Bibliothèque-Charpentier (p. 45-95).



II


Je m’éveillai le lendemain à la pointe du jour. Des hirondelles faisaient leur petit ramage du réveil, et portant mes yeux en haut, je vis le nid attaché à une solive et les hirondelles sur le bord, prêtes à sortir. Juste au-dessous du nid, la Mondine avait mis un paillasson plein de sable pour la propreté. Les deux bestioles, après avoir jasé assez, s’envolèrent par un carreau cassé.

J’étais dans cet état de bien-être qu’on sent lorsqu’on a l’esprit tranquille, et le corps bien reposé. Le bruit des eaux qui passaient sur l’écluse, me berçait doucement, et je me laissai aller à des rêveries d’autrefois.

Je me revoyais petit enfant de cinq ou six ans, jouant au-dessous du moulin sur le bord de l’eau, et faisant dans le sable de petits lacs où je mettais des gardèches, ou quelqu’autre fretin que j’attrapais avec un crible. Couché sur le ventre je les regardais aller et venir tout étonnées de se voir enfermées.

Une fois la demoiselle Ponsie vint me chercher là. C’était alors une belle fille de seize ans, qui mordait dans mes joues rouges comme dans une pomme. Qu’elle était jolie avec son grand chapeau de paille fine, et sa figure rose encadrée de grappes de cheveux blonds annelés ! Elle était venue faire laver la lessive, et comme c’était l’heure du mérenda, elle voulait me faire manger des crêpes. La charrette qui avait porté le linge était là-bas le long du pré du moulin, et, sur les haies, le linge blanc séchait avec une bonne odeur d’eau de rivière. À l’ombre des peupliers, la servante de Puygolfier avait posé son lourd panier et sa grande pinte, et les lavandières étaient assises sur l’herbe. Ha ! les bonnes crêpes que c’était, et comme la demoiselle savait les replier joliment, après avoir épandu dessus de bon miel jaune qu’on prenait avec une cuiller dans un petit pot.

Après m’être bourré de crêpes, je m’endormis à l’ombre, et la demoiselle me mit sur la figure son voile vert, pour me garder des mouches.

Une autre fois, j’étais à cheval sur le mur de la cour, regardant dans le chemin, lorsque je la vis venir sur sa bourrique. Je m’encourus à son avance, et elle me fit grimper sur la pierre montoire du moulin et me prit en croupe, après avoir fait dire à chez nous, par Gustou, de ne pas s’inquiéter de moi. Nous voilà partis pour le Bois-du-Chat, à ramasser des marrons. À la montée des termes, elle descendait pour soulager la bourrique, et alors je passais devant et je tenais la bride, tout fier comme si c’eût été une chose difficile.

Dans le bissac attaché au panneau de la bourrique, il y avait des affaires pour la vieille Jeannillotte, qui demeurait dans une cabane en plein bois de châtaigniers. C’était une bien pauvre demeure : les murs étaient moitié en bois, moitié en pierres et elle était couverte de ces genêts sauvages dont on fait les balais chez nous. Le foyer avait pour chenets deux pierres, et il était éclairé par le jour qui venait de la cheminée, tant elle était basse. Dans un coin un vieux châlit piqué des vers, avec une paillasse bourrée de paille d’avoine et un méchant couvre-pieds tout rapetassé. Sous la table, une oulle pour les châtaignes, et une petite marmite de fonte où la vieille faisait rarement de la soupe. La table était faite avec des planches clouées sur des piquets. Dessus, deux ou trois assiettes, une soupière ébréchée en terre brune, une cuiller de fer et une cruche à l’eau, petite, car la vieille n’était pas forte, et la fontaine était loin. Et puis, avec un petit pilo de bois mort dans un coin, c’était tout. Quand on levait la tête on voyait le toit de balais. Sous la porte on aurait passé la main. Dans les nuits d’hiver, les loups qui hurlaient par les bois et trottaient sur les chemins, venaient fourrer leur nez sous la porte et reniflaient en grognant.

C’est là que vivait la vieille Jeannillotte, au grand regret de la demoiselle qui avait toujours peur qu’il ne lui arrivât malheur, de façon ou d’autre. Elle avait bien voulu la faire entrer à l’hospice d’Excideuil, mais la vieille ne voulait pas entendre parler de ça, ni même de venir demeurer dans le bourg.

Les gens de par chez nous la croyaient sorcière, et pas un n’eût voulu la rencontrer le matin en allant à la foire, sûrs que, s’ils achetaient une paire de veaux, ils se seraient écornés, ou, s’ils ramenaient des brebis, elles auraient eu le tournis. Et ce n’était pas seulement les paysans qui la fuyaient. Quand M. Silain, le père de la demoiselle, allait à la chasse et qu’il l’apercevait sur la porte de sa cabane, ou dans les châtaigniers, cherchant du bois mort ou des châtaignes, il désarmait son fusil, cornait ses chiens et s’en retournait à Puygolfier, où il ne faisait pas bon autour de lui ce jour-là.

Mais la demoiselle Ponsie n’avait peur de rien elle, et nous fîmes notre entrée chez la vieille après avoir attaché la bourrique à un arbre. La soi-disant sorcière, assise sur un petit banc, sommeillait dans la queyrio, autrement dit le coin du feu, les coudes sur ses genoux, la tête penchée dans ses mains, pliée en deux. La demoiselle tira du bissac et posa sur la table, un pain blanc, une bouteille de vin, un poulet, de la bonne cassonnade, des fromages de chèvre et un verre. La vieille oyant quelque bruit, tourna la tête sans la relever, et ne dit mot. Puis la demoiselle la fit manger, lui sucra du vin et la fit boire, et alors la vieille Jeannillotte se redressa un peu et commença à parler un brin, remerciant de son mieux : que le bon Dieu et la sainte bonne Vierge vous fassent heureuse, demoiselle !

Elle but encore un petit coup, et ça la remit tout à fait, et elle se mit à babiller. Elle parlait de sa jeunesse : c’était du temps du grand-père de M. Silain, qui avait un habit rouge, une perruque blanche, une épée à poignée d’or et un chapeau à trois cornes qu’il mettait souvent sous le bras. Ah ! celui-là ne se détournait pas d’elle comme le M. de Puygolfier d’aujourd’hui. Quand il allait chasser, et qu’il la rencontrait dans les bois, jeune pastourelle gardant ses brebis, il lui prenait le babignou, comme elle disait pour le menton, et des fois l’embrassait. Puis ses souvenirs se brouillant, elle confondait avec les histoires ouïes dans sa jeunesse. Voilà, les Anglais étaient arrivés venant d’Auberoche, et ils avaient tout brûlé à Puygolfier, et le seigneur était parti après les Anglais qui allaient au château des Chabannes qu’ils brûlèrent aussi. Dans toutes ces affaires le seigneur avait été tué… Que le bon Dieu le garde dans son saint paradis ! disait-elle en joignant les mains.

Au sortir de là, nous fûmes au Bois-du-Chat, ramasser des marrons, et comme nous avions emporté de chez la vieille, une braise avec de la cendre dans un vieux sabot, nous allumâmes du feu pour faire griller des marrons sous les charbons. Ah, que c’était bon de manger comme ça dans les bois !

Le bissac bondé de marrons fut attaché sur la bourrique et nous redescendîmes vers le moulin. Ma grand’mère remercia bien la demoiselle de m’avoir emmené ; mais elle se mit à rire, m’embrassa encore, remonta sur sa bourrique et s’en fut vers Puygolfier.

Une autre fois encore… mais à ce moment mon oncle entra dans la chambre : Allons ! allons ! mon vieux, le soleil est levé depuis un moment ; saute du lit. Il me faut aller du côté de Verdeney parler à un couvreur pour faire repasser le toit du moulin ; ça te promènera.

Après avoir cassé une croûte, et bu un verre de vin gris, mon oncle prit son fusil en cas de bonne rencontre, et je le suivis.

À deux cents pas du moulin il y avait une drole d’une douzaine d’années, qui touchait un troupeau de brebis.

— Tiens, Nancy, dit mon oncle, ça tombe bien, te voilà ta foire. Et il lui donna les bagues de la Saint-Mémoire.

— Grand merci, notre Monsieur, dit la petite.

— Tu mènes tes brebis dans les raisses, ajouta mon oncle ; donne-toi garde de les laisser entrer dans la coupe jeune.

Cette petite me fit impression par sa figure calme et sérieuse. Sous son bonnet d’indienne, devenu trop petit, d’épais cheveux noirs sortaient de partout. Ses sourcils étaient bien recourbés, et, sous de longs cils noirs, ses yeux gris bleu avaient une assurance tranquille qui m’étonnait, car les drolettes de chez nous étaient nices en ce temps, et n’osaient regarder les gens.

— C’est la petite bâtarde de chez le bordier, dit mon oncle.

— Je ne l’aurais pas reconnue.

— C’est qu’elle a grandi et s’est bien faite ; et avec ça plus de raison et de sagesse que bien des filles de vingt ans. Ça aurait été dommage de laisser cette drole sans lui faire apprendre quelque chose. Mais j’ai eu bien du mal à obliger Jardon à la laisser aller ces hivers chez la vieille demoiselle Vergnolle. Elle n’y a pas appris grand’chose, car la pauvre fille ne peut enseigner que ce qu’elle sait, et elle n’en sait pas long. Ça m’a coûté six écus, mais je ne les plains pas ; aujourd’hui la Nancy sait lire, écrire et compter un peu. Il faut dire aussi que la demoiselle Ponsie lui montre quelquefois, et lui a prêté des livres de classe, moyennant quoi elle a étudié un peu par-ci par-là, en gardant ses moutons, ou le soir à la veillée.

Arrivé à Verdeney, mon oncle s’entendit avec le couvreur, et nous fûmes revenus pour manger la soupe.

Après déjeuner, Gustou chargea des sacs sur une mule et sur la jument ; mon oncle prit son fouet, et partit pour rendre de la farine aux pratiques.

— Donne-moi la clef ? lui dis-je.

La clef, point d’autre explication ; mais il savait ce que je demandais. Il tira une clef de sa poche.

— Tiens, et ne dérange rien.

Là-dessus il fit claquer deux ou trois fois son fouet, et suivit ses bêtes.

Notre moulin était planté sur la rivière comme un pont. En le traversant, on allait, du bord, à l’îlot formé par le trop plein des eaux du goulet, autrement dit du bief, qui passaient sur l’écluse, et faisaient un bras de rivière qui allait à deux cents pas en aval rejoindre les eaux qui faisaient tourner les meules. De l’îlot, on passait sur l’autre rive, par un gué longé de grosses pierres que les piétons enjambaient tandis que leurs bêtes, quand ils en avaient, suivaient le gué.

À l’entrée du moulin était un espace libre, où on attachait les bêtes qui venaient porter le blé à moudre. À l’autre bout, c’était le pressoir pour l’huile ; entre deux, les meules. Au-dessus, il y avait deux chambres où on montait par un escalier de bois. L’une était celle de Gustou, l’autre était à mon oncle, et c’est là qu’il serrait ses affaires et montait de temps en temps quand il avait un moment.

Avant d’entrer au moulin, Gustou me fit voir sur la clef de voûte de la porte ronde une raie qu’il avait faite au ciseau. C’était la marque de l’inondation de l’année d’avant. Les eaux avaient monté jusque-là, dans la nuit du 16 au 17 janvier 1843, et tout le moulin avait été inondé. Ce n’était pas chez nous seulement qu’il y avait eu de grandes crues ; notre nouvelle route de Périgueux à Saint-Yrieix, avait été tout abîmée, et les eaux avaient emporté le pont d’Eymet et celui de Mussidan.

Quand Gustou m’eut bien raconté tout ça, avec force explications sur les dégâts que le moulin avait eus, et toujours avec sa manière lente et tranquille qui me faisait bouillir, je montai vivement l’escalier, et je crois bien qu’il parlait encore tandis que je mettais la clef dans la serrure.

