Chansons à dire/Le Mur

(Redirigé depuis Le Mur (Nadaud))
Chansons à direTresse et Stock, éditeurs (p. 30-31).


LE MUR


Depuis que j’abrite ma vie
Derrière le mur de la loi,
Tous mes voisins meurent d’envie
De voir ce qui se fait chez moi.
Toute existence qui se cache
Pour le public a des appas.
Qu’on se le dise et qu’on le sache :
Ce mur est mien ; n’y touchez pas.

Je comprends qu’on veuille connaître
Les habitants d’une maison
Qui n’a ni porte ni fenêtre,
Et qui n’est pas une prison.
On se rassemble, on s’interpelle ;
Les plus hardis disent tout bas :
« Si nous appliquions une échelle ? » —
Ce mur est mien ; n’y grimpez pas.

Les polissons du voisinage
Profitent de notre sommeil
Pour y tracer plus d’une image
Que voit l’aurore à son réveil.

Auteurs de ces basses peintures,
N’arrêtez point ici vos pas ;
Portez ailleurs vos signatures.
Ce mur est mien ; n’y peignez pas.

Bavards, chroniqueurs, journalistes,
Qui savez vous fourrer partout,
Charlatans, médecins, dentistes,
Nouveautés de luxe et de goût,
Chiens perdus, terriers ou caniches,
Faiseurs de tours, dresseurs d’appâts,
Apposez plus loin vos affiches.
Ce mur est mien ; n’y collez pas.

Pourtant au fond je suis bonhomme,
Et si le bruit fait mon effroi,
Je serais désolé qu’en somme
On ne parlât jamais de moi.
Le mur où ma vertu se loge
Est sacré ; mais si vous voulez
L’utiliser à mon éloge,
Touchez, grimpez, peignez, collez.