Le Monialisme, Histoire galante (2e éd.)/Texte entier

A Rome aux dépens des couvens (Tome I, Tome IIp. 5-158).

AVANT-PROPOS.


Destinée au voile dès l’enfance par des parens barbares, je fus mise à l’âge de douze ans dans un couvent de Bernardines, sous la conduite d’une parente, cousine-germaine de ma mere. Cette victime de ma famille également comme moi, me traita avec tant de bonté, que je n’eus aucune peine d’oublier la maison paternelle. Les deux premieres années se passerent sans que je m’apperçusse des intrigues que nos dames entretenoient avec des Religieux de l’ordre, et quelquefois même avec d’autres personnes. Madame l’Abbesse qui étoit sexagénaire, et obligée par rapport à ses infirmités de garder ses appartemens, laissoit faire aux religieuses ce qu’elles vouloient ; et pourvu qu’elles eussent l’attention de lui faire de temps en temps la cour, leur liberté étoit si grande, que les hommes entroient dans la maison, y mangeoient avec elles, y couchoient même, cependant avec précaution.

Lorsque j’entrai dans cet asile, plus consacré à Vénus qu’au Dieu crucifié, elles étoient dix dames de chœur sans compter l’Abbesse, et trois sœurs converses. Parmi ces dix, cinq étoient dans le bel âge de jouir des plaisirs : quatre seulement jouoient les rôles les plus intéressants, et s’étoient associées une des trois converses, qui étant très-bonne cuisiniere leur étoit d’une grande utilité. La cinquieme qui s’appeloit Susanne, et belle comme les amours, étoit encore neutre ; mais dans la suite, par l’entremise d’Agathe, elle se rendit aux instances de son amant, et ne fut pas une des moindres actrices. Lorsque le temps de sentir à quoi nous sommes tous destinés, eut produit en moi ses effets, je passai par les mêmes épreuves ; et me trouvant si bien dans cette maison, à l’âge compétent je me décidai sans la moindre difficulté à me faire religieuse. Une brune claire, dont je donnerai l’histoire pendant sa vie séculiere, qui interessera beaucoup, prit le voile avec moi, et nous fûmes agrégées toutes les deux à la société ; si nous ne surpassâmes pas ces dames, nous les suivîmes de fort près. Nous nous sommes assemblées plusieurs fois au nombre de huit, chacune le nôtre, quelquefois deux pour une ; et à l’exemple de ces filles du monde destinées par état à soulager l’incontinence du public, nous varions nos postures, pour varier nos plaisirs. Tout ceci sera détaillé avec ordre et méthode ; et je vais ouvrir la scene.


AVIS AU LECTEUR.


Comme ce n’est pas mon intention de nuire à qui que ce soit, j’avertis que tous les noms des deux sexes de mon Histoire sont supposés. Si le hasard vouloit que l’on rencontrât des personnes de ces noms là, que l’on n’en fasse pas une mauvaise plaisanterie. Les aventures sont vraies ; mais pour le lieu où elles se sont passées, je l’ai totalement couvert par la relation que j’en donne ; ainsi toutes recherches seront inutiles. Contente-toi seulement de t’amuser, mon cher lecteur ; tu y trouveras du tendre et du plus saillant. Si quelques pages de cet Ouvrage te paroissent au-dessus de la portée d’une femme, apprends qu’il en est parmi nous, capables de penser sainement : si tu trouves à redire à la liberté du stile, apprends qu’il nous convient beaucoup mieux qu’aux hommes de traiter cette matiere : vous êtes faits, Messieurs, pour les hautes sciences, et nous pour la bagatelle. Et qui que tu sois qui lises cet Ouvrage, je te souhaite beaucoup de plaisir. Adieu.


LE MONIALISME,
HISTOIRE
GALANTE

Comme rien ne me représentoit l’horreur du cloître dans l’abbaye, qu’au contraire on n’y respiroit qu’abondance et gayeté, que ma parente, avec laquelle je demeurois, ne cherchoit en aucune façon à contrarier mes volontés, je vous laisse à penser si je devois être contente à mon âge : le temps, jusqu’à ma premiere Communion, coula insensiblement sans le moindre soucis, et sans faire trop d’attention à ce qui se passoit dans le monastere, malgré les fréquentes visites des religieux du même Ordre, d’une maison voisine, et du Vicaire de la paroisse, qui en comptoit à ma parente, etc. Il est vrai que l’on se cachoit de moi, pour ce que vous vous doutez bien ; et leurs caresses, dont je m’appercevois, je les attribuois à la seule amitié, n’étant pas capable, pour lors, de penser à ce que dans la suite j’ai sçu mettre en usage. Comme je me trouvois souvent avec la compagnie dans le Parc je m’attachois à un jeune Bernardin, qui avoit pour moi beaucoup de complaisance ; la reconnoissance l’exigeoit.

En éprouvant des révolutions qui m’étonnerent, et sur lesquelles ma parente me tranquillisa ; j’arrivai enfin, à l’âge qui nous fait fille : je voyois croître avec plaisir deux petits globes sur ma poitrine, ornement dont les femmes sont si jalouses, mais j’étois beaucoup intriguée du duvet qui se formoit à un certain endroit ; voulant savoir si ma Bonne en avoit aussi, je la regardois un soir changer de linge ; j’en vis assez pour être convaincue du fait. Le lendemain après dîner il vint compagnie ; je fus la joindre au Parc avec ces dames : dom Delabrisse, c’est le nom que je donnerai à mon jeune Bernardin, qui y étoit, ayant fait une absence de près de six mois, je fus fort contente de le revoir, il parut aussi fort empressé, me regarda avec des yeux qui ne lui étoient pas ordinaires, et me dit des choses fort agréables, en prenant de temps en temps quelques petites libertés, sans sortir des regles de la bienséance ; je fus obligée de le quitter à mon grand regret, et sentant pour lui un certain je ne sçai quoi, je commençai à devenir rêveuse ; mais la petite vérole, que je ne tardai pas d’avoir, fit diversion à cet amour naissant ; j’en fus trois mois retenue dans ma chambre, et je demandai plusieurs fois à ma parente, par la crainte que j’avois de devenir laide, si je n’en serois pas marquée. Dom Delabrisse vint me voir trois fois pendant ma maladie ; cette attention de sa part, contribua beaucoup à la tendre amitié que je conçus pour lui, et je lui entendois dire avec satisfaction, que les avantages que j’avois reçus de la nature n’en étoient aucunement altérés.

Le temps de l’enfance étant donc absolument passé, étant encore il est vrai bien jeune, mais tres-faite pour mon âge, il m’occupoit entiérement ; lorsque je le voyois, je sentois des especes de frémissemens qui me détraquoient toute la machine : il vint un jour, me demanda au parloir, et après m’avoir baisé la main, me dit qu’il étoit venu exprès pour moi, qu’après le diner ces dames seroient occupées, qu’il pourroit, si je voulois, m’entretenir seule : je lui répondis que j’en serois charmée, et que je l’attendrois à deux heures. A l’heure dite, il ne manqua pas de se rendre près de moi : après m’avoir donné un baiser des plus tendres, mais plus animé que de coutume, (ses lèvres étoient brûlantes,) en mettant sa main dans une des miennes, il me dit beaucoup de galanteries ; j’étois fort neuve, et ne lui répondois que fort laconiquement, cependant j’étois tres-contente de ce que j’entendois ; sous prétexte de vouloir examiner mon colier, il me toucha la gorge et je ne le grondai pas. Voyant donc ma complaisance, il recommença, et après un baiser des plus passionnés, en suivant la marche ordinaire, il porta la main sous ma jupe : je fis quelques difficultés, par une espece de honte qui est innée dans nous : mais il n’abandonna pas la partie, et je le laissai faire ; cette main larronnesse qui ne voulut rien ignorer me fit éprouver par ses attouchemens des sensations singulieres ; il entendit venir quelqu’un, et se retira : c’étoit ma Bonne et la Prieure ; il fallut nous séparer, ses yeux me témoignerent assez leur mécontentement de ce fâcheux contre temps ; j’en fus aussi très-fâchée, j’avois joui d’un certain plaisir que j’aurois désiré être plus long.

On sera, peut-être, surpris de l’aisance à pouvoir s’approcher de si près, dans un parloir grillé ; mais il y avoit dans le milieu un grillon à deux battans, qui, lorsqu’il étoit ouvert formoit une ouverture quarrée de deux pieds et plus : on étoit à même, par-là, de seconder la nature ; je fus fort sérieuse le reste de la journée, ne m’occupant que de dom Delabrisse ; ces dames s’en apperçurent et ma Bonne après souper me demandant ce que j’avois : rien, répondis-je ? c’est qu’elle se forme, dit Rose, et cela lui donne du soucis ; ce propos les amusa un moment, j’en ris même avec elles, et fus me coucher.

Je ne tardai pas à m’endormir, et sur le minuit, après avoir fait un rêve assez drôle, m’imaginant que mon bon ami étoit près de moi, qu’il me carressoit, me faisoit toucher un certain quelque chose, dont je ne pus me rappeller, n’ayant encore aucune notion de cette partie de l’homme, je m’éveillai avec une espece de frisson fort agréable, la main au chaton, que je sentis humide : ce n’étoit pas la premiere fois que cela m’étoit arrivé, mais je n’y avois pas fait autant d’attention ; je soupirai par un instinct qui, je crois, conduit toutes les filles ; je me frottois et m’attachois principalement à une petite éminence, qui par sa sensibilité, me mettoit toute hors de moi-même : après avoir répété ce jeu-là pendant quelques minutes, je sentis un feu dans mes veines, je me pâmai, et une seconde fois la petite rosée me fit sentir de nouveau ses douces influences ; je me rendormis et ne m’éveillai qu’au retour de ma parente de l’Office.

Très-contente de ma découverte, je ne manquois pas un jour de répéter ma leçon, en m’occupant de mon amant, que j’aurois voulu voir ; mais cela n’étoit pas possible, il étoit dans son cours d’étude, et ne venoit que rarement. Une semaine se passa ainsi, pendant laquelle je fus plus sédentaire que de coutume ; ma parente me laissoit souvent seule, j’y étois accoutumée et ne m’informai aucunement quel étoit le motif de ses absences ; mais voulant finir un ouvrage, elle resta presque tout un jour à travailler avec moi, je n’étois pas fâchée de sa compagnie, car elle m’aimoit beaucoup, mais elle me gênoit cependant au point que je fus obligée de prétexter un besoin pour aller faire à mon aise mon petit exercice ; je fus donc aux commodités, elle s’étoit doutée de quelque chose, elle vint m’examiner, resta constamment jusqu’à la fin et se retira doucement.

Me croyant sans témoin, je me livrai à mon penchant comme de coutume : après la besogne faite je revins ; Angélique, (c’est le nom que je prendrai :) d’où viens-tu, me dit-elle ?… ma Bonne je viens des commodités :… il est des besoins de plusieurs especes n’est-ce pas ? J’ai tout vu, qui t’a ainsi instruite ; cela est fort joli : je rougis, fus interdite, et lui sautai au col ; elle ne me rebuta pas, me gronda un peu et sortit.

Je me doutois qu’elle alloit chez la Prieure lui faire part de ce qu’elle venoit de voir : c’est ce qui arriva ; Rose y étoit aussi, et pendant un moment elles rirent beaucoup toutes les trois ; mais, je crois, leur dit ma Bonne, que vous avez aussi envie d’houspiller les vôtres : oui, répondit la Prieure ; veux-tu en être, je ne suis pas en train aujourd’hui, reprit-elle ? Amusez-vous tandis que je parcourerai ceci ; je me tins pour lors au coin de la porte vitrée et je pus tout voir sans être vue ; il y avoit un vase sur un réchaud, et tandis que Rose préparoit une machine un peu longue, à-peu-prés grosse, comme trois de mes doigts réunis ensemble, la Prieure qui étoit une commere de bonne mine, assise sur sa bergere et retroussée, s’amusa à se frotter le pénil, l’autre ne la fit pas languir, s’approcha du vase dont j’ai parlé ; je vis que c’étoit du lait qu’il contenoit, elle en fit entrer dans l’instrument et l’introduisit dans le C.. de sa compagne, en le faisant aller et venir ; la paillarde, que l’on soulageoit ainsi, en fermoit les yeux de plaisir, soupiroit, et tout-à-coup, lui dit, fais couler, ma chere amie ; oh Ciel ! Rose qui étoit aussi une assez jolie blonde, en éprouva autant, ne témoigna ni moins de sensibilité, ni moins de joie ; et lorsque le calme eut succédé aux fureurs utérines, et qu’elles commencerent à s’entretenir, je me retirai.

Arrivée dans ma chambre je réfléchis beaucoup sur ce que je venois de voir, je compris que j’avois trouvé à-peu-prés la route des plaisirs, mais que je manquois de connoissance, et dans le temps que le lait, dont elles venoient de faire usage, occupoit ma petite cervelle, ma Bonne rentra : eh bien Angélique, me dit elle, es-tu devenue sage ? Je ne lui répondis pas, je baissai les yeux, en paroissant contrite ;… écoute-moi, ma petite amie ;… plait-il, ma Bonne ;… tu ne sais peut-être pas que c’est un péché de se toucher dans cet endroit là, et surtout, il faut t’en confesser et ne plus le refaire ; ne te fâche pas de ce que je te dis-là, on peut rire, mais cependant, faire son devoir ; je ne m’en fâche point, répondis-je, j’irai me confesser, mais que ce ne soit pas, s’il vous plait, au pere Directeur ; c’étoit un vieux caffard, pour lequel j’avois une aversion singuliere ; ce n’est pas qu’il fut scrupuleux, j’ai sçu dans la suite qu’il avoit assez bien tiré parti de la vie dans sa jeunesse, il étoit d’ailleurs assez traitable pour l’article en question, ne troublant aucunement ces dames, ni ses confreres ; mais il me déplaisoit, et je ne parlerai plus de lui dans la suite de cette histoire. Elle me répondit que les confessions étoient libres, que lundi le pere Anselme, Cordelier, viendroit et que je pourrois aller à lui, j’y consentis ; j’avois des envies de rire des propos qu’elle me tint, après ce que j’avois vu ; mais que dis-je, il faut toujours prendre les choses du bon côté, elle craignoit cette digne amie, que si je venois à sortir du couvent je ne lui reprochasse un jour qu’elle n’avoit pas prévenu, dès leur origine, mes premiers mouvemens de concupiscence ; je pris donc mes heures, m’arrêtai à ce qui me convenoit, lui demandai comment il faudroit m’expliquer, et attendis le pere Cordelier ; je commençai à me mortifier, car ayant trois jours à attendre, je ne fis que deux fois mon petit manége.

Je me présentai donc le lundi au sacré tribunal, et débutai par quelques distractions dans mes prieres ; je faisois déja comme les autres, je réservois la bagatelle pour la bonne bouche ; mes bêtises avoient presque endormi mon Confesseur, mais lorsque j’entamai la matiere intéressante, il revint de son assoupissement : eh ! qu’est-ce que c’est, me dit-il ?… Mon pere je m’accuse d’avoir pris sur moi des regards et des attouchemens deshonnêtes :… et sur quelle partie de votre corps cela vous est-il arrivé ?… Sur celle qui distingue notre sexe : — il me fit plusieurs questions, et après en avoir entendu assez, il reprit, écoutez, ma belle enfant, je dois encore confesser avant le diner quatre Religieuses, je n’ai pas le temps de vous tenir davantage, mais trouvez-vous à une heure au parloir, et nous parlerons de cela : il me donna une légere pénitence et me renvoya.

A l’heure désignée il se rendit au parloir, notre conversation au commencement fut fort triviale, intéressante cependant pour lui, car il me regardoit beaucoup, garda un moment le silence, et me dit ; parlons présentement de ce que vous vous êtes accusée ce matin ; n’est-ce que depuis cette entrevue que vous avez eu avec [un] jeune Religieux, que vous avez commencé à ***… oui, mon pere ;… auparavant… non… vous ne sentiez pas une certaine démangeaison dans cet endroit-là ?… Pardonnez-moi,… et vous ne vous touchiez pas ?… Je me contentois seulement de me frotter sur mon linge ;… ah ! êtes-vous bien-aise de la découverte que vous avez faite ? parlez hardiment ; je suis un bon enfant, ne craignez rien ; et il me prit la main : à vous dire franchement ce que je pense, répondis-je, je ne sçai comment je ferai pour me retenir : voulez-vous me promettre le secret, reprit-il, et je vous dirai des choses qui vous tranquilliseront, je lui promis, et il me parla ainsi : vous n’avez pas fait tant de mal que vous croyez, vous pouvez lorsque la nature fera sentir ses besoins, user du même remede ; cela vous fait donc beaucoup de plaisir, lorsque vous agitez cette partie là ?… oui, mon pere ; pour lors il me fixa avec beaucoup d’attention, passa la main sous sa mandrille, et je m’apperçus qu’il touchoit quelque chose ; c’est que ma petite conversation avoit mis en train l’instrument du révérend : il me prit le menton, m’embrassa ; j’étois trop contente de sa morale pour m’y refuser ; d’ailleurs, il étoit très-joli homme, encore jeune, n’ayant tout au plus qu’une trentaine d’années, après cette faveur, ses yeux me parurent enflammés et dénotoient assez l’ardeur qui l’animoit, il me donna un second baiser, et détournant ma gorgerette, malgré quelques résistances de ma part, il parcourut ce qui étoit dessous avec une avidité incroyable, et en répétant deux ou trois fois, vous êtes charmante ; comment ne serois-je pas aussi heureux que ce jeune Bernardin : j’étois assise, il s’approcha, me prit la jambe, coula sa main, et eut bientôt attrapé la relique : je me penchois en avant, et lui dis de finir, que quelqu’un pourroit venir ; mais il me pria avec tant d’instance, qu’à la fin je me rendis ; après qu’il eut satisfait le tacte et la vue, il me donna des louanges qui me flatterent beaucoup : me porta la main sous sa robe ; je la retirai précipitamment, craignant que ce ne fut quelque bête vénimeuse ; qu’avez-vous, me dit il, ne craignez rien : allons, je veux que vous le touchiez ; et qu’est-ce que c’est pere Anselme, repris-je en le touchant ? que cela est brûlant et dur ! Pour lors il me le montra, et je fus, on ne peut pas plus surprise, de voir dans le même endroit que nous une chose si différente de la nôtre, cet instrument me parut avoir plus d’un demi pied de long, fort gros, soutenu de deux énormes verrues, garni d’une double fourrure, d’un brun clair, et ressemblant exactement à ces piquets que l’on voit sortir d’un tas de mousse ; il me retint le bras, en me priant d’avoir pour lui quelques complaisances, et en dirigea les mouvemens ; mais comme il n’étoit pas homme à terminer sitôt son plaisir, il me dit de cesser, et me fit étendre sur la bande du parloir.

Semblable à une victime que l’on veut immoler, je me laissai faire ; il admira un moment mes charmes nuds, et m’appuya les reins sous son bras droit, flatta ma petite toison, et à travers les plis et replis, chercha à sonder avec un doigt libertin : je le priai de se contenter seulement de me frotter, qu’il me faisoit mal : mais ne m’écoutant pas, il le fit entrer gradatim, s’y prit fort bien, me procura plus de plaisir que je n’en avois encore eu, et lorsqu’il s’apperçut, par mes soupirs précipités et mes sanglots, que j’allois ***, il me donna un baiser voluptueux et je perdis connoissance entre ses bras : revenue à moi, il me combla de caresses en me félicitant sur ma sensibilité.

Il étoit juste de l’amuser à mon tour, je me familiarisai avec son dard : il s’assit sur l’autel, qui étoit encore fumant du sacrifice que je venois d’offrir à Vénus, me fit monter sur un tabouret, qui étoit de mon côté, sçut trouver la poche aux puces, imprima ses lêvres sur mon avant-main, pour me servir de ses propres termes, et ainsi ajustée, je me saisis du priape de sa révérence ; qu’il étoit donc content ! Pendant le service que je lui rendois ; mon petit cœur, me dit-il, d’une voix entrecoupée et me fouettant : baisez-moi ; serrez un peu plus ; — il se troubla, je sentis que quelque chose de chaud me mouilloit les doigts, je regardois, et sans encore sçavoir ce que c’étoit, je vis pour la premiere fois cette matiere dont nous sommes paîtris. En vérité, lui dis-je, voyez comme vous m’avez arrangée, il se mit à rire et m’essuya ; pour satisfaire ma curiosité je lui fis beaucoup de questions, il répondit à toutes ; voici à-peu-près notre entretien.

Angélique.

Je vous réponds, pere Anselme, que j’avois une envie extrême de sçavoir comment les hommes étoient construits : je l’aurois sçu plutôt si ma Bonne et la Prieure ne fussent pas venus m’interrompre lorsque j’étois avec dom Delabrisse, car il n’auroit pas manqué aussi de me déployer sa marchandise ; mais, malgré qu’actuellement je sçai la différence des deux sexes, que je vois par expérience, que l’un et l’autre se procurent, par ces parties-là, beaucoup de contentement, je ne sçai pas encore leurs véritables propriétés.

P. Anselme.

Tenez, voici une estampe qui vous mettra au fait, et quoique ceci soit encore bien neuf, si nous étions dans un endroit plus commode, je réaliserois avec vous, ce que vous voyez.

Angélique.

Je comprends actuellement, mais vous tenteriez inutilement sur moi, et je ne crois pas qu’un instrument pareil puisse entrer dans un espace aussi petit : vous me fendriez.