Pour sûr, la recommandation de mon oncle était bien inutile, car rien n’était rangé dans la chambre. Dans un coin était le lit à quenouilles avec des rideaux rouges à grands ramages, où mon oncle couchait quelquefois, s’il y avait du monde à la maison. Mais en ce moment il y avait sur le couvre-pieds des pelotons de fil à faire le filet. Contre le mur, un grand vieux cabinet à colonnes et à quatre portes taillées en pointes de diamant ; à l’opposé, une grande table où étaient éparpillés de vieux livres à tranches rouges ou bariolées. Dans une grande écritoire de faïence à fleurs, étaient plantées des plumes d’oie venant de l’aile de nos bêtes. Dans un coin, le lourd fusil à pierre avec lequel l’aïeul avait fait les campagnes de la République. Aux murs, un shako moins ancien, large du haut, avec un grand pompon jaune, un havresac poilu et des vieilles images attachées avec des clous à ferrer les souliers.

À côté de la table, étaient accrochées une peau de bouc et une sacoche à je ne sais combien de poches, brodée de fils de soie et couverte d’une peau de bête sauvage ; mon oncle avait apporté ça d’Afrique. Ailleurs, de grandes gourdes accrochées à des clous, contenaient des graines, et, du côté de la fenêtre, un épervier tôt fini pendait d’une poutre du plafond.

Parmi les images clouées au mur, il y en avait une au-dessus de la table que j’aimais plus que les autres. Cette image représentait la Liberté, patronne des Français. C’était une jeune fille de seize à dix-sept ans, coiffée d’un bonnet ramené par devant avec une petite floque ; elle avait une ceinture tricolore et un sabre pendu à un baudrier : qu’elle était jolie !

J’aimais cette chambre de passion étant enfant et jeune garçon, à cause de toutes ces choses, et surtout pour ces vieux livres où on trouvait des histoires si belles. Le haut du cabinet en était bondé. Dans le bas, partagé avec une étagère, il y avait, pêle-mêle, de vieilles ferrailles, des pierres à fusil, des cornes à mettre la poudre, d’anciennes fioles verdâtres, des grelots, des boutons de cuivre, des bouts de galons d’uniforme, un pistolet à pierre, un coudouflet à appeler les perdrix, des balles de calibre, des tabatières, des bésicles de corne, enfin tout ce bric-à-brac qui s’amasse dans les maisons où on ne jette rien. J’aimais à farfouiller dans toutes ces vieilleries, m’amusant avec. Je recherchais aussi les antiques histoires, les anciens almanachs. Oh ! les Quatre fils d’Aymon, que l’on voyait sur la couverture montés tous quatre sur le cheval Bayard, que de fois je l’ai relu ! Il y avait aussi un vieux Plutarque dont je ne pouvais me déprendre. Mon oncle y avait fait des marques avec des morceaux de papier, et moi je mangeais ces vies des hommes illustres. Lorsque j’étais encore enfant, j’étais plus curieux des faits que de l’enseignement qu’ils donnent, mais plus tard, ç’a été le contraire, en sorte que le peu que j’ai acquis de ce côté, je le dois à ce livre.

Il y avait encore une vieille Maison rustique, tout abîmée, où je cherchais principalement la manière d’attraper les oiseaux, et les affaires de chasse.

Mais il y avait aussi dans cette chambre un tableau comme aucun peintre n’en a fait. Quand j’eus achevé le tour de la chambre, je m’assis, un coude sur la table, pour le regarder. Par la fenêtre ouverte, on voyait le bief du moulin dans toute sa longueur de deux cent cinquante à trois cents toises. La rivière sort d’une gorge, bordée d’un côté par une étroite lisière de prés dominés par des coteaux boisés, et de l’autre, par un grand terme de rochers presque à pic sur l’eau et pleins d’ajoncs, de houx, de bruyères et de genêts sauvages que nous appelons des balais. Tout à la cime, de grands châtaigniers, venus là par hasard, se penchaient comme pour regarder dans la rivière. Au bord, de chaque côté, les vergnes, les aubiers retombaient sur les eaux tranquilles.

En quelques endroits, un peuplier miné par les crues s’inclinait aux trois quarts tombé, comme pour jeter un pont sur la rivière. Tous ces arbres penchés sur l’eau, se rejoignaient quasi des fois, ce qui, vu de loin, faisait comme une longue voûte de verdure. Le soleil passant à travers le feuillage, tremblotait à la surface de l’eau. Les demoiselles aux ailes bleues et vertes, voletaient çà et là, et se posaient sur les crêpes et les marguerites d’eau, où les hirondelles qui chassaient en rasant la rivière les attrapaient quelquefois ; sur les bords, des iris dont les feuilles semblent des baïonnettes. De temps en temps, un cabot ou une perche montait à le surface happer une chenille ou une barbote chue des feuilles, et le cercle formé par le remous, allait s’agrandissant toujours et finissait par disparaître. Des fois, un martin-pêcheur passait d’une rive à l’autre comme une flèche empennée de bleu, en jetant son petit cri aigu ; ou bien un rat d’eau traversait la rivière en laissant derrière lui un long sillage. Dans le bois, on entendait le bruit sourd du pic sondant un arbre à coups de bec.

C’était une vue plaisante que celle-là, aussi je restai là, toute l’après-dînée, lisant et regardant, et je ne descendis que vers le soir, lorsque le fouet de mon oncle se fit entendre. Je ne m’en suis jamais fatigué, et encore aujourd’hui, quarante-cinq ans après, de la vieille table où j’écris ceci, je pose souvent la plume dans l’écritoire pour regarder.

Voici un an, que les dimanches je m’amuse à coucher par écrit ces histoires de jadis, et j’ai vu ce tableau changer plusieurs fois.

Au printemps rien n’est encore formé ; les bourgeons ne sont pas développés, la verdure est claire, l’herbe des prés commence à pointer ; c’est le temps où les droles font des chalumeaux avec des branches de saule : sève, sève… c’est le renouveau de la terre ; les oiseaux dans le taillis prochain, babillent et font l’amour, et on entend au loin le coucou chanter dans les bois.

Dans ce moment où j’écris ; en novembre, les feuilles jaunissent et tombent. Dans les taillis, le feuillage couleur de tan du chêne se mêle aux feuilles jaunes du châtaignier et aux feuilles grisâtres des noisetiers, tandis que par places les cerisiers sauvages piquent sur ce fond leurs belles couleurs rouges. Toutes ces couleurs se nuancent selon l’âge ou la vigueur des arbres, pour se fondre vues de loin, dans ces belles teintes des bois à l’automne. Seuls les peupliers déjà dépouillés dressent tristement sur les bords de l’eau, leurs cimes pointues au-dessus des vergnes et des saules. Quelquefois une pluie serrée tombe lourdement sur l’eau comme des balles de plomb, et c’est triste. Mais en ces beaux jours de la Saint-Martin, où nous sommes, la rivière charrie lentement les feuilles mortes ; elle fume, et cette brume fine se répand dans la gorge, amortissant encore les derniers rayons d’un pâle soleil qui se meurt pour renaître à la Noël.

L’hiver c’est encore autre chose : plus une feuille aux arbres ; les prés sont morts, grisâtres et tristes ; la terre est durcie par la gelée ; les herbes folles et les grands chardons desséchés sont blancs de givre, et le long des rives dans les petits creux où l’eau dort, la glace est prise. En haut des rochers, les squelettes noircis des grands châtaigniers se dressent immobiles sur le ciel couleur de plomb. Tout est endormi et repose ; pourtant dans le terme, les ajoncs vivaces au milieu des bruyères grises et des fougères séchées, éclairent leur verdure terne de quelques fleurs jaunes, et les houx aux feuilles luisantes montrent leurs belles grappes de graines rouges. Lorsqu’il gêle fort, on voit quelquefois tout là-bas, dans le fond du goulet, une troupe de canards sauvages qui cherchent leur manger, tandis que dans l’air monte lentement la fumée lourde de quelque feu de bergères, et que plus haut passe en couahnant des bandes de graules.

J’ai entendu quelquefois des gens de la ville dire : oui, la campagne, c’est jolie l’été et pendant les vacances, mais l’hiver, c’est bien triste.

Hé bien, moi, je l’aime en tout temps la campagne ; lorsqu’elle commence à s’éveiller, lorsqu’elle porte les blés mûrs, lorsqu’elle décline comme un malade qui s’en va, lorsqu’elle est morte l’hiver. Quelquefois de la cime des côteaux au-dessus de chez nous, je regarde une grande étendue de pays couverte de neige, jusque vers Saint-Raphaël. Plus rien : les gens sont chez eux au coin du feu, les bestiaux à l’étable, et les oiseaux des bois à l’abri sous les mères branches des arbres ; plus rien, si ce n’est de temps en temps une pétée au loin qui rappelle aux soldats de l’hiver de 1870, les coups de fusil des avant-poste… Revenons au moulin.

J’ai oublié de dire jusqu’ici, que cette année-là, 1844, le 26 mai était tombé un dimanche, de manière que la foire avait été repoussée au lundi et mardi. Je ne parle pas du troisième jour qui, dès cette époque, n’était guère plus rien pour le commerce ; on y voyait plus de gens faisant la noce que des affaires.

Le surlendemain de ma venue au Frau était donc un jeudi, jour de marché à Excideuil, et mon oncle y ayant des affaires, j’y fus avec lui.

Pour dire la vérité, je ne m’amusai pas beaucoup ce jour-là. Je fis souvent, en suivant mon oncle, le chemin du foirail au minage, et du minage à la place des cochons, où il fallut en acheter deux que Jardon, le bordier, emmena. Nous passâmes je ne sais combien de fois dans la rue des Cordeliers, sans parler des entrées dans les cafés ou les auberges pour chercher quelqu’un à qui mon oncle avait affaire. De temps en temps, nous rencontrions des gens qui l’accostaient, lui secouaient la main, et après les informations sur la santé : Comment ça va ? et chez toi ? disaient en me regardant : Qui est ce drole ?

Sur la réponse de mon oncle, ils se mettaient alors à parler des affaires de la politique, et de ce qui se passait. Et ma foi on ne disait pas de bien des gens qui étaient à Paris à la tête. Les principales choses dont on se plaignait, c’était que le sel était trop cher et les impôts mal répartis. La loi nouvelle sur les patentes faisait crier les gens de métier ou de commerce qui payaient cet impôt. Mais tous et un chacun se révoltaient de bien travailler, de payer les tailles, les prestations des chemins, les patentes et tout, et de n’être rien, vu qu’il n’y avait d’électeurs que ceux qui en payaient jusqu’à deux cents francs, ce qui était beaucoup en ce temps. On se vengeait de ça, en brocardant sur quelques-uns du pays, qui avaient plus de terres que d’esprit et de bon sens. On ne disait pas guère de bien de nos députés non plus. Comme il était du pays, que c’était un général, et qu’il faisait beaucoup travailler à la Durantie, on ne parlait pas du maréchal Bugeaud, mais les autres députés étaient mal arrangés. Lorsque mon oncle disait qu’il y avait une nouvelle loi pour empêcher de chasser sans payer vingt-cinq francs, et un tas de règlements qui n’en finissaient plus pour tuer un lièvre, alors les gens juraient, et ne se gênaient pas pour traiter de canailles, de gueux, tous les messieurs qui voulaient rétablir à leur profit les anciens droits des nobles, au moyen de l’argent. Il y avait surtout un homme de Cubas qui se mit fort en colère. Il disait qu’il faudrait recommencer la Révolution, parce que les bourgeois et les nobles s’entendaient pour remettre le peuple à ce qu’il était autrefois ; et il assurait que dans son endroit, tout le monde était de cet avis.

— Tant mieux ! faisait mon oncle, et que tout le département et toute la France puissent penser ainsi !

