie au théâtre royal de Copenhague, où sa passion pour la musique l’amenait tous les soirs, Après sa mort comme pendant sa vie, sa ville natale le traita en souverain et mieux encore. Toutes les maisons étaient tendues de noir sur le passage du convoi funèbre, et le cercueil, porté par les artistes, fut reçu à l’entrée de la cathédrale par le roi et le prince royal de Danemark. Quatre ans après seulement, la dépouille du maître fut transportée dans son tombeau au milieu de ses œuvres.

On voit dans ce musée, au premier étage, un portrait de Thorvaldsen par Horace Vernet; un autre, par le peintre danois Eckersberg, est conservé dans une salle de l’Académie des beaux-arts. Vernet a représenté son ami en train de le modeler lui-même, l’ébauchoir à la main et vêtu de la blouse blanche de l’atelier. Le tableau, daté de 1832, a la puissance et l’éclat ordinaires de Vernet. La figure du statuaire, large et osseuse, encadrée des boucles blanchies de son abondante chevelure, éclairée par le beau regard de ses yeux bleus et par un sourire mêlé de finesse et de bonhomie, respire surtout l’activité et la verve de la pensée. Tout autre est l’image que le peintre danois a laissée d’un maître vénéré: on y sent l’esprit scandinave. Bertel Thorvaldsen, beaucoup plus jeune (le tableau est de 1813), est assis, le regard perdu dans une rêverie mélancolique. Ses cheveux encore blonds tombent autour d’un visage maladif que les fièvres de Rome ont amaigri autant que le travail. Le manteau noir des académiciens de Saint-Luc, jeté sur les épaules de l’artiste, paraît singulier avec cette physionomie de poète élégiaque. Les Danois, naturellement, préfèrent ce portrait indigène ; mais l’œuvre du maître français, supérieure par la qualité, est apparemment aussi plus fidèle. Il semble d’ailleurs qu’on ait besoin des deux images pour recomposer toute la physionomie du grand sculpteur telle que nous la montrent tour à tour les jeunes années et la maturité de sa vie; rêveur, taciturne, modeste, mais indépendant, opiniâtre dans son vouloir et se donnant avec passion au travail pour réaliser ses conceptions. Ses nombreux amis ont vanté la fidélité de ses affections, la tendresse de son cœur; simple et facile dans le commerce de la vie, il garda toujours, même au milieu des grands, la rude et franche bonhomie de sa première condition, et sa considération n’y perdait rien. Cherchons maintenant dans ses œuvres la marche et le mouvement de cet esprit si actif, ses idées sur le beau, ses méthodes, en un mot, toutes les théories qu’il a mises en pratique et dont il n’a jamais parlé.


II.

Bertel Thorvaldsen vint au monde tout juste pour recueillir les fruits de la Renaissance, ou plutôt de la révolution qui, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ramena peu à peu les esprits au culte de l’art antique. Lorsqu’il arriva pour la première fois à Rome, en 1797, cette révolution, commencée cinquante ans auparavant en France par le comte de Caylus, propagée bientôt en Italie et en Allemagne par le savoir et l’éloquence de Winckelmann, était déjà un fait accompli. Partout, selon le mot fameux de Louis David, on avait écrasé la queue du Bernin. En France, ce même David, le plus rude combattant de la lutte, Gérard, Chaudet, tenaient la tête des écoles. L’antique régnait en souverain et depuis longtemps sur la peinture, la statuaire, l’architecture, les arts décoratifs, aussi bien que sur les lettres, et la révolution, comme on sait, avait poussé cette mode jusqu’au fanatisme et au ridicule. Vers le même temps, Flaxman, avec toute la puissance du génie, imposait le goût nouveau à L’Angleterre. Mais c’est en Italie surtout que la ferveur de l’antique embrasait à la fois savans, artistes et amateurs, comme aux beaux jours des Médicis. A son école de Copenhague, Thorvaldsen n’avait pu entrevoir qu’un reflet incertain de cette rénovation; mais, en arrivant à Rome, il trouva tous les faux dieux renversés et Canova installé à leur place. Ce fut donc l’entraînement irrésistible de l’opinion, aussi bien que son propre goût, qui le jeta dans l’étude exclusive de l’antique, et l’on ne saurait s’étonner qu’il n’ait pas pris garde à la première renaissance. Aux yeux de tous alors, les maîtres du XVe et du XVIe siècle disparaissaient derrière ces descendans bâtards qui avaient si tristement dénaturé leurs leçons. Tous les modernes semblaient compris dans la même proscription : il n’y avait pas d’autre loi, pas d’autres guides possibles que l’antiquité et ses nouveaux interprètes.

Cependant Thorvaldsen, en se livrant avec plus de ferveur qu’aucun autre à ce courant universel, montra tout de suite l’indépendance et la vigueur de son esprit. Au lieu de s’attacher, comme il semblait naturel, à quelqu’un des réformateurs, à Canova, par exemple, il prit le parti de chercher lui-même son chemin. Un instinct l’avertissait que, parmi ces maîtres en vogue, plusieurs l’auraient égaré, aucun ne l’eût mené assez loin. Il s’en fallait de beaucoup en effet que cet engouement pour tout ce qui venait de la Grèce et de Rome fût l’intelligence même de l’antique, et que chez les meilleurs artistes d’alors on retrouvât le caractère et la véritable beauté des modèles qu’ils étaient censés reproduire. On n’improvise pas une révolution radicale dans les arts, pas plus que dans la société. On ne passe point sans transition, sans tâtonnemens, de l’école du Bernin à celle de Phidias, de l’absurde au sublime. Tout disciples qu’ils se croyaient de la simplicité grecque, ces rénovateurs sacrifiaient par quelque côté à l’esprit de leur temps, qui n’était rien moins que simple, David par l’emphase, la déclamation, l’effet théâtral, Flaxman par sa raideur toute britannique, Canova par l’excès de la violence quelquefois, plus souvent par le sensualisme et une mièvrerie efféminée. A Rome cependant le Vénitien passait pour l’héritier direct des Grecs, et la place d’honneur qu’on lui donna et qu’il garde encore dans le Belvédère même témoigne assez d’une admiration dont la postérité a beaucoup rabattu. Thorvaldsen fut sans doute le premier à ne pas partager cet enthousiasme et à comprendre qu’il y avait autre chose à faire. Quoi qu’il en soit, le taciturne Danois ne se présenta ni chez Canova, ni chez aucun autre statuaire ; il se mit bravement à étudier tout seul dans les galeries, se prenant corps à corps avec les vrais modèles, qui le transportaient d’admiration.