P. Anselme.

Il est vrai qu’au commencement vous souffririez un peu ; mais vous éprouveriez bientôt un plaisir plus vif que celui que vous avez ressenti.

Angélique.

C’est donc à dire que cette partie de l’homme est faite pour s’unir avec la nôtre.

P. Anselme.

Sans doute, l’auteur de la nature n’a créé l’homme et la femme de différend sexe, que pour cette fin.

Angélique.

Mais, outre le plaisir que l’on se procure, qu’en résulte-t-il de l’union de ces deux parties ?

P. Anselme.

Il en résulte ce que nous sommes l’un et l’autre.

Angélique.

Fort bien, voici donc le mystere de la fabrique humaine, et c’est sans doute cette humeur, que j’ai vu sortir de votre *** qui produit cet effet.

P. Anselme.

Oui, mais celle de la femme y contribue aussi, se mêlant toutes les deux, le fêtus avec le temps se forme, se fortifie, prend vie, et voici en gros à-peu-près ce mécanisme.

Angélique.

J’aimerois bien m’amuser avec un homme, mais non pas jusqu’à ce point, je ne voudrois pas faire d’enfans, j’ai entendu dire que cela faisoit trop mal.

P. Anselme.

Aussi, je ne vous engage pas à le faire jusqu’à cette conclusion, et si je suis assez heureux, pour vous voir la premiere fois que je viendrai, dans un endroit plus commode, vous n’aurez rien à craindre de ma part : avec qui que ce soit, que vous vous amusiez, exigez toujours de lui qu’il fasse l’éjaculation au dehors, et par-là vous ne serez pas dans le cas de craindre de faire des enfans ; mais ce n’est pas seulement la douleur que l’on endure en leur donnant le jour, qui doit engager les Demoiselles d’agir avec circonspection dans l’amoureuse affaire, c’est que selon les loix, elles sont deshonorées en devenant meres ; et il n’y a que les femmes qui ont ce droit-là ; je soutiens, cependant, qu’on peut s’amuser dans tous les états, mais il faut sauver les apparences ; ceux et celles qui, par défaut de fortune ne peuvent pas se marier, ceci ne provenant que d’un mauvais gouvernement, ou ceux qui sont obligés par la cupidité de leurs parens, d’embrasser un état qui les engage au célibat, seroient donc bien malheureux, s’ils ne pouvoient jouir d’un plaisir pour lequel nous sommes créés ; je vous le répéte, dans tous les états on peut s’amuser, mais de façon que l’on puisse se soustraire aux loix iniques, que les hommes n’ont établis que pour tyranniser leurs inférieurs.

Angélique.

Je retiendrai bien ce que vous me dites ; mais il est près de trois heures, et je crains que ma Bonne ne me demande.

P. Anselme.

Soyez tranquille pour votre Bonne, elle est fort occupée et ne pense pas à vous.

Angélique.

Où seroit-elle ?

P. Anselme.

Si vous voulez sçavoir ce qu’elle fait avec la Prieure dans la chambre qui est près de la Sacristie, allez écouter à la porte, et vous reviendrez me rendre compte de ce que vous aurez entendue.

Angélique.

Je m’en doute.

P. Anselme.

Vous vous en doutez, comment !

Angélique.

Il y a deux ou trois jours que je vis la Prieure et Rose s’amuser avec un drôle d’instrument, ma Bonne y étoit aussi, mais ne s’en servit pas.

P. Anselme.

Je vois ce que c’est : c’est un G.... meuble dont, dans la suite vous ferez sûrement usage ; ce n’est pas cela, elles ont chacune un bon ami, et se font caresser : allez seulement où je vous dis, si vous ne pouvez pas les voir, au moins en entendrez-vous quelque chose.

Angélique.

Vous avez dit vrai, pere Anselme, j’ai même distingué la voix du vicaire, autant que je puis en juger, il le faisoit à ma Bonne, et ce qui me l’a certifié, c’est un propos qu’a tenue la Prieure à dom de Lamothe, tu me le mettras encore une fois, mon bon ami, n’est-ce pas ? Vois-tu comme ils sont contens tous les deux : il a régné, pour lors, un profond silence, qui n’a été interrompu que par quelques baisers, il m’a paru aussi entendre le mouvement d’une couchette.

P. Anselme.

Vous voyez que je ne vous en ai pas imposé ; qu’avez-vous ? Cela vous a mis en train, votre Bonne n’est pas prête de revenir, nous avons du temps : — remettez-vous ; oh le joli petit corps ! Comme cet endroit se brunit : tournez-vous, voici un moule de culottes, d’une blancheur admirable, je vous fais languir : tenez vous comme cela, et voyons qu’une seconde fois je fasse réjaillir cette petite fontaine.

Angélique.

Ah ! mon-cher-pe-re — ehm ! la parole me man…

P. Anselme.

Etes-vous contente ?

Angélique.

Je vais aussi vous procurer du plaisir le plus que je pourrai, auparavant laissez-moi encore examiner… : il a la tête faite comme mon casse-noisettes, cela vous fait rire ; comment s’appellent ces deux machines, renfermées dans cette bourse, oh que vous avez donc de cheveux-là !

P. Anselme.

On les appelle testicules, tous les hommes, de même que les animaux, en ont ; ceux qui en sont privés, ne sont pas propres à la génération ; allons, c’est assez causer… ; que vous êtes aimable : arrêtez,… embrassez-moi,… re-fai-tes…

Angélique.

Ai-je bien fait ?

P. Anselme.

Oui, — remettons nous.

Angélique.

J’ai à présent à vous parler de ce meuble, que vous appeliez godemichi, ce qui m’intrigue, c’est qu’elles y firent entrer du lait.

P. Anselme.

Je vais vous expliquer pourquoi ; les femmes qui n’ont pas toujours des serviteurs, telles que sont les Religieuses, quoique les dames de l’Abbaye où vous êtes, n’en manquent pas, comme vous vous en apperçevez, pour peu que vous vouliez examiner leur conduite ; se servent communément de cet instrument pour se soulager, et le lait chaud qu’elles se

seringuent, produit à-peu-près l’effet de ce qu’elles reçoivent, dans leurs embrassemens avec les hommes ; il y a cependant de la différence : — vous voulez le retoucher, laissez-le, il dort.

Angélique.

Je veux le revoir, oh Ciel ! Ce qu’il semble à présent ; d’où vient donc, s’il vous plaît, cette métamorphose ! — vous riez, expliquez-moi ceci ? Qu’est devenue sa dureté ? Cette tête qui m’a paru enflammée, comment a-t-elle perdue sitôt sa fierté ? Elle n’a plus le même coloris, et se trouve couverte à moitié d’une pellicule à laquelle je n’avois pas fait attention.

Pere Anselme.

Ce changement qui vous étonne, est cependant sa situation ordinaire ; s’il étoit toujours comme vous l’avez vu, nous en serions incommodés : ce n’est que de temps en temps, et pour nous engager au plaisir ; la vue d’une belle femme, ou l’imagination frappée d’un objet chéri, opere souvent cette merveille : c’est ce qui prouve bien que l’homme est fait pour la femme, comme la femme pour l’homme.

Angélique.

Cela est singulier ! il redevient ?…

P. Anselme.

Il faudroit que je fusse insensible, si une main aussi belle que la vôtre, ne le ranimoit pas. Mais c’est assez ; cela épuise, lorsque si souvent l’on se… Retenez-vous aussi, et ne le faites que quand vous vous sentirez extraordinairement pressée : votre temperament n’est pas formé, et cela pourroit vous nuire. Gardez le secret sur tout ce que je vous ai dit et ce qui s’est passé ; je reviendrai vous voir, et vous apporterai pour vous amuser un G… proportionné à votre âge. Adieu mon cœur, il est temps que je me retire ; embrassez-moi encore une fois, adieu.

Ne fais pas le procès, mon cher lecteur, à ce Cordelier : ne t’érige pas en censeur de sa conduite ; je ne lui ai jamais sçu mauvais gré d’avoir profité de mon peu d’expérience et de ma jeunesse : si j’avois été à sa place, j’en aurois fait autant ; il n’étoit pas assez sot d’admettre en aveugle toutes les absurdités qu’on nous propose.

Comment ! parce qu’un tas de fanatiques ont prescrit des états dans la société, qui astreignent une partie des deux sexes à se priver des plus grandes douceurs de la vie, il faut les croire ? je ne suis point de ce sentiment-là ; et j’ai de mon côté les gens les plus sensés. Nous sommes par bonheur dans un siècle, où le voile d’une fausse crédulité en tombant nous a désillé les yeux. Si l’auteur de tous les êtres avoit voulu interdire ces plaisirs à quelques-uns, et les excepter de la loi ordinaire, il les auroit fait naître destitués de ces parties qui nous y provoquent naturellement : or, comme en naissant nous en sommes tous pourvus, nous sommes donc tous destinés pour en jouir. Qui veut la cause, veut la fin : tirez cette conséquence ?

Répondez-moi, ignares ; ne faites-vous pas de notre Dieu un monstre, en lui attribuant une cruauté semblable à la vôtre ? n’attaquez-vous pas même la divinité en la dégradant d’un de ses attributs, je veux dire la bonté avec laquelle elle répand ses bienfaits sur tous ? Je sçais que vous m’objecterez que le plaisir qui est attaché à cet acte-là, n’est que pour engager les hommes à se perpétuer, et que hors le mariage on doit s’en sévrer ; mais bourreaux que vous êtes, pourquoi, répétai-je, avez-vous établi des états qui en privent une partie des citoyens ? pourquoi Pierre y aura-t-il part, et que Jean en sera privé ? y a-t-il acception de personne auprès de Dieu ? J’invite donc ceux et celles qui sont renfermés dans le cloître, état aussi contraire à l’humanité qu’aux volontés du maître de l’univers, je les invite à fouler aux pieds vos loix iniques, et à s’amuser autant qu’ils le pourront, et que l’occasion leur sera favorable, soit dit en passant.

Je reprends. Après avoir quitté mon Cordelier, je me retirai, on ne peut pas plus satisfaite. Ma parente ne tarda pas de revenir ; elle me parut fort échauffée, et me dit : à quelle heure, s’en est allé le pere Anselme, Angélique ? Ma Bonne, à deux heures. Que t’a-t-il dit lorsque tu lui as conté tes petites fredaines ?… Il m’a défendu de le refaire davantage… Cela est fort bien ; mais tu m’as la mine de ne pas trop suivre les avis de ton directeur… Pourquoi, ma Bonne ?… Parce que tes yeux annoncent le contraire. Je souris, et lui sautai au col : laisse-moi, ma petite amie, reprit-elle, car j’ai prodigieusement chaud ? et nous travaillâmes ensemble jusqu’au souper. Elle m’entretint beaucoup sur la douceur de la vie religieuse, quoique je lui avois déjà dit que c’étoit aussi l’état que je voulois embrasser, que quand ce ne seroit que pour ne pas me séparer d’elle, je réitérois mes promesses, avec même une espece de serment ; et ce moment fut l’époque de l’union la plus constante, qui a toujours régnée entre nous deux. Maman venoit me voir quelquefois ; mais lorsqu’elle sut ma derniere résolution, à la premiere visite que j’en reçus, elle me témoigna plus d’amitié que de coutume.

Le lendemain le professeur de dom Delabrisse et dom de la Platiere, tous les deux Bernardins, vinrent à l’Abbaye à onze heures du matin ; l’un etoit amant d’Agathe, et l’autre de Rose. Je voulus absolument les voir ensemble, et me doutant que ce seroit dans la chambre où avoient été ma Bonne et la Prieure, à force de tourner au tour, je trouvai une issue d’un vieux corridor qui étoit par derriere ; j’examinai le mur qui donnoit dans la chambre ; il me parut un peu ouvert dans un endroit, et je n’eus qu’à détourner l’extrémité d’une vieille tapisserie je la vis dans son entier. Ma parente m’ayant dit qu’elle resteroit chez madame l’Abbesse après le dîner, je fus me placer.

J’attendis quelque temps : enfin ils arriverent. Agathe mit la clef dans sa poche ; elles reçurent toutes les deux sur la bouche un baiser bien appliqué ; les guimpes et les voiles furent bientôt mis de côté, et les armes sorties de leur gîte parurent en très-bon état. Ils se placerent tous les quatre sur le lit, et après quelques douceurs dites, quelques attouchemens, ils mirent en train le sacrifice ; j’avois pour perspective les postérieurs des révérends, qui alloient un train de poste. — Des mots mal articulés frapperent mes oreilles, comme, ah… mon ami… je meurs de joie… je… encore ;… mais ce plaisir est limité : le professeur se retira brusquement, la belle en donna l’aisance, et je vis répandre des larmes sur le C.. de la blonde. A l’autre écho la conclusion fut la même, et comme ils s’essuyoient les parties joyeuses, ma Bonne, que je croyois chez madame l’Abbesse, passa proche du vieux corridor où j’étois, m’apperçut, s’approcha doucement, et me fit signe de venir ; je fus toute consternée de cette rencontre si peu attendue, et j’arrivai la premiere à mon appartement.

Cela est fort joli, d’épier ainsi, me dit-elle ; si ces dames le sçavoient, jamais elles ne te le pardonneroit. Mes yeux donnerent quelques marques de sensibilité. Cette bonne amie vint dans le moment à moi pour me rassurer, se mit à rire, et m’embrassa. Allons ne fais pas l’enfant, Angélique, reprit-elle, il est vrai que je ne voudrois pas qu’elles le sçussent ; mais, dis-moi, pourquoi as-tu été ainsi les regarder ? En mentant comme une petite effrontée, j’ai passé par-là pour aller au parc, lui répondis-je : j’ai entendu du bruit sur ma droite, j’ai regardé, et il n’y avoit qu’un moment que j’y étois lorsque vous êtes venue : elle me regarda fixément et me parla ainsi.

Ce que tu viens de voir m’engage plutôt que je ne voulois à te révéler bien des choses que tu as ignorées jusqu’à présent ; mais j’exige de ta part un secret inviolable, tant sur ce que tu viens d’être témoin, que sur ce que je t’apprendrai : puisque tu es décidée à rester avec nous, ce soir je ne te cacherai rien : car ne crois pas que nous soyons dupes, quelques-unes que nous sommes ici, de nos parens et des gens du monde : oh ! ma Bonne, repris-je en l’embrassant, soyez persuadée que je serai de la derniere discrétion. Je me rendis avec elle chez l’Abbesse, nous y soupâmes, et le soir, nous fîmes la conversation du lit. Ma parente commença ; je la nommerai Félicité.

Félicité.

C’est pour ne pas nous séparer l’une de l’autre que je t’ai engagée à embrasser le même état que moi ; cependant si j’étois mal-heureuse je t’en détournerois ; mais au contraire, je suis plus heureuse que je ne serois dans le monde ; je jouis ici de tous le agrémens de la vie, sans encourir ses incommodités. Les Femmes sont faites pour servir de compagnes aux hommes, et se trouvent on ne peut mieux de leur commerce ; tu as vu combien il est doux d’en tenir un entre ses bras, puisqu’ils sont constitués de façon à satisfaire nos besoins ; tu l’éprouveras dans la suite. C’est avec satisfaction que je t’ai vue former, et que je me suis apperçue que tu avois le cœur sensible : tes petites fredaines avec dom Delabrisse ne m’ont pas échappées ; les marchands d’oignons se connoissent en ciboules, ma chere ami, et lorsque je te surpris au parloir avec lui, vos airs interdits m’en dirent assez : je suis charmée que tu ayes fait sa connoissance, et suis si éloignée de nuire à vos amours, que je te fournirai même les occasions de le voir.

Angélique.

Que je vous aurai d’obligation, ma Bonne !

oui, je l’aime ; j’ai conçu pour lui de l’amitié avant d’en pouvoir démêler les motifs ; mais actuellement je sens pour lui une tendresse que je ne puis définir ; c’est-à-dire, que je l’aime par une espece de pressentiment qu’il peut contribuer à ma félicité, et je suis on ne peut pas plus contente lorsque nous sommes ensemble : le jour surtout que vous nous surprîtes au parloir, vous me fîtes une peine cruelle, car j’avois réellement du plaisir avec lui.

Félicité.

Auriez-vous déja fait ensemble ce dont tu as été témoin ?

Angélique.

Non, mais ses mains qu’il porta par-ci, par-là, les baisers tendres qu’il me donna m’en procurerent beaucoup ; c’est dès ce moment que j’ai commencé à… et n’ai d’autre chagrin à présent, que de ne pas le voir.

Félicité.

Sans doute qu’il ne manqua pas de te montrer tout ce qu’il porte ?

Angélique.

Pardonnez-moi, vous vîntes trop tôt ; mais je me suis dédommagée en examinant avec attention le professeur et dom de la Platiere.

Félicité.

Et que te semblent leurs instrumens, de même que ce jeu-là ?

Angélique.

Je les ai trouvés singuliérement construits et prodigieux, et j’ai été fort étonnée lorsque je les ai vus pénétrer les sombres bocages de ces dames, également lorsque par des coups précipités ils s’y sont promenés pendant quelques minutes, au grand contentement des assiégées, comme des assiégeans.

Félicité.

Et que faisois-tu pendant ce temps-là ?

Angélique.

J’étois toute en feu ; j’aurois voulu être traitée de même, non pas cependant avec de pareils ; mais il faut savoir prendre son parti : ne pouvant pas faire de duo, je me suis contentée d’un solo.

Félicité.

Tu en feras aussi des duo, et même des quatuor : rassure-toi ; pour cela il faut te laisser conduire et ne rien précipiter. Dom Delabrisse te convient ; il est beau garçon et jeune, je te félicite de ton choix ; mais voici ce que c’est que de n’être pas instruite ; on fait des fautes : tu en as fait une grande de lui avoir laissé sitôt prendre des libertés sur toi. Il ne faut pas se jetter ainsi à la tête des hommes, ni leur faire entrevoir toute l’étendue de notre passion : ce n’est qu’après beaucoup de soins de leur part, une assiduité et une constance irréprochable, que l’on leur accorde quelque chose ; ils en deviennent plus ardens, et nous en estiment davantage. C’est ainsi qu’il faut se comporter avec eux. J’ai un bon ami ; c’est le vicaire : tu as dû t’appercevoir qu’il est souvent avec moi ; et crois-tu que je me suis rendue tout de suite ?… Combien [de] fois ne l’ai-je pas fait languir !… Combien de fois ne l’ai-je pas vu à mes genoux !… les larmes aux yeux, me priant d’avoir pitié de lui, qu’il ne pouvoit pas survivre à son martyre ; et il a payé bien cher les faveurs dont il jouit aujourd’hui. Tu le verras, ton bon ami, je te le promets ; je ne vous troublerai pas dans votre entrevue, mais promets-moi de le laisser un peu soupirer ?

Angélique.

Je vous comprends ; je n’ai pas fait assez la difficile.

Félicité.

Sans doute.

Angélique.

Laissez-moi faire, je retiendrai exactement ce que vous me dites ; il faudra cependant beaucoup prendre sur moi, car…

Félicité.

Car ta petite nature te tourmente, n’est-ce pas ? Nous avons toutes passé par les mêmes étamines : pour te soulager, tu peux t’appliquer ta recette, plutôt que de rendre sitôt les armes ; d’ailleurs peu instruite, si vous étiez ensemble, vous ne suivriez l’un et l’autre que votre ardeur, et tu tomberois dans un joli cas : je n’ai pas le temps de t’en dire d’avantage ; dormons, ce sera pour une autre fois.

Avant de m’endormir je réfléchis beaucoup sur tout ce que ma parente m’avoit dit ; j’avois une joie extrême de penser que je verrois dont Delabrisse sans aucun obstacle, et me fis un plan de conduite lorsque je serois avec lui : ce qui m’étoit arrivé avec le P. Anselme m’avoit suffisamment instruite ; je pris aussi la résolution, s’il revenoit, de ne pas le traiter avec tant de complaisance. Le lendemain ma Bonne me mit au fait de tout ; je renouvellai les promesses que je lui avois faites de prendre le voile dès que l’âge me le permettroit, et après dîner je fus travailler chez la Prieure, ainsi que j’en étois convenue. Elle fut très-sensible à mon attention, et fort réservée ; je la payai de la même monnoie, et rendis compte à ma parente de toute notre conversation. Je rendis aussi ma visite aux autres dames, et en fus on ne peut mieux reçue ; mais celle à qui je donnois la préférence étoit Susanne, et je ne tarderai pas à la traduire sur la scene. Je reçus une lettre de dom Delabrisse : elle vint fort à propos, et me consola de son absence.

Mademoiselle,

Je m’étois flatté hier de jouir du plaisir de vous voir, mais un malheureux contretemps m’a privé de cet avantage. J’espere cependant dans peu vous dire de vive-voix ce que ma plume ne peut vous tracer que d’une maniere succinte. Si jamais homme à sçu apprécier son bonheur, je puis vous assurer, Mademoiselle, que c’est votre serviteur. Votre entrée à l’Abbaye est l’époque des chaînes que je porte ; chaînes précieuses, et que je préfere à la plus superbe couronne. Malgré que vous étiez dans un âge à ne fixer encore personne, je me suis senti engagé par une puissance invisible à vous prêter mes soins ; et mon etoile m’a si bien servie, que je jouis actuellement de la satisfaction de voir éclore la fleur que j’ai presque cultivée de mes propres mains : c’est à moi à la cueillir belle Angélique ; je m’entretiens dans cette espérance. Vingt fois par jour je quitte mes occupations les plus sérieuses, pour ne m’occuper que de vous ; j’attends avec impatience le moment de pouvoir vous dire et vous témoigner combien vous méritez [d’être] aimée, et je me flatte que des surveillantes ne viendront pas mal à propos troubler notre entretien.