Ç’a toujours été un grand sujet de mécontentement que cette loi sur la chasse. Chez nous, tout le monde a son fusil au-dessus de la cheminée, et celui qui s’en va couper de la bruyère, ou abattre un arbre dans les bois, ou faire le tour de son bien, emporte son fusil avec lui. Les charbonniers qui travaillent pour les forges, ont le leur dans leur cabane, et les mineurs qui cherchent le minerai, le cachent dans le creux d’un châtaignier. Dans les foires et les marchés, on ne voit que gens avec leur fusil. Aussi cette loi faite par les bourgeois, personne ne s’y trompait ; tous nous autres paysans, nous comprenions bien, qu’elle était faite pour que nous ne chassions pas, nous qui nourrissons le gibier, afin que les messieurs pussent tirer plus de lièvres et de perdrix. Ce n’était pas tant pour l’argent qu’elle devait rapporter au gouvernement, que pour ça, qu’elle avait été faite. Aussi M. Chavoix qui nous connaissait bien, lorsque nous l’eûmes nommé représentant du peuple, il fit tout le possible pour la faire ôter, mais il y avait trop de gens intéressés à ce qu’elle restât, et il ne put jamais y arriver.

Tandis qu’on causait comme ça dans le foirail ou sur les places, lorsque les gendarmes venaient à passer, avec leur grand chapeau bordé, leurs habits à queue, leurs buffléteries jaunes croisées sur la poitrine on ne parlait pas haut, et on avait l’air de causer du prix du blé ou des cochons, ou de choses comme ça. Eux cependant n’avaient pas l’air commode avec leurs moustaches en brosse et leurs petits favoris, et je me donnai garde qu’ils nous regardaient beaucoup en passant, et principalement mon oncle. À cette époque, on ne voyait guère de gens barbus, surtout dans nos pays, et ceux qui avaient leur barbe étaient regardés, je ne sais pas pourquoi, comme des républicains, des pas grand’chose, des communistes, enfin des gens qu’il fallait surveiller. Mon oncle, barbu comme il l’était, passait pour un homme dangereux, à ce que j’ai su depuis. Mais ça, c’est des idées bêtes comme les gens s’en mettent quelquefois dans la tête. Roux-Fazillac, Elie Lacoste, Lamarque, Bouquier, et tous les autres conventionnels qui ont fait guillotiner Louis XVI, étaient bien rasés, et n’avaient pas tant seulement un poil aux joues, pas plus que ceux qui ont commencé la Révolution, Mirabeau et les autres. Ce n’est pas la barbe qui fait les révolutionnaires ; mais à cette époque les gens en place croyaient ça.

Nous revînmes le soir avec quelques voisins. Tout en marchant, mon oncle leur parlait des affaires et leur disait qu’il fallait regarder plus loin que le clocher de son village, et s’intéresser à ce qui se passait en France. Ils trouvaient bien qu’il avait raison ; mais voilà ils avaient peur, les pauvres gens : oui, ça peut sembler fort à ceux qui ont la vie et la liberté assurées ; ils avaient peur des nobles, revenus aussi puissants que sous le roi d’avant ; peur des curés qui faisaient la pluie et le beau temps dans nos campagnes ; des notaires qui leur avaient fait prêter de l’argent ; peur des maires aussi, qui représentaient le gouvernement, et des gros bourgeois qui vous faisaient des procès aux mauvaises têtes, comme ils les appelaient, et les ruinaient. Les métayers craignaient leurs maîtres ; les journaliers, les propriétaires qui les occupaient ; les artisans, les bourgeois qui les faisaient travailler : Faut bien du pain pour les droles, n’est-ce pas ?

— Les pauvres seront toujours les pauvres ! disaient-ils bonnement : que pourrions-nous faire ? Nous ne sommes pas libres, nous ne votons pas, nous ne sommes rien, nous ne comptons que pour payer les tailles !

— Patience, cela viendra, disait mon oncle, Périgueux ne s’est pas bâti en un jour. Ceux qui travaillent, finiront par comprendre qu’ils sont les plus nombreux et les plus forts. Ce n’est pas les riches qui vous donnent le pain ; c’est au contraire vous autres qui les nourrissez et les entretenez de tout. Que feraient-ils de leurs biens si vous ne les leur travailliez pas ? Que produiraient leurs propriétés sans vous ? des ronces, des chardons et du chiendent. Leurs revenus, ils les tirent de vos bras, n’est-ce pas ? Le jour donc où les paysans ne travailleraient plus pour eux, que deviendraient-ils ? ils crèveraient de faim. C’est le peuple qui fait tout marcher, vous entendez bien ; qu’il se couche seulement comme un pauvre âne trop chargé, mal nourri, et tout s’arrête dans le pays.

Il ne faut pour ça que s’entendre. Quelque jour, je vous le dis, la terre sera au paysan. Nous autres nous ne le verrons pas, je crois bien, mais ceux qui viennent après nous, verront ça. En attendant, il faut prendre courage, se relever, se retourner quelquefois contre les gens méchants et durs. Ça ne sert de rien d’être craintif et soumis, au contraire : c’est sur le cheval qui tire le plus qu’on tape toujours. Rappelez-vous qu’une poule en colère fait fuir un chien, et ne craignez pas de résister à l’injustice, quoiqu’elle ait la force pour elle en ce moment.

Nous avancions en parlant ainsi, et la compagnie s’égrenait dans les villages. À Saint-Germain, deux nous donnèrent le bonsoir et restèrent. À la Maison-Rouge, un autre prit le chemin de Saint-Jory, et nous deux nous continuâmes le nôtre :

— Dire que nous en sommes là, cinquante ans après la Révolution ! fit mon oncle quand nous fûmes seuls.

Le lendemain après dîner, je m’en fus vers Puygolfier, et, en chemin, je pensais à la demoiselle. Étant tout enfant, je l’aimais avec passion, et même quelque chose de plus, car j’avais pour elle une sorte d’adoration, tant elle était bonne, et belle plus qu’aucune femme que j’eusse vue. En suivant le chemin creux, pierreux et bordé de chênes qui contourne le flanc du terme, et où les roues des charrettes avaient fait des ornières dans le roc, voici que toutes mes innocentes admirations se ravivaient comme un feu dans les terres au souffle du vent.

Quand on était en haut, le chemin tournait en revenant un peu sur lui, et finissait à une allée de noyers d’une centaine de pas, au bout de laquelle on voyait, percée dans un fort mur de clôture de dix pieds, la grande porte charretière, accolée d’une autre petite porte ronde pour les piétons. De chaque côté, les murs étaient percés de meurtrières. Les portes, ferrées de gros clous à tête pointue, étaient coiffées d’un toit aigu d’ardoises mousseuses, dans la charpente duquel piaillaient les passereaux. Ce jour-là, au grand portail, était clouée, les ailes étendues, une dame-pigeonnière.

En entrant dans la cour, on voyait, à gauche, la maison du métayer, la grange, le cuvier, le fournil, le clédier, ou séchoir à châtaignes, et dans une autre petite cour entre deux bâtiments, le tect des cochons. En face, la terrasse bordait la cour et les bâtiments, et au milieu de la cour était un grand vieux marronnier, où la poulaille se juchait. À droite, contre le mur de clôture, les écuries et le chenil, et, après un espace vide, le long de la terrasse, le château dominant la plaine ; petit château assez délabré, formé de bâtiments inégaux irrégulièrement assemblés autour d’une petite cour intérieure isolée de la grande. En entrant, on se trouvait en face d’une galerie soutenue par des arceaux de pierre. À gauche, la tour à toit pointu avec une girouette, qui contenait l’escalier. Sur la galerie s’ouvraient des portes, dont la première était celle de la cuisine, et la seconde celle du salon à manger.

La grande Mïette était là dans sa cuisine, qui s’exclama en me voyant, et se mit à me faire des questions sur ma santé, mon arrivée et le reste. Mais j’étais pressé, et lorsqu’elle m’eut dit que sa demoiselle était au salon qui repassait, j’y courus. La porte vitrée était ouverte et je la vis tout en blanc, cotillon et manteau de lit, et ses grappes de cheveux en boucles sur ses joues roses.

— Ho ! c’est donc toi, mon petit ! s’écria-t-elle ; mais je m’étais déjà jeté dans ses bras comme je faisais étant enfant, et je l’embrassais. En sentant à travers le linge ses seins fermes sur ma poitrine, j’éprouvai une sensation qui me fit rougir, ce dont elle s’aperçut, sans doute, car elle se retira.

— Comme tu as grandi ! dit-elle en riant ; et ta moustache qui pousse, te voilà un homme ! Tu es trop grand, maintenant, je ne t’embrasserai plus, tu me donnerais de la barbe !

Et moi je riais aussi, quoique pas trop content de ça, sans trop savoir pourquoi ; seulement, je sentais qu’elle ne pouvait plus être avec moi, comme lorsque j’avais dix ans et elle vingt, et que, me menant pendu à son cotillon, j’embrassais sa main, ne pouvant me hausser jusqu’à elle.

Tout en causant, elle se remit à repasser des collerettes, des mouchoirs et des petites affaires de femmes, et m’interrogeait sur ceci, cela. Je fus tout fier de lui apprendre que j’allais entrer à la Préfecture, avec M. Masfrangeas. Dans ma sottise naïve, il me semblait que j’allais devenir un personnage. Lorsque la demoiselle me demanda pourquoi je ne restais pas avec mon oncle, pour lui aider et le remplacer plus tard, je lui répondis avec un petit air important, que M. Masfrangeas avait dit à ma mère, que je pourrais arriver à quelque chose dans l’administration.

— Et à quoi arriveras-tu ? Masfrangeas a eu de la chance, tout le monde le dit ; le voilà chef de bureau, c’est son bâton de maréchal. Si tu as autant de capacités et de chance que lui, tu y arriveras peut-être, après avoir gratté du papier pendant vingt-cinq ou trente ans, et avoir supporté les ennuis du métier, les caprices des chefs, les injustices des supérieurs. Vois-tu, mon petit, il te vaudrait mieux être tout bonnement meunier et vivre là, chez toi, libre et tranquille en travaillant.

C’était bien la vérité, mais je n’étais pas alors capable de comprendre ça. D’ailleurs, ma mère, à la persuasion de M. Masfrangeas, avait tourné de ce côté, tous les rêves d’avenir qu’elle faisait pour moi, comme font toutes les mères, et je ne pouvais bonnement guère penser autrement qu’elle, après avoir tant entendu vanter cette carrière, ni la contrarier, quand même j’aurais pensé autrement. Au reste, les quelques années que j’ai passées à la 3e division de la Préfecture ne m’ont pas été inutiles, car elles m’ont dégoûté pour toujours, de toute vie enfermée, malsaine, éloignée de la nature ; elles m’ont appris les misères qui se cachent sous des apparences plus brillantes, et m’ont fait estimer à leur valeur, la santé, le grand air et la liberté. Combien de fois depuis, j’ai reconnu la grandissime vérité de ce dicton de mon oncle, que je translate ici de notre patois en français :

Maître de soi, maître chez soi ; petite maison, grand cœur : voisin du bonheur.

Quand la demoiselle Ponsie eut fini de repasser, je lui aidai à monter dans sa chambre tout son linge qu’elle empilait sur mes bras étendus. C’était toujours sa petite chambre avec des boiseries peintes en blanc ; ses rideaux de lit et de fenêtre, en ancienne toile à fleurs bleues ; ses chaises à pieds contournés, et sa commode au ventre arrondi, avec des poignées de cuivre. Au-dessus de la cheminée, il y avait dans un cadre doré, une petite glace, et, plus haut, une peinture représentant un berger ; non pas de ces bergers dépenaillés de chez nous, mais un berger en culotte rose et bien poudré, qui offrait à sa bergère deux tourterelles dans une cage.