On dira que Winckelmann lui avait indiqué la route : assurément, comme à tous ses contemporains. Mais que trouvait-il dans Winckelmann? Des vues très élevées, très pures, mais trop générales, sur l’esthétique des Grecs; des observations plus philosophiques que techniques sur les divers styles et les procédés de leur statuaire; du reste les notions les plus vagues sur les principales évolutions de l’art grec et une critique plus incomplète encore. Winckelmann ne connaît guère que de nom Phidias et les grandes écoles qui l’ont immédiatement suivi. Il ne distingue pas dans les musées de Rome, sauf le Torse du Belvédère, ce qui appartient aux plus belles époques, et tout son enthousiasme se concentre sur le Laocoon et l’Apollon, œuvres désormais classées, par le style comme par l’âge, assez loin du siècle d’or. Ce ne fut donc pas le célèbre antiquaire qui inspira à Thorvaldsen l’idée de s’arrêter tout d’abord devant le Pollux gigantesque de Monte-Cavallo. Ce ne fut pas non plus l’inscription apocryphe du piédestal de la statue, qui n’avait aucun sens pour un jeune homme sans lettres. L’œuvre elle-même, par son caractère majestueux et superbe, le captiva, et, pour son coup d’essai, il en fit une copie, ce qui n’était pas facile, vu la situation et les dimensions du colosse. Or il avait choisi, sans le savoir, celui de tous les antiques de Rome qui rappelle le mieux l’école de Phidias; ce choix instinctif et hardi suffit à montrer l’indépendance et la sûreté de son discernement.

Qu’il ait reçu alors quelques bons conseils de son compatriote Zoëga, tous les biographes le racontent; mais le célèbre archéologue n’ayant laissé aucun ouvrage d’esthétique, on ne saurait déterminer la mesure de cette influence. J’ai entendu citer aussi un autre Danois, le peintre Carstens, comme un guide ou un inspirateur de Thorvaldsen. C’est faire beaucoup d’honneur à Carstens, qui était un habile dessinateur, mais un esprit éclectique et indécis, aussi épris de Michel-Ange et des Florentins que des Grecs, et, dans ses imitations de l’antique, presque toujours froid, guindé et vulgaire. Non, Bertel n’eut aucun maître parmi ses contemporains. Personne ne lui montra les secrets les plus délicats de l’art grec, et il fut les chercher lui-même à leur source.

Le Jason donnait déjà la preuve d’un talent supérieur, mais encore un peu esclave de son public. Ce n’est pas, quoi qu’en dise Canova, une œuvre tout à fait individuelle; c’est plutôt un compromis entre le style à la mode, le style de Canova lui-même et celui des plus beaux temps de l’art grec. Si le jeune artiste a copié d’abord le Pollux, s’il a cherché à se pénétrer de cette simplicité et de cette grandeur, d’autre part il est fort ignorant et on ne peut s’attendre à ce qu’il ait dès lors arrêté sa marche dans les voies les plus pures et les moins battues. On n’atteint pas du premier coup le simple et le grand tout ensemble. Pauvre, sans appui, désireux avant tout de se faire connaître, Bertel ne peut pas encore ne tenir aucun compte du goût général. Aussi, tout en copiant les formes accomplies du colosse de Monte-Cavallo, il jette les yeux sur l’idole de ses contemporains, sur le type que le monde entier alors proclame la merveille de l’art, l’Apollon du Belvédère, et, sans le vouloir peut-être, dans sa première création, il se montre également préoccupé des deux modèles.

Le Jason en effet se présente de la même manière que l’Apollon. Comme le dieu du jour, le héros vainqueur s’avance triomphant, le corps porté sur la jambe droite, l’autre pied touchant à peine la terre. La tête se retourne aussi du côté gauche, pour jeter un regard de dédain sur l’ennemi vaincu. Les bras, il est vrai, sont repliés, l’avant-bras gauche portant la toison, la main droite tenant une lance qui s’appuie sur l’épaule; mais c’est la même idée sculpturale, le même motif, traité seulement dans un tout autre style. Assurément l’œuvre magistrale du Danois ne saurait être comparée, pour la beauté, la vie et la puissance, au marbre inspiré qui resterait le plus séduisant ouvrage de l’antiquité, sans le Parthénon et la Vénus de Milo; mais Thorvaldsen eut le mérite, en imitant l’attitude et le mouvement de l’Apollon, de lui donner des formes nouvelles, aussi idéales et plus vraies. Le torse un peu court et un peu maigre, les membres trop arrondis de l’Apollon sont remplacés par un corps vigoureux, svelte et accentué dans toutes ses parties. La poitrine est large et puissante, avec des plans magnifiques, les membres nourris et bien nuancés, l’ensemble de la figure présente ces proportions carrées que les anciens attribuaient à l’école de Polyclète. On dirait qu’Apollon Pythien a changé de corps avec son voisin du Belvédère, le Mercure[4], et un peu aussi avec le Pollux, de façon à représenter l’idéal de la force dans la jeunesse. Une tête plus caractérisée et plus élégante, des épaules et des bras plus souples, une attitude moins théâtrale feraient du Jason, véritable chef-d’œuvre. On comprend le mot de Canova que j’ai cité : ni lui, ni les artistes de son temps ne recherchaient ces proportions exactes de l’idéal humain, cette plénitude et cette justesse des formes qui marque la grande période de l’art grec. Prenant au pied de la lettre une théorie fort contestable de Winckelmann, ils se croyaient obligés, pour figurer des dieux ou des héros divinisés, de supprimer les saillies des muscles, de les augmenter au contraire et même de les boursoufler, quand il s’agissait d’athlètes ou de guerriers. Ce sont les défauts ordinaires de Canova, qui échappaient à ses contemporains et nous gâtent ses plus beaux ouvrages. Entre le Persée et le Jason, aujourd’hui, la palme serait à peine disputée, et les deux marbres, rapprochés l’un de l’autre, montrent tout de suite la profonde différence des deux systèmes.