J’ai l’honneur d’être avec les sentimens les plus tendres,

Mademoiselle,
Votre très-humble serviteur
Dom Delabrisse.

Cette lettre me plut beaucoup ; j’en compris le sens tout entier, et la montrai à ma Bonne : elle me fit promettre de le traiter avec un peu plus de rigueur, et je lui répondis ainsi.

Monsieur,

Votre lettre est remplie d’honnêtetés : ce n’est pas d’aujourd’hui que j’en éprouve de votre part ; aussi en suis-je très reconnoissante. Vous pouvez venir quand vous voudrez, vous serez toujours bien reçu ; à condition cependant que vous ne serez pas si entreprenant. Ma Bonne, qui est clairvoyante, m’a fait de vifs reproches : je m’en suis fait à moi-même, et vous aviez perdu mon estime : je vous la redonne, à condition, je le repete, que vous ne me mettrez pas dans le cas de vous la retirer une seconde fois.

J’ai l’honneur d’être,

Monsieur,
Votre très-humble servante,
Angélique.

Je communiquai ma réponse à ma parente et l’envoyai. Le même jour le professeur, le vicaire et dom de la Mothe vinrent à l’Abbaye : leurs bonnes amies ne manquerent pas de les joindre l’après dîner, et je la passai auprès de Susanne, selon l’ordre que j’en avois reçu ; j’aurois bien voulu voir les trois couples amoureux ; mais cela m’avoit été expressément défendu ; d’ailleurs, l’apartement où ils étoient, et dont je donnerai la description, étoit fermé. Le soir selon notre coutume, dès que nous fûmes au lit, ma parente et moi nous nous entretînmes.

Angélique.

L’après dîner, ma Bonne, m’a beaucoup durée ; je trouve Susanne charmante, mais je n’étois pas à mon aise ; nous n’avons parlé ensemble que de choses fort indifférentes.

Félicité.

Tu sçais ce que je t’ai dit, ne précipite rien avec ces dames ; laisse-les venir d’elles-mêmes ; la Prieure seule sait que tu es instruite de nos amours : Susanne n’est pas encore de nos parties ; elle bataille avec Dom Rigot, et depuis près d’un an qu’il la poursuit elle ne s’est pas encore rendue ; je crois pourtant que bientôt elle entrera dans notre Colombier.

Angélique.

Vous êtes-vous bien amusée ?

Félicité.

J’ai reçu quatre témoignages de son amour.

Angélique.

Et la Prieure ?

Félicité.

Autant ; mais avec cette différence qu’elle jouit sans rien désirer : nous sommes obligés de prendre certaines précautions ; non pas elle, et son plaisir est en conséquence plus grand que le nôtre.

Angélique.

Elle ne craint donc pas l’enflûre ?

Félicité.

Il y a dix ans qu’elle se fait traiter de même, elle en a trente à présent, et il ne lui est encore rien arrivé : comme il y a des femmes qui sont stériles, elle se trouve du nombre. Je ne suis pas si sotte de tenter l’événement, et je te conseille de ne jamais risquer le paquet. Dormons ; mais que fais-tu là ! où sont tes mains ?

Angélique.

Elles sont sur ma poitrine.

Félicité.

Allons, ne le fais pas si souvent ; cela pourroit t’incommoder.

Ma parente ne s’étoit pas trompée ; car pendant toute notre conversation, par un frottement benin, je me procurois quelques sensations ; mais elle n’eut pas plutôt fini, que le ministre des plaisirs fit son devoir. La Prieure vint nous voir, me témoigna ce jour-là plus d’amitié que de coutume, et me dit en riant : ne me mens pas Angélique ; combien y a-t-il que tu n’as chanté le petit office ? je rougis et regardai ma Bonne. Parle-moi hardiment, reprit-elle en m’embrassant, je suis une bonne fille ? je lui rendis son baiser, et lui laissai faire sur moi une revue des plus exactes. Il est ma foi joli, continuat-elle ! la mousse se forme on ne peut mieux, et commence déjà d’ombrager ce contour. Dis donc, Félicité, elle est parbleu bonne à mettre en perce. Je lui tins aussi des propos tous drôles : entre plusieurs questions dont je me rappelle, je lui demandai pourquoi est ce que nous avions de la mousse-là, puisque mousse elle l’appelloit ? elle me répondit que tout ce qu’elle en sçavoit, c’est que notre C.. de sa nature portoit chevelure. Cette réponse nous amusa un moment, et nous fûmes nous promener.

En passant près d’un des cabinets du parc j’apperçus Susanne avec un Bernardin qui me parut triste ; je leur en fis part, elles m’expliquerent tout le mystere. Le lendemain notre amoureux revint à la charge ; il ne put rien gagner, et après avoir mis ses affaires entre les mains d’Agathe, il s’en retourna peu satisfait. Voiçi le plus essentiel de la conversation qu’il eût avec sa maîtresse.

D. Rigot.

Est-il possible que vous portiez vos rigueurs jusqu’à ce point ! me voici à vos genoux, serez-vous inexorable ?

Susanne.

C’est inutile, cela ne sera pas. Comment, ne peut-on pas s’aimer sans… encore une fois, je vous le répete, cela ne sera pas.

D. Rigot.

Ma chere amie, mon tourment est inexprimable ; si vous étiez moins belle je souffrirois moins : de grace, pourquoi vouloir vous échapper ?

Susanne.

Comment ! tout ce que je peux vous dire, ne peut vaincre votre obstination à vouloir … Finissez, vous dis-je ?

D. Rigot.

Ah ! belle Susanne, ma reine, tout ce que j’ai au monde de plus cher. — je vous promets que…

Susanne.

Ah ! ah ! mon beau monsieur, c’est donc ainsi ! — il n’en sera rien ; jamais homme n’a joui d’une femme malgré elle : — vous êtes un ingrat ; ne paroissez jamais devant moi.

Notre belle se débarrassa de ses bras et s’en fut fort courroucée. Agathe qui avoit le mot de Rigot, entra chez elle pour tâcher de la rendre plus traitable.

Agathe.

Bon jour Susanne, qu’as-tu donc ? pourquoi cet air fâché ; seroit-ce parce que dom Rigot est parti ?

Susanne.

Je t’en prie, ne me parle pas de lui ? et si tu viens pour m’en entretenir, tu me feras plaisir de me laisser seule.

Agathe.

Calme toi, ma chere amie, reprends cet air riant qui te sied si bien ; oui je viens t’entretenir de lui, et qui plus est, c’est que je veux que tu m’écoutes : si tu l’avois vu avant de partir, il étoit absolument méconnoissable ; il m’a prié les larmes aux yeux de faire sa paix, et sans cette espérance, dont je l’ai flatté, il se seroit, je crois, porté au dernier désespoir : tant d’amour, Susanne, mérite un autre sort.

Susanne.

Ce sont des effets et non des paroles qu’il me faut, Agathe ; lorsqu’on aime un quelqu’un on se conforme à ses volontés : il sçait ce que je pense sur un certain article ; il m’a promis cent fois de ne pas me désobliger, et cent fois il m’a manqué de parole.

Agathe.

Sa conduite est une preuve de l’amour qu’il te porte : depuis qu’il te connoît il n’a jamais vu que toi ; et s’il n’étoit pas aussi sincere, il auroit pu se dédommager de tes rigueurs en s’adressant à une de nous ; et je lui rends justice, à l’exception de ce qu’il est fort honnête : il ne nous a jamais dit aucune douceur, et lorsqu’il vient ici ce n’est que pour Susanne ; je le trouve on ne peut pas plus aimable, beau garçon ; et si je ne t’aimois pas autant que je le fais, je m’en serois bien arrangée.

Susanne.

Qu’est-ce que c’est que ce propos ! n’en as-tu pas un ?

Agathe.

Fort bien, embrasse-moi, ton cœur te trahit ; tu t’attendris, ma bonne amie, tu l’aimes, ce n’est pas d’aujourd’hui que je le sçais ; et pourquoi ne pas le rendre heureux.

Susanne.

Puisque tu as sçu si adroitement découvrir mes sentimens, je vais te parler avec confiance, et ne te rien cacher. J’aime dom Rigot autant qu’il peut m’aimer : je suis sûre que mon plaisir égaleroit le sien, si je lui étois moins sévere : je souffre assez de ne pas lui accorder sa demande ; mais quand je pense à l’aventure de la pauvre Richardiere, je tremble de subir le même sort, et si je me suis retirée si subitement, c’étoit la crainte que j’avois de succomber. Je me suis faite une violence extrême, et quoique je faisois semblant de dédaigner sa lance que j’ai entrevue, j’aurois voulu en être percée : d’ailleurs, ai-je dit cent fois, dom Rigot est jeune et vigoureux, dès qu’il aura le champ libre, il va rompre, briser, et n’étant peut-être pas assez maître de lui-même, il me laissera dans les flancs des preuves de sa trop grande ardeur : voilà ce que je crains, ma chere amie.

Agathe.

Tes craintes sont mal fondées ; il est aussi intéressé que toi à te ménager, et n’est pas capable de te mettre dans un mauvais cas. Il doit revenir dans trois jours ; finalement, qu’elle réponse lui rendrai-je ?… Qui ne dit rien, consent ; allons, tu es vaincue.

Susanne.

Tu es terrible ! comme insensiblement tu me conduis… Eh bien, qu’il vienne ? Cependant il n’osera plus rien me proposer, et certainement je ne ferai point d’avance.

Agathe.

Ne t’inquiète pas ; je me charge de l’instruire.

Susanne.

Que dis-tu là ! fais-le seulement espérer.

Agathe.

Cela est bon ; viens te promener.

La Richardiere dont a parlé Susanne, ayant eu affaire à un étourdi, eut tant de chagrin de son état, qu’elle mourut avant de mettre au jour le fruit qu’elle portoit dans son sein. Ma Bonne me dit que son affaire étoit comme faite, et que dans peu ils seroient tous les deux agrégés à leur société, avec toutes les formalités requises. Cela excita ma curiosité ; elle me dit que je pourrois en quelque façon la satisfaire, pouvant en être témoin ; mais que par rapport aux Bernardins, il ne falloit pas qu’on me vit, et qu’elle sauroit me placer dans un endroit propre pour cela.

Après le dîner, je fus demandée au parloir par Dom Delabrisse ; en l’abordant je me sentis toute troublée ; mais je me composai de mon mieux, et je répondis à ses civilités. Ma réponse le tint un moment en respect ; mais comme il vouloit encore s’émanciper, en ajoutant des expressions plus tendres que celles de sa lettre, sans beaucoup le rebuter, je le priai instamment d’être tranquille, ou que je me retirerois.

Que je vous trouve refroidie à mon égard, me dit-il, malheureuse absence, que tu me fais tort !… Il n’y a de ma part aucun refroidissement, répondis-je : je suis très-charmée de vous voir ; mais vous sçavez ce que je vous ai écrit… Que trop pour mon malheur, et je crains fort que l’on ne m’ait supplanté… Que dites vous là dom Delabrisse, vous avez de moi une opinion singuliere ; je ne connois personne que vous ; la reconnoissance, quelque chose même de plus, voyez ma naïveté, m’engage à entretenir votre connoissance ; et je suis décidée, je vous le promets, à fermer l’oreille à tous les propos que d’autres pourroient me tenir… Je suis on ne peut pas plus sensible à vos bontés, et je tâcherai d’en mériter la continuation : permettez au moins que… Je le veux bien … allons, c’est assez, vous m’étouffez ;… ôtez votre main… au moins que je leur donne un baiser… Vous me fuyez méchante !

Il étoit temps de me retirer ; je lui dis en m’en allant de venir au parc joindre la compagnie. Il s’y rendit : pour me distraire, je m’amusois à jouer avec ces dames : dom Delabrisse fut aussi de la partie ; il me regardoit souvent, je le voyois soupirer, et ses yeux sembloient me dire qu’il auroit été plus content d’être seul avec moi. Je ne le vis qu’un moment avant son départ, et lui permis seulement de m’embrasser une fois. Ma parente me sçut bon gré de la maniere dont je m’étois comportée avec lui, m’engagea à tenir ferme encore pendant quelque temps, et me conduisit au pavillon qui étoit le rendez vous des parties fines. Il est à propos que j’en donne la description, de même que du parc.

Le parc, endroit très-spacieux, est si bien distribué, que les séculiers y entroient sans passer dans la clôture, quoique nous ne fussions pas fort scrupuleuses sur cet article : il renfermoit potagers, allées couvertes, petit bois, bosquet, vigne, et un cabinet à chaque extrémité.

Derriere la vigne étoit un pavillon que nous appellions l’Isle de Cythere. Pour tout appartement, il y avoit une grande salle quarrée, éclairée de deux croisées, et d’une porte vitrée à deux battans. Pour meubles, deux canapés et des fauteuils ; mais les canapés étoient construits de façon, qu’en baissant les dossiers, ils formoient deux lits de repos d’une largeur fort honnête ; et les ressorts en étoient assez gais, par l’usage fréquent qu’on en faisoit. A chaque coin de la salle il y avoit un cabinet, et chaque cabinet renfermoit une couchette. De la porte vitrée on se rendoit sur une terrasse au bas de laquelle étoit un réservoir rafraîchi continuellement par une riviere qui passoit au travers. Des arbres plantés avec ordre et simétrie l’entouroient, et formoient une voute qui garantissoit d’un soleil brûlant, ceux qui dans les plus fortes chaleurs y vouloient prendre les bains à toute heure de la journée. Il y avoit aussi derriere le réservoir un fort beau pré, de la charmille, des labyrintes, et le tout du dernier goût.

Les oiseaux de toutes les especes s’y réunissoient, et par la variété de leurs ramages, ils augmentoient l’agrément de ce séjour de l’amour ; ils venoient même par préférence l’habiter, et c’étoit à juste titre qu’on l’appelloit ainsi ; car combien de fois y a-t-on sacrifié à la déesse ! combien de fois l’encens qu’on a brûlé sur ses autels est monté jusqu’à l’empirée, pour l’avertir des hommages qu’on lui rendoit !… Je trouvai cet endroit des plus agréables ; j’en parcourus tous les coins et recoins, et en nous retirant ma Bonne me montra l’endroit où je pourrois me placer le jour de la réception de Susanne. Le lendemain dom Rigot revint ; il fut trouver Agathe qui étoit dans ses intérêts. Voici le résultat de leur conversation.

D. Rigot.

Je suis, madame, votre serviteur très-humble ; comment vont mes affaires ?

Agathe.

Vos affaires vont, on ne peut mieux.

D. Rigot.

Que me dites-vous là ! est il possible que Susanne veuille bien me revoir ?

Agathe.

Elle vous reverra avec plaisir, et vous pouvez tout espérer.

D. Rigot.

Expliquez-vous de grace, ne me flattez pas.

Agathe.

Dès que vous fûtes parti, j’allai la trouver, la raisonnai beaucoup, et lui fis entrevoir que son procédé à votre égard étoit trop dur, et que tout autre à votre place l’auroit plantée-là : elle a reçu tout ce que je lui ai dit d’une maniere qui m’a surpris. Vous êtes aimé, n’en doutez pas, et si elle ne s’est pas encore rendue, c’est la crainte que vous ne soyez un mal-adroit.

D. Rigot.

Que je vous ai obligation, madame ! comment pourrai-je la reconnoître ?… Je revis dès ce moment.

Agathe.

Elle fera peut-être encore quelques difficultés ; mais poussez votre pointe, elle est à vous.

D. Rigot.

Susanne se rendra… oh Ciel ! je ne me possede pas.

Agathe.

Possédez-vous cependant, et ne la demandez pas avant le dîner, vous n’avez pas assez de temps, et vous vous dédommagerez après. Vous devez paroître devant madame l’Abbesse ; faites ensorte qu’elle ne s’apperçoive pas que quelque chose vous occupe. A une heure je conduirai adroitement Susanne dans la chambre que vous sçavez ; vous y viendrez et je me retirerai. Il est temps de nous séparer ; je suis charmée de pouvoir vous être bonne à quelque chose.

Je ne manquai pas avant une heure d’aller me placer, et peu de temps après Susanne et Agathe entrerent.

Susanne.

Pourquoi me conduis-tu ici ? je n’y faisois pas attention : je ne veux pas y rester ; il peut me voir au parloir ou au parc.

Agathe.

Dans la circonstance d’une réconciliation comme celle que vous devez faire, aucun objet ne doit vous troubler.

Susanne.

Tu es une méchante, Agathe… Eh bien, que t’a-t-il dit ? son amour s’est il rallenti ?

Agathe.

Il m’a abordé comme un homme qui flotte entre la crainte et l’espérance ; mais lorsque je lui ai dit que tu consentois à le revoir, il a changé dans le moment, et ne se possédoit pas de joie.

Susanne.

Je le reverrai avec plaisir ; toute la nuit j’ai pensé à lui, et j’ai tout lieu de craindre ; car je vois bien qu’ici je ne pourrai lui échapper.

Agathe.

Tu me fais rire avec tes raisons.

Susanne.

Pour te parler sincérement, je sens que je me rendrai ; mais je crains ce que tu sais, et en second lieu, il est trop avantagé pour moi.

Agathe.

Que tu es niaise !… Tu peux te rassurer sur le premier article : quant au second, tu ignore, à ce que je vois, combien dans le coït la partie de la femme se prête à celle de l’homme. Je fus également frappée de l’instrument de la Platiere ; je ne souffris cependant que tant soit peu lorsqu’il me dépucela, et j’étois si contente de le sentir aller là dedans, que j’eus un regret mortel lorsqu’il le retira… Tu m’en diras des nouvelles… J’entends quelqu’un ; ma foi, c’est lui : adieu, je vous laisse.

D. Rigot.

Ah ! Susanne, j’ai donc le bonheur de vous revoir !

Susanne.

Relevez-vous, vous me faites de la peine.

D. Rigot.

Qu’entends-je ! mon pardon est assuré, et il faut que je presse d’un baiser ces deux lêvres charmantes…

Susanne.

Vous m’empêchez de respirer, que vous êtes dangereux !

D. Rigot.

Je ne le suis pas, mon ange, au contraire, je suis doux comme un agneau.

Susanne.

C’est assez, vous chiffonnez toute ma guimpe.

D. Rigot.

Qu’ils sont blancs ! qu’ils sont durs !

Susanne.

Et où voulez-vous porter encore votre main ? … Je ne veux pas.

D. Rigot.

Pourquoi, ma chere amie, vous opposer ainsi à notre bonheur mutuel ? Laissez donc, et touchez cela : voyez…

Susanne.

Oh ! non…

D. Rigot.

Que tu es cruelle ! je me morfonds.

Susanne.

Eh bien, comment feras tu ?…

D. Rigot.

Je sçaurai détourner à propos ce qui fait le motif de tes craintes, je te le promets, ma chere amie ; ne me fais donc plus attendre, je n’en puis plus.

Susanne.

Oh ! comme tu me jettes sur le lit… tu me trousses !…

D. Rigot.

Quelles cuisses ! qu’elles sont blanches !… vit-on jamais une plus jolie grotte ?… Ah ! Susanne, pourquoi me l’avoir cachée si longtemps ?

Susanne.

Qu’il est gros ! tu vas me fendre ;… tu me fais mal, jamais il n’entrera.

D. Rigot.

Un peu de pa — ti — en — ce … Eh… il y est.

Susanne.

Rigot ! mon ami, Rigot !… ehm !… ehm ! … je… sens… je… me…

D. Rigot.

Ah !… Ah !… bai — se… moi ;… prends … le… vî — te…

Susanne.

Me voilà toute mouillée, tiens regarde.

D. Rigot.

Embrasse-moi, ma chere amie… Eh bien, tes craintes sont donc dissipées ?

Susanne.

Je ne te le refuserai plus ; mais nous avons trop chaud, mettons nous à notre aise… A présent ; puisque l’affaire est faite, je veux examiner ton drôle : comme il est fait !… Sais-tu bien que tu m’as fait mal au commencement, et qu’il faut bien que je t’aime pour l’avoir souffert.

D. Rigot.

Et après ?…

Susanne.

Sur la fin j’ai eu beaucoup de plaisir.

D. Rigot.

Remets-toi ; la route est frayée, tu ne souffriras plus.

Susanne.

Doucement, mon petit ami ; il a encore de la peine à entrer :… va — non — har — di — ment…

D. Rigot.

Ah !… ma… chere… amie…

Susanne.

Arrête un moment, il y a quelque chose sous mes reins qui me blesse… Refais…

D. Rigot.

Susan — ne,… ma… chere…

Susanne.

Comme tu te retires ; ne pouvois tu pas rester encore ?

D. Rigot.

Tu n’as pas souffert cette fois ?

Susanne.

Mon plaisir a été extrême ; mais je l’ai trouvé trop court. Une autre fois, si tu peux, fais le durer plus longtemps : Dis-donc, ton fleuret plie ; attends, je le ferai bien revenir.

D. Rigot.

Tu es adorable, mon cœur ; fais donc ?…

Susanne.

Ah le paillard ! comme il porte ses mains partout. Que dis-tu de ma paire de tymbales ?… il y a de quoi prendre, n’est-ce pas ?

D. Rigot.

Vénus tant vantée, n’en eut jamais de plus belles.

Susanne.

Ah ! Ah ! j’ai cependant trouvé le moyen …fais le moi encore une fois, et nous nous reposerons.