Après que tout fut bien rangé dans les tiroirs, la demoiselle me fit monter au second, où personne ne couchait, et qui n’était même pas meublé. Dans une chambre tournée au nord, on mettait le fruit sur des couches de paille et sur des claies. Après avoir choisi quelques pommes, nous redescendîmes faire collation avec, et des fromages de chèvre au gros sel.

Quand ce fut fait : Si tu veux, me dit la demoiselle Ponsie, nous irons à Prémilhac : j’ai des affaires à porter à la femme de notre ancien métayer des Boiges. La pauvre a un petit enfançon nouveau-né, et pas de langes, pas de brassières, pas de bourrasses, rien, ils sont si pauvres ! Je vais m’habiller, dis à la Mïette de mettre le panneau sur la bourrique.

Tandis qu’elle s’habillait, je renouvelai connaissance avec le salon à manger. Rien n’était changé : de chaque côté de la cheminée, de grands placards en noyer ; au milieu, la table ronde massive à pieds tournés ; autour, le long des murs tapissés d’un vieux papier imitant des boiseries, étaient rangées les chaises à dos façonné en forme de lyre. Au coin du foyer, un grand fauteuil à dos carré, recouvert d’une tapisserie assez fanée, où M. Silain, le père de la demoiselle, se reposait, après souper, d’une chasse fatigante. À l’autre bout du salon, en face de la cheminée, il y avait un grand buffet à dressoir, où se voyaient des restes d’un service d’ancienne porcelaine de Limoges, assiettes, plats, et des tasses à café en forme de gobelet, avec des filets d’or et des chiffres entrelacés.

Autour, étaient accrochées aux murs, dans des cadres à la dorure ternie, des gravures qui avaient fait le bonheur de mes premières années. Quand la demoiselle m’amenait au château, je les suivais une à une en montant sur les chaises pour mieux voir, et j’avais une réflexion pour chacune de ces images.

C’était d’abord un portrait en pied de Louis XVI, en manteau parsemé de fleurs de lys, et son bâton appuyé sur une table où était la couronne royale.

— Pourquoi, disais-je à la demoiselle, ce gros monsieur lève-t-il sa robe ; c’est-il pour montrer sa belle culotte ?

Et elle de rire.

En face, c’était Marie-Antoinette en robe de cour, la poitrine étalée, avec une haute coiffure qu’on aurait dit bâtie par un architecte, et qui ne devait pas passer aisément sous les portes.

Il y avait aussi le petit duc de Bordeaux en pantalon blanc, court, avec des souliers découverts à boucles, un petit justaucorps et une collerette. Il goûtait la soupe de l’ordinaire, dans la cuisine des hussards de la garde, à Fontainebleau. Derrière lui des généraux et des officiers, le chapeau sous le bras.

Comme le petit prince n’avait pas l’air d’y aller de bon cœur, je disais toujours :

— Il ne la trouve pas bonne, la soupe !

Puis c’était le duc d’Angoulême en général, arrivant sur le front des troupes pour passer une revue. Il était reçu par les généraux qui le saluaient tous ensemble, le chapeau au bout du bras demi tendu vers lui :

— Est-ce qu’ils lui demandent la charité ? disais-je à la demoiselle.

Ils étaient curieux, ces généraux ; ils se ressemblaient tous : ils avaient de grands nez droits, de petits favoris, pas de moustaches, et les cheveux frisottés ramenés sur le front.

Il y avait encore Henri IV à cheval, entrant à Paris ; la prise du Trocadéro, où on ne voyait rien, rapport à la fumée ; un portrait de feu Monseigneur de Lostanges, et quelques autres tableaux.

Sur la tablette de la cheminée, était toujours un gros chat sauvage empaillé, tué par M. Silain dans le bois que depuis on a appelé le Bois-du-Chat : au-dessus, était accroché un baromètre, que le Monsieur ne manquait pas de consulter en partant pour la chasse.

Mais de tout ça, ce qui m’amusait le plus, c’était un paravent curieux. Sur le papier de couleur claire, la défunte dame de Puygolfier et sa fille avaient collé partout des images découpées, qui n’étaient, pour la plupart, que des caricatures sur Louis-Philippe, sa famille et son gouvernement. Il faudrait une heure pour les mentionner toutes. Le roi des Français était toujours représenté avec une tête de poire ! Il y avait une de ces images représentant un musée, où tous les tableaux, paysages, monuments, portraits, objets quelconques, ressemblaient à des poires ; et parmi les messieurs qui regardent, en voici encore en tête de poire, avec un parapluie…

J’en étais là de ma revue, lorsque la demoiselle redescendit. Qu’elle était jolie avec sa collerette à pointes découpées, sa robe froncée avec une boucle dorée à la ceinture, des manches à gigot, et une jupe courte qui laissait voir le bas des jambes, où des rubans noirs s’entre-croisaient sur les bas blancs, pour tenir le petit soulier ! Elle portait dans une couverture de berceau, tout plein de petites affaires d’enfant : drapes, maillots, brassières et des petits bonnets qu’elle mettait sur son poing pour me faire voir. Pauvre chère demoiselle ! comme on voyait bien qu’elle avait fait tout ça avec affection, et qu’elle aurait été bien contente d’avoir à elle de petits enfançons à habiller. Elle avait pour lors vingt-six ans ; elle aurait été une bonne mère ; elle méritait d’être heureuse, mais le sort ne l’a pas voulu, et elle restait au crochet, ou à la pendille, comme disait mon oncle.

Toutes ces petites nippes furent bien pliées, et mises dans un grand cabas attaché au panneau de la bourrique, et après ça en croupe, la grande Mïette attacha encore un bissac plein de vivres. Quand tout fut prêt, la demoiselle noua un foulard sur sa tête, et nous voilà partis.

En sortant de la cour je demandai un peu tardivement des nouvelles de M. Silain.

— Ah ! répondit la demoiselle, mon père est à chasser les loups à Jumilhac, avec des messieurs du Limousin ; qui sait quand il reviendra.

Elle marchait, ou montait sur sa bête, suivant le chemin. Moi je tenais la bride, le long des grosses pierres, pour l’aider à monter, et ensuite j’allais derrière, touchant la bourrique avec une verge de châtaignier. Je ne me lassais point de la regarder, de l’admirer, avec ses petits frisons d’or dans le cou. Lorsqu’elle se tournait vers moi, je me baignais, il me semblait, dans ses beaux yeux bleus si bons. Quelquefois, je courais devant dans les taillis, pour écarter une branche qui pendait sur le chemin. Quelle belle journée ! J’avais oublié le moulin, la Préfecture et tout : J’aurais voulu que Prémilhac fût aussi loin que Limoges.

Notre chemin était par la Boudelie et Magnac, mais nous prenions quelquefois des traverses. Au passage du ruisseau du Ravillou, ce fut le diable ; la bourrique ne voulait pas passer.

— Descendez, dis-je à la demoiselle ; quand vous ne serez plus sur la bourrique, je la ferai bien passer de force, et après ça, je vous traverserai sur mes bras, vous ne vous mouillerez pas.

Elle se mit à rire en secouant la tête :

— Nenni, tu me jetterais peut-être dans l’eau.

Je ne sais pourquoi, mais il me montait dans l’idée, une envie folle de la passer comme ça dans mes bras.

— N’ayez crainte, demoiselle, je suis fort, plus fort qu’il ne faut, vous ne risquez rien.

Mais elle ne voulut pas entendre à ça, et ayant inutilement essayé de la persuader, je mis mon mouchoir sur les yeux de la bourrique, et je la poussai dans le ruisseau que je lui fis traverser en reculant, la demoiselle toujours dessus et riant.

Nous arrivâmes enfin dans cet ancien village de Prémilhac, où on voit des restes d’anciennes constructions, des marques d’antiques murailles, que dans le pays on dit être l’ouvrage des Anglais. Ça n’est peut-être pas vrai, et il y en a qui disent que ces ruines viennent d’un ancien moustier bâti, il y a quinze cents ans, par un saint homme appelé Sulpice qui donna son nom à la paroisse dans laquelle était Prémilhac. Mais par chez nous, à entendre les gens, toutes les vieilles murailles, tous les anciens châteaux ont été bâtis par les Anglais, tant sont vivaces les souvenirs de la grande guerre de Cent ans.

L’accouchée était dans son lit, gardée par une vieille voisine, et son petit enfant à côté d’elle. Lorsqu’elle nous vit entrer, elle joignit les mains et s’écria : Oh ! demoiselle ! Elle n’en put dire plus long pour lors, mais ses yeux se mouillèrent.

Après les questions sur la santé, la demoiselle Ponsie prit le poupon qui était plié dans un mauvais morceau de drap tout percé, et l’habilla avec les affaires qu’elle avait apportées : et tout ce temps, elle le baisait et le rebaisait, puis comme il commençait à gimer un peu, elle le rendit à sa mère pour le faire téter.

Une poule toute plumée et vidée, fut tirée du bissac et donnée à la vieille, qui apprêta une marmite et la mit au feu pour faire de bon bouillon. Après ça, la demoiselle serra dans un mauvais cabinet une bonne miche blanche, du sucre, et deux bouteilles de vin vieux.

— Que vous êtes bonne, notre demoiselle ! disait la pauvre femme dans son lit ; que le bon Dieu et la sainte bonne Vierge vous le rendent ! Je les prierai bien qu’ils vous fassent heureuse, comme vous le méritez !

— Oui, oui, ma pauvre Mariette, je vous en remercie bien, mais c’est peu de chose que tout ça.

— C’est bien quelque chose tout de même, notre demoiselle, et plus que nous ne méritons ; mais ce qui vaut le plus de tout, c’est votre bonté d’avoir pensé à nous.

Le petit enfançon s’était endormi en tétant. La demoiselle l’embrassa encore, promit de revenir et nous repartîmes.

Il était déjà sur la brune lorsque nous fûmes à Puygolfier. Le souper fut vite prêt : une omelette à la vignette, et des bonnes rimottes de bouillie de maïs que la grande Mïette fricassa dans la poêle, là, devant nous. On ne faisait pas grande cuisine à Puygolfier, quand le monsieur n’y était pas. Je mangeai avec appétit et gaîté, et la demoiselle était heureuse, comme elle l’était toujours, après avoir fait du bien à quelqu’un.

Après souper, elle voulut me faire tâter de ses cerises à l’eau-de-vie. Et pour faire comme autrefois, lorsque j’étais tout petit, elle me les présentait comme on fait aux jeunes geais nouvellement dénichés, pour leur apprendre à manger. Elle riait de ce jeu qui m’amusait aussi, car en attrapant la cerise, je touchais quelquefois ses doigts de mes lèvres.

Sur le coup des neuf heures, je m’en redescendis au moulin bien content de ma journée.

Quel temps heureux ! mes journées se passaient en paix et tranquillité, dans ce recoin perdu du Périgord, au milieu d’une nature paysanne et forte. Il me semblait que cette terre couverte pour lors de moissons, me communiquait sa vie.

Je me levais de bonne heure le matin, et j’allais lever les verveux ou les cordes posés le soir ; ou bien, prenant le fusil de mon oncle, je m’en allais avec la Finette faire courir un lièvre. Cependant, je pensais toujours à la demoiselle Ponsie, et je cherchais toutes les occasions de retourner à Puygolfier, n’osant pas y aller de but en blanc, parce qu’il me semblait que tout le monde devinerait mes pensées. Je lui portais souvent du poisson qu’elle aimait beaucoup, lorsque j’avais pris quelque jolie perche au verveux, ou une truite en tirant l’épervier le soir au-dessous de l’écluse. D’autres fois, c’était une cordelette d’oiseaux, ou un bouquet de fraises des bois. J’étais attiré vers elle par une force à laquelle je ne cherchais pas à résister ; pensant à elle, lorsque je ne la voyais pas, et avide de sa présence ; la recherchant sans autre but que de la voir, de l’entendre, et d’être auprès d’elle. Je ne puis pas dire que j’étais amoureux, car je ne savais point au juste ce que c’était que l’amour ; mais je trouvais un plaisir grand à être toujours occupé d’elle, à me faire sa chose par la pensée. Malgré les émotions que je ressentais quelquefois en sa présence, et le trouble que me donnait parfois un de ces désirs vagues, comme il en vient aux jeunes gens encore innocents, mes sentiments étaient ceux d’une respectueuse adoration. Je la trouvais la plus belle, la meilleure ; elle était pour moi, la perfection même, et il me semblait qu’elle était d’une nature supérieure aux autres femmes. Le plus grand bonheur que je concevais, était de lui être utile et de me dévouer pour elle.