Le début de Thorvaldsen révélait donc une intelligence toute nouvelle des exemples antiques et une résolution hardie de les suivre, avec une préférence pour la statuaire de grand style, pour les œuvres du siècle de Périclès. Mais il était pauvre, c’est-à-dire condamné pour longtemps encore à n’exécuter que des commandes, trop heureux de les recevoir dans une époque de ruines! Or les amateurs de ce temps-là, entêtés de paganisme et de mythologie, préféraient le plus souvent les images gracieuses aux types virils et robustes. Ce que les premiers protecteurs du jeune artiste lui demandèrent, ce furent des Apollon, des Bacchus, des Ganymède, des Vénus, toutes divinités qui n’ont guère été honorées dans les ateliers de Phidias, d’Alcamène ou de Polyclète. Thorvaldsen se retourne donc vers les écoles de l’âge suivant, vers Praxitèle d’abord, le sculpteur de la grâce par excellence, le créateur de ces types juvéniles de dieux et de déesses, dont les innombrables copies plus ou moins heureuses peuplent les galeries de Rome. Dans cette voie nouvelle, à dire le vrai, il commença par être assez embarrassé. Le sens esthétique de ces modèles si simples et si délicats était plus difficile à saisir. Dans tous les arts d’ailleurs on atteint plus aisément l’effet, les formes solennelles ou grandioses que l’expression naturelle, la simplicité et la grâce. Il ne faut donc pas s’étonner que le jeune artiste, à la recherche de ce qu’il y a de plus profond et de plus insaisissable dans l’art des Grecs, ait mis quelques années à le découvrir et que ses statues mythologiques de ce temps-Là ne soient guère que de bonnes études d’après l’antique, parfaitement correctes et souvent même élégantes, mais dénuées de caractère et d’inspiration. Passons sur cette période de recherches et d’hésitation, et arrêtons-nous devant l’Adonis (1808), seconde conquête de ce laborieux génie.

A force d’étudier les anciens, il finit par leur dérober non-seulement les apparences, mais l’âme même de leur statuaire, c’est-à-dire le secret de faire vivre des figures sans action et de créer l’idéal sans autre procédé que l’imitation choisie de la nature. Le prince Louis de Bavière porta bonheur à celui qu’il appelait son ami en lui demandant un Adonis : l’ami répondit par un chef-d’œuvre qui ne fut alors compris que des vrais amateurs. Canova, rencontrant à la villa Pamphili une dame de beaucoup d’esprit et très liée avec Thorvaldsen[5], lui dit : « Avez-vous vu l’Adonis? Il faut le voir. Votre ami, madame, est un homme divin... Quel dommage que je ne sois plus jeune ! » Ainsi, au comble de sa gloire, le grand artiste se repentait de n’avoir pas osé prendre lui-même la route choisie par Thorvaldsen, et il ne marchandait certes pas l’éloge et l’admiration à un nouveau venu qu’il aurait pu traiter plus sévèrement, comme un écolier qui ne lui demandait pas même des conseils.

Il faut voir, à Munich, quelle noble figure fait l’Adonis, au milieu de la Glyptothèque, à côté d’antiques de premier ordre, tels que le Faune endormi. N’était la fraîcheur du marbre, on pourrait le croire contemporain de ses compagnons, et l’on serait alors surpris de trouver une image d’Adonis traitée dans le style le plus classique, avec toute la science et toutes les délicatesses d’une époque où le culte de l’amant de Vénus était à peine connu en Grèce. Qu’on ait représenté à Alexandrie et à Rome le héros devenu un dieu populaire, cela ne peut être douteux. Mais aucune de ces images ne nous est parvenue, à moins qu’on ne veuille donner le nom d’Adonis à deux marbres du Vatican et du Capitole, reconnus aujourd’hui pour être des statues de Narcisse, demi-dieu de la même famille qu’Adonis et, comme lui, type de la beauté juvénile. Ce sont deux variantes d’un même original agréable et de bon style, mais auquel Thorvaldsen n’a rien emprunté, ni pour l’idée, ni pour les formes, ni pour le caractère de son ouvrage. Abordant un sujet entièrement neuf, il l’a traité d’une manière neuve et tout individuelle. Le jeune amant de Vénus, au retour de la chasse, se repose, négligemment appuyé à un tronc d’arbre sur lequel il a jeté sa chlamyde et suspendu un lièvre. Le corps, un peu penché à droite, est porté sur la jambe gauche; la main droite retient l’épieu renversé, l’autre s’appuie sur la hanche. La tête, légèrement inclinée et à demi détournée, exprime la rêverie. L’attitude est gracieuse et souple, le mouvement de la figure se contracte à peu près de la même façon que le célèbre Faune de Praxitèle, mouvement qui donne le plus bel ensemble de lignes. Et pourtant cette noblesse, cette suprême élégance que présente l’aspect général de la figure, ce n’est encore que la moitié de son mérite ; il faut examiner de près le détail si l’on veut apprécier l’idée, le but, les efforts de l’artiste. Le nom seul d’Adonis réveille l’idée de la beauté absolue, avec ce mélange d’extrême jeunesse et de force, qui devait caractériser un chasseur aimé de Vénus. C’est ce type d’éphèbe vigoureux et alerte, ce moment délicat où la jeunesse a atteint toute sa force et touche à la virilité que Thorvaldsen a rendu avec une rare perfection. Rien n’est plus intéressant que de suivre une à une toutes les parties de ce torse traitées avec les raffinemens de l’art le plus consommé. Les pectoraux sont larges et solides, mais beaucoup moins bombés et charnus que ceux d’un athlète ou d’un guerrier, que ceux du Jason par exemple, les clavicules sont à peine indiquées, les deltoïdes très sobres, mais d’une courbe élégante, les hanches extrêmement fines; enfin l’abdomen s’étend avec une dépression très sensible et des plans lumineux et simples sous l’arcade des fausses côtes, laquelle est bien accusée et largement ouverte, pour montrer la libre respiration d’un homme habitué à la course. On ne pourrait pas diminuer un muscle de ce torse élancé et souple, mais on n’en augmenterait pas un sans altérer le sens de la figure. Elle exprime véritablement un caractère, un type, et à ce point de vue, elle est sans modèle complet dans les galeries romaines, où les plus beaux torses juvéniles, le Mercure, le Méléagre, l’Apollon au lézard ne sont que des copies, plus ou moins privées de cette profonde recherche dans les nuances qui était la gloire de leurs originaux et que Thorvaldsen a si bien devinée. Un seul marbre du Vatican pourrait être rapproché de l’Adonis, quoique les muscles en soient plus nourris, c’est le fameux Coureur de Lysippe; mais il n’a été découvert qu’en 1849, et Thorvaldsen ne connaissait pas davantage, en 1808, le Thésée du Parthénon. A lui seul revient donc l’honneur de sa création. Fidèle en tout à ses intentions, il a exprimé par des jambes fines, sveltes, très sobrement traitées, et par des bras semblables, les mêmes idées de jeunesse, de force naissante et de légèreté. Les pieds sont un peu forts, comme dans la plupart des antiques, mais conviennent bien à un coureur. Tous les détails de la figure, en un mot, se fondent dans une admirable harmonie pour rendre le sujet et il ne manque à ce bel ouvrage qu’une tête plus petite, plus élégante, plus expressive peut-être pour rivaliser avec les chefs-d’œuvre de la Grèce[6].