Ils recommencerent : Rigot pour prolonger le plaisir de sa belle et le sien, s’arrêta deux ou trois fois : Susanne se livra à toute sa sensibilité. Enfin, après plusieurs ébats, ils resterent bouches collées un moment, comme immobiles. Revenus à eux-mêmes, ils s’embrasserent avec tendresse, se dirent les choses les plus gracieuses, burent un verre de Sirop, et s’endormirent. Cette réparation leur étoit nécessaire. Les attitudes qu’ils prirent en se livrant au sommeil me plurent beaucoup : ils avoient les cuisses entrelassées ; Susanne la main sur le bourdon, et Rigot sur la coquille. Leurs bouches à demi ouvertes se touchoient presque, et ne pouvoient rendre qu’une haleine fort douce, qu’ils sembloient aspirer à l’envi l’un de l’autre. Jamais le plus beau couple. Susanne n’avoit pas vingt ans, et Rigot tout au plus vingt cinq. En les regardant avec complaisance, je maudis les législateurs d’ici-bas, qui ont la cruauté d’interdire à quelques-uns, des plaisirs aussi réels et aussi sensibles que ceux-là.

Je les laissai reposer ; et comme je voulois aller au parc par un vieux galetas qui y aboutissoit, j’en fus empêchée par une rencontre que je n’attendois pas : étant sur le point d’y entrer, j’entendis parler ; je m’arrêtai, et regardant du coin du mur qui ce pouvoit être, j’apperçus la femme de chambre de l’Abbesse avec un grand drôle de domestique étranger ; je sçus après à qui il appartenoit. Ils n’en étoient encore qu’au prélude : l’estafié ayant la main sous la jupe de Rosalie, l’embrassoit, et recevant aussi de sa part des soins officieux, il lui disoit : allons au parc dans un des cabinets ; nous serons mieux ; il n’y a ici aucune commodité, et je n’aime pas le faire tout droit. Oh ! non, repondit-elle, quelqu’un pourroit nous appercevoir : tiens je vais me placer de façon que tu auras autant de plaisir que si j’étois renversée. Elle se troussa, s’appuya contre le mur, et présenta on ne peut mieux sa boutonniere. Il ne la fit pas attendre ; il étoit en gilet blanc, sa chemise entortillée autour de ses reins, montrant le bas du dos, et un beau cul d’ordonnance, avec ses accompagnemens complets. Aussi-tôt il l’enfile ; et après plusieurs bottes : attends-moi, lui dit la donzelle en sanglottant, tâchons de partir ensemble : il ne s’arrêta un moment que pour retravailler avec plus d’ardeur : je… reprit Rosalie ; et… moi… aussi, lui dit le marche-à-terre en donnant des coups précipités : je m’apperçus du moment délicieux, ses jambes et ses fesses en tremblerent, et elle se sentant arroser, en remua la charniere : ils se rallentirent, resterent encore un moment l’un dans l’autre, sans presque s’agiter, en fondant dans leur jus, et dégaînerent. Maître Jacques sortit plein d’écume et ne parut plus si fier : notre fille témoignant avoir envie d’une répétition, s’en saisit : laisse-le, lui dit l’autre, je suis fatigué ; ce soir nous serons mieux à notre aise. Ils s’arrangerent et furent au parc. J’en fis le tour, y demeurai près d’une heure, et je revins voir nos amants. Ils étoient encore dans la même attitude que je les avois laissés ; à l’exception que le rossignol remplissoit la main de la belle.

Agathe entra peu de temps après, s’approcha doucement, donna un claque sur les fesses de Susanne, et pinça le nez du cher pere. C’est vous, madame, répondit-il en se réveillant en sursaut ; et ce qui m’amusa, c’est que la belle, par une espece de honte, se cachoit la figure, tandis qu’elle montroit son cul. Rigot l’embrassa plusieurs fois avec transport. Que dis-tu de ce jeu là, reprit Agathe ? Vois, lui dit Susanne, le dégat qu’il a fait ; mais il peut venir quand il voudra, je ne le crains plus. Ah ! tu me provoques, répartit le brave ; attends : il alloit la… mais il se ravisa, la fit placer du côté de la ruelle, lui fit appuyer les pieds contre le mur, et tira droit. Elle soutint on ne peut mieux l’échec en présence de sa compagne, qui crioit allons Rigot, fort, zon, zon ; et cette charmante fille, tant pour récompenser son bon ami qui la servoit si bien, que pour se satisfaire elle-même, lui prit le menton pour l’engager à sucer un petit bout de langue pointue et rouge comme du corail, qu’elle sortit avec une grace admirable ; mais ils auroient été trop heureux, si cela eut duré plus longtemps ; ils terminerent enfin ce joli branle.

Agathe les laissa respirer, et leur annonça qu’il étoit arrivé compagnie. Quelle est elle, dit Susanne ? Monsieur de Cimbrieux le chanoine, et deux officiers de dragons : Félicité est de la connoissance du chanoine, et Rose et la Prieure se sont emparées des deux militaires. L’année derniere ils se virent déjà de fort près ; ainsi arrange-toi, il est à propos que tu paroisses. Sur ce que je venois d’entendre, je me rendis dans le moment chez l’Abbesse : je reçus beaucoup d’honnêtetés de la part de ces messieurs ; mais principalement de Mr. de Cimbrieux, qui me fit son compliment de ce que j’avois si bien profité depuis qu’il ne m’avoit vu. Agathe et Susanne, après avoir fait partir dom Rigot, y vinrent aussi.

Ma parente me tira en particulier, et me dit de prier Susanne de m’accorder la moitié de son lit : je compris ce que cela vouloit dire, et elle me l’accorda sans me faire la moindre question. Nous soupâmes tous ensemble, et après souper, pour amuser la bonne vieille, on fit sa partie. Rose et un des officiers sortirent ; il étoit près de neuf heures, je me doutois qu’ils alloient quelque part ensemble, et sans faire semblant de rien, je dis à Susanne que j’avois quelque chose à faire, que si elle vouloit avoir la bonté de m’attendre, je ne tarderois pas à revenir. La chambre qui servoit ordinairement aux entrevues galantes n’étoit pas éloignée de-là, et quoiqu’il fut nuit, elle leur convenoit mieux que le parc, où ils pouvoient rencontrer quelqu’un : je ne me trompois pas ; je m’approchai et les entendis.

L’Officier.

Ne me faites pas de reproches, ma chere amie, je ne croyois pas rester si longtemps sans avoir l’honneur de vous voir ; de jour à autre je contois me rendre à ma terre.

Rose.

Vous êtes des voltigeurs, vous autres militaires, qui courez de belle en belle, et la derniere vous fait oublier toutes les autres : ne soyez donc pas si négligent une autre fois ; si je suis privée du plaisir de vous voir, je serai charmée d’apprendre de vos nouvelles.

L’Officier.

Je serois aussi très-flatté d’en recevoir des vôtres. Profitons du moment que nous avons à demeurer ensemble. Que je parcoure vos beautés ! Dites donc quelque chose à mon docteur ? il ne tardera pas de faire une station dans votre petit hermitage. Qu’elle est douce cette mousse qui en borde les avenues ! Que j’aime dans les femmes ce charnu et ce poli !

Rose.

Vous devez me sçavoir par cœur, baron ; vous souvenez-vous que l’année derniere vous me dites que ma croupe étoit un morceau de chanoine ?

L’Officier.

Effectivement, vous l’avez fort belle, et la gorge on ne peut mieux taillée, allons… que vous êtes aimable : j’ai joui d’un plaisir bien grand ; et vous ?

Rose.

Vous avez dû vous appercevoir que je ne suis pas insensible.

Ils se donnerent encore quelques baisers ; Rose l’invita le lendemain à venir prendre le café dans cette même chambre, et je retournai joindre la compagnie. Je couchai donc avec Susanne. Avant de nous endormir, elle me fit beaucoup d’amitié, et le lendemain à huit heures je retournai voir Rose avec son militaire.

Je jugeai par le désordre dans lequel ils étoient, que les premiers ébats étoient déjà pris. Assise sur le pied du lit. Rose, la gorge entiérement découverte, faisoit boire dans sa tasse le baron, dont l’instrument que j’entrevis hors de sa cage étoit en bémol : le café pris, une main secourable l’eut bientôt mis en état de chanter en mimi-fa-re-sol. Dès qu’il fût prêt, il fit tourner la belle créature, qui lui laisse la liberté d’examiner à son aise cette partie charnue dont il avoit fait l’éloge la veille. Il la pria de rester ainsi et la lança dans cette posture : comme ils étoient fort souples tous les deux, leurs bouches se rencontrerent pendant tout le temps de l’action.

Je fus étonnée de leur voir terminer l’acte dans son entier, et je tremblois pour Rose ; mais j’ai sçu dans la suite que dans les embrassemens amoureux, lorsque les postes se suivoient de près, la troisieme n’étoit pas dangereuse ; ce qui sort pour lors est trop fluide, et ne peut pas produire un germe.

Je reprends. Ces deux fortunés ne quitterent la partie, qu’après s’être bien repûs l’un et l’autre du plaisir dont ils venoient de jouir ; et monsieur le docteur qui étoit entré en bonnet rouge, l’avoit sûrement laissé dans la chapelle ardente ; car il sortit rampant, et en blanc bonnet. J’en avois assez vu : je fus trouver ma bonne ; elle étoit encore au lit, et dans le temps que je lui faisois beaucoup de questions analogues à la nuit qu’elle avoit passé, la Prieure entra. Comment ! paresseuse, lui dit-elle, tu n’es pas encore levée ? Ce bigre de chanoine, répondit ma parente, ne m’a pas laissé fermer l’œil de la nuit : tu viens me chercher, attends un moment, je serai bientôt prête. Il y avoit deux Bernardins d’arrivés, dom de la Platiere et un étranger ; cela fut fort à propos pour Agathe : elle trouva le moyen de s’absenter avec son amant avant le dîner, et après, sur les trois heures, elle eut la complaisance de les amuser tous les deux.

On sera peut être surpris du peu de délicatesse de ces messieurs, de voir leurs bonnes amies entre les bras d’un autre ; mais on verra dans la suite de cette histoire quels étoient leurs usages : d’ailleurs ils avoient raison, et je ne trouve rien de si sot, que de se livrer à cette passion ombrageuse, qui n’entraîne après elle que du chagrin, sur-tout lorsqu’on est de part et d’autre maître de ses volontés. Je passai une partie de l’après dîner à répondre à une lettre que dom Delabrisse m’avoit écrite, et que voici.

Mademoiselle,

Que n’éprouve-je pas depuis la derniere fois que j’ai eu l’honneur de vous voir ! mille réflexions m’accablent, et je ne sçais qu’en penser ; ce qui augmente encore mes peines, c’est que dans la derniere visite que je vous ai rendu, vous avez paru recevoir en badinant tout ce que je vous ai dit : si réellement vous ne me dédaignez pas, pourquoi feindre ainsi ? Je n’ignore pas ce qui se passe entre mes confreres et ces dames ; je suis aussi intéressé qu’eux à tenir le secret ; je les sçais tous heureux, serai-je le seul malheureux ? Si vous ne deviez pas embrasser le même état que moi, je serois obligé de prendre mon parti, ne sçachant cependant pas trop comment je pourrois m’y résoudre ; mais bientôt nous devons être unis et aggrégés au même ordre ; pourquoi ne pas unir nos deux cœurs ? Lorsque j’aurai fini mes études, je me fixerai dans la maison où je suis, et je pourrai vous donner très-souvent les témoignages les plus sinceres de l’amour le plus constant, De grace, ma chere amie, ayez donc pitié de moi : si vous sçaviez ce que je souffre, vous en seriez touchée. J’attends avec la plus grande impatience de vos cheres nouvelles, et suis pour la vie,

Votre fidele et sincere ami
Dom Delabrisse.

Je fus réellement touchée de sa lettre, et je lui répondis ainsi.

Monsieur,

Je ne puis me persuader que vous ayez dans l’idée que j’ai reçu en plaisantant les choses gracieuses que vous m’avez dites : si je vous ai fui et evité ; pourquoi êtes-vous si… ? Vous cherchez à me rendre sensible ; je ne sçaurois me contraindre, vous me faites éprouver à votre tour bien des choses que j’ignorois ; je ne suis pas une ingratte ; venez, vous en recevrez des preuves : dissipez vos craintes et tranquillisez-vous. Je suis extrêmement pressée, et ne puis vous en dire davantage. Adieu, jusqu’au plaisir de vous voir.

Votre bonne amie
Angélique.

Je relus ma lettre avant de l’envoyer ; je vis que je lui donnois beaucoup de prise sur moi ; mais tout considéré je la fis partir. Tout ce que j’avois vu m’avoit fait de si fortes impressions, que je ne pouvois plus attendre.

Nos trois hôtes resterent quatre jours à l’Abbaye, et on n’épargna rien pour les amuser. Le jour qu’ils partirent je fus demandée au parloir par un jeune cordelier, que je trouvai avec Agathe. Il étoit d’une figure charmante et avoit le plus beau coloris ; son âge étoit tout au plus de dix-sept ans, et notre dame le dévoroit des yeux. Il me remit une lettre du pere Anselme, avec une boëte. Etant retirée la curiosité m’engagea à vîte regarder ce qu’elle contenoit ; j’y trouvai le meuble qu’il m’avoit promis : il étoit d’une grosseur et d’une longueur médiocre, couvert d’une peau très fine de laquelle sont faits les étuis dont je parlerai dans la suite, percé à l’extrêmité ; le piston étoit d’argent. Je lus la lettre, qui étoit conçue en ces termes.

Ma belle enfant,

Quel chagrin n’ai-je pas éprouvé d’avoir été obligé de partir, sans avoir pu vous faire mes adieux. Notre provincial qui m’a pris pour adjoint dans le cours de ses visites, m’a attaché pour ainsi dire à sa ceinture, et à peine ai-je pu me dérober un moment pour vous en témoigner tout mon déplaisir ; je vous envoye ce que je vous ai promis, diminutif de ce que vous sçavez ; je l’ai fait faire exprès : à mon retour j’espere être plus heureux, et vous m’en direz des nouvelles. Faites-moi l’honneur de m’accorder quelque part dans votre souvenir ; et j’ai celui d’être,

Mon ange,
Votre serviteur…

Après la lecture de cette lettre, et très-décidée à ne pas lui accorder ce qu’il croyoit, je m’approchai pour entendre ce qu’Agathe disoit à ce jeune cordelier ; je la connoissois, et me doutois bien qu’elle ne laisseroit pas échapper un si bon morceau.

Agathe.

Ma sœur et ma niece se portent donc bien ; … et avez-vous vu mon neveu ?

Le Cordelier.

Non, madame, il étoit parti avec son précepteur pour la campagne.

Agathe.

Vous ne vous en irez pas aujourd’hui.

Le Cordelier.

Pardonnez moi, il faut que je sois pour le plus tard à quatre heures au bureau ; j’ai même déjà payé ma place.

Agathe.

Vous avez mal fait, vous dînerez avec moi cette fois-ci, et à votre retour vous resterez deux ou trois jours.

Le Cordelier.

Vous êtes bien honnête, madame.

Agathe.

Ne manquez pas de repasser, je me propose un divertissement, je vous habillerai en demoiselle, nos dames s’y méprendront toutes, car vous avez plutôt l’air d’une fille que d’un garçon.

Le Cordelier.

Je ne suis cependant pas une fille.

Agathe.

Ma foi, je n’en sçais rien, et savez-vous ce qui en fait la distinction ?

Le Cordelier.

Je n’en ai jamais vu, mais j’ai un de mes amis qui m’a dit tout ce qu’il en est, et j’espere ne pas revenir de chez nous sans le sçavoir par expérience.

Agathe.

Vous vous sentez donc du penchant pour notre sexe ? parlez-moi hardiment ; personne ne nous entend… Vous m’embrassez !

Le Cordelier.

Vous êtes si aimable, madame…

Agathe.

Vous êtes galant ;… mais, que voulez-vous à mes… est-ce votre ami qui vous a dit qu’il falloit faire comme cela ?

Le Cordelier.

Qu’ils sont doux !

Agathe.

C’est assez, je suis aussi toute je ne sçais comment, et où portez-vous votre main ? vous voulez donc sçavoir…

Le Cordelier.

Oh comme cela est fait ! comme il est fourni !

Agathe.

C’est assez… Eh ! que me faites-vous toucher, petit drôle ? diantre, vous n’êtes pas mal pourvu : comme ce petit poil frise ! et quel âge avez-vous, mon ami ?

Le Cordelier.

Il n’y a que six mois que j’ai fait profession, et j’avois seize ans accomplis pour lors.

Agathe.

Embrassez-moi encore ? Cet après dîner nous serons plus commodément, et vous le mettrez dans l’endroit que vous venez de toucher.

Le Cordelier.

Que je vous aurai d’obligations, madame ! je vous assure que j’en meurs d’envie.

Je les laissai, et fus trouver ma Bonne ; elle me demanda pourquoi j’avois tant demeuré ; je lui dis que le pere Anselme m’avoit fait faire des complimens par un jeune cordelier qui étoit avec Agathe, et ce que j’avois entendu : nous en rîmes un moment ensemble. J’eus une grande conversation avec elle sur la lettre que j’avois reçue de mon bon ami, et sur ma réponse : comme je lui fis part de toutes mes craintes lorsqu’il reviendroit ; tu t’en tireras comme tu pourras, me répondit-elle ; eh, n’as tu pas de quoi payer ? Ce n’étoit cependant pas mon avis que tu te rendis sitôt… Ce n’étoit pas aussi le mien, ma Bonne, lui répliquai-je, mais tout ce que j’ai vu, m’a tellement enflammée, que je ne puis résister davantage… Je n’ai pas de peine à te croire ; et puisque cela est, il faut prendre des mesures pour que vous puissiez vous voir à votre aise : il viendra sûrement demain matin ; je resterai dans ma chambre, et nous trouverons bien le moyen de le faire entrer sans que personne l’apperçoive : mais écoute-moi ; il faut pourtant le lui faire un peu acheter : je sortirai et ne m’éloignerai pas ; il ne manquera pas de te poursuivre, tu te défendras un peu ; j’entrerai quand il faudra, car je veux présider à cette cérémonie : vous êtes fort jeunes tous les deux, et je crains… Je l’embrassai de joie ; elle me raconta que le lundi de la semaine suivante Susanne et Rigot devoient être aggrégés à la société selon leurs usages, que je les verrois, et serois sûrement contente.

Satisfaite au-delà de ce qu’on peut se l’imaginer, je me couchai en pensant à lui : je m’endormis l’esprit fort tranquille ; mais le reste n’étoit pas de même. Je me levai de bonne heure pour être à même de le recevoir : il vint effectivement, et je ne le fis pas attendre. Quelle fut sa joie lorsqu’il me vit ; sans presque pouvoir me parler, dès que les grillons furent ouverts, il me sauta au col : j’étois bien éloignée de le rebuter, et lui rendis ses caresses, en prononçant quelques mots mal articulés : sa bouche et ses mains se colerent sur mon sein. Malgré la satisfaction que j’avois, je me débarrassai de ses bras, et m’éloignai un peu, en lui disant : vous devez être content ; direz-vous que je vous ai mal reçu ?… Pardon, mille fois, belle Angélique, mes plaintes partoient d’un cœur qui craignoit de perdre le seul objet qu’il aime. Approchez-vous donc ?… Non, et qui plus est, je ne peux pas rester ici plus longtemps. Qu’entends-je ! reprit-il ? Pour le rassurer, voyant qu’il alloit recommencer ses lamentations, je lui dis de me suivre, que ma Bonne vouloit bien que nous nous vissions dans son appartement. Il ne se le fit pas répéter : nous nous y rendîmes. Après les honnêtetés ordinaires, il s’assit près de moi, me dit quelques douceurs, mais il n’osa passer outre. Ma parente ne put s’empêcher de sourire, et sortit.

Ce fut pour lors qu’il recommença ses caresses ; sans avoir presque le temps de me reconnoître je fus touchée partout, et portée sur le lit. Je n’eus pas le courage de me défendre, et bientôt l’affaire auroit été faite : j’étois renversée ; la tête altiere de son V… à qui il avoit donné l’essor, commençoit à me menacer ; mais ma parente entra, et il fut obligé de rengainer son compliment. Sans se déconcerter il baissa sa soutane, et je me cachai derriere le rideau.

Félicité.

Diantre comme vous y allez ! on vous donnera une autre fois des filles à garder : si je n’étois pas venue, vous alliez je crois, monsieur l’égrillard, mettre en perce cette petite barrique.

D. Delabrisse.

Si vous n’étiez pas venue, madame, j’étois le plus heureux des hommes ; ce n’est que trop tôt pour mon malheur.

Félicité.

Le malheur n’est pas bien grand : calmez-vous, et dans un moment votre feu s’éteindra.

D. Delabrisse.

Il ne s’éteindra jamais qu’avec celle qui m’a embrasé ; ce n’est que pour elle que le dieu d’amour m’a décoché un trait par derriere, et il a pénétré si avant, qu’il sort par un certain endroit, qui me met tout hors de moi-même.

Félicité.

Il faut l’arracher, il ne vous incommodera plus.

D. Delabrisse.

Ne vous opposez pas à mon bonheur, madame, je vous en prie ?

Félicité.

Je n’en suis pas tout-à-fait la maîtresse.

D. Delabrisse.

Eh bien, laissez-moi faire…

Angélique.