Cela dura une semaine ainsi ; mais un jour en ouvrant le petit portail, j’entendis les chiens aboyer au chenil, et je connus par là que M. Silain était revenu. Il était là, en effet, planté près de la terrasse, les jambes écartées, les mains derrière le dos, regardant la plaine. Il se retourna en entendant les chiens, et je m’approchai pour le saluer avec un certain émoi, car outre qu’il m’avait toujours beaucoup imposé, je me figurais sottement qu’il allait deviner ce à quoi je pensais continuellement. Je ris maintenant de ma bêtise, car j’ai bien vu depuis que M. Silain ne pensait qu’à lui.

C’était bien toujours lui, vêtu d’un habit de chasse velours olive, avec des boutons de cuivre à têtes de loup et de sanglier, et d’un pantalon à pont-levis de même étoffe, de couleur grise. Avec ça, une casquette ronde en velours noir et des souliers à fortes semelles. Je ne lui ai jamais vu d’autre costume. Seulement lorsqu’il allait à cheval, il avait de grandes bottes au lieu de souliers, et l’hiver par le mauvais temps, il mettait un tablier en peau de bique qui lui donnait l’air d’un ours à cheval. Il était grand, et avait l’air de quelqu’un avec son nez recourbé, ses moustaches un peu rousses taillées en brosse, et ses petits favoris coupés carrément à la hauteur des oreilles. Il avait quelque chose de militaire dans sa manière d’être, et, en effet, il avait servi dans les gardes du corps de Charles X.

Il me reçut avec une rondeur joviale, selon son habitude avec les petits, les paysans, avec tous ceux qu’il regardait comme trop au-dessous de lui pour que ça tirât à conséquence. Mais avec les bourgeois, les gens du gouvernement, les messieurs, il était très raide, et éloignait toute espèce de ces familiarités que font naître souvent le voisinage, même entre gens de classes différentes. Lorsqu’il passait un acte pour vendre une terre, ou quelque bois, ce qui arrivait souvent, il ne manquait jamais de faire coucher tout du long dans l’acte, par le tabellion, comme il disait, ses noms, titres et qualités : Antoine Silain de Pons, vicomte de Puygolfier. Les soirs de chasse, à ce que contait un de ses voisins et camarades, après avoir bien bu et festoyé, il prétendait descendre d’un puîné d’une ancienne maison de Pons, illustre à ce qu’il paraît ; mais ses amis ne faisaient qu’en rire.

Au demeurant, quoiqu’il fût égoïste, on ne peut pas dire qu’il fût un méchant homme. Avec ça, il faisait quelquefois des choses qui n’étaient pas de faire, par caprice ou par colère. Ses goûts n’étaient point luxueux ; la vie large du petit noble campagnard lui suffisait. Pourvu qu’il eût une table bien servie, car il était gros mangeur et grand buveur, il se contentait des ressources du pays, buvait son vin à l’ordinaire et en extra s’arrangeait de vieux vin de Saint-Pantaly. Il mangeait sa volaille, chapons, canards, dindons ; le gibier qu’il tuait, et le poisson, les légumes, les champignons et les truffes, qu’il avait pour ainsi parler sous la main. Les truffes surtout, car le puy qui, de dessous la terrasse, dévalait à la plaine, était couvert d’un bois de chênes clair-semés, où on en trouvait beaucoup. Avec cela, sa bonne jument limousine blanc-truité, sept ou neuf chiens courants, car en cette affaire, il avait la superstition des nombres impairs, et cela lui suffisait ; pourvu, bien entendu, qu’il eût les goussets garnis quand il allait chasser au loin, soit à Jumilhac, soit dans le Limousin, soit dans la forêt de Born ou ailleurs. Il lui fallait aussi quelques louis pour aller faire ses petites tournées à Périgueux le mercredi, ou le jeudi à Excideuil et quelquefois le samedi à Thiviers.

Les ressources en nature de la terre de Puygolfier auraient été suffisantes pour lui assurer une bonne existence chez lui ; mais c’était l’argent, c’était les écus pour le dehors, qu’il était difficile de trouver, car la plus grande part des revenus se mangeait, sur place, et ce qu’on vendait de blé, de vin, ou le profit des bestiaux, passait à payer la taille et les réparations. Cependant, il lui en fallait pour solder les hôteliers, dans ses expéditions, sans compter que le soir après souper, ces messieurs faisaient une petite bête hombrée, assez chaude parfois à ce qu’on racontait.

Aussi, de temps en temps, M. Silain vendait quelque lopin de son bien, et avançait une coupe de bois, en sorte que ses revenus allaient en diminuant. Mais il ne s’en inquiétait guère ; il était de cette race de bons vivants qui mangent bien, boivent sec, digèrent facilement, et, sans mauvaises intentions, font tranquillement le malheur de leurs proches, et ne s’en doutent même pas, loin d’avoir des remords, habitués qu’ils sont à tout rapporter à leur personne.

En me voyant grand et assez élancé, M. Silain me fit compliment sur ma poussée, et émit cette opinion que je ferais un beau lancier. Lorsque je lui dis que j’allais entrer dans les bureaux de la Préfecture, il s’écria : Comment ! tu veux te faire gratte-papier ? bâti comme ça ? Eh bien, mon garçon, je te conseille plutôt mille fois de te faire meunier, comme ton jacobin d’oncle !

Là-dessus, il rentra au château, prit son carnier et son fusil, siffla sa chienne couchante, et s’en fut. Moi j’allai rejoindre la demoiselle au grenier, où elle était pour lors, à ce que me dit la grande Mïette.

C’était un endroit curieux que ce grenier. Il y avait un pêle-mêle de meubles éclopés, de fauteuils défoncés, de tableaux crevés, de morceaux de vieilles tapisseries, d’objets de toute espèce, cassés ou hors d’usage, de vieilles hardes jetées sur des cordes tendues, de vieux coffres pleins l’un de débris de toute sorte, chiffons, ferraille, et l’autre bondé de papiers et de vieux parchemins.

La demoiselle Ponsie était au milieu de ce fouillis, cherchant un morceau de tapisserie assez bien conservé, pour recouvrir le grand fauteuil où M. Silain dormait le soir après souper. Je lui aidai à bouleverser et retourner toutes ces défroques qui sentaient le passé, et représentaient des modes défuntes et des usages perdus. Dans un coin, je retrouvai une ancienne coiffure militaire ; une espèce de chapeau de fer, avec les bords en croissant, tout mangé par la rouille, qui avait jadis coiffé quelque piquier, du temps de nos guerres de religion. Je la mis sur ma tête, et la demoiselle me dit en riant :

— Tu aurais fait un joli petit parpaillot, du temps du capitaine Vivant.

Lorsqu’elle eut trouvé ce qu’elle cherchait, elle s’assit sur un vieux fauteuil et se mit à mesurer le morceau pour voir s’il y en aurait assez. Au milieu de toutes ces vieilleries, de tout ce bric-à-brac, sa jeunesse et sa fraîcheur semblaient comme une fleur venue sur un terreau noir, et ses cheveux avaient des reflets dorés qui éclairaient le grenier un peu sombre. Je restai là, à la regarder sans rien dire.

— Descendons, dit-elle en me réveillant.

L’après-dînée se passa pour elle en occupations diverses, mais la seule mienne était de me prêter à tout ce qu’elle voulait, soit qu’il s’agit de tenir son écheveau, ou de porter le panier à la grenaille pour aller donner aux pigeons. Elle me mena au verger où était le rucher, en me recommandant de ne pas courir, de ne pas faire de grands gestes, et de me tenir coi près d’elle. Les mouches à miel vinrent à notre rencontre, et, me voyant en sa compagnie, ne me firent rien, tant ces petites bêtes ont de la connaissance. Pour elle, elle les maniait sans crainte, les prenant sur ses mains au sortir de la ruche, et celles qui volaient, se posaient sur sa tête et sur ses épaules, comme des oiseaux apprivoisés.

Je m’en fus, ce jour-là, avant le retour de M. Silain, et je ne revins pas à Puygolfier le lendemain. Je m’en allai courir dans les bois, ruminant mes pensées, et de cette affaire-là, je manquai un lièvre que la Finette me ramenait au poste des Trois-Bornes.

Le jour suivant était un dimanche, et, comme ce jour-là je n’allais pas à Puygolfier, la demoiselle étant au bourg pour les offices, je voulus essayer de me revancher. À l’Angélus, je partis avec la Finette, mon fusil sur l’épaule, après avoir bu un coup. Le temps allait bien, c’était un plaisir ; les dernières brumes de la nuit s’enlevaient dans les fonds, l’air était clair, la terre fraîche et point guère de rosée. En cheminant tout doucement tandis que la chienne donnait des coups de nez de çà, de là, cherchant une voie, dans les passages des haies, dans les cafourches, dans les coulées sous taillis, je respirais avec plaisir la fraîcheur du matin, et je reniflais les bonnes odeurs des bois faites des senteurs des feuilles mortes, de la mousse humide, de la bruyère, des champignons, du pipoulet. Pour retrouver mon lièvre de la veille, j’allai droit à une terre où je pensais qu’il devait avoir fait sa nuit. Je n’y étais que depuis un petit moment quand la chienne rencontra, et à la voir brandir la queue, je connus de suite que la voie était bonne. Pourtant elle eut assez de mal à débrouiller l’écheveau, mais lorsqu’elle eut trouvé la sortie, elle commença à s’en aller plus vite, tandis que sa queue venait lui battre les côtes. Elle rapprochait, et bientôt un premier coup de gueule dit que le lièvre était dans les alentours. Puis la voie s’échauffa ; le lancer approchait. Tout d’un coup le lièvre lui part sous le nez, et voilà la Finette qui s’en va raide, donnant à pleine gueule, cognant après lui qui arpente de grands coteaux pour gagner de l’avance, afin d’avoir le temps de ruser, et d’embrouiller sa voie sur les chemins, et dans les friches pierreuses.

Une fois sur le terme, je n’entendis plus rien, la chienne était en défaut. À ce moment, le soleil montait lentement à l’horizon, comme une grande bassine de cuivre rouge bien écurée. J’attendis là ne migrant pas de la Finette, je savais qu’elle retrouverait la piste. En effet, au bout d’un moment, voici sa voix forte qui monte d’une grande combe du côté de Roulède. Lorsque je fus sûr de la randonnée du lièvre, je vis qu’il me fallait aller au poste du Châtaignier-du-guet. J’avais souvent accompagné mon oncle à la chasse, jeune, et je connaissais bien les postes. Lorsque je fus rendu au gros châtaignier planté à la cafourche de trois chemins sur une lande, j’attendis. Pendant que la chienne était dans les fonds, je n’entendais pas toujours sa voix, mais je savais qu’elle suivait, et lorsqu’elle passait sur un coteau, je l’entendais cogner à pleine gorge. Au bout d’une heure, voici venir là-bas mon lièvre dans un sentier. Il se plantait de temps en temps, se dressait sur son cul pour écouter la chienne et repartait. En approchant du carrefour, il s’allonge pour passer le découvert, mais quand il fut à vingt pas, mon coup de fusil lui fit faire la culbute. C’était mon premier lièvre et je m’en fus bien content, il pesait six livres un quart.