Mais, dira-t-on, dans tout cela où est la part du sentiment ? Patience : c’était déjà beaucoup de créer un idéal de corps humain tel que la statuaire moderne n’en avait pas encore trouvé. D’ailleurs notre patient artiste ne procédait que par étapes et ne prenait pas toujours le chemin le plus direct. Ainsi, après l’Adonis, devenu assez riche ou du moins assez libre pour se passer de commandes, il abandonne l’école de Praxitèle qui l’avait si bien inspiré. Séduit par les sujets grandioses, par les formes viriles et accentuées, il entreprenl pour son propre compte un groupe colossal de Mars avec l’Amour. Du type de Mars, tel que les Grecs ont pu le créer, il n’avait à Rome aucune copie<ref> La belle statue assise de la villa Ludovisi, qu’on appelle Mars, est très probablement un Achille rêvant au bord de la mer, tel que nous le montre le premier chant de l’Iliade. </<ref>, mais son idée n’en était pas pour cela plus heureuse, car le dieu de la guerre ne peut offrir un caractère physique sensiblement différent de celui des athlètes ou des Hercules dont on tant de copies variées, et sa légende ne fournit aucun motif intéressant. Pour en trouver un, Thorvaldsen a imaginé de le grouper avec l’Amour, en s’inspirant d’une des plus jolies odes d’Anacréon. Mars arrive dans l’atelier de Vulcain au moment où celui-ci forge les flèches de l’Amour, que Vénus trempe dans du miel, et le guerrier s’en moque. Éros alors, lui mettant une de ces flèches dans la main : « Vois, dit-il, comme elle est pesante. — En effet, dit Mars, reprends-la. » Mais l’Amour en souriant : « Tu la tiens, garde-la! » Quelques années plus tard, l’artiste, bien inspiré cette fois, a traduit la scène tout entière dans un bas-relief et en a fait un chef-d’œuvre. Mais c’était une erreur que de traiter un sujet de genre par un groupe de deux mètres et demi de haut. Aussi l’œuvre resta dans l’atelier ; personne n’eut envie de ce superbe athlète, malgré la science et la richesse de son modelé, et l’on ne demanda que le joli petit Amour, son compagnon.

Thorvaldsen renonça alors aux figures de force, qui l’attiraient par la fierté des lignes, par la majesté du style, et il n’y revint que trente ans plus tard, après toutes ses œuvres historiques ou religieuses ; il y revint, entraîné pour ainsi dire par son paganisme, sans aucune commande et sans imiter personne. Des images de Vulcain, traitées par deux des plus grands statuaires grecs, Alcamène et Euphranor, on ne sait rien, sinon que ces Vulcain, en dépit de la fable, étaient beaux et ne semblaient même pas boiteux[7]. Thorvaldsen a également résolu ce problème d’idéaliser un dieu forgeron. Son Vulcain se repose au milieu du travail, la main droite s’appuyant avec le marteau sur l’enclume, l’autre tenant encore les tenailles. Il est coiffé du bonnet populaire appelé pileus, et sa tunique, détachée sur une épaule, comme on le voit dans les bas-reliefs, met à nu sa large poitrine. L’artiste, en lui posant le pied droit sur la plinthe du socle qui porte l’enclume, a ingénieusement, comme ses maîtres grecs, déguisé la boiterie. Le caractère du personnage est supérieurement rendu par la vigoureuse structure du corps, par la saillie puissante de tous les muscles et même des veines, que les anciens exprimaient si rarement, et par l’abondance de la barbe et des cheveux crépus. Ce Vulcain est un chef-d’œuvre d’étude anatomique et un bel exemple du style le plus sévère. L’artiste ne l’a jamais vendu, mais il figure bien dans son musée pour en compléter l’harmonie, entre l’Amour, l’Adonis et le Jason, et montrer comment cet infatigable chercheur a parcouru pour ainsi dire toute la gamme des caractères et des types masculins.

Il était bon de parler de ces marbres, moins connus et moins intéressans que les chefs-d’œuvre populaires de Thorvaldsen, afin de mieux marquer toutes les tendances de son esprit, et le désintéressement, la sincérité profonde de son amour pour l’antique. De tous les artistes de son temps, aucun, si ce n’est Ingres, n’a apporté la même conviction dans ce culte de l’esthétique, de la mythologie et de l’histoire des Grecs. Pour lui, comme pour notre grand peintre, c’est une religion. Il s’est fait contemporain de Périclès. Il semble croire aux dieux d’Homère, comme on y croyait dans l’atelier de Phidias, et il cherche naïvement à créer des divinités païennes telles que les aurait demandées le peuple d’Athènes. Pas n’est besoin de faire sentir l’illusion et le danger de cet hellénisme sans mesure. Les sublimes artistes qui faisaient le Jupiter d’Olympie, la Minerve du Parthénon ou la Junon d’Argos, non-seulement croyaient aux dieux qu’ils représentaient, mais ils travaillaient pour le culte de leur patrie. La croyance de leurs concitoyens, non moins que la leur propre, les aidait à créer les images que la foule devait adorer, à en faire des types de grandeur, de noblesse, de vie surhumaines. Dans les arts comme dans les lettres, le grand style naît toujours d’une pensée ou d’une émotion communes à l’auteur d’une œuvre et à son public. Mais pour un artiste moderne, c’est une tentative chimérique que de représenter les dieux du paganisme, à moins d’en faire tout simplement des hommes, de leur prêter les sentimens ou les passions de la faible humanité. Bon gré, mal gré, nous demandons à la statuaire autre chose que des formes accomplies et idéales, d’autant plus qu’elle n’a pas pour nous les donner les ressources que lui offrait, en Grèce, un peuple admirablement beau. Nous la voulons humaine et même dramatique par quelque côté. Ce sentiment est si naturel qu’il s’éveilla de bonne heure chez les Grecs eux-mêmes. L’idéalisme pur ne régna que peu de temps dans leurs écoles. Aussitôt après Phidias et Polyclète on y voit apparaître une sorte de naturalisme, un art plus voisin de la réalité humaine, avec Myron, Praxitèle, Scopas et Lysippe. Ces brillans artistes, qui travaillaient pour un public déjà moins croyant, ne se firent pas faute d’humaniser les dieux et de consacrer aussi leur ciseau à des demi-dieux ou à des héroïnes de la fable, pour avoir l’occasion d’exprimer les passions. Si nous possédions les bronzes ou les marbres originaux de ces maîtres, comme les marbres sculptés par les élèves de Phidias, ils balanceraient certainement à nos yeux, s’ils ne le dépassaient pas, le mérite de ces derniers, car ils parleraient de plus près au goût moderne.