Ma Bonne, ma Bonne, à mon secours !…

Félicité.

Accorde-lui, Angélique ; mais un moment, s’il vous plaît, dom Delabrisse : voici un trait bien enflammé, et un peu fort pour une fille de son âge ; d’ailleurs il est des mesures à garder.

D. Delabrisse.

Je le sçais, madame ; aussi je vous promets de me comporter en conséquence : tenez-vous donc comme il faut, votre Bonne veut bien… Ah… ciel !… je…

Félicité.

Que vous êtes prompt !…

Il le fut effectivement, car à peine se mit-il en devoir qu’il répandit son élixir, en me témoignant son regret. Je fus fort mécontente, car le plaisir que j’attendois me coûta quelques larmes : j’étois restée sans me couvrir, en le regardant d’un air langoureux, comme pour l’inviter à revenir : il ne fut pas long ; honteux de m’avoir raté, il eut bientôt trouvé le gîte ; il préluda peu au bord de l’ouverture, et du premier coup il se procura l’entrée, ce qu’il ne fit pas sans me faire mal ; mais répétant par un coup de vigueur, il rompit quelques obstacles, et trois bottes fourrées, qui m’arracherent un cri, mirent le comble à son triomphe. Je portai la main à mon… en lui disant : ah ! mon cher ami, n’allez pas plus avant, vous me déchirez. — Courage, me dit ma Bonne ; il continua : quelques petits écoulemens firent diversion ; il fut moins gêné ; et moi presque absorbée par la peine et le plaisir, je soutins le reste de l’assaut, la bouche ouverte, sans pouvoir articuler un seul mot : il se retira en me couvrant la figure de baisers, et consomma le sacrifice à la porte du temple.

Revenue à moi, et regardant ma pauvre histoire, qu’un mélange de blanc et de rouge avoit absolument défigurée, je m’écriai, ah ! ma Bonne ; dom Delabrisse, dans quel état m’avez-vous mis ! Il falloit que cela fût, ma bonne amie, me répondit il, en me remerciant. Ma parente bassina ma partie affligée avec du vin chaud, et nous prîmes le chocolat tous les trois avec toute la gaieté, dont nous étions capables. Après le déjeûner ma Bonne nous dit : je vais vous laisser seuls ; voici de quoi réparer vos forces ; et adressant la parole à dom Delabrisse : madame l’Abbesse ne sçait pas que vous êtes ici, vous pouvez rester jusqu’à ce que je revienne ; ce ne sera que vers les cinq heures : elle sortit, et nous ferma en dedans.

Quoique je fusse sans corps, et habillée assez, lestement, par complaisance je quittai ma jupe ; il ne garda aussi que son gilet, et ainsi à la légere le lit nous reçut tous les deux, et nous ne mîmes point de bornes à notre curiosité réciproque. Il me le remit ; je le dirigeois, en le priant de ne pas se presser au commencement : ses premiers mouvemens, quoique retenus, ne laisserent pas en gagnant du terrein de me faire un peu souffrir ; mais cela ne fut pas capable de nous interrompre : il redoubla, je me prêtois : enfin, je le sentis dans son entier. Ce fut pour lors que j’éprouvai ces frottemens gracieux, ces chatouillemens excessifs que les hommes seuls peuvent nous procurer.

Quand il eut fini, il me donna un baiser sur la bouche, me porta la main à son V… qui s’étoit un peu incliné, et me dit : je ne t’ai pas trompé, mon cœur ; ton plaisir n’a-t-il pas été bien grand ? J’en ai eu beaucoup, lui répondis-je ; je ne puis le définir : si celles qui sont si cruelles à leurs amants pouvoient se le figurer, elles ne résisteroient pas avec tant d’entêtement : pour te parler sans déguisement et sans fard, je suis on ne peut pas plus contente de ta connoissance ; et si je ne devois pas me faire religieuse, tu serois seul capable de m’y décider. Je m’estime trop heureux, reprit-il ! Non rien ne peut égaler ma belle Angélique : je te jure un amour éternel ; ne t’inquiette pas, je ne serai pas toujours aussi gêné. Ce sera donc désormais sur cet autel que je porterai mes hommages et mes vœux… Oh ma petite reine, que cet endroit est charmant ! le joli petit toupet ! Regarde-donc aussi ? vois-tu, mon petit frere est à présent dans son brillant… Cela est vrai, il est fort beau : comme il se redresse avec ses grelots ; mais, il me semble que tu l’appelles ton petit frere mal à propos. Comment donc ?… A en juger par la barbe il doit être le plus vieux… Je ne m’attendois pas à celle-là… mais, je crois que tu me fouëttes ; comment trouves-tu mon fessier, n’est-il pas gras comme le cul d’un bec-figue ? Oh tu n’es pas maigre pour un bon mâle, et tu fais mentir le proverbe… Que tu as la peau blanche !… qu’elle est douce !… Viens que je te le mette ? … Oh non pas encore mon mimi, le faire coup sur coup, cela pourroit t’incommoder, et je suis intéressée à te ménager. Je vais te montrer quelque chose qui t’amusera. Je pris les contes du Bocace, qui étoient sous mon chevet ; nous nous attachâmes aux plus jolis, et aux estampes. Après avoir passé une demi-heure à cette occupation, il me dit qu’il ne pouvoit plus attendre, me jetta à la renverse, et m’enfila le mieux du monde ; mais pour cette fois il parut fatigué.

Nous nous levâmes ; il étoit près d’une heure, et nous nous confortâmes l’estomac d’une bonne tranche de pâté, et de deux bons verres de vin muscat. Nous parlâmes encore de notre bonheur mutuel ; et comme c’est l’usage dans les pays méridionaux de dormir après midi couchés l’un près de l’autre, nous appellâmes le dieu du sommeil à notre secours. Je m’éveillai la premiere au coup de quatre heures ; je regardai mon bon ami, qui dormoit encore la bouche collée contre mon sein ; son instrument collé sur sa cuisse et renfermé dans son béguin, reposoit aussi : un léger mouvement que je fis le rappella à la vie : et avant presque d’ouvrir les yeux, je reçus de sa part un baiser bien tendre. Nous entamâmes de nouveau le chapitre de nos amours : en peu de temps l’aspergès de mon bernardin reparut tel que je le desirois, et voyant que je présentois le bénitier, il ne tarda pas de l’y plonger.

Je l’avertis que pour cette fois il n’avoit pas besoin de se gêner, ni d’épier le moment critique, que j’étois sûre de n’avoir rien à craindre. Je plaçai les jambes sur ses reins ; les deux réparations que nous venions de prendre firent des merveilles, et lorsque je m’apperçus qu’il étoit peu éloigné de terminer, je le pressai contre ma poitrine ; nos deux bouches dans le moment n’en firent qu’une, et en me donnant des mouvemens que la nature seule peut inspirer, je reçus dans le centre de mes plaisirs, l’huile qui restoit dans sa phiole. C’étoit trop peu, dira-t-on pour un brasier ardent ; qu’importe ! cela me soulagea beaucoup ; et comme sans nous désunir nous nous occupions l’un et l’autre en soupirant de notre jouissance mutuelle, ma parente, la Prieure et Rose entrerent. Elles furent plutôt auprès du lit, que nous ne les apperçumes ; et ne nous y attendant pas, notre surprise fut on peu grande. Revenus cependant de notre étonnement, nous nous mîmes à rire avec elles.

Fort bien, nous dit la Prieure ; il paroît que vous avez sçu profiter de votre temps : nous sommes venues célébrer vos nôces, et vous apporter les noix confites ; vous en mangerez tous les deux. Ils sont charmans : embrassez-moi mes enfans. Il faut que vous vous en soyez bien donné, car ma foi ceci refuse le service. Nous fûmes examinés en général et en particulier : Rose s’approcha de moi et me demanda à l’oreille combien de fois ? je lui montrai mes cinq doigts : il en faut encore une pour compter pair, me dit-elle. Je me remis près de lui ; ces dames s’en mêlerent, et voulurent être spectatrices. Comme nous hésitions : bon bon, reprit la Prieure, en le poussant sur moi, il faudra bien que vous vous y accoutumiez. Nous nous livrâmes donc en leur présence à tous nos transports : elles applaudirent et nous féliciterent de nouveau. Dom Delabrisse embrassa ces Dames en les remerciant ; je le conduisis au parloir, d’où il devoit partir : nous nous dîmes encore bien des choses, et je lui fis mes adieux. Ainsi se termina le jour le plus heureux de ma vie, puisqu’il m’a attaché jusqu’à la mort au plus aimable des hommes : je ne dis rien de trop ; la suite de mon histoire le prouvera.

Je retournai vers ces dames, qui me firent beaucoup de questions ; bientôt les autres le sçurent : il fallut leur rendre un compte très-exact de tout ce qui s’étoit passé, et dès ce moment on ne se cacha plus de moi.

Le dimanche au soir nous fûmes au pavillon y préparer ce qu’il falloit pour la réception de Susanne ; la sœur Agnès, dont j’ai parlé au commencement, et qui devoit aussi en être, ayant pour amant un dominicain, avoit pourvu à tout. Nous y fîmes un moment les folles et nous nous retirâmes.

Les acteurs au nombre de six, quatre bernardins, le vicaire et le dominicain, se rendirent au parloir le lendemain à sept heures : les six actrices, en comptant la sœur Agnès, furent bientôt auprès d’eux ; ma Bonne revint un moment après m’apporter une lettre de dom Delabrisse. Je me rendis la premiere au pavillon, et me plaçai dans un des cabinets ; je fis un trou à un tableau qui étoit au-dessus de la porte qui donnoit dans la salle, et en les attendant je lus la lettre de mon cher ami. Que ne me marqua-t-il pas pour me dépeindre toute sa joie ! comme je la finissois et la baisois, nos gens entrerent.

La porte fut fermée à deux tours, on s’embrassa et on prit le chocolat. Cet aliment, un des meilleurs pour lutter avec Vénus, étant pris, ils mirent un fauteuil sur trois gradins, et la Prieure s’adressant à ma parente : allez, lui dit elle, avec Rigot et Susanne, et vous ne reviendrez que quand on fera le signal. Les autres commencerent à se déshabiller, et par politesse les confreres aiderent à leurs cheres sœurs : lorsqu’elles furent comme elles étoient sortis du ventre de leurs meres. (avec augmentation cependant.) ils en firent autant : on se regarda un moment avec attention : nos messieurs étoient assez bien bâtis ; leurs corps n’annonçoient en aucune façon l’austérité ni la pénitence ; et ils montrerent des armes de bonne trempe, et prêtes à lancer leur gibier. La Prieure, assise sur le fauteuil, se pencha en arriere, et en montra un aux spectateurs, barbu comme un hermite. Dom de la Mothe et le vicaire leur épée flamboyante en main, se posterent à chaque côté du trône, et les autres borderent la haie.

Au signal la porte s’ouvrit, et les deux novices parurent, précédés de ma Bonne un G… sur l’épaule. Ils entrerent en se donnant la main, ayant tous les deux le chef orné d’une couronne de fleurs : Susanne étoit décorée d’un collier de perles et de diamants, et de bracelets de même : les deux petits monts qui relevoient sa poitrine, blancs comme l’albâtre, et unis comme l’ivoire, avec leurs boutons couleur de rose, sa toison d’ébène, sa taille admirable et sa figure charmante la rendoient une personne si accomplie, que je doute fort qu’Appelles avec son pinceau eût pu nous transmettre une semblable merveille.

Rigot, avec un baudrier couleur de feu brodé en or, et les jarretieres de même, ressembloit au dieu Mars ; sa marche étoit fiere, et sa lance ne l’étoit pas moins ; elle paroissoit menacer tous ces C… qu’à l’envi l’une de l’autre nos belles étaloient. Dès qu’ils parurent, la voute retentit de ces paroles, Digni sunt intrare in nostra congregatione. La maîtresse de cérémonie les fit mettre à genoux sur deux coussins, et la présidente leur tint ce discours.

Que demandez-vous mes amis ? D’être agrégés à la société, répondirent-ils. Je vous accorde votre demande, continua-t-elle, avec un plaisir d’autant plus grand, que je vous connois les qualités requises : jurez donc Susanne sur le V… sacré de votre confrere, que vous ne révélerez jamais à personne, ce qui se passera entre nous ? Elle le fit. Et vous Rigot, faites-en autant en mettant la main sur le C.. béni de votre amante. Cela est bon.

Vous voilà donc liés par les sermens que vous venez de faire en présence de cette riante assemblée ; sçachez donc dès ce moment, que malgré l’intimité qui vous unit, qu’en vertu de votre vœu de pauvreté qui vous défend d’avoir rien en propre, vous devez vous conformer aux fantaisies de tout ce que nous sommes ici ; changement de viande donne appétit, dit-on : ce proverbe est assez suivi dans le monde ; mais il n’occasionne que des dissentions et des querelles : parmi nous il n’en est pas ainsi ; nous n’avons tous qu’une même volonté ; le même cœur nous unit : sans la moindre jalousie nous changeons d’objet, et ce qui plait à l’un fait plaisir à l’autre : ainsi êtes-vous dans la résolution d’exécuter les statuts de l’ordre ?… D’une voix très-distincte ils prononcerent oui, et il fut répété, Digni sunt, etc.

Ils se leverent ; on fut chercher un lit de repos d’un des cabinets ; ils s’y placerent tous les deux, et la Prieure tenant d’une main un gobelet d’argent où il y avoit de la graine masculine, et de l’autre de la bourre de soie : après l’avoir empreinte, elle leur dit, en leur frottant tour à tour les fesses et les reins : Ista materia ex quâ componitur homo, istas partes roboret, ut isto delectamento pro quo nati estis, perfrui possitis, illudque etiam aliis procurare. L’onction faite, le chœur répéta encore, Digni sunt, etc.

La Platiere alla chercher une espece de civiere à bras qui n’avoit qui trois sangles, afin qu’on pût voir de dessous ce qui s’y passeroit. Les deux néophites dedans, ils la suspendirent en l’air par le moyen d’une poulie, et ils arrêterent les cordes pour qu’elle ne vacillât pas.

Qu’on ne commence, dit la Prieure, que lorsque je ferai le signal. Chacun se mit près de la sienne ; le lit de repos et les canapés furent bientôt occupés. Allons Rigot, reprit-elle, faites votre devoir, et dès que vous serez en train nous en ferons de même. Il ne se le fit pas répéter Susanne, en présence de la société souffrit l’intromission sans sourciller ; mais non pas sans soupirer, et l’enfilade fut générale. On n’entendit pour lors que souffler, sanglotter, balbutier ; en haut, en bas, tout me flattoit également : au chantier de Rigot et de Susanne on voyoit à découvert l’enclume et le marteau ; le trait qui parcouroit l’objet chéri, tantôt long, tantôt court, selon ses différens mouvemens, frappoit agréablement la vue, et les deux acolytes qui rendent les hommes si ardens dans les combats amoureux, témoignoient par leur petite cabriole, combien ils participoient au plaisir de leur maître. J’allois les voir finir, mais un propos que j’entendis me fit regarder d’un autre côté. Que fais-tu donc, dit ma Bonne au vicaire ?… Ce n’est pas ma faute, répondit-il, remets-le…

Je m’attachai à la Prieure, que je vis très-animée ; je voulus sçavoir si réellement elle recevroit tout dans son giron : Ah ! la Mothe, lui dit-elle, ah mon ami !… l’excès du plaisir lui coupa le sifflet : deux fois elle souleva son brave, et elle reçut, en entrant dans une espece de convulsion, ce qu’il lui communiqua. Les autres avoient aussi fini, et la premiere poste se termina ainsi, pendant laquelle je ne cessois de me frotter avec la tête de mon G… le réservant à un autre usage lorsque je serois plus commodément.

Ils descendirent la civiere ; les deux profès reçurent les complimens de toute la confrérie. La Prieure en particulier les caressa beaucoup, et en embrassant dom Rigot, lui dit, tu me le mettras cet après-dîner, n’est-ce pas, mon poulet ? et toi Susanne, tu n’en seras pas fachée ? Quelle demande ! répondit cette aimable fille, il suffit qu’il vous fasse plaisir pour que cela m’en fasse aussi ; et en disant cela elle branloit le V… de dom de la Mothe, pendant qu’il la fouettoit légérement.

Enfin, lorsque de part et d’autre on le fut, pendant quelques momens, rendu quelques soins, chacun reprit sa nymphe, et ils recommencerent le jeu d’amour mais chacun plaçant la sienne dans une posture différente, ils voulurent tous ensemble offrir un sacrifice complet au dieu charmant qui présidoit à leurs plaisirs ; et Cupidon pour récompense de ce service, répandit une si prodigieuse quantité de son nectar sur ces couples amoureux, qu’ils resterent tous plongés dans la plus delicieuse ivresse.

Après quelque repos, la Prieure dit à Dom Rigot de se mettre sur le lit à la renverse, et à Susanne de le remplacer, tandis qu’elle-même la poitrine appuyée sur le pied de la couchette, en relevant les jambes à l’instar d’une grenouille que l’on apperçoit sur la surface de l’eau, présenta au sien la partie-poste ; lorsqu’elle fut ainsi ajustée, elle dit aux deux qui étoient devant elle : allons mes enfans, fondez la cloche ; et toi la Mothe, encone et pousse ; ce qu’il fit dans le véritable vase, parce que nous étions tous ennemis de l’antiphysique, et tandis qu’on la bourroit de la belle maniere ; elle regardoit avec satisfaction Rigot qui claquoit les fesses de sa belle, pendant qu’elle le chevauchoit.

Ma Bonne, les deux jambes sur les épaules du vicaire, fut assez bien menée ; et Rose d’un autre côté, un pied sur un tabouret, et l’autre cuisse relevée et appuyée, en recevant du professeur une leçon de bonne physique, lui frottoit ses deux pendants. La Platiere et Agathe s’y prirent assez singuliérement ; il s’assit sur une chaise, elle se mit à cheval sur lui, le plaça, se pencha en arriere en lui tenant les mains ; il se pencha du côté opposé, et ce furent les mouvemens de la chaise qui dirigerent tout le travail, pendant lequel le paillard ne cessa de regarder les allées et les venues de la cheville ouvriere, de même que la partie velue dans laquelle elle sembloit être enfouie. La sœur Agnès se servit aussi du même meuble avec le sien, et assise sur lui, elle se tourna de façon qu’elle pût l’embrasser en sautillant.

Tout cela les amusa beaucoup, et après s’être remerciés par les témoignages les plus sensibles, ils mirent la table et s’y placerent. Allons, buvons un coup, dit le professeur, et cela à la santé des deux profès. Les santés se porterent avec beaucoup de joie ; ils commencerent à manger comme des chevaux de louage ; la dent me piquoit et je me retirai.

Dès que j’eus pris ma réfection, je fus me jetter sur mon lit, et pour éteindre le feu brûlant qui s’étoit glissé dans mes veines pendant le spectacle dont j’avois été témoin, je pris mon G… et m’en servis avec toutes les formalités requises.

Etant plus tranquille, je retournai voir l’assemblée galante ; ils étoient au dessert, je regardai un moment leurs singeries ; mais ce qui me surprit, ce fut de voir un acteur de plus ; c’étoit un Bernardin étranger qui avoit déjà cabriolé Agathe : il devoit se trouver au commencement ; mais des affaires particulieres l’avoient empêché de venir plutôt, et n’ayant point de bonne amie fixe, il fut obligé de vivre sur le commun. Je fus me promener au parc, et une demi-heure après je revins ; mais ils étoient délogés. Je fus dans l’isle de Cythere ; je les trouvai au milieu du pré qui dansoient la danse des bossus, au son de la viele dont la Prieure jouoit supérieurement.

Je m’étois placée de façon que, sans être apperçue, je pouvois les voir à mon aise ; et pour ne pas éclater, je me pinçai plusieurs fois. En effet, je ne crois pas qu’on puisse rien voir de plus original qu’une pareille danse, exécutée par douze personnes de différent sexe et nuds comme la main : de temps en temps ils se claquoient les fesses ; les outils des révérends ressembloient à des battans de cloche, et si leurs maîtres faisoient une cabriole, ils en faisoient quatre : Enfin, après avoir bien ri, ils commencerent un autre branle.

Ils changerent tous d’objet ; le Professeur, debout contre un arbre, s’empara de Susanne ; elle s’élança sur lui en s’appuyant sur ses épaules, et lui croisant les jambes sur les reins ; il l’enfila du mieux qu’il pût, et dans cette posture il la secouoit en avant.

Ma parente posa les mains par terre, le Dominicain derriere elle se mit entre ses cuisses, qu’il souleva ; la cheville ayant trouvé son trou, le champion commença à frapper, et à chaque coup de cul qu’il donnoit il faisoit avancer sa belle, de sorte qu’on auroit dit qu’il menoit une brouette.

Rose, la Platiere, le vicaire et Agathe firent le quatrain ; Agathe qui étoit la plus forte servit de fondement et reçut le vicaire sur le croupion ; Rose se plaça sur le dos du vicaire en présentant le sien à la Platiere ; et ne faisant ensemble qu’on groupe, ils commencerent à se mouvoir.

La sœur Agnès s’étendit sur un banc ; dom de la Mothe et le Bernardin étranger, acharnés après elle comme deux dogues après le même os, la travaillèrent l’un entre ses deux gros tettons, qu’avec ses deux mains elle rejoignit, tandis que l’autre dans le pot au noir lui fit, par intervalle, sentir le sien jusqu’à la garde. La Prieure seule avec dom Rigot n’étoit pas en fonction : elle attendit qu’ils eussent fini pour se faire f..... en présence de la société, droit qui lui étoit dévolu comme la présidente.