Le jour d’après, lorsque j’arrivai à Puygolfier avec un plat de brochetons sous l’herbe de mon panier, la jument de M. Silain était sellée et attachée par la bride dans la cour, près de la porte du château. Lui, il était dans ce qu’il appelait son cabinet. C’était le bas d’un petit pavillon, ou plutôt d’une tour carrée qui était en retour du corps de logis, et, du côté du dehors, enfermait la petite cour intérieure que la tour ronde de l’escalier closait du côté de la grande cour.

Il appelait ça son cabinet, parce qu’il y avait des livres, des papiers, des vieux journaux ; mais au reste c’était là qu’il mettait toutes ses affaires. Ses pistolets d’arçon étaient accrochés au mur, à côté d’une épée. Les fusils de chasse étaient rangés à un râtelier ; à un clou, pendait le carnier ; à un autre, la bourse pour le furet et les grelots ; sur la table étaient les accouples de ses chiens, la corne pour les appeler, sa poire à poudre, son sac à plomb, et une ancienne tabatière de corne ronde où il mettait les capsules pour son nouveau fusil. Tous ces objets étaient bien sous la main, on voyait qu’ils servaient souvent. Quant aux livres, M. Silain n’y touchait jamais, ça se connaissait de suite, car ils étaient pleins de poussière. Au reste, c’étaient les philosophes du siècle dernier, jadis choyés par la noblesse, et aujourd’hui honnis par elle. Il y avait : Voltaire, Diderot, et Rousseau, dont l’aïeul de M. Silain avait été si engoué, qu’après avoir lu l’Émile, il avait voulu faire apprendre la menuiserie à son fils ; mais celui-ci avait préféré s’engager dans les dragons du marquis de Gontaut. Voyant cela, son père avait pris lui-même un état, en se mettant bravement à labourer sa réserve, ce qui l’avait rendu si populaire, qu’il était resté tranquillement chez lui pendant la Révolution.

Pour son petit-fils, M. Silain, il n’avait d’autre état que de chasser, et de mener une vie très active en ne faisant rien. Un noble de ses voisins, lui faisait passer des paquets de gazettes, mais il s’endormait en les lisant. À l’égard des livres, il ne les supportait que dans un cabinet de lecture de Périgueux, où il faisait quelquefois de longues pauses. Même encore, les mauvaises langues disaient que ce n’était pas pour les livres qu’il y allait, mais pour la dame du cabinet, jolie blonde devant laquelle les officiers passaient en retroussant leurs moustaches.

Que ce soit vrai ou non, M. Silain était alors dans son cabinet en train de mettre ses bottes.

— Ha ! dit-il, te voilà, futur scribe ! en attendant que tu grattes le papier de ce gueux de Philippe, tu vas m’aider à coupler les chiens ; prends les couples, moi je prends mon fouet.

Les chiens hurlaient au chenil, sentant le départ. Une fois couplés, à la réserve d’un vieux sage chien, M. Silain les laissa aller de la cour du chenil dans la grande cour. Après ça il mit son fouet dans sa botte, détacha sa jument, l’enfourcha et partit pour la forêt de Lammary.

Où était donc la demoiselle Ponsie ? Je ne l’avais pas vue. Ayant regardé dans le salon à manger, où elle se tenait d’habitude, puis dans le jardin, et ne la trouvant pas, je revins à la cuisine. À ma question, la grande Mïette répondit :

— Ah ! la demoiselle est allée au bourg voir la nièce de M. le Curé.

Je redescendis au Frau tout déferré.

Le lendemain je la trouvai, mais il me sembla qu’elle était moins gaie que d’habitude. Presque toute l’après-dîner, elle se tint dans la petite cour à raccommoder du linge. Elle était assise sur une chaise, le long du mur, et appuyait ses pieds sur une autre chaise où était son linge. Sa fine tête et ses beaux cheveux, baignés de lumière, se détachaient en clair sur le vieux mur décrépi et tout écaillé. Qu’elle était jolie ainsi ! Je dis toujours la même chose, mais c’est que de toutes les manières, je la trouvais belle. Je restai longtemps immobile à la regarder, répondant à ses questions, mais ne me souciant de rien, si ce n’est de jouir de sa présence.

Elle sentait mes regards attachés sur elle ; c’était sans aucune mauvaise idée, je la regardais et l’admirais naïvement, mais cela la gênait sans doute, car elle me dit de lui lire quelque chose.

Je m’en fus dans le cabinet de M. Silain, et j’y pris un livre ; c’était La Nouvelle Héloïse.

Je me mis à lire tout haut ; mais ces lettres interminables, ce bavardage prétentieux, me fatiguèrent bientôt. Je l’avoue d’ailleurs, je ne comprenais rien à tout cet étalage de sentiments ; tout cela me paraissait faux et artificiel, et partant ne m’intéressait point.

— Cela ne t’amuse guère, dit la demoiselle en souriant : laisse-le, va, en voilà assez.

J’allai replacer le livre et je revins. En même temps les sabots de la grande Mïette se faisaient entendre sous la galerie. Elle venait dire à la demoiselle que le métayer demandait à lui parler.

Sur cet avis je dis le bonsoir, et je m’en fus assez triste.

Le temps se passait cependant. Le surlendemain, chez Puyadou firent dire à mon oncle, par un homme qui venait au moulin faire moudre, que ma mère me mandait de rentrer ; c’était le postillon de la voiture qui avait fait la commission.

J’allai donc bientôt à Puygolfier pour dire adieu à la demoiselle. C’était un samedi, M. Silain était allé au marché de Thiviers ; je la trouvai seule dans la cour et je lui dis qu’il me fallait m’en retourner à Périgueux, et que cela me faisait grand deuil de ne plus la voir. Et à mesure que je lui expliquais tout naïvement que maintenant je regrettais de quitter le moulin, parce qu’à Périgueux je serais loin d’elle et que peut-être, quand je reviendrais, elle serait mariée ; je me sentais prêt à pleurer.

— Pauvre enfant ! dit-elle en me faisant asseoir près d’elle, n’aie crainte va, tu me retrouveras toujours ; qui aurait soin de mon père si je n’y étais pas ?

Et puis elle m’arraisonna, disant qu’il fallait bien prendre un état, et que puisque ça convenait à ma mère, il fallait entrer à la Préfecture et bien travailler ; que d’ailleurs Périgueux n’était pas au bout du monde, et que je pourrais venir les jours de fête.

Cette espérance me consola un peu et alors je pris du courage pour le départ. Elle m’accompagna jusqu’au bout de l’allée de noyers, et quand nous fûmes là, elle m’embrassa sur les deux joues, comme si j’avais encore eu six ou sept ans, et s’en retourna lentement vers le château. Moi je descendais le chemin, la suivant des yeux. Au moment d’entrer dans la cour, elle se retourna : je levai ma casquette, elle me fit un signe d’adieu et la porte se referma.

Le lendemain mon oncle m’accompagna jusqu’à Savignac avec la jument. Tout en marchant, il me parla de ce que j’allais faire, et me dit que puisque c’était décidé, il fallait m’y mettre tout de bon et tâcher de faire quelque chose.

Moi, je lui dis que je ne tenais pas autrement à travailler à la Préfecture ; mais que, puisque ma mère avait arrangé ça avec M. Masfrangeas, il me fallait bien y aller. J’ajoutai que j’aurais autant aimé rester au Frau avec lui maintenant.

— Plus tard, nous verrons, dit-il ; mais en attendant il te faut contenter ta mère ; la pauvre femme n’a plus que toi.

Le long du chemin, il me coupa un joli bâton dans une haie et il cheminait, l’arrangeant, tandis que j’étais sur la jument pour ménager un peu mes jambes.

Nous nous arrêtâmes au Cheval-Blanc, pour boire un coup. Quand ce fut fait, je pris mon petit paquet, mon bâton, et l’oncle vint me faire la conduite jusqu’à la sortie du bourg.

— Tu sais, mon fils, me dit-il en m’embrassant, si tu t’ennuyais trop, trop, là-bas, fais-le-moi savoir. Au Frau, tu seras toujours chez toi. Allons, adieu, porte-toi bien, et bonjour à ta mère.

Je marchais bien en ce temps, et je ne mis guère que trois heures, pour faire les cinq lieues qu’on compte de Savignac à Périgueux.

Ma mère fut bien contente de me voir. M. Masfrangeas était venu dans la journée, et lui avait dit de m’envoyer le lendemain. Pendant que j’étais au Frau, la pauvre femme avait préparé toutes mes affaires : ayant soupé, je me couchai et après avoir un peu pensé à la nouvelle vie qui m’attendait, je m’endormis.

Le lendemain, mieux habillé que de coutume, je passai chercher M. Masfrangeas et nous voilà partis pour la Préfecture.

La Préfecture ! ce nom m’imposait, mais je fus bien vite rassuré, car en entrant dans le bureau j’en eus de suite une idée assez piètre. Ce bureau était une grande pièce sale, enfumée, avec des casiers montant jusqu’au plafond jauni et crevassé. Tous ces casiers étaient bourrés de cartons et de papiers, qui répandaient cette odeur particulière aux vieilles paperasses, odeur désagréable à laquelle je n’ai jamais pu m’habituer. Il y avait trois employés déjà arrivés : deux jeunes, et un vieux qui avait des manches de cotonnade noire par-dessus celles de son paletot. M. Masfrangeas me mit à une table où il n’y avait personne, et dit au vieux employé ce qu’il fallait me donner à faire. Celui-ci apporta des états pleins de colonnes de chiffres, qu’il s’agissait de copier. Après m’avoir fait donner devant lui toutes les explications nécessaires et m’avoir recommandé au vieux, M. Masfrangeas s’en alla dans son bureau qui communiquait avec celui-ci.

Lorsque la porte fut refermée, les deux jeunes gens vinrent près de moi, et me firent diverses questions auxquelles je répondis de mon mieux. Ils ne me laissèrent pas ignorer que la Préfecture était une sale boîte où il n’y avait rien à espérer pour un jeune homme. Sur ces entrefaites arriva un autre employé qui parut enchanté de la venue d’un surnuméraire, qui le déchargeait sans doute un peu du travail qui l’accablait. Il se mit à sa place et sembla travailler avec ardeur. Le vieux se nommait Serr, et il était sous-chef de bureau, mais c’était le dernier arrivé. M. Gignac, gros brun, prétentieux et beau parleur, qui donnait le ton, et recueillait des deux expéditionnaires, la considération due au sous-chef, auquel il n’en restait plus. Ce brave et digne homme méprisait ces jeunes gens auquel il servait de plastron, et ne paraissait pas s’apercevoir des sottes plaisanteries qu’ils lui faisaient. Ces Messieurs avaient trouvé joli de rechercher les mots dont la première syllabe avait la même consonnance que le nom du sous-chef. L’un commençait : Ser-pent, l’autre répondait : Ser-ment, le troisième ajoutait : Ser-gent, et cela continuait comme ça longtemps entre les trois complices : Serre-tête, Serre-file, Ser-pette, Ser-fouette, Ser-vante, Ser-vice, etc. Et ils imaginaient des farces bêtes dans le genre de celles-ci : M. Serr, sortant de sa serre, avec un serre-tête sur sa cer-velle, trouva un cerf-volant qui l’amusa, et un ser-pent qui l’effraya. Il appela un ser-gent qui fit le ser-ment de s’avan-cerr, et de pas-ser son coupe-choux au travers du reptile…

Quelquefois, lorsque ça durait un peu trop, le vieux M. Serr levait les épaules et disait tout haut, sans cesser son travail : tas de crétins !

Mais ce jour-là, ce fut moi qui servis d’amusement à ces messieurs. Le sous-chef étant sorti, M. Gignac s’écria tout à coup qu’il n’avait plus de guillemets et me dit : Jeune homme, allez donc à la 1re division, chercher la boîte à guillemets ; c’est là au bout du corridor, la porte à gauche. Je soupçonnais bien quelque farce, mais ne sachant trop, j’y allai. À la 1re division un monsieur très sérieux, avec une calotte grecque soutachée, me répondit gravement que la boîte était à la 2e division. J’allai à la 2e, où on me dit qu’elle était au greffe du Conseil de Préfecture qui venait de l’envoyer quérir. Je finis par comprendre, et je revins me mettre à mon travail.