Voilà ce que comprit un jour Thorvaldsen, après les tâtonnemens et les essais que j’ai indiqués. Peut-être ses bas-reliefs et surtout la grande frise du Triomphe d’Alexandre, qu’il exécuta aussitôt après le groupe de Mars, en l’habituant à chercher la vie et le mouvement, l’aidèrent-ils à trouver la statuaire expressive. D’autre part, s’il ne rencontrait pas dans les musées d’Italie les originaux des écoles grecques de la seconde époque, puisqu’ils sont à peu près tous perdus, il en voyait du moins tant de copies ou de bonnes imitations qu’il put saisir et s’approprier l’esprit de ces diverses écoles qui procèdent toutes plus ou moins du même principe. Ce principe, c’est de donner le plus de vie possible à la beauté sans l’altérer, c’est de créer des figures dont l’attitude et le mouvement expriment nettement une action, ou du moins un sentiment très déterminé, sans rien sacrifier de l’harmonie et de la vraisemblance. L’harmonie en effet, condition essentielle de la beauté, et la vraisemblance, vérité suprême des arts, réprouvent les contorsions ou mouvemens trop violens, soit parce qu’ils troublent les lignes, soit parce qu’ils sont trop rapides pour être immobilisés dans la pierre ou le bronze. Quoi qu’en puissent dire les partisans de l’expression exagérée et du pathétique à outrance dans la statuaire, ce sont là des règles fondamentales auxquelles ont obéi non-seulement les Grecs, mais les plus grands artistes de la Renaissance et des temps modernes, en adoptant d’ailleurs les formes ou les styles les plus divers. Bien peu cependant ont reproduit cette mesure exquise de l’art hellénique, comme l’a fait Thorvaldsen dans quelques statues mythologiques qui marquent la plus brillante période de son génie, et devant lesquelles l’admiration est unanime. La première en date est l’Amour vainqueur.

Quel artiste ou quel amateur, en promenant ses rêves dans les galeries du Vatican, ne n’est arrêté maintes fois devant cet Amour grec, ce marbre de Paros tout mutilé, une des perles de l’immense collection ? Les indifférens y font peu d’attention, parce qu’il est là dans un coin de la salle la moins claire et la plus encombrée; mais ceux qui l’ont admiré une fois y reviennent sans cesse. Il passe, aux yeux des archéologues les plus compétens, pour avoir été taillé dans l’atelier même de Praxitèle. Quoi qu’il en soit de son origine, l’antiquité ne nous a laissé aucune image de l’Amour qui ressemble à celle-là, aucune qui en approche, ni pour la beauté, ni pour l’élévation de la pensée et du sentiment. C’est un Amour mélancolique, attristé des maux qu’il fait aux hommes; on dirait presque qu’il en est atteint lui-même. Sa tête charmante, couronnée d’une abondante chevelure qui retombe en boucles autour du cou, se penche avec une expression de douce et naïve compassion. Le torse est d’un adolescent, avec les formes les plus délicates, et il est impossible de ne pas voir là le ciseau d’un maître. Thorvaldsen s’est inspiré de cette exquise figure pour en faire en quelque sorte la contre-partie, et il a créé un type nouveau de l’Amour, l’une de ses plus poétiques inventions. C’est dans son propre cœur, dans le souvenir de ses secrètes blessures qu’il puisa l’idée de cet Amour vainqueur et roi du monde, idée très gracieuse, mais surtout philosophique, qui nous prouve que désormais le sculpteur va se préoccuper de la pensée autant que de la forme.

Au lieu de l’Amour compatissant, nous avons ici un Amour qui triomphe de sa cruauté. Ce n’est pas non plus ce Cupidon de Lysippe, dont il y a deux jolies répliques au Capitole et à la villa Albani, ce jeune et malin garçon qui bande son arc en souriant d’un air si mutin. Celui-ci est plus sérieux et compte quelques printemps de plus. Comme l’Amour du Vatican, il a une tête de jeune fille, de longs cheveux bouclés, et une couronne de roses. A demi assis sur un large tronc recouvert de la peau de lion, ses grandes ailes à demi ouvertes, il élève dans sa main droite une flèche dont il tâte et examine la pointe avec un fin sourire et un air de tête tout plein d’orgueil. L’autre main, négligemment abaissée vers la terre, soutient l’arc détendu. Aux pieds du jeune victorieux, un casque et un foudre. L’action, comme on voit, est peu de chose, mais elle suffit, car le geste seul et l’attitude du dieu éveillent tout un monde de pensées. La pose, le contraste des membres sont à souhait; le corps nous montre les formes sveltes, délicates, à peine saisissables de l’adolescence. Rien n’est plus difficile que de rendre ainsi les suaves ondulations, les plans fugitifs des muscles naissans. Il faut savoir regarder de très près la nature et c’est ce que les anciens avaient appris à Thorvaldsen, en même temps que l’art de faire vivre et palpiter une figure presque immobile.

Pourquoi cette œuvre charmante, d’un style si élevée et si pur, est-elle déparée, aux yeux d’un amateur exigeant, par le type trop moderne du visage? J’ai déjà eu l’occasion de signaler cette insuffisance de la tête qui nuit à plusieurs chefs-d’œuvre de Thorvaldsen. La beauté idéale du corps ne peut pas, dans une statue, suppléer à celle de la tête, où réside surtout l’expression. Ne soyons pas cependant trop sévère sur ce point pour un artiste qui a modèle d’autres fois les plus admirables têtes, et rappelons-nous que les sculpteurs grecs avaient sur les modernes l’avantage de vivre au milieu de la plus belle race qui ait existé. Nos artistes ne peuvent pas copier en tout les marbres antiques, et la nature ne leur offre pas assez de ressources, même en Italie. On ne trouve que bien rarement à Rome, chez les modèles de profession, des têtes à peu près grecques. Ce n’est pas le type du Transtévérin, ni de ces paysans des monts Sabins ou Berniques, qui viennent se louer sur les escaliers de la Trinità dei Monti, pour les ateliers. Il faudrait aller en chercher dans quelque coin de l’Italie méridionale, ou bien à Ravenne, dans les endroits où s’est conservé un peu de sang grec. Or les plus grands statuaires ne peuvent se passer de modèles, et ils ne rencontrent pas toujours celui qu’il leur faudrait au moment de leur création. Si l’on regarde, au Louvre, le Philopœmen de David (d’Angers), on ne trouvera pas sur son visage toute la noblesse et la pureté que réclamerait le sujet. Les déesses de Pradier sont dans le même cas, et lorsque Rude a fait son admirable Mercure, il n’a rien trouvé de mieux que de lui donner à peu près la tête du saint Michel de Raphaël, tête idéale et même céleste, mais fort éloignée du type hellène.