Je ne pouvois pas avoir l’œil partout, aussi il y en eut qui finirent sans que je m’en apperçusse. Comme je regardois le professeur, qui avoit déposé Susanne sur l’herbe, décharger son arme en admirant un si beau corps, le groupe en question tomba de côté avec confusion ; à l’approche du souverain plaisir ils ne purent se soutenir, ni compasser leurs mouvemens, c’est ce qui fut cause de ce désordre, et les libations se firent indifféremment comme ils se trouverent : cela amusa les autres, et je me retirai pour un peu respirer à mon aise, car j’étois furieusement échauffée ; mais entendant une espece de tumulte, je me replaçai pour sçavoir ce que c’étoit ; ce fut bien une autre histoire.

Je vis porter un chevalet sur la terrasse ; ce meuble très-commode étoit garni de velours en-dedans, et avoit un petit coussin de même pour servir de têtiere ; en bas, par devant étoit un gradin où le brave se mettoit à genoux lorsqu’il étoit en exercice. La Prieure, après avoir fait mettre deux chers peres de chaque côté, se plaça dessus, et retroussée presque comme un lapin, le présentoit on ne peut pas plus beau. Rigot ne la fit pas attendre ; introduire et se poster se fit dans le même temps en se tenant aux fourches du chevalet. Le Bernardin étranger, qui devoit remplacer Rigot, étoit debout, immobile, et extasié de tout ce qu’il voyoit. La présidente, tandis qu’on la rabotoit, secouoit les paquets de ceux qui étoient à ses côtés ; de la Mothe et le professeur pour donner plus d’ardeur au champion qui s’escrimoit, tenoient chacun sous leur bras, comme un enfant qu’on veut fouétter, l’un ma parente, l’autre Rose, et en leur séparant les fesses, lui montroient leurs embouchures : Susanne debout au milieu de ces deux batteries, le ventre en avant, les cuisses écartées, avec deux doigts entrouvroit son trou mignon, et d’un air fripon, baissant la prunelle, sembloit reprocher à son amant l’infidélité qu’il lui faisoit : Agathe juchée sur une échelle double se branloit le C.. avec un G…, et Agnès avec le frere prêcheur, aussi en perspective, foutoient sur un arbre. Les mouvemens précipités et les sanglots des deux combattans, annoncerent la décharge. Tous cesserent leur manege ; les femelles chanterent le verset Dignus est intrare in nostro corpore, et les mâles répondirent amen.

Celui, comme j’ai dit, qui attendoit, en fit autant à la présidente que son confrere : je m’en fus, n’en pouvant voir davantage. Je vous laisse à penser dans quel état je devois être, étant fort jeune, et ayant les passions vives. Arrivée dans ma chambre je me jettai sur mon lit, et malgré le feu qui me dévoroit, je me retins, et les bras croisés sur ma poitrine je m’endormis. Je ne sçais combien de V… je vis en songe, de même que de différentes postures ; cela me fit une telle impression, que je m’éveillai en sursaut, avec un besoin insurmontable de me soulager. Sans chercher d’autres moyens, je me frottai, pressai, serrai avec tant de fureur, que je me procurai un écoulement complet ; cela seul rendit le calme à mes sens irrités. Comme j’avois peu dîné, je goûtai très-bien, pour réparer mes pertes libidineuses ; ensuite je retournai au parc. Il étoit six heures : voyant revenir la société, j’y fus au-devant ; les dames sourirent en me voyant, et les messieurs me firent leur compliment. Je priai ma Bonne de dire au professeur que je voulois lui parler : il vint ; nous entrâmes dans un cabinet, et il me demanda fort honnêtement ce qui je voulois.

Je le priai de vouloir bien laisser venir dom Delabrisse le mercredi suivant. Avec le plus grand plaisir du monde je vous l’accorde, mademoiselle, me répondit-il ; est-ce qu’on peut vous refuser quelque chose ? vous pouvez le voir quand vous voudrez ; quoique par rapport à ses confreres je doive garder quelques ménagemens, j’espere cependant que vous n’aurez point de reproches à me faire. Je le remerciai, et me disposant d’aller rejoindre la compagnie, il me dit qu’elle s’en iroit bien sans nous, qu’il devoit souper à l’abbaye, et que je ne lui refusasse pas de l’entretenir un moment ; en disant cela il m’embrassa deux fois : je me doutois de quelque chose, et je ne me trompois pas. Sçavez-vous, reprit-il, que je le regarde comme un mortel des plus heureux ; et cela en prenant quelques libertés. Sans le laisser finir je lui répliquai que je ne le trouvois pas à plaindre : il est vrai, mademoiselle ; mais je vous assure que je serois le plus fortuné des hommes si j’avois le bonheur de vous b..... Vous avez assez de besogne, pere professeur, n’en cherchez pas d’autre… Cela n’empêche pas que je ne sois encore en état quelquefois de vous servir… Attendez donc que j’aie fait vœu de pauvreté, pour n’avoir rien en propre ; jusqu’à ce moment je veux être maîtresse de mon petit bien… Vous n’avez pas mal retenu le discours de la Prieure, à ce qu’il me paroît… Finissez, cela m’échauffe trop. C’est-à-dire que vous craignez que je ne vous mette en train, ensuite que je vous laisse : il est vrai qu’actuellement je ne pourrois pas rendre hommage à vos charmes ; mais il faut que vous me promettiez… Que voulez-vous que je vous promette ?… De vous voir dans un petit coin, et je viendrai tout exprès pour vous ; tâchez d’avoir de votre Bonne la clef du pavillon, je vous ferai sçavoir par écrit le jour que je pourrai être votre serviteur ; je compte là-dessus : il m’embrassa encore une fois, le souper sonna, et nous nous y rendîmes.

Les autres étoient partis, à l’exception de dom de la Platiere ; nous restâmes à table un peu tard pour amuser l’Abbesse ; il ne s’y tint que des propos conformes à son état, car elle étoit presque imbécille, et nos dames en bâilloient ; cependant chacun prit son parti, et en nous retirant ma Bonne me demanda si j’avois tout vu ; lui ayant répondu que je m’étois retirée après le contingent de dom Rigot, tu as mal fait, me dit-elle : que diantre avez-vous pu faire de plus, repris-je ?… j’ai été obligée de me retirer, parce que je n’y pouvois plus tenir. Elle me mit au fait des autres meubles qui contribuoient à l’observance de leur vœu de chasteté : je me réserve d’en parler dans la seconde partie de cette histoire.

Jusqu’à l’arrivée de D. Delabrisse, je fus le plus souvent avec ces dames, qui me mirent entiérement dans leur confidence, et il arriva le jour que je l’attendois. Il fut bientôt dans mon appartement : nous ne nous amusâmes pas beaucoup à nous faire des complimens ; il admira un moment l’objet de son culte, et deux fois presque de suite son… pleura sans oignon. La nuit se passa de la maniere que vous pouvez vous l’imaginer, et nous levâmes fort tard. Sur les trois heures du soir, ces Dames étant à Vêpres, car l’office ne manquoit jamais ; peu ou beaucoup, bien ou mal, encore se faisoit-il toujours ; comme j’avois la clef du pavillon, nous nous y rendîmes ; il faisoit fort chaud, et nous baignâmes ; du bain nous volâmes entre les mains de l’amour : je lui avois raconté les différentes postures que ces Dames avoient tenues le jour de la réception de Susanne nous en essayâmes quelques-unes ; j’appris aussi à marcher sur mes mains, et d’autres tours de soupplesse : enfin après la joie, le déplaisir, dit-on : il fallut de part et d’autre, essuyer celui de nous séparer. Je fus demandée le lendemain au parloir, une femme me remit une lettre du professeur.

Trouvez-vous, mon cœur, ce soir à neuf heures au pavillon ; engagez Susanne d’y venir avec vous. Le Bernardin étranger est fort amoureux d’elle, et ne peut pas se résoudre à partir sans la voir. Je la connois assez complaisante pour s’y prêter : qu’il n’y ait que vous deux qui le sçachiez. En attendant ce doux moment, je suis le plus humble des vôtres.

Professeur.

J’annonçai le rendez-vous à cette aimable fille ; elle ne sçavoit qu’en penser, et elle me répondit qu’elle n’en avoit donné à personne. Lisez, lui dis-je, madame ! fort bien, monsieur Guignolet, reprit-elle, il faut donc aussi que je vous le prête ? Nous convînmes de nous y trouver. J’avertis ma Bonne de tout, car je ne pouvois rien lui cacher. A l’heure marquée, après nous être mis à la légere, nous nous rendîmes au pavillon : lorsque je les entendis frapper, je dis à Susanne de se cacher, pour donner un peu d’inquiétude à l’autre ; je leur ouvris. Ils entrerent tous les deux avec beaucoup d’empressement. D. Guignolet cherchant des yeux et ne voyant pas Susanne, d’un air un peu interdit, la demanda : elle n’a pas voulu venir, répondis-je ; mais elle ne put s’empêcher de rire, et fut bientôt découverte. C’est donc ainsi, Madame, en l’embrassant tendrement, que vous vous plaisez à mettre les gens en détresse ? Il faisoit un fort beau clair de lune : nous nous assîmes tous les quatre au-dessus du pré : j’eus bientôt le bâton royal à la main, mais comme je lui faisois quelques difficultés sur l’objet principal, il me dit, en me donnant un baiser, voyez, il n’est pas si monstrueux, j’irai tout doucement, je vous le promets. Susanne qui piloit l’herbe avec le sien, m’encouragea, et je le laissai faire. Il frappa légerement à la porte, insensiblement elle s’ouvrit ; et après quelques mouvemens d’impulsion, il fut maître de la place ; ce fut alors qu’il ne se modéra plus ; je rendis mon suc ; il redoubla, et à la rétroaction, je me saisis de mon vainqueur, qui à son tour répandit le sien.

Voyez, me dit-il, en me caressant, que j’en suis bien venu à bout. — Aussi vous sçavez vous y prendre. — Embrassez-moi : que cette bouche est fraîche ! Guignolet recommença, et ayant les fesses découvertes, je dis au Professeur : voyez cette seconde lune, comme elle se tremousse : il sortit une pomme de sa poche ; je l’ajustai si bien qu’elle tomba précisément dessus, et je me mis à rire comme une folle : voulez-vous vous taire là bas ? s’écria-t-il en allant toujours le même train, et je ne tardai pas à éprouver le même sort que ma compagne. Lorsque l’on fait l’amour, les heures sont des minutes : minuit nous surprit ; nous proposâmes à ces Messieurs de profiter des lits de repos qui étoient dans le pavillon, qu’il étoit trop tard pour partir, et que nous leur tiendrions compagnie ; ils l’accepterent. Il faisoit fort chaud, nous ne gardâmes que nos chemisettes, et eux leurs soutanes. Le Professeur avoit encore envie de bricoler : oh ! non, lui dis-je, demain matin, à la bonne heure, dormons à présent ; il se livra donc au sommeil ainsi que moi. L’astre du jour rayonnoit depuis longtems sur nous, que nous en goûtions encore les douceurs ; mais un mouvement qu’il fit en s’étendant, m’éveilla ; nous faisions une entiere exhibition des pieces, cela nous engagea naturellement à recommencer ce petit jeu qui fait tant rire les jeunes. Il loua tout ce qui composoit mon individu, et nous en étions aux entretiens familiers lorsque les deux autres entrerent. Eh bien ! Confrere, lui dit Guignolet, tu parois bien content avec cette jeune Demoiselle ?… Et toi, mon ami ; comment te trouve-tu de la tienne ?… On ne peut mieux : la jouissance dit-on, éteint les désirs, mais ma foi, celle-là en fait naître de nouveaux ; je ne doute pas que tu n’éprouves les mêmes sentimens ; car elle est ma foi, charmante : il faut cependant qu’elle paye sa petite espièglerie, le croupion m’en fait encore mal. J’appellai le Professeur et Susanne à mon secours, cela n’empêcha pas qu’il ne me donnât quatre à cinq claques bien appliquées ; mais nous nous mîmes toutes les deux après ses trousses et le fouettâmes comme un bidet, au point que la main m’en faisoit mal. Pendant ce temps-là le Professeur rioit de toutes ses forces. Nous les fîmes déjeûner, et ils partirent très-satisfaits Le lundi suivant, la société fit l’octave de la réception de Susanne ; je les laissai s’escrimer à leur aise ; pour moi, je la célébrai avec D. Delabrisse. Peu de jours après le jeune Cordelier tint parole à Agathe ; il revint et donna matiere à d’autres amusemens : elle le garda dans sa chambre le jour qu’il arriva, pour que ses compagnes ne le vissent pas, et par-là pouvoir faire ce qu’elle préméditoit. Le lendemain matin elle vint me trouver et me dit : écoute, Angélique, il faut que tu m’aides à déguiser ce jeune Cordelier qui te rendit une lettre il y a un mois, il est chez moi, je le ferai passer pour ma niece, et infailliblement ces Dames le croiront ; car il n’est pas possible qu’elles ne s’y trompent, et cela nous amusera. Il est d’une taille médiocre et assez mince, tes habits lui conviendront, mais promets-moi de retenir ta langue ?… Soyez tranquille, je jouerai bien mon rôle ; ma Bonne n’y est pas, je vais vous chercher ce qu’il faut, attendez-moi.

Je me rendis chez Agathe avec tout ce qu’il falloit, et j’y trouvai ce jeune religieux ; il vint fort honnêtement me débarrasser des effets que je portois et me remercia. En vérité, je ne pourrai jamais assez me contraindre pour m’empêcher d’être découvert, nous dit-il. Tu n’as qu’à suivre ponctuellement les instructions que nous te donnerons, lui répondit Agathe, tu as la voix douce, tu n’as point de barbe au menton, et tu…

Je ne pus m’empêcher de rire et de l’admirer en même temps, et leur tirai ma révérence : ne tarde pas à revenir, reprit Agathe, nous aurons besoin de toi. Je revins sur mes pas, et restai à la porte.

Agathe.

Ote donc encore ?

Le Cordelier.

Quoi donc ! ma chemise aussi ?

Agathe.

Sans doute ! en voici une que tu mettras : eh ! le pauvre petit, comme il est à présent ! il est tout drôle : helas !…

Le Cordelier.

Il se repose maintenant : n’a-t-il pas fait son devoir ?

Agathe.

Oui, je suis contente. Mets ce déshabillé ; pas comme cela, bon, le voilà : et cette jupe, attends : il faut boutonner les manches des amadis ; il suffit que le poignet et la main paroissent. Il reste à remédier à cette poitrine qui est un peu plate, et à arranger ta coéffure : je voudrois qu’Angélique vint, elle m’aideroit.

Le Cordelier.

Elle s’appelle Angélique, cette jeune Demoiselle ? Elle est fort aimable.

Agathe.

Tu t’en accommoderois bien, n’est-ce pas ?

Le Cordelier.

Vos bontés me suffisent, Madame, je ne m’adresserai pas ailleurs tandis que vous voudrez bien me les continuer : doit-elle se faire religieuse ?

Agathe.

Oui, même bientôt. Diantre soit le bonnet, je ne peux pas en venir à bout : tu viens fort à propos, Angélique, car je ne puis le coëffer, j’y perds mon latin.

Angélique.

Mes habillemens, lui vont fort bien, donnez-moi ce serre-tête, tenez-vous donc comme il faut, si vous voulez que je fasse de vous une jolie fille.

Le Cordelier.

Arrêtez un moment, Mademoiselle.

Agathe.

Qu’est-ce que c’est, mon ami ! as-tu la colique ?

Le Cordelier.

Non, mais j’ai la crampe.

Agathe.

Je t’entends, petit drôle, tu n’es pas accoutumé d’avoir une aussi jolie fille de chambre à ta toilette ; eh ! cela t’émoustille ?

Angélique.

Madame, faites-lui passer sa crampe, et dans le moment je reviendrai…

Cette demoiselle se trouve-t-elle mieux ? dis-je, en rentrant ; sçachant bien qu’il ne m’inquiéteroit pas, on y avoit mis bon ordre, je lui offris de nouveau mes services. Avec des mouchoirs de soie, nous lui fîmes deux petits tetons ; nous fermâmes tout exactement, à l’exception du dessous du col, qu’il avoit charnu, fort blanc, et que j’ornai d’un collier de perles. Il chaussa une paire de souliers d’Agathe ; nous lui apprîmes à faire la révérence, à marcher avec grâce, se présenter de même. Il s’en acquitta d’une maniere qui nous surprit, et si je n’avois pas sçu qui il étoit, je m’y serois indubitablement trompée. Nous lui dîmes de tousser beaucoup, que la coëffure négligée qu’il avoit, le demandoit. Il fut question de le traduire dans la société ; cela ne tarda pas, et l’occasion le fournit : une de nos filles vint dire à Agathe que madame la Prieure la demandoit : elle lui répondit, qu’elle ne pouvoit pas s’y rendre pour le présent, que sa niece étoit arrivée, et qu’elle se donnât la peine de venir.

Un quart d’heure après elle entra avec ma parente ; notre fausse demoiselle se leva pour les saluer, reçut, sans avoir l’air emprunté, leurs politesses, et y répondit en contrefaisant celle qui étoit oppressée : ayez la bonté de vous remettre, lui dit la Prieure, et s’adressant à Agathe, elle est fort enrhumée ta nièce, comment est elle donc arrivée ? tu ne nous avois pas dit qu’elle devoit venir ? Cette demande auroit dû l’embarrasser, mais les gens d’esprit sont féconds en ressources, et il la seconda à merveille : je ne l’attendois pas, ma chere amie, lui répondit-elle : quelques petits chagrins qui lui sont arrivés, qu’elle m’a expliqués en gros, l’ont fait partir un peu brusquement, et elle est arrivée ce matin. Tandis qu’Agathe dupoit ainsi ses compagnes, pour qu’on y ajoutât foi, il baissoit les yeux, paroissoit très-chagrin et versa même quelques larmes : je me détournai pour ne pas rire ; la Prieure le consola, lui fit beaucoup de questions et il composa une histoire assez bien trouvée.

La Prieure.

Ne vous chagrinez pas, mon cœur, il est vrai que votre mere doit être irritée contre vous de ce que vous êtes ainsi partie, et même, je suis sûre, très en peine ; mais lorsqu’elle saura que vous êtes ici, elle sera plus tranquille. Dites moi, sans rien me cacher, ce qui a donné occasion à cette petite équipée ? Je suis l’amie de votre tante, en conséquence la vôtre ; toutes tant que nous sommes ici, nous ferons tout ce qui dépendra de nous pour vous obliger ; parlez-moi avec confiance.

Le Cordelier.

Parce qu’un jeune officier venoit quelquefois chez nous, maman ne s’est-elle pas imaginée…

La Prieure.

Que c’étoit par rapport à vous ?

Le Cordelier.

Oui, Madame, et elle lui fit dire de ne pas revenir à la maison.

La Prieure.

Cela vous chagrina beaucoup ?

Le Cordelier.

Je ne puis vous trahir ma pensée, j’en fus très-affligée.

La Prieure.

Mais votre maman ne fit apparement cette défense, que parce qu’elle s’étoit apperçue qu’il regnoit entre vous deux une certaine liaison qui pouvoir dégénérer en familiarité : voyez-vous, les meres sont clair-voyantes, peut-être y avez-vous donné occasion ?

Le Cordelier.

Il est vrai qu’elle me surprit un jour comme il me baisoit la main, jour qu’il me déclara bien des choses que je ne comprenois pas, et qui cependant me le faisoient regarder avec complaisance.

La Prieure.

Vous voyez que j’avois raison de dire qu’elle craignoit entre vous quelque familiarité ; et quand il fut parti, elle vous gronda ?

Le Cordelier.

Beaucoup ; et ce moment a été l’époque de mes peines. Ce fut pour lors que ne le voyant plus, son éloignement me parut insupportable : je me rappellois toutes ses honnêtetés, ses façons prévenantes et quelque chose de plus, parlerent même en sa faveur.

La Prieure.

Et vous prîtes des moyens pour l’entretenir en secret ?

Le Cordelier.

Cela est vrai. Quoique maman me gênoit, elle n’étoit pas cependant si ennemie de ses plaisirs, qu’elle ne me laissât souvent seule : momens précieux dont je profitois pour lui parler à la maison. Une de nos filles étoit dans notre confidence, et par ce moyen je l’ai vu à la dérobée pendant quelque tems. Mais un jour, la croyant à faire sa partie, elle nous surprit : je le cachai le mieux que je pus, et malgré toutes mes précautions, comme il y a toujours des gens indiscrets, on lui dit qu’il étoit sorti de notre jardin à huit heures du matin.

La Prieure.

C’étoit sans doute dans votre chambre où vous sçûtes le soustraire aux yeux de votre argus ?

Félicité.

Tu es singuliere. Prieure, pourquoi faire de semblables questions ? que vous l’ayez caché où il vous plût, que vous dit votre maman ?

Le Cordelier.

Elle vint me trouver lorsque j’étois encore au lit ; j’éprouvai de sa part des traitemens bien durs ; je crus qu’elle me dévisageroit ; elle me fit beaucoup de menaces, entr’autres, qu’elle y mettroit bon ordre. Craignant donc ce qui indubitablement me seroit arrivée, car il y a un couvent près de chez nous où l’on n’est pas traité fort humainement, je m’habillai, je ne pris que ce que j’ai sur moi, et me rendis ainsi dans une de nos métairies qui n’est pas éloignée ; je priai le concierge, les mains jointes et les larmes aux yeux, de ne pas me déceler ; j’y passai le reste de la journée, et me décidai ensuite à venir auprès de ma tante, ce qui me procure, Mesdames, l’honneur de vous voir, et je vous remercie des bontés que vous voulez bien avoir pour moi.