— Hé bien, fit M. Gignac, et cette boîte ?

— Allez la chercher, répondis-je sans me déranger.

Derrière les pupitres, on entendait les rires étouffés des deux expéditionnaires.

Quelle différence avec le Frau ! Être enfermé dans cette sale boîte, comme disaient les jeunes gens, moi qui étais si libre là-bas ! Des fenêtres, on voyait les toits en tuiles creuses, des vieilles masures étagées sur les pentes de l’antique Puy-de-Saint-Front, pleins de tessons de pots et de bouteilles, de sales chiffons, de vieilles savates, et où errait parfois un chat maigre et hérissé. Ah ! ce n’était plus la vue du bief du moulin qu’on avait de la chambre de mon oncle. Et quelle odeur dans ce bureau ! C’était comme un relent de vieux papiers qui prenait à la gorge, mélange de poussière et de pâtes aigries. Et quand on ouvrait les fenêtres, c’était bien autre chose : on avait les senteurs infectes de la rue du Lys, mal nommée, dont le ruisseau du milieu gardait les résidus de tous les vases de nuit. Et c’était là, plus que la vue, ce qui me déplaisait tant. J’ai toujours été assez délicat pour les odeurs, plus que nous ne le sommes d’ordinaire dans le peuple. En respirant ces sales puanteurs, je me rappelais le temps où je galopais partout dans les bois où le trifoulet fleurait bon ; où je grimpais dans les termes pleins de genévriers, où venaient la lavande embaumée et les immortelles sauvages à l’odeur de miel. Ah ! me disais-je, si je pouvais encore, traversant une terre, humer la forte senteur de la roberte et me rouler le matin dans les chenevières, dont l’odeur me grisait étant petit !

Quelquefois je restais là, la plume en l’air, regardant fixement le coq juché sur la cime en pomme de pin du vieux clocher de Saint-Front, autour duquel les martinets tourbillonnaient avec des cris perçants et je ruminais mon chagrin, tout triste comme un passereau encagé.

Ce pauvre clocher comme on l’a abîmé, en le refaisant, sous le prétexte de le réparer ! ainsi que la vieille cathédrale, d’ailleurs, qui a été traitée comme le couteau de Jeannot et a perdu, intérieurement, ce caractère de grandeur antique et de sévérité imposante qu’elle avait autrefois.

Mais il y en a qui la trouvent plus jolie.

J’eus bientôt comme la maladie du pays. Un grand dégoût me prit, et je fus au moment de m’en aller au Frau. Mais ma pauvre mère était aux anges de me voir dans une position qu’elle trouvait très enviable, car elle me croyait bonnement sur le chemin de la fortune et des honneurs. Je n’eus pas le courage de lui dire la vérité et de lui causer ainsi un chagrin qui eût été très grand.

Mais il me passait par la tête des envies folles de retourner là-bas, de revoir la demoiselle Ponsie. Même il me semblait que rien que de voir Puygolfier, de passer un instant dans le pays, de respirer quelques minutes le même air qu’elle, ça me ferait du bien. Cette idée me tenait tellement, qu’un soir, avant soupé, je partis sans rien dire à ma mère, qui se couchait de bonne heure.

Quoique la nuit vint, de crainte d’être reconnu, au lieu de passer sur la route d’Excideuil, je pris celle de Paris, par Sept-Fonds et Sorges. Une fois là, je suivis les chemins de traverse par Ogre et Lamigaudie, et après avoir laissé le château de Glane sur ma droite, je remontai en suivant presque la rivière.

J’étais parti avec un bâton, et je marchais d’un bon pas, n’ayant point de peur. Je conviens tout de même que si Delcouderc avait été par les champs, je n’aurais pas été fort tranquille, et bien des gens auraient été comme moi, qui étaient des hommes faits. Il faut dire aussi qu’en ces temps, on ne parlait que de lui le soir aux veillées : les assassinats qu’il avait commis, en passant par les langues de village, avaient doublé de nombre, et les conditions dans lesquelles ces crimes avaient eu lieu, étaient devenues tout à fait extraordinaires. On citait les tours d’adresse et d’audace de l’assassin, et je crois bien aujourd’hui, que dans le nombre, il y en avait qui appartenaient à d’autres fameux brigands de jadis. Bref, il se faisait une légende sur son compte, et l’ordinaire de ces contes, est de brouiller les époques, de confondre les faits, et surtout de les augmenter. Mais cela n’empêche, qu’en ce temps-là, dans nos campagnes, les petits enfants épeurés en oyant ces histoires, n’osaient pas tant seulement sortir devant la porte avant d’aller se coucher ; il fallait les mener par la main.

Pour lors, donc, Delcouderc étant bien verrouillé dans la prison, là-bas près de Tourny, attendant son jugement, car son affaire avait été renvoyée par la Cour d’assises à une autre session, je m’en allais sans crainte, ne pensant pas qu’on pût sortir aisément de la prison, comme il le fit plus tard. Il faisait beau temps, les chiens jappaient fort lorsque je passais dans les villages, mais ça ne m’effrayait pas, connaissant le proverbe, et j’entendais sans m’en émouvoir le clou ! clou ! des chouettes sorties des creux des noyers.

Après avoir marché plus de quatre heures de temps, j’entendis les écluses du Frau devant moi. Je pris à droite par un petit sentier qui passait dans un bois, et ayant traversé l’Isle à un gué où il y avait de grosses pierres, je me trouvai à l’orée de la plaine en face de Puygolfier qui se voyait tout noir à la cime du terme. Je restai là un moment essayant de reconnaître la fenêtre de la demoiselle, mais je ne pus, étant trop loin. Je traversai les terres au plus court, et je me mis à grimper au milieu des chênes truffiers. À mi-côte, je m’arrêtai encore, et je reconnus la fenêtre. Je restai là un moment en contemplation, pensant à la demoiselle Ponsie qui dormait tranquillement sans doute. Aucune mauvaise pensée ne me troublait ; j’étais seulement content, heureux, de penser à elle, d’être près d’elle, de voir la fenêtre de la chambre où elle dormait. On n’entendait aucun bruit au château ; les chiens qu’on laissait la nuit en liberté dans la cour, s’étaient retirés au chenil sans doute. Je m’approchai doucement encore, jusque sous la terrasse, mais à ce moment, m’ayant ouï ou éventé, ils sortirent du chenil en hurlant et vinrent jusque sur le rebord de la terrasse ; et tandis que je descendais en galopant à travers les arbres et les rocs, ils braillaient comme si un lièvre leur fût parti sous le nez.

Je repris mon chemin, et vers les cinq heures, j’ouvris tout doucement la porte de la rue avec le passe-partout et montai me mettre au lit. Comme je couchais dans un petit cabinet séparé de notre logement, ma mère ne s’aperçut pas de mon absence. À l’heure ordinaire, je me levai, et je m’en fus au bureau.

Je n’étais pas fier, un peu, de cette expédition de nuit. Il me semblait que j’avais fait quelque exploit digne des quatre fils d’Aymon, et dans ma pensée je prenais en pitié mes camarades de bureau, qui certainement n’en auraient pas fait autant, à ce que je me figurais. Pourtant ce qu’il y avait de mieux dans mon affaire, c’était d’avoir marché neuf heures, sans être trop las ; pour un enfant de seize ans, ça n’était pas mal. Mais je mettais aussi en ligne de compte, d’avoir écarté les terreurs nocturnes auxquelles les enfants, et même des hommes faits, sont sujets, par suite des contes de vieilles qu’on débite dans nos campagnes.

Quoique n’aimant pas le travail que j’avais à faire, je m’y accoutumais cependant, et je m’en tirais à peu près, en sorte que ma mère, renseignée par M. Masfrangeas, était contente. Notre vie était bien simple, comme de juste avec de petites ressources. Ma mère avait depuis deux ans hérité de neuf ou dix mille francs d’une de ses tantes, et le revenu de cet argent, placé chez le notaire de Coulaures, était tout ce que nous avions pour vivre. C’était peu de chose, mais la vie était moins chère qu’à présent ; et puis mon oncle nous envoyait du Frau, presque de quoi nous nourrir. Le vin, les haricots, les pommes de terre, les châtaignes ne nous manquaient pas. Lorsqu’on faisait le confit, il y en avait toujours quatre ou cinq toupines pour nous, et lorsqu’on tuait le cochon au moulin, il nous portait du lard, de la graisse, des boudins, un anchau, un jambon, et des bons grillons arrangés avec des ciboulettes.

Un an après mon entrée dans les bureaux de la Préfecture, j’étais un jeune homme et je commençais à me raser. Je n’étais plus aussi innocent ; on ne vit pas longtemps à la ville dans cet état, et mes camarades avaient pris le soin de me déniaiser par les conversations qu’ils tenaient librement devant moi. Je commençais à regarder autrement les filles, et le dimanche j’allais avec les autres sur la place du Greffe, pour les voir sortir de la messe de midi. C’était la mode en ce temps ; les messieurs s’assemblaient là, et nous autres, nous faisions les hommes en fumant des cigares d’un sou, et en regardant effrontément les femmes.

Mon oncle venait de temps en temps nous voir le mercredi, et il nous portait toujours quelque chose. De mon côté, j’allais quelquefois au Frau, lorsqu’il se trouvait deux jours de congé de rang. Au Carnaval, nous y allions tous deux, ma mère et moi, et nous y restions jusqu’au mercredi des Cendres. Je revis plusieurs fois la demoiselle Ponsie, et toujours avec plaisir, mais tout de même ce n’était plus comme autrefois ; j’avais perdu ce sentiment naïf et innocent, qui me faisait voir en elle toutes les femmes. Elle restait bien pour moi, au-dessus de toutes les autres, mais j’étais distrait de mes adorations de jadis par d’autres pensées.

Un beau matin d’avril, nous apprîmes coup sur coup, l’évasion de Delcouderc, sa reprise et qu’on devait le guillotiner le lendemain.

Je fus avec des camarades, sur la place de Prusse, aujourd’hui place Francheville, où était l’échafaud. C’était un mercredi, le 16 avril 1845, jour de marché. Il y avait là une foule grande, car les crimes de ce jeune homme l’avaient rendu quasiment célèbre.

J’avoue qu’au dernier moment, je tournai la tête pour ne rien voir. Cependant, je m’étais bien promis de regarder cela courageusement, mais ce fut plus fort que moi. Pourtant, j’étais assez familier avec la guillotine. Derrière les jardins des maisons du fond de la place, dans un terrain vague, où on portait des décombres, du côté de Saint-Pierre-ès-Liens, il y avait une petite maison où on la serrait, démontée, et, enfant, j’allais avec les autres, regarder par le trou de la serrure ces grands bois rouges qui nous faisaient frissonner ; mais voir tomber une tête, c’était bien autre chose.

Au bout d’un an et demi, je fus appointé ; on me donnait vingt-cinq francs par mois, et je me croyais riche, avec les dix francs que ma mère me laissait pour faire le garçon. En ce temps-là, j’étais tombé amoureux de l’aînée des demoiselles Masfrangeas, et mon argent passait en pots de pommade, et autres bêtises de ce genre. Je ne manquais aucune occasion de la voir, le dimanche à la promenade, ou à la sortie de la messe ou ailleurs. J’aurais pu aller librement chez elle, étant donné nos relations, mais ces petites rencontres me plaisaient : à l’âge que j’avais alors, on s’amuse de ces enfantillages. Je crois bien que Mlle  Lydia s’était aperçue de mon manège ; mais qu’elle le sût ou non, je lui déclarai mes sentiments. C’était à un bal donné par une famille de leurs amis ; j’avais eu une invitation par M. Masfrangeas et je m’étais préparé quinze jours auparavant à cette fête. Mais j’eus peu de succès : j’étais gauche et point fait pour les exercices qui se pratiquent dans les salons.