Ceux qui recherchent avant tout dans l’art un puissant effet produit par les plus simples moyens hésiteront entre l’Amour vainqueur et le Jeune Berger ; mais je crois que ce dernier aurait encore la palme. Ici l’action n’existe même pas. Un jeune pâtre est assis tout nu sur un quartier de roche qu’il a recouvert d’une peau de mouton. Il tient de la main droite sa jambe repliée, l’autre jambe pendant vers la terre, et, appuyé de la main gauche sur sa houlette, il rêve. Son chien, assis à ses pieds, semble gronder à quelque mouche qui le taquine, et voilà tous les élémens d’un groupe que le statuaire a dû reproduire dix fois. Il l’a conçu, dit-on, en voyant une pose que prenait, sans y penser, un modèle dans son atelier. Qu’est-ce que le sujet ou le motif du Tireur d’épines? bien moins que cela encore; car le pâtre de Thorvaldsen, ce petit Grec au visage si charmant, avec ses grands yeux naïfs et ses longues boucles retenues par un bandeau, est un personnage plein de sentiment. On dirait d’un berger de Théocrite, Ménalcas qui écoute Daphnis chanter ses amours, ou bien encore un autre Daphnis qui regarde Chloé endormie. C’est en même temps une statue du genre le plus singulier; car si l’on est d’abord frappé par la hardiesse familière de l’attitude, d’où résulte la plus savante pondération, en y regardant de plus près on remarque, comme un singulier parti pris, l’extrême simplicité des contours généraux, et la sobriété de tous les détails. Ainsi le thorax ne forme qu’un seul plan, les divisions du torse sont très sommairement indiquées, aussi bien que les muscles principaux des membres. Il s’agit cependant d’un corps déjà vigoureux et plein, et l’esprit aussi bien que l’œil se trouvent satisfaits de cette étrange exécution.

C’est qu’au moment où il modela son berger, l’artiste travaillait à la restauration des marbres d’Égine. Pénétré des exemples de l’école éginète[8], si vraie et si grandiose dans sa rudesse, il s’est donné le plaisir de l’imiter et de créer une figure dont le style à la fois élégant et archaïque fût une sorte de compromis entre Égine et Athènes. Essai d’autant plus hardi qu’il était sans modèle chez les anciens, preuve nouvelle de cette adoration fervente et passionnée de Thorvaldsen pour toutes les traditions de la statuaire grecque. La même fantaisie d’archéologue lui inspirait en même temps la statue de l’Espérance, et un autre groupe, traité de la même manière que le Berger, mais moins séduisant malgré sa sévère beauté, Ganymèdde donnant à boire à l’aigle. L’artiste trouvait dans ce sujet le motif d’une figure agenouillée, la première qu’il eût encore modelée, et il déploya là toute son habileté, toute sa science de composition[9].

Dès lors que Thorvaldsen se bornait aux sujets païens, il ne lui était pas aisé de donner un sentiment à des statues de déesses, à moins que ce fût la coquetterie ou la volupté, et la nature même de son esprit chaste et penseur répugnait au sensualisme. C’est un des traits qui le distinguent le plus de ses contemporains et qui lui font le plus d’honneur. Il n’a pas eu la pensée ou l’occasion d’aborder certains sujets énergiques, tels que la Niobé ou la Vénus victrix. Aussi ses figures de femmes ont-elles longtemps porté la marque de l’indécision. La première qui soit digne de remarque est une Psyché (1811), jolie étude de jeune fille, demi-nue, avec une draperie nouée autour des jambes. Elle tient la boîte mystérieuse rapportée des enfers et hésite à en soulever le couvercle. Le motif est ingénieux, l’attitude et l’air de tête expriment assez bien une curiosité craintive ; mais l’ensemble est encore un peu froid et embarrassé. Quelques années plus tard, l’inspiration grandit avec une Hébé, pudique et ravissante jeune fille qui présente de la main gauche une coupe, tandis que le bras droit retombe négligemment, tenant l’œnochoé. La grâce de l’attitude, la souplesse du mouvement, la suavité des contours, les plis de cette longue tunique bouffante à la ceinture, tout ici respire la Grèce. C’est une vierge des Panathénées ; mais ce n’est pas davantage, et il y a encore un pas à faire. Bientôt après, et presque en même temps que l’Amour, comme s’il eût cédé au même mouvement d’inspiration, Thorvaldsen donna sa Vénus triomphante.

Au début de sa carrière, il avait déjà abordé ce sujet de Vénus, qu’on lui avait commandé. Peu satisfait sans doute de son travail, il n’en a pas gardé le plâtre, et, comme le marbre est dans un château au fond de la Russie, il n’y a pas moyen de comparer un essai de jeunesse avec un chef-d’œuvre, pour mesurer sur un même sujet la distance parcourue en quelques années. Mais peu importe. J’ai prononcé le mot de chef-d’œuvre et ne crois pas trop dire en parlant de cette Vénus, qui réalise à la fois une idée neuve, un sentiment profond et une forme complète de beauté sculpturale.

Pour un artiste arrivé à la plénitude de ses forces, il n’y avait pas, en ce temps de paganisme et après l’exemple de Canova, de sujet plus attrayant, mais aussi plus difficile. Thorvaldsen voyait autour de lui, en Italie, différens types de Vénus antiques. D’abord les deux marbres immortels du Capitole et des Uffizi qui rappellent, avec vingt autres plus ou moins imparfaits et disséminés partout, la plus fameuse des Vénus de Praxitèle, celle de Gnide. Cette figure ne se recommande assurément ni par l’action ni par le sentiment, car elle n’exprime que la coquetterie, avec une nuance de pudeur. La déesse se laisse voir nue au sortir du bain, comme si elle était surprise, et, bien qu’elle y mette quelques façons, elle n’est point fâchée qu’on la regarde. La Vénus Anadyomène, qui tord ses cheveux en sortant de la mer, et dont il y a deux jolis exemplaires au Vatican, est un gracieux motif, plus chaste peut-être, mais d’un ordre aussi terrestre. Deux autres images de la déesse, également connus, la Vénus accroupie et la Vénus Callipyge, ne sont à vrai dire que d’aimables Phrynés, qui se soucient peu de parler à l’âme. Je ne mentionne pas notre sublime Vénus de Milo, déesse du ciel et non de la terre : ce marbre divin était encore inconnu. Peut-être eût-il découragé Thorvaldsen, peut-être aussi lui eût-il inspiré une autre Vénus céleste. Il sut trouver cependant, en dehors de toutes les images léguées par l’antiquité, une Vénus très noble, grecque et moderne à la fois, c’est-à-dire à tous les temps, en choisissant dans les légendes de la déesse celle qui a le sens le plus humain et le plus général, la victoire du mont Ida. Cette interprétation si caractéristique du type de Vénus avait-elle échappé aux sculpteurs grecs? Ce n’est guère probable; mais il ne nous en leste aucun témoignage. Le Danois a pris la place demeurée vide, et jamais une idée mythologique ne fut mieux traduite par un artiste moderne. Debout et sans voile, la déesse tient encore de la main droite la pomme symbolique qu’elle contemple avec ravissement, tandis qu’elle se penche un peu pour reprendre de l’autre main ses vêtemens déposés sur un tronc d’arbre voisin. L’instant est choisi avec beaucoup d’esprit, d’abord pour avoir le prétexte de la nudité, et puis pour représenter en même temps la joie naïve d’une vanité triomphante et la pudeur qui réclame aussitôt ses droits, c’est-à-dire les sentimens les plus féminins; ils respirent tous les deux dans l’attitude, dans le mouvement et sur le visage de la jeune déesse.