Après ces aventures si bien imaginées, pressée par l’envie que j’avois de rire, et craignant d’éclater, je sortis un instant pour me composer de mon mieux et rentrai incontinent. Il faut conduire ta niece chez madame, dit la Prieure à Agathe : pas encore, lui répondit-elle, j’ai envoyé un exprès à ma sœur, et ce n’est qu’après sa réponse que je la présenterai… Fais donc comme tu voudras ;

après dîner cependant il faut la mener promener, lui faire voir toute la maison, qu’elle fasse connoissance avec nos amies. S’adressant au Cordelier, et vous mon cœur, en l’embrassant, soyez tranquille, ne vous chagrinez pas, tout ira bien. Ma parente lui tint à-peu-près le même langage, et me dit de lui tenir compagnie.

Elles n’eurent pas plutôt le dos tourné que nous éclatâmes de rire de tout notre cœur. Agathe le félicita d’avoir si bien joué son rôle, lui fit quelques caresses : pour un rien je lui en aurois fait autant, mais il m’en exempta la peine, et me donna deux ou trois baisers que j’acceptai de bonne grace : nous allions dîner, nous l’engageâmes à toujours bien se soutenir. Comme il n’y avoit, ce jour-là, aucun étranger à l’abbaye, toute la cotterie vint nous trouver après le repas, tant par la curiosité de voir la niece d’Agathe, que pour passer le tems. Elles lui firent des questions à l’infini, il ne resta jamais court, et pas une ne soupçonna ce qu’il étoit : le lecteur aura de la peine à se figurer ce trait, et moi même, si je n’avois pas été instruite du fait, j’aurois comme ces Dames, donné dans le panneau.

Après vêpres nous allâmes nous promener au parc, et de-là au pavillon : il le trouva très-agréable ; on proposa d’une commune voix de se baigner, il fut un peu embarrassé, mais il s’excusa sur ce qu’il étoit indisposé. Laissez-les faire, lui dit la Prieure, en le faisant asseoir auprès d’elle, et vous me tiendrez compagnie. Nous gardâmes nos chemises pour ne pas scandaliser cette demoiselle prétendue, et je vis qu’en nous regardant deshabiller, il me fixoit principalement de même que Susanne. Je donnai pleine liberté à mes deux globes de se déployer afin qu’il pût les voir à son aise, et par une espece de vanité, en entrant dans l’eau, je retroussai mon linge pour lui faire voir aussi que ce que je cachois dessous, n’étoit pas indifférent. Mes compagnes qui n’avoient d’autre intention que de se rafraîchir, entrerent dans le bain, et n’en montrerent pas moins.

Tout ceci à quoi il n’étoit sûrement pas accoutumé, faisoit impression sur son humanité. Agathe s’en apperçut et me dit à l’oreille, nous avons mal fait de ne pas lui faire prendre au moins un caleçon ; je suis sûre que cela va le faire découvrir. C’est ce qui arriva. La Prieure voyant ses inquiétudes, lui demanda s’il se trouvoit mal ? il répondit que non, et cherchant une attitude afin que la simple jupe qu’il avoit ne le décelât pas, la Prieure, par hasard, y porta la main.

Eh ! qu’est-ce que c’est de cela ? dit-elle, je crois bien si je ne me trompe… il voulut se lever, mais elle le retint : ah ! parbleu, Mesdames, s’écria la Prieure, venez, venez voir une drôle de fille ! les trois autres, avec, leurs chemises qui leur colloient contre les fesses, accoururent, mais Agathe et moi nous restâmes dans le bain, en nous pâmant de rire. Voici un tour singulier, dit Rose, et je vous laisse à penser comme elles le tortillerent. Ma parente vint à moi, me demanda qui il étoit et alla le dire aux autres.

La Prieure.

Ah ! ah ! Monsieur le coq, c’est donc ainsi que vous vous déguisez pour courir après nos poules ? Il faut lui couper rasibus-cujus.

Rose.

Je demande grace pour lui, ce seroit dommage de le priver de son cordon.

Le Cordelier.

Laissez moi respirer un moment, Mesdames, et si vous voulez, pour ma pénitence, avant de partir, je ferai ce que je pourrai pour avoir l’honneur de vous servir.

Susanne.

Fort bien ! Vous en donnoit-on d’aussi douces pendant votre noviciat, lorsque vous faisiez quelque infraction à votre sainte regle ?

Agathe.

Je m’y oppose, il m’appartient.

Félicité.

Tu n’y as plus aucun droit, tu dois être contente du tour que tu nous as joué.

Angélique.

Je souhaiterois pour vous. Mesdames, qu’il pût se multiplier !

La Prieure.

Tu étois du complot, petite gaillarde, vous le payerez toutes deux… Et plus j’y pense moins je reviens de mon étonnement. Qui n’y auroit pas été attrapé, à voir cette physionomie douce, cet air enfantin ! Tenez, mes amies, ce petit effronté, pour mieux nous duper, nous a fait une histoire de galanterie avec des circonstances si bien suivies, que je ne me serois pas douté qu’il fût tel. Tu m’embrasses, mon amie ! Regardez comme il est blanc ! Et ceci, n’est pas une babiole d’enfans ! Tu l’entends. Agathe, il te faut des morceaux friands, à ce qu’il paroît !

Agathe.

Prends-en ta part, et tandis que nous allons nous habiller, fais épreuve de ce qu’il sait faire.

Susanne.

Ma foi, c’est tout de bon ; mais j’ai peur, Agathe, que cela ne l’incommode : il a couché la nuit derniere avec toi, il paroit fort délicat, ainsi il faudroit le ménager.

Agathe.

Bon ! bon ! il faut que les jeunes travaillent : tiens, regarde comme il fait signe du derriere. Courage ! mon petit, nous ne voulons pas te troubler dans tes fonctions. Ils se meurent tous les deux. Dis donc le De profundis, au moins le Requiescant in pace.

Susanne.

Que le diable t’emporte ! petite polissonne, je ne sçais où tu puises tout ce que tu dis.

La Prieure.

Je te le ramene, Agathe.

Agathe.

Mais non pas comme tu l’as pris… Une autre fois je te fournirai des oiseaux pour les mettre dans ta cage ! tu ne les accomodes pas mal !

Rose.

Je crois qu’il y a quelqu’un dans le pavillon : voyons ! parbleu c’est Rigot, le Vicaire et la Platiere.

La Prieure.

Angélique, passe vîte dans un des cabinets de charmille avec lui, et quand tu l’auras ajusté, vous reviendrez tous deux. Bonsoir, Messieurs, soyez les bien venus ! arrivez-vous présentement ?

D. Rigot.

Nous vous le souhaitons, Mesdames, il y a près d’une heure que nous frappons à toutes les portes, et personne ne nous répond : nous nous sommes douté que vous étiez ici. Comment te portes-tu, Susanne, embrasse-moi donc, vous vous êtes baignées, sans doute ?

La Platiere.

Oui, elles ont la chair fraîche.

La Prieure.

Soyez décents ! il y a ici une Demoiselle, qu’elle ne s’apperçoive pas de ces familiarités.

Le Vicaire.

Qui est-elle ?

Rose.

C’est la niece d’Agathe : voici qu’elle vient avec Angélique.

Le Vicaire.

Elle est, ma foi, piquante ; j’aimerois mieux qu’elle tombât dans mon lit qu’une poutre !

Félicité.

C’est pour toi que le pain cuit ! ce fier paillard voudroit cajoler toutes les filles qu’il voit.

Il saluerent ce jeune Cordelier et lui firent leurs compliments de galanterie, le prenant pour une femelle, et il soutint sa partie, on ne peut pas mieux. Ces Messieurs, et la plupart des Dames se retirerent ; la Prieure et Agathe resterent un moment, et me chargerent de lui tenir compagnie, de le faire coucher dans la chambre de ma Bonne et nous quitterent. Je le conduisis où on m’avoit dit, et fus en avertir ma parente, qui me dit de faire tout ce que je voudrois, que pour ne pas me gêner, elle coucheroit ailleurs, et qu’elle alloit avertir la sœur Agnès de nous apporter à souper.

J’allai rejoindre mon jeune homme qui me dit, en me donnant un baisser, je coucherai avec vous. — Non, répondis-je, vous coucherez dans le lit de ma Bonne, j’y mettrai des draps blancs et vous serez bien. — Oh ! j’y coucherai, Mademoiselle… Après tout ce qui s’est passé, et ce que ces Dames vous ont accordé, je ne veux pas faire de grimaces, mais ce sera pour une autre fois, maintenant vous avez besoin de repos… Oh ! je ne suis pas si fatigué, que je ne puisse bien encore brûler deux ou trois amorces ; vous, ne connoissez pas encore, à ce que je vois toute la vertu du cordon de S. François ?… Il n’y a point de vertu ni de cordon qui tienne ; vous avez eu affaire avec une Dame qui a bien sçu lui faire perdre de son mérite… Voyez cependant… Petit fripon… Laissez-moi voir ainsi votre petit calibistri, je ne l’ai qu’entrevu lorsque vous êtes entrée dans le bain ; qu’il est joli !… Finissez, j’entends quelqu’un, c’est la sœur Agnès.

Agnès.

Je vous apporte à souper, Mademoiselle : voici une jolie compagnie ; si je ne me trompe, il y a de la contrebande là-dessous.

Angélique.

Je vois que ma Bonne vous a prévenue ; eh ! seriez-vous fachée d’avoir une semblable niece ?

Agnès.

C’est une fort bonne acquisition que vous avez faite ; je n’envie pas le bien de mon prochain ; je vous souhaite beaucoup de plaisir ; voici de quoi le ranimer, je suis pressée, adieu.

Le Cordelier.

Elle est bonne fille, cette sœur.

Angélique.

Soupons, et mettez-vous là.

Le Cordelier.

Oh ! non, mettons-nous du même côté. Laissez-moi ôter ce fichu, il vous embarrasse : je vais aussi me défaire de ces tetons postiches ; parlez-moi de ceux-là, ils forment deux belles pommes reinettes. Que je les baise, ces bijoux !

Je lui fis beaucoup manger de chicorée cuite dans le jus d’un chapon, et d’autres choses succulentes ; ensuite après le souper, nous allâmes nous promener au parc pour faire la digestion. En nous promenant, il continua ses folies, je ne m’y opposai pas ; nous y vîmes venir nos Dames et nos Messieurs, nous nous détournâmes et tardâmes peu à nous retirer. Je fis semblant de ne pas vouloir coucher avec lui, et en lui accordant, je lui dis : écoutez, je n’aime pas moins mon plaisir que vous, mais je sçais que les hommes se fatiguent plus que nous ; ainsi, mon ami, ne me tourmentez pas, je vous accorderai le reste demain matin.

Le Cordelier.

M’y voici donc ; causons, rions ; lorsque je suis venu au monde, Madame Grippe-tout-nud n’a-t-elle pas pourvu à ce que j’en eusse encore un bon, qu’en dites-vous ?

Angélique.

Oui, et vous avez la peau bien douce pour un garçon ?

Le Cordelier.

C’est que je suis trop jeune, et n’ai encore, comme vous, que du poil au-bas de la bedaine, et comme les chats, autour de la queue ; mais tâtez ! c’est ceci qui est doux et dodu.

Angélique.

Non, non ; oh ! je ne demanderois pas mieux, mais je ne veux pas avoir quelque chose à me reprocher. Embrassez-moi encore tant que vous voudrez ; touchez tout ce qui peut vous amuser, je ne m’y oppose pas. Oui, oui demain matin, et quand vous reviendrez, je vous le promets : dormons.

Nous nous réveillâmes sur les six heures, il étoit frais et m’en donna des marques : nous en étions aux propos, lorsque ma Bonne, la Prieure et Agathe entrerent.

Agathe.

Bon jour mes enfans ! voyez ce petit coquin, comme le contentement est peint sur son visage.

La Prieure.

Tu dois nous sçavoir bon gré de t’avoir ainsi procuré une jeune et jolie demoiselle ?

Le Cordelier.

Je connois tout mon bonheur ; vos bontés, Mesdames, de même que celles de Mademoiselle, surpassent toutes les expressions les plus énergiques de ma vive reconnoissance, et ma satisfaction ne peut être altérée que par le chagrin que me causera mon départ d’un endroit si charmant, et habité par des personnes aussi aimables.

La Prieure.

Tu es honnête ; nous te remercions, mais écoute, mon petit, c’est parce que tu es Religieux et que tu nous plais, que nous t’avons procuré tous ces divertissemens ; mais point d’indiscrétion, entends-tu ?

Le Cordelier.

Ce que vous me dites-là, m’offense ; je suis jeune, il est vrai, mais je sçais taire ce qu’il faut : j’y suis d’ailleurs intéressé, et vous avez raison de ne pas vous interdire des plaisirs auxquels tout le monde doit avoir part. On a beau me dire que tels et tels ont sçu étouffer ces sentimens que nous avons reçu de la nature : je sçais à quoi m’en tenir, et ne suis pas assez simple d’adopter leur opinion : si j’ai embrassé cet état, j’ai fait comme bien d’autres ; on s’accroche où l’on peut, et tant pis pour ceux qui ne sçavent pas se tirer d’affaire. Que ne suis-je à même, Mesdames, de vous donner souvent des preuves de toute ma reconnoissance.

Félicité.

Parce que vous avez bien parlé, je vous embrasse de tout mon cœur ; il faut venir nous voir, vous serez toujours le bien reçu ; levez-vous.

Je m’attends à ce que le Lecteur ne va pas avoir de moi, une idée bien avantageuse, pour avoir sitôt commis des infidélités à D. Delabrisse. En faisant dans la suite une revue sur ma conduite passée, je l’avoue, je n’ai pas trouvé cela dans sa place : mais un peu d’indulgence pour la jeunesse ! je ne le voyois qu’une fois par semaine ; les exemples d’un côté, la passion de l’autre, tout insensiblement m’entraînoit. Ce n’est pas cependant que les sentimens qu’il m’avoit inspirés pour lui, se soient jamais refroidi en moi ; si j’en ai connu d’autres, il a toujours été les plus chéri, et on en jugera par la suite de cet ouvrage.

Je reprends : Ce jeune Cordelier demeura encore quatre jours ; il remplit bien la pénitence qu’il s’étoit imposée, et nous quitta en nous promettant qu’il reviendroit le plutôt qu’il lui seroit possible, dans cette île enchantée ; c’est le nom qu’il donnoit à l’Abbaye. Toutes ces Dames parlerent beaucoup de lui, mais les différens objets, qui d’ailleurs étoient fréquents, le firent bientôt oublier jusqu’à son retour, et je reçus le lendemain une lettre de mon cher ami.

Ma chere amie,

Nous partons demain pour les Ordres, et je ne puis cette semaine avoir le plaisir de te voir : il seroit inutile de te marquer toute la peine que j’en ressens ; tu dois assez me connoître pour en être convaincue ; mais notre voyage ne sera pas de longue durée ; c’est ce qui me console, et sous la huitaine je me dédommagerai. Car, Monsieur le Prieur nous a promis une récréation de trois jours ; tu dois t’imaginer vers qui je la passerai ; mais une difficulté se présente ; comme cette faveur doit s’étendre sur tous, nous devons la prendre de deux à deux, et Vernier qui est mon ami, m’a proposé de m’accompagner, je n’ai pu lui refuser : c’est celui que tu vis l’année derniere ; il est de la connaissance de Madame Rose ; c’est un bon enfant, et le seul de nos confreres qui sçache ce qui se passe à l’abbaye ; les autres n’en sçavent rien : le professeur n’ayant pas encore jugé à propos de les laisser venir : ainsi cela ne nous gênera point ; il pourra s’amuser de son côté, nous du nôtre. Jusqu’à cet heureux moment, conserve ta santé, je ménage la mienne pour te procurer tout le plaisir dont je serai capable.

Adieu, ma reine, je t’embrasse mille fois.
Ton fidele et sincere ami,
Dom Delabrisse.

Charmée de recevoir de ses nouvelles, mais fâchée de ce contre-temps, le jour que j’attendois, étant arrivé, je sentois qu’il me manquoit quelque chose. Pour me dissiper, j’allai trouver Susanne que je sçavois être seule ; cela lui fit plaisir, mais elle marqua sa surprise parce qu’elle me croyoit avec mon amant : je lui en dis la raison. Elle me pria de lui aider à dévider de la soie, et nous fîmes la conversation.

Angélique.

Que dites-vous, Madame, de ce jeune Cordelier ?

Susanne.

Il est charmant : nous avons passé près de deux heures ensemble, et il m’a enchanté.

Angélique.

Mais à son sujet, j’ai été fort en peine cette nuit.

Susanne.

Comment donc ?

Angélique.

J’ai vu en songe D. Delabrisse, il me paroissoit fort mécontent de moi, il me faisoit des reproches très vifs sur ce que je prodiguois ainsi mes caresses à d’autres : cela m’a fatigué, et est cause qu’intérieurement je me le suis reproché.

Susanne.

Ecoute-moi : D. Delabrisse te doit être plus cher qu’aucun autre ; c’est ainsi que je traite D. Rigot : mais il ne faut pas pousser l’affection au point de refuser les occasions favorables qui se présentent. La liberté est une belle chose, ma chere amie, et la diversité des mets ranime l’appétit. Quoique je jouis avec Rigot d’un certain plaisir que je ne goûte pas avec un autre, parce que je l’aime réellement ; tu dois l’éprouver avec le tien ou tu l’éprouveras dans la suite : je ne suis pas fâchée de changer de temps à autre : si cela ne me satisfait pas le cœur ma passion du moins en est flattée. D’ailleurs selon notre plan, nous ne pouvons pas faire autrement ; et je le trouve parfaitement bien établi pour détruire entre nous tout sujet de jalousie et de division, car si chacune, par exemple, promettoit au sien, une exacte fidélité, dès ce moment on se donneroit des entraves ; les démarches deviendroient suspectes de part et d’autre, on voudroit avoir son petit coin séparé, et s’il arrivoit que l’on se manquât l’une à l’autre ; ce qui seroit comme infaillible, vû le penchant à la nouveauté qui nous entraîne tous, l’envie s’en mêleroit ; celle-ci craindroit d’être supplantée par celle-là, on en viendroit à une rupture ouverte, et de façon à ne jamais se réconcilier ; parce que les femmes, sur cette matiere, sont intraitables, principalement celles qui sont forcées de convenir qu’elles peuvent être effacées.

Angélique.

Ce que vous dites est très sensé et tempere mes scrupules, mais D. Delabrisse sera toujours le plus chéri.

Susanne.

Et il te fâche bien qu’il ne soit pas venu aujourd’hui ?

Angélique.

Ne m’en parlez donc plus ! cela va me…

Susanne.

Bon, bon ! il faut toujours parler de ce que l’on aime, et lorsque nous aurons fini cet écheveau, nous nous en consolerons ensemble.

Nous nous attachâmes alternativement un V**. postiche, et nous faisions à tour de rôle la fonction de nos amans, ce qui nous fit jouir d’un plaisir, qui n’est pas aussi insipide que quelques-uns pourroient se l’imaginer.

Ma Bonne à qui je fis part de la lettre que j’avois reçue, ne trouva point à redire que D. Vernier vînt, elle en parut au contraire charmée : en cherchant dans sa commode, je trouvai une espece de petit sachet d’une largeur proportionnée, couvert d’une peau extrêmement fine telle que celle qui couvroit mon G***.

Angélique.

Qu’est ce que cela, ma Bonne ?

Félicité.

Quoi ? mon cœur !

Angélique.

Ceci. A quoi sert-il ?

Félicité.

C’est un étui dont les hommes se servent quelquefois, lorsqu’ils s’approchent des femmes qui craignent les petits.

Angélique.

Mais, nos amis ne s’en servent pas ?

Félicité.

Aussi te dis-je, que ce n’est que quelquefois, et sur-tout lorsqu’ils se sont contenus depuis un certain temps : craignant alors de n’être pas assez maîtres d’eux-mêmes, ils s’en couvrent le V**. et n’ont pas besoin d’épier le moment critique.

Angélique.

Vous l’a t-on fait aussi ?

Félicité.

Oui, mais je ne m’en soucie pas.

Angélique.

Je le mets dans ma poche pour satisfaire ma curiosité.

Félicité.

Il sert encore à une autre fin : tu sçais qu’il y a des filles qui vendent leurs charmes ; comme ces personnes s’abandonnent au premier venu, les plus prudens les connoissent ainsi.

Angélique.

Je comprends que par ce moyen les uns préviennent les maladies de trente-six semaines, et les autres se garantissent des rhumes ecclésiastiques.

Félicité.

Précisément.

Jusqu’à l’arrivée de D. Delabrisse, je fis comme je pus : étant un jour au parc sur les quatre heures, avec Rose et Susanne, il arriva avec son confrere et vinrent tous deux nous y trouver ; ils ne prirent pas même le temps de quitter leurs bottes. Après les premieres civilités. Susanne prétexta quelques affaires, et quoique nous voulussions la retenir, elle nous tira sa révérence. Rose s’empara de Vernier ; tu es bien rare mon petit blondin, lui dit elle, je croyois que tu nous boudois ? il faut venir nous voir avec ton ami ! Ils se firent quelques caresses auxquelles nous ne fîmes pas beaucoup d’attention D. Delabrisse et moi, étant assez occupés l’un de l’autre, et entrerent dans le pavillon ; je le lui fis remarquer, il me témoigna avoir aussi envie de s’y rendre et je lui donnai le bras : les deux autres étoient déjà dans un des cabinets de la salle, en entrant, nous les entendîmes se becqueter, et Rose disant à Vernier : je t’aime bien parce que nous sommes du même poil, regarde, il n’y à point de différence.