Je me tirai donc assez mal de la contredanse où je figurais avec Mlle  Lydia, qui me le déclara sans barguigner. Or, comme elle ne parlait que d’élégance, de bon genre, de distinction, et disait couramment qu’elle n’accorderait sa main qu’à un cavalier accompli, on doit penser que ma timide déclaration fut assez mal reçue. Au reste, aurais-je été un cavalier fashionnable que ses visées étaient plus hautes. Elle ne se croyait pas faite pour le neveu d’un meunier ; elle rêvait d’épouser un officier, capitaine au bas mot, jeune, riche, cavalier accompli toujours, et décoré.

Le soir en revenant, M. Masfrangeas demanda à sa fille des nouvelles de mes débuts : — Pitoyables ! dit-elle ; non seulement il ne sait ni polker, ni valser, mais il ignore même à peu près le simple quadrille ; c’est inimaginable !

— Comment ! fit M. Masfrangeas en faisant semblant de partager l’indignation de sa fille ! malheureux ! tu ne sais pas danser ! Il te faut bien vite aller trouver ton voisin d’en face, le petit père Paravel, dont tu dois entendre le violon de chez toi ; il t’apprendra.

Cette soirée coupa court à mes visées, à mes rêves amoureux sur Mlle  Lydia. Ma mère serra tout mon habillement dans un tiroir de la commode et je ne l’ai plus remis.

Je passerai vite sur les années qui suivent, années qui me semblèrent longues dans leur monotonie uniforme, car je n’y vois rien qui mérite d’être rapporté. L’année 1848 approchait cependant, et comme j’étais né le surlendemain de la Noël, en 1827, au commencement de l’année je tirai au sort et j’amenai un mauvais numéro, ce qui m’était égal, d’ailleurs, puisque j’étais fils unique de veuve.

Et la Révolution était là. Lorsque la nouvelle arriva à Périgueux, de la journée du vingt-deux février, toute la ville fut agitée, comme bien on pense. Mon oncle se trouvait ce jour-là à Périgueux, et il se frottait les mains : Ça marche, disait-il, il y a des barricades à Paris, le vieux farceur va déguerpir. Le soir il repartit pour le Frau, en me recommandant de lui faire passer les nouvelles.

Tous les jours, sur la place du Triangle, une grande foule de monde attendait l’arrivée du briska qui apportait les dépêches. J’avais comme les autres déserté le bureau, et je me trouvais là, lorsqu’arriva la proclamation de la République. C’est une chose que je n’oublierai jamais, quand je vivrais cent ans. La poste aux lettres était alors dans une maison où fut plus tard l’étude Ranouil. Le seuil de la maison était plus élevé que la chaussée et se trouvait à peu près au niveau de la place. Un monsieur, je ne sais plus qui c’était, vint sur la porte et lut une dépêche. Peu l’entendaient, mais tous comprirent. Un grandissime et long cri de : Vive la République ! monta de cette foule immense, se prolongeant, se répétant et finissant par un roulement de milliers de voix, pour reprendre un instant après. Les chapeaux, les casquettes, les bonnets, volaient en l’air ; tout le monde se complimentait, se serrait la main, s’embrassait. Il semblait que jusqu’alors on n’eût pas vécu à son aise, et qu’on respirât plus librement.

En une heure, chacun eut sa cocarde tricolore à sa casquette ou à son chapeau. Les modistes étaient assiégées, et elles ne suffisaient pas à les faire assez vite ; aussi beaucoup achetaient du ruban et allaient chez eux : leurs femmes, leurs sœurs, avaient vitement fait de plisser les trois couleurs en une rosette et de l’attacher. Le lendemain, les enfants des écoles même, avaient leur petite cocarde à la casquette, et suivaient les rues en chantant la Marseillaise et le Chant du départ.

Et ce n’était pas un parti, une classe, une catégorie de citoyens qui se réjouissait ainsi ; c’était tous. Légitimistes, républicains, libéraux, prêtres, riches, pauvres, tous acclamaient la République. Il n’y avait guère de fâchés que les employés du gouvernement qui s’attendaient à être remplacés, et encore, parmi ceux-là, il y en avait qui criaient plus fort que les autres : Vive la République ! pour conserver leur place.

Le préfet, M. de Marcillac, étant parti, il fut remplacé par des commissaires du gouvernement, dont était M. Chavoix, maire d’Excideuil, si connu et si aimé dans notre pays. Grâce à mon oncle qui lui parla, M. Masfrangeas fut conservé à la Préfecture et c’était justice. Du temps de Louis-Philippe, il se taisait parce qu’il était employé du gouvernement ; sous la République, il en fit autant, par dignité, ne voulant pas avoir l’air de faire sa cour aux hommes du jour, mais à des paroles qu’il disait entre amis, à son air content, à ses actes, on connaissait bien qu’au fond il était républicain, et beaucoup plus même, que quelques braillards qui depuis ont tourné leur veste.

Dans notre bureau, tout était en l’air, on n’y travaillait guère, on faisait de la politique, on s’y entretenait des nouvelles. Les voisins du 2e bureau, ceux de la 1re division venaient, et on tenait là, comme un petit club, dissous quelquefois par M. Masfrangeas qui impatienté, sortait de son bureau, et renvoyait les bavards, en leur disant que le meilleur moyen de servir la République était d’aller à leur travail.

Nous avions au reste des distractions, car il venait beaucoup de députations de toute espèce, pour complimenter les commissaires et leur faire part des vœux de leurs citoyens. Les petits enfants des écoles vinrent, sous la conduite de leurs régents, protester de leur jeune dévouement à la République. Les frères vinrent aussi avec leurs élèves assurer le gouvernement de leur patriotisme ; il ne faut pas s’étonner de ça ; c’était le temps où les curés bénissaient les arbres de la Liberté, et montaient leur garde comme les autres citoyens. La gravure du Curé patriote, les buffleteries croisées sur sa soutane, et l’arme au bras devant une mairie, fit fureur quelque temps après.

Les écoles des frères étaient les plus nombreuses, et leurs élèves, des enfants du peuple. Leur manifestation fut bien conduite et n’eut rien de commun. Ils arrivèrent en blouses vertes, cocardes à la casquette, avec leurs bannières et des branches de verdure, en chantant un hymne patriotique, et se rangèrent de front devant le perron de la Préfecture. Après que les commissaires eurent passé une sorte de revue, ils formèrent le cercle sur un signal, et chantèrent un chœur composé tout exprès pour la circonstance à ce que je crois ; quelques bribes m’en sont restées dans la mémoire :

Ils avaient dit dans leur délire,
Vous réclamez en vain vos droits ;
Vos droits nous saurons les proscrire,
Courbez-vous tous, nous sommes rois !
À cet ordre, loin de se rendre.
Le Peuple souverain
S’est levé soudain,
Sa grande voix s’est fait entendre :

Égalité, fraternité,
C’est le cri de toute la France,
Et désormais indépendance,
Union, force et liberté !

Tout ça était trop beau pour durer ; mais beaucoup des écoliers d’alors ont senti plus tard se réveiller dans leur cœur l’enthousiasme de leurs jeunes années pour la République et la Liberté, et se sont remémoré ces jours où tous les enfants du peuple étaient réunis dans un fraternel sentiment.

Quelque temps après, le conseil de révision m’exempta comme fils unique de veuve. Comme si elle n’eût eu plus rien à faire sur la terre, ma pauvre mère tomba malade. Elle languit quelque temps et mourut tout doucement, sans douleur, sans agonie, contente, disait-elle, d’aller rejoindre son cher mari.

Cependant, mon père avait refusé de se confesser à l’article de la mort ; mais la pauvre bonne femme pensait qu’un si brave homme que son défunt mari ne pouvait être allé en enfer, mais tout au plus en purgatoire, d’où ses prières et toutes les messes qu’elle avait fait dire l’avaient sûrement tiré. Cette manière de voir n’était peut-être pas très catholique, mais elle était bien raisonnable et humaine. Les dernières recommandations que ma mère nous fit à mon oncle et à moi, furent de ne pas la faire enterrer à Périgueux ; ce grand cimetière froid lui faisait peur, mais de la porter là-bas chez nous, dans le petit cimetière ombragé de noyers qui est autour de l’église, et de la mettre tout à côté de son cher homme.

Ainsi fut fait. Après le service nous mîmes le cercueil dans un char-à-bancs qu’on nous avait prêté, et avec M. Masfrangeas qui nous accompagnait, nous prîmes le chemin de chez nous. Sur la route, à la traversée des paroisses, les sacristains venaient réclamer les droits des curés et les leurs. C’est une chose bien forte, qu’on puisse demander le salaire d’un travail qui n’a pas été fait. Les gens simples comme nous autres, nous trouvions ça injuste ; mais M. Masfrangeas nous assura que les curés étaient dans leur droit, et mon oncle paya, non sans dire que c’était des mendiants.

Devant l’église, chez nous, étaient la demoiselle Ponsie, des parents à nous, venus de Sorges, de Tourtoirac, d’Hautefort, et puis tout le monde du Frau, et des voisins des villages.

Le curé Pinot était là aussi, il fit un autre service et puis, après, nous mîmes la pauvre femme dans une fosse, à côté de la pierre de mon père. Quand tout fut fini, nous nous en fûmes au Frau, avec nos parents qui couchèrent à la maison et s’en retournèrent le lendemain.

En partant, ma tante Françonnette me fit promettre d’aller les voir la prochaine foire d’Hautefort. J’aimais beaucoup cette tante, chez qui j’avais demeuré deux ou trois ans, tandis que mon père et ma mère changeaient souvent de ville, à cause des nécessités du métier. Il n’y avait pas de régent dans notre commune en ce temps-là, et pour aller à Coulaures, c’était trop loin ; voilà pourquoi on m’avait mis chez elle, où j’allais en classe avec mes cousins. Il fut convenu avec ma tante donc, que le jeudi d’après je trouverais à Excideuil mon cousin Ricou, et que nous nous en irions coucher à Hautefort.

Le surlendemain, nous retournâmes à Périgueux avec une charrette pour déménager. Le soir nous soupâmes chez M. Masfrangeas, et mon oncle lui dit alors, que maintenant, il ne trouvait pas bien à propos que je restasse à Périgueux tout seul. M. Masfrangeas convint que c’était bien un peu épineux pour un jeune homme de vivre seul à la ville, où il y a tant d’occasions de faire des bêtises. Il ajouta que s’il avait eu trois garçons au lieu de trois filles, il m’aurait pris chez lui ; qu’au reste la première chose était de savoir si j’avais dans l’idée de continuer la carrière des bureaux, parce que si cela était, il me trouverait une maison pour me mettre en pension, où je serais en famille.

Mais outre que d’aller vivre avec des étrangers, ça ne me riait pas, il y avait longtemps que je ne restais à la Préfecture que pour faire plaisir à ma mère, car le métier et le genre de vie ne m’allaient point du tout. Je l’avouai franchement, et M. Masfrangeas dit alors, qu’on ne réussissait pas à ce qu’on ne faisait pas avec goût, et que par ainsi, je faisais bien de revenir au Frau.

Ayant chargé la charrette, nous partîmes de Périgueux sur les onze heures du matin. Nous n’allions pas vite, parce que ça pesait un peu pour la Grise, qui se faisait vieille. À Savignac, il fallut s’arrêter pour lui faire manger la civade, et nous autres pour le mérenda.

À Coulaures, Jardon, notre bordier, nous attendait avec les bœufs, car d’aller avec une jument aussi chargée dans nos chemins, il n’y fallait pas songer. Il fallut donc décharger la plus grande partie des affaires pour les recharger sur la charrette des bœufs ; tout ça prit du temps, en sorte qu’il était neuf heures lorsque nous fûmes au Frau.