Elle est jeune en effet, et c’est le premier trait qui charme dans cette création. Avec un art consommé et une longue étude (il a, dit-on, employé plus de trente modèles), le statuaire a représenté l’épanouissement de la femme et rien de plus, la femme à dix-huit ans en Grèce ou en Italie. C’est le même caractère que la Vénus de Médicis, sauf que celle-ci est d’une taille plus élancée. Thorvaldsen, à tort ou à raison, a préféré les proportions de la Vénus du Capitole, qui est plus courte, en atténuant beaucoup la gorge et toutes les parties de ce corps robuste aux savantes ondulations. Sa Vénus est de la même famille, plus jeune et plus délicate seulement. Elle rappelle assez bien la belle Vénus du musée de Syracuse, que Thorvaldsen ne connaissait pas. C’est une Romaine autant qu’une Grecque, surtout par la tête, qui n’a pas le profil d’Ionie : où donc l’artiste aurait-il pu le trouver? Mais il a vu à Rome cette tête sérieuse et pure, presque virginale, avec ses traits un peu accentués et son élégante silhouette. Il ne l’a pas vue dans son atelier, car elle n’est point d’un modèle, mais plutôt parmi les jeunes personnes de la classe moyenne, du mezzo ceto, comme on dit à Rome, parmi ces belles filles que l’on voit se promener au Corso, les soirs d’été ou les dimanches, parées et pimpantes, mais toujours graves et réservées, répondant à peine par un demi-sourire ou un coup d’œil à leurs amoureux qui passent et repassent près d’elles sur la chaussée.

Comment se fit-il que Thorvaldsen, après avoir si bien senti et si heureusement exprimé l’idéal féminin, l’ait oublié peu de temps après dans le groupe malencontreux des Trois Grâces?.. On ne comprend guère aujourd’hui l’enthousiasme des contemporains pour cette froide composition où la sécheresse et la raideur des corps, les duretés choquantes que présente l’agencement des lignes, feraient douter de la signature du maître. Son premier tort fut de ne pas comprendre le vrai sens de son sujet. Vouloir grouper trois corps de femmes nues et debout, en évitant à la fois la monotonie, l’afféterie et le sensualisme, c’est, comme aurait dit Molière, une étrange entreprise. On ne l’eût pas imaginée au siècle de Périclès. Phidias a représenté les Grâces vêtues, aussi bien que Germain Pilon, tous deux en cela conformes aux lois de l’esthétique et au vrai caractère de leurs personnages. Les Trois Grâces nues de Sienne, que n’a égalées cependant aucune de leurs imitations modernes, sont une œuvre de la décadence. Il faut à une donnée aussi invraisemblable les ressources de la peinture ou les artifices du bas-relief. Thorvaldsen l’a prouvé lui-même en prenant plus tard sa revanche sur le tombeau du peintre Appiani[10]. Là elles sont vraiment d’une beauté suave et chaste, ces trois sœurs enlacées et doucement appuyées l’une sur l’autre, qui écoutent l’Amour chanter sur la lyre les louanges d’un artiste.

Quant au groupe trop vanté dont nous parlons, il me semble, à voir ces formes sèches et maigres, que le maître ait alors délaissé la nature pour une imitation, trop hardie cette fois, de l’école éginète. Bien mieux en fut-il inspiré lorsque, dans un autre mouvement de ferveur archaïque, il voulut reproduire une des statues de femmes qui, sur le temple d’Égine, se tenaient debout au sommet du fronton, de chaque côté de l’acrotère. Ces statues représentaient les Heures, et il en fit une Espérance, belle et étrange figure, où revit toute la majesté de la vieille sculpture hiératique. Elle s’avance, calme et solennelle comme une prêtresse, couverte de longs voiles aux plis droits et pressés, le front entouré de boucles pendantes que serre un bandeau, d’une main soulevant le bas de sa longue tunique, de l’autre présentant une fleur sans corolle. Pour donner la vie à un marbre sous des formes aussi inusitées, ne fallait-il pas s’être fait soi-même, par la force de la pensée, un contemporain de Solon et de Pisistrate?

Mais, comme s’il eût voulu prouver que ces essais d’archaïsme, l’Espérance et le Ganymède, n’étaient qu’une fantaisie ou une gageure, dans le même moment Thorvaldsen faisait jaillir du marbre une figure du style le plus opposé, sa plus belle création peut-être et pour ainsi dire le couronnement de son œuvre païenne. Sur ce célèbre Mercure épiant Argus tout le monde est d’accord, et il ne reste rien à en dire. Je me contenterai de renvoyer les lecteurs curieux à la page éloquente que lui a consacrée M. Delaborde[11]. Le Mercure est une des merveilles de l’art moderne et suffirait à placer son auteur au premier rang. Le dieu est assis, nu, sauf le pétase ailé, sur un tronc d’arbre recouvert de sa chlamyde. De la main gauche il écarte de ses lèvres la syrinx dont il vient de jouer, et de la main droite tire doucement son épée du fourreau placé et maintenu sous le talon droit. Il regarde en même temps d’un air farouche, avec un mélange de haine, de mépris et de joie, l’ennemi que le sommeil lui livre et sur qui il va bondir. Une double action, celle qu’on voit et celle qu’on pressent, le saisissent au même instant. On ne saurait mettre dans un marbre plus dévie et de force dramatiques. Et quelle harmonie dans la composition, quelle perfection dans toutes les formes! C’est un autre idéal que celui de l’Adonis : les muscles sont pleins et nourris, comme il convient au dieu protecteur des gymnases, assez sobres cependant pour la légèreté d’un messager de l’Olympe. La tête offre un caractère encore plus individuel. Elle est vraiment grecque, petite, arrondie, avec des traits fins et élégans, à peine contractés par l’expression la plus intense. C’est devant ce chef-d’œuvre qu’un poète allemand avait raison de dire à Thorvaldsen : « Nos barbares aïeux ont détruit dans Rome les ouvrages divins des Grecs, et toi, tu les a rendus au monde. »