Nous ne nous amusâmes pas à confronter le nôtre, il étoit trop pressé ; l’aiguille étoit droite, et le Dieu d’amour nous faisoit sentir vivement ses feux : le voyant botté, je lui dis : je te sçais bon gré, tu me traites comme les anciens chevaliers traitoient leurs Dulcinées : à peine étoient-ils arrivés, que couverts de poussiere, épéronnés, et armés de toutes pieces, ils venoient rendre hommage à leurs divinités. Tu rends justice par cette plaisanterie à mon empressement ; mais je serois bien fâché de ressembler à ces faux braves, qui pour le plus souvent avoient leurs lances émoussées, et qu’un seul coup d’estoc réduisoit au… Mais c’est assez pour le présent, tu n’as que le temps qu’il te faut pour t’arranger, et te présenter chez Madame avant souper : il attendit son confrere, et Rose et moi les laissâmes aller.

Le soir, lorsqu’il fut avec moi, je voulus avec l’étui dont j’ai parlé, satisfaire ma curiosité ; mais les frottemens ne m’en parurent pas si agréables, je ne m’en servis qu’une fois : je passai une bonne nuit. Son confrere vint nous faire lever ; ma parente reçut compagnie ce jour-là, et nous abandonna l’appartement : je n’omis rien pour lui faire passer agréablement ses trois jours de récréation : il s’en retourna très satisfait de même que D. Vernier.

Il revint comme il me l’avoit promis, le mercredi au soir de la semaine suivante, et je me trouvois malheureusement dans une circonstance critique : me voyant avec un grand bonnet, il me demanda avec émotion si j’étois incommodée ? Je lui dis que ce que j’avois se rencontroit fort mal avec son empressement et le mien. Il comprit ce que c’étoit, et fut très-fâché de ce contre-temps. Arrivé dans ma chambre il redoubla ses regrets, et malgré mon indisposition, il avoit une demangeaison extrême de faire le cas. Non, repris-je, je ne le souffrirai pas dans l’état où je suis, soyons un peu raisonnables ! — Cependant Angélique ! — Cela te tourmente, mon cher ami ? — Beaucoup. — Il y a cependant du remede à ton mal ; mets-toi sur le lit, tu sçais que je ne suis pas manchotte. Qu’il est dur ! Hé bien oui, tette, mon petit, c’est bon comme cela. — Oui, tu fais bien, donne. Mais si je te la donne, avec quoi te dirai-je que je t’aime ? ah polisson ! — Ma chere amie, ne t’arrête donc pas ! en-co-re, dou-ce-ment, em-bras-se-moi… Peste soit de ta crème ! il en est sauté jusque sur mes manchettes : remets-toi, ma parente va venir, nous souperons, et propose-lui de partager son lit, elle en vaut la peine ; car que feras-tu toujours ainsi auprès de moi ? j’ai lu dans un livre, que les hommes se fatiguoient plus de la sorte, qu’en connoissant formellement les femmes.

Dans le temps qu’il me remercioit, m’assurant que je l’avois beaucoup amusé, ma Bonne entra : il l’embrassa ; je lui dis à l’oreille mon indisposition, qu’il avoit envie de coucher avec elle ; mais qu’il n’osoit pas le lui proposer. Volontiers, mon ami, reprit-elle ! avois-tu peur que je ne te refusasse ? il faudroit que je fusse bien difficile pour ne pas l’accepter, et pendant le souper elle en eut un soin particulier.

Je les laissai ensemble ; ils folâtroient assis l’un sur l’autre, ensuite ils se mirent au lit : je leur souhaitai beaucoup de plaisir, et comme j’étois fatiguée, j’allai aussi me coucher. Le lendemain je leur préparai à déjeûner, et sur les deux heures après midi, n’étant que nous, je lui demandai quel âge il avoit ; lorsque pour la premiere fois, il avoit connu notre sexe ?

D. Delabrisse.

J’avois dix-sept ans : j’étois déja religieux lorsque je donnai mon pucelage à une jeune personne de quatorze ans, qui me fit aussi présent du sien ; et voici comme la chose arriva.

Cette jeune personne est ma cousine, orpheline dès le bas âge : ma mere la prit chez elle, et l’éleva avec nous. Je la quittai qu’elle avoit douze ans, pour m’enrôler dans l’ordre des Moines blancs. J’y appris avec mes jeunes confreres, bien des choses que j’ignorois ; en un mot, j’avois une fort bonne théorie, et toute fille qui me seroit tombée sous la main je n’aurois pas eu besoin qu’on me dirigeât pour lui faire ce que le Frere Luce fit à la Sœur Agnès. Après ma profession, on me permit d’aller faire un tour dans ma famille ; mon frere faisoit son droit, et ma sœur étoit mariée ; je n’y trouvai que les auteurs de mes jours et ma cousine : je la méconnus presque, tant elle étoit changée ; mais changement qui étoit fort à son avantage ; j’entrevis sous son mouchoir deux signes certains qu’elle n’étoit plus enfant, et dès ce moment, je conçus le dessein de la suivre de près. Ma mere m’en fournit l’occasion la plus convenable, en me faisant coucher dans une petite chambre, qui communiquoit dans la sienne ; je n’osai cependant pas l’aller trouver la premiere nuit ; je voulus la tâtonner auparavant : nous nous étions embrassés de bonne amitié en arrivant, mais cela ne suffisoit pas ; je voulois sçavoir comment elle recevroit les petites agaceries que je me proposois de lui faire.

Je m’éveillai avant elle, il étoit grand jour ; j’ouvris doucement la porte, et la vis qui dormoit ; le buste étoit entiérement découvert. Je m’approchai pour voir de plus près ce qui en faisoit l’ornement, et si elle ne se fût pas remuée, ce qui me fit retirer, je n’aurois pas manqué d’examiner le reste. Je me remis donc dans le lit : tu peux t’imaginer quelle vive impression cela fit sur mon cœur, et quelle fut l’agitation de mes sens ! Je pourvus moi-même au besoin pressant qui me sollicitoit ; et cette petite fontaine que j’entendis couler, m’y porta encore avec plus d’ardeur. Nous fûmes un moment seuls avant le dîner ; je lui fis mon compliment sur ce qu’elle avoit grandi : elle m’en fit autant ; mais je n’ai pas comme vous lui répondis-je, quelque chose de si joli sur la poitrine, en y portant la main… Vous êtes singulier, mon cousin, si vous étiez fille, vous en auriez aussi… Je voudrois l’être à ce prix, car je ne trouve rien de plus beau que cela… Finissez, si ma tante venoit, elle nous gronderoit, sur-tout vous, qui êtes réligieux ; vous sçavez bien qu’il ne vous est pas permis… Dans quelqu’état que nous soyions, ma petite cousine, il nous est permis d’admirer les beautés du Créateur ; le soleil luit pour tout le monde… Oh ! mon Dieu, si ma tante vous entendoit ! elle qui m’a dit plusieurs fois, qu’elle remercioit le Seigneur de ce qu’elle avoit un saint dans sa famille. Nous en étions là, lorsque la servante entra ; nous changeâmes de conversation ; mais ce qui me fit naître quelque espérance, c’est qu’elle sourit deux ou trois fois. Les filles sont formées de bonne heure, tu le sçais Angélique, et elles en sçavent, ma foi, sur cet article, plus que nous.

Angélique.

Les hommes ont cette opinion de nous, et c’est toujours eux qui commencent. Tu trouvas sans doute le moyen de lui parler en particulier ?

D. Delabrisse.

Oui, nous allâmes sur les quatre heures, nous promener au jardin ; je cueillis un bouquet, je le lui plaçai, en détournant son tour de gorge : elle me donna un petit coup sur la main, nous nous rendîmes sous la treille. Je l’embrassai ; restez donc tranquille, me dit-elle ! je ne croyois pas que les religieux dûssent badiner avec les Demoiselles, et je vois qu’ils sont comme les autres… Sans doute ils sont hommes comme les autres, et il suffit de l’être, pour être sensible, lorsqu’on est auprès d’une jolie personne comme vous… Ne me faites donc pas tant de complimens, mon cousin, vous sçavez qu’autrefois nous y allions plus uniment ; je me ressouviendrai toute ma vie, que votre frere, votre sœur et vous, avez eu pour moi autant d’amitié que si j’eusse été enfant de la maison, et n’ai pas été dans le cas de regretter celle de mon pere. A présent, j’y trouve bien à redire ; non pas que ma tante n’ait pour moi plus de bontés que je ne mérite ; mais je suis souvent seule, et j’ai eu surtout beaucoup de chagrin lorsque vous êtes parti… Nous n’avons fait, ma cousine, que ce que nous devions, vous le méritez à tous égards ; la préférence que vous me donnez, me pénetre de la plus vive reconnoissance ; je resterai un mois ici et vous tiendrai compagnie… Belle avance ! après je ne vous reverrai plus. Je l’embrassai pour lors avec plus d’ardeur que les autres fois : elle rougit ; je lui baisai ses deux pommes d’amour, mais je n’osai aller plus loin, et elle voulut se retirer.

Angélique.

Cela prenoit une fort bonne tournure, continue !

Le soir, après qu’elle se fût retirée, je restai quelque temps avec ma mere, et me rendis dans ma chambre ; elle étoit déjà au lit ; je me deshabillai, et entrai doucement dans la sienne. Comme elle demanda qui c’étoit, je m’approchai, en lui disant : c’est moi, ma petite cousine, je viens causer un peu avec vous, je ne puis dormir, ne faites pas de bruit. Oh ! retirez-vous ; si j’avois prévu cela, je me serois enfermée en dedans. Je m’assis un moment sur le fauteuil où étoient ses hardes ; et en lui débitant toutes les douceurs que je pus, je me glissai à ses côtés malgré tous les refus qu’elle paroissoit m’opposer ; ce qui me rassura, c’est qu’elle ne disoit mot : j’eus bientôt trouvé ce qu’il me falloit, et en me disant : je ne sçais ce que vous voulez, vous m’échauffez furieusement ; par hasard ou autrement, elle porta aussi la main quelque part ; j’appuyai dessus : je m’apperçus qu’elle étoit aussi bien aise de satisfaire sa curiosité, et je me mis en devoir de la baiser tout net : elle étoit déja sous moi, mes genoux avoient séparé les siens, mais j’éprouvai ensuite de la résistance. Oh ! je vois à présent quel est votre dessein, reprit-elle, je ne veux pas, je ne veux pas. Mais elle eut beau dire, je ne veux pas, les forces lui manquerent, et les miennes redoublerent : heureusement, j’atteignis juste au but ; et malgré qu’elle me dit qu’elle alloit crier, que je lui faisois trop mal, je poussois toujours : le creuset s’humecta, elle en soupira, et un mouvement qu’elle fit joint à ceux que je me donnois, me firent avancer : content comme un roi, je redoublois ; elle se plaignit un peu, elle l’endura ; et lorsque l’aspersion se fit, elle donna quelques signes démonstratifs que cela ne lui étoit pas désagréable.

Angélique.

Tu répandis tout à travers les choux ?

D. Delabrisse.

Oui, quoique je n’ignorasse pas les précautions qu’il falloit prendre, c’étoit mon coup d’essai, je ne me possédai pas assez, et le plaisir m’emporta ; je fis mieux dans la suite, et heureusement il n’en arriva rien.

Angélique.

Voyons ce qu’elle te dit après ?

D. Delabrisse.

Elle resta un moment sans vouloir me parler, et me repoussa lorsque je voulus m’approcher : je ne me rebutai pas, je retouchai l’endroit qui venoit de me rendre heureux et sur lequel j’apperçus bien du dérangement. Retirez vous, me dit elle, je ne vous aime plus… Calmez vous, ma petite cousine, je n’ai fait cela que pour vous procurer du plaisir… Drôle de plaisir ! je ne sçais pas trop ce que j’ai ressenti sur la fin, mais au commencement, j’ai souffert cruellement : vous voilà bien avancé à présent, et suis, je crois, dans un joli état… Où voulez-vous aller ?… Je vais chercher de la lumiere, car cela m’inquiète. J’irai moi-même, mais ne me fermez pas la porte ! embrassez-moi !

Angélique.

Il étoit bien temps de fermer la ruche, lorsque le frélon y étoit entré !

D. Delabrisse.

Je trouvai encore du feu à la cuisine, j’allumai ma chandelle, et je revins promptement sur mes pas : ce fut pour lors que je vis l’effet de mon ouvrage ; le sang qu’elle apperçut, la chagrina ; mais sçachant qu’en déflorant les filles elles en rendoient, je la rassurai et réparai, autant que je pus, le tort que j’y avois fait : sa petite motte déjà garnie, de même que le labyrinthe son voisin, m’amuserent un instant : je lui dis ; voyez qu’il n’y paroît plus ; et en touchant et regardant tout ce que je portois, elle me répondit que j’étois un méchant de l’avoir ainsi mise, avec un pareil instrument : nous étions debout ; je fis encore la revue ; elle étoit assez blanche, et avoit suffisamment de gorge pour son âge ; ses fesses étoient médiocrement grasses. Un quart-d’heure se passa ainsi, et nous nous recouchâmes.

Je voulois recommencer : mais écoutez mon cousin, reprit-elle, ce que vous m’avez fait, m’intrigue singulierement ; car quoique je sois jeune, je n’en ignore pas les suites, et si cela arrive, dans quel abyme de malheurs m’avez-vous plongée ? Ne croyez pas, ma chere amie, répondis-je, que pour une seule fois il puisse en arriver quelque chose ; et d’ailleurs je sçaurai bien prendre les moyens pour empêcher cet effet… Vous ne serez pas assez adroit, vous me feriez encore mal… Ne craignez rien, et je vous annonce par avance que cela vous amusera beaucoup.

Elle fut douce comme un agneau ; j’en fis tout ce que je voulus : elle forma encore quelques legeres difficultés, qui furent bientôt levées. A la fin la petite rusée y prit goût, et après cette seconde pirouëtte, elle ne mit plus de bornes à ses caresses ; et je ne la quittai qu’après lui en avoir fait faire une troisième.

Angélique.

Tu fus prudent, au moins !

D. Delabrisse.

Je fis tout ce qu’il falloit faire. Le lendemain lorsque nous étions nous seuls, nous nous embrassions avec ardeur, et tout le temps que je demeurai chez ma mere je la servis au mieux. Mon départ la chagrina beaucoup ; je lui promis de revenir le plutôt que je pourrois : pendant un an et demi que je restai à l’abbaye, je fus trois fois dans ma famille, et j’en sortis toujours heureux ; depuis que je suis dans mon cour d’étude, je ne l’ai vu qu’une fois, et c’est l’année derniere. Elle est avantageusement mariée à douze lieues d’ici : son mari étoit absent, et je couchois toujours avec elle. Voilà donc l’époque du plaisir que j’ai commencé à goûter avec les femmes ; mais depuis ta connoissance, aucune n’a sçu m’en procurer autant que toi, parce que tu es et seras toujours ma bonne, digne, et tendre amie ; n’est-ce pas ? dis donc, Angélique ?

Angélique.

Oui, et je t’en offre autant, mon bon ami : il se fait tard ; je voudrois bien que tu puisse rester, mais il faut se conformer aux circonstances, et je vais te conduire. Adieu jusqu’à la semaine prochaine ; tu trouveras le tout en regle.

Ma mere vint me voir avec ma sœur, je leur déclarai de vive voix ma derniere résolution : les arrangemens se prirent tant pour ma pension que pour ma dot : il fut décidé que dans deux mois on viendroit me chercher pour faire mon trousseau, que l’on me rameneroit, et que je prendrois le voile.

Je fis part de toutes ces nouvelles à mon bon ami : il se consola de mon absence par l’espoir d’un prochain retour. Je passe sous silence toutes mes intrigues et celles de ces Dames jusqu’à mon départ : j’en ai assez dit pour cette premiere partie ; le lecteur curieux doit en être satisfait.

Ma Bonne m’instruisit comment je devois me comporter dans ma famille : écoute-moi, Angélique, me dit-elle.

Félicité.

Tu trouveras du changement chez ton pere : on y vivoit fort médiocrement, comme tu sçais, encore avoit-on de la peine à joindre les deux bouts ensemble. Depuis deux ans tout est changé par la connoissance de M. l’évêque de ***. Ta sœur que tu trouves réellement jolie, lui a donné dans la visiere, et est la cause de ce changement : aussi le porte-t-elle sur un ton, qui répond à la magnificence de son amant. L’an passé elle fit un enfant de lui ; je le sçais de très-bonne part : ainsi de quoi que tu puisse t’appercevoir, n’en fais pas semblant ; mais tâche de les voir ensemble, et tu me le manderas : si quelques demoiselles du voisinage viennent te voir, sois de la derniere réserve avec elles : notre sexe est curieux : elles pourront te faire des questions, aucune confidence, je t’en prie.

Je t’avertis encore, que le prélat a un neveu qui est grand ami de ton frere ; ils sont très souvent ensemble, il lui prendra peut-être envie de t’en conter, peut-être aussi, mettra-t-il ton frere dans ses intérêts : les hommes sont si adroits que l’on ne sçauroit trop prendre de précautions pour éviter les pieges qu’ils nous tendent continuellement : ainsi tiens-toi sur tes gardes, à moins que tu ne veuilles me quitter et ton cher ami D. Delabrisse.

Angélique.

Est il possible, ma Bonne, que vous ayez de pareilles idées de moi ! de penser que je veuille vous quitter, et oublier D. Delabrisse ! ma conduite me justifiera.

Félicité.

Je n’ai pas prétendu te chagriner jusqu’à ce point là : Calme-toi, je ne t’en parlerai plus, et je demeure convaincue que tout ce que tu me témoignes, part d’un cœur qui est incapable de se démentir.

Le jour de mon départ étant arrêté, j’écrivis la veille à mon bon ami de venir. Nous passâmes une partie de la journée ensemble ; mais enfin, lorsque le moment de nous séparer, approcha, je me contins tant que je pus, pour concentrer ma douleur ; quant à lui, il répandit un torrent de larmes comme un enfant, craignant que l’on ne me dégoûtât de l’état que je me proposois d’embrasser. Je lui dis là dessus tout ce qu’on peut dire de plus positif et de plus consolant : il se calma, et je l’embrassai du meilleur de mon cœur : je me séparai de lui avec beaucoup de peine. J’allai ensuite faire mes adieux à Madame l’Abbesse et à toutes ces Dames.

Le lendemain, elles m’accompagnerent jusqu’à la voiture. Je m’attendris sur-tout, lorsque je donnai le dernier baiser à ma Bonne ; et je ne me consolai que dans l’espérance que j’avois de revenir, pour ne m’en séparer jamais.

Fin de la premiere Partie.

LE MONIALISME,
HISTOIRE
GALANTE

INTRODUCTION
à la seconde Partie.

Les Lettres qui sont au commencement de cette seconde partie, plairont, à ce que j’espere.

L’auteur, qui s’est attaché au stile simple et naturel, comme on a dû le remarquer dans la premiere partie, se soutient également dans la seconde. Quoique peu réussissent dans le genre épistolaire, il se flatte cependant que les lettres dont il est ici question seront favorablement reçues. Les matieres gaies qui y sont traitées ne réjouiront pas moins, que l’histoire d’une demoiselle qui raconte ses aventures à sa compagne. On y verra avec quelques anecdotes particulieres, les commencemens, les progrès et les impressions que l’amour peut faire sur un cœur tendre, ses suites, et combien il est malheureux de perdre l’objet qu’on aime. On y verra ensuite le parti que prit cette aimable fille, avec son amie, pour n’être pas obligée de partager avec d’autres la tendresse qu’elle avoit conçue pour son nouvel amant.

Deux jours après son arrivée chez ses parens, Angélique brûlant d’envie de recevoir des nouvelles de son amant et de sa Bonne, mit la main à la plume pour écrire à cette derniere, tant pour lui faire sçavoir la réception qu’on lui a faite chez ses parens, que pour tenir sa promesse et l’informer de toutes les circonstances des amours de sa sœur avec Mr. l’évêque de *** ; ce qui entretient un commerce de lettres qui dure jusqu’à son départ pour l’Abbaye.


LETTRE

D’ANGÉLIQUE A FÉLICITÉ.

Ma Bonne,

J’arrivai jeudi chez mes parens ; on ne peut pas être mieux fêtée que je le fus : un coup d’œil m’a fait appercevoir bien du changement. Toute la maison se ressent des libéralités de Mr. l’évêque de *** : je ne l’ai pas encore vu ; mais j’espere que je ne tarderai pas d’avoir cette satisfaction, à ce que je puis conjecturer par quelques propos que j’ai entendus. Ma sœur me témoigne beaucoup d’amitié ; nous avons passé un après dîner à travailler ensemble : elle m’a répété plusieurs fois que le parti du couvent étoit le meilleur que je pusse embrasser, et qu’elle ne désespéroit pas un jour de suivre mon exemple. Etant prévenue que c’est elle qui est l’auteur du brillant qui m’entoure, jugez si j’ai eu envie de lui rire au nez lorsqu’elle m