Ceux qui ont refusé au Danois le don du pathétique feront bien de revoir le Mercure. Pour être pathétique dans la statuaire, il n’est pas besoin d’imiter le Laocoon. Nous sommes trop habitués, nous autres modernes, à ne voir l’expression sculpturale que dans les gestes violens ou dans les contractions du visage. Beaucoup moins familiarisés avec la statuaire qu’avec la peinture, dont les moyens d’expression sont très différens et beaucoup plus variés, nous confondons volontiers les ressources et, pour ainsi dire, la langue des deux arts. Les Grecs, peuple de sculpteurs, pensaient tout autrement. Pour eux, suivant le mot très juste de M. Charles Blanc, le visage n’était que l’appoint de l’expression. Ils la cherchaient avant tout dans l’attitude et le geste. C’est sur ce point de leur esthétique que Thorvaldsen les a égalés. Imprégné de toutes les formes et des lois les plus secrètes de leur grand art, il a rendu de deux manières ce genre d’expression, mesurée et contenue, mais toujours vive, qui caractérise leur sculpture des meilleurs temps. Il l’a rendu d’abord, à peine est-il besoin de le dire, par la convenance, la signification matérielle des gestes et des attitudes qui indiquent, au premier coup d’œil, de quels sentimens un personnage est animé et ce qu’il fait; ensuite, par le sens profond et caché, mais éloquent, qui se trouve dans l’harmonie des masses et des contours. Lorsque David (d’Angers), l’homme du mouvement et de la passion, accusait à tort le Danois de tout sacrifier à l’équilibre d’une composition et à l’agencement des lignes, il lui reprochait une qualité maîtresse que lui-même, le fougueux David, n’a pas négligée dans ses meilleurs ouvrages. Cet équilibre merveilleux des compositions de Thorvaldsen, où il n’y a jamais aucun vide, où toutes les masses se balancent, toutes les lignes s’accompagnent l’une l’autre, même dans leurs oppositions, ce n’est pas seulement un charme pour les yeux, c’est un langage pour l’âme du spectateur. Au premier aspect d’une de ces figures on devine, on sent, par la douceur ou l’énergie, par la sobriété ou le caprice de ses contours, ce qu’elle est et ce qu’elle veut dire. Cette harmonie secrète du dessin est pareille à l’harmonie des sons dans la musique qui frappe en même temps l’oreille et l’âme, t’art du musicien est de choisir les sons qui peuvent traduire ses pensées. Non-seulement il choisira, suivant les circonstances, entre le mode majeur et le mode mineur, mais il n’écrira pas indifféremment une mélodie sur tel ou tel des tons de la gamme, parce qu’ils n’ont pas tous la même physionomie et n’éveillent pas les mêmes impressions. Les uns conviennent à une mélodie tendre, les autres à un air joyeux ou à une marche brillante. Aux premières notes de la sonate en la de Mozart, par exemple, on devine un chant plein de langueur et d’amour, au premier accord de la sonate pathétique ou de la symphonie en ut mineur de Beethoven, l’âme se remplit de pensées mélancoliques. Ainsi, sans tenir compte même du sujet de l’œuvre, l’accord des couleurs dans un tableau, la physionomie et l’arrangement des lignes dans une statue, sont un langage mystérieux, mais tout-puissant, que notre esprit subit sans pouvoir l’expliquer.


S. JACQUEMONT.

  1. On lit dans quelques dictionnaires que Bertel Thorvaldsen naquit pendant une traversée de Reikiavik à Copenhague. C’est une erreur que M. Plon a rectifiée d’après les meilleurs biographes. L’artiste est né à Copenhague en 1770.
  2. La plupart de ces statues obtinrent un tel succès que le maître en exécuta plusieurs répétitions. Ces marbres précieux sont dispersés dans les collections particulières en Allemagne, en Russie, en Angleterre.
  3. Plusieurs sont devenus des statuaires très distingués, Tenerani, Bienaimé, Wolff, Bissen, et d’autres encore.
  4. M. Ampère voit dans le Mercure du Belvédère une excellente copie d’un célèbre Mercure de Polyctète. Cette assertion se trouve corroborée par la récente découverte à Olympie, d’un admirable marbre, trop mutilé, mais fort semblable au Mercure du Vatican, si ce n’est qu’il porte la tête relevée et détournée pour regarder un enfant, Bacchus sans doute, que le dieu tenait sur le bras gauche. Le plâtre de cette œuvre exquise a été offerte par le musée de Berlin à notre École dos Beaux-Arts.
  5. Mme Brun, mère de la célèbre comtesse de Bombelles, à qui Lamartine a dédié une de ses plus belles Harmonies.
  6. Le Louvre possède un Adonis au retour de la chasse, de Niccolas Coustou. En le comparant à celui de Thorvaldsen, on saisit à la fois les deux extrémités d’un art, la vérité et la convention, le naturel absolu et le factice porté au suprême degré. Ce beau jeune homme de Coustou, si fièrement et si noblement posé, n’a qu’un tort, c’est de ne pas être habillé on mousquetaire.
  7. Claudicatio non deformis, dit Cicéron en parlant du Vulcain d’Alcamène, De Natura Deorum, I, 30. On sait combien l’art grec proscrivait la laideur.
  8. M. Beulé a développé tous les principes de l’école d’Egine dans son Histoire de l’art grec avant Périclès, deuxième partie, chap. IX.
  9. Si bizarre qu’il paraisse, ce sujet a tenté plusieurs sculpteurs français. On voit au Louvre un petit groupe de Ganymède et l’Aigle, par Julien (1804), et un autre beaucoup meilleur, au Luxembourg, par M. Barthélémy (1850). Mais il y a loin de ces agréables fantaisies à la simple et puissante conception de Thorvaldsen, On peut s’en rendre compte à Paris même sur une première étude du maître, traitée avec de légères variantes et dans de petites proportions, qui appartient au baron Hottinguer.
  10. A l’académie des beaux-arts de Milan ; c’est un de ses plus beaux bas-reliefs.
  11. Voyez la Revue du 1er juin 1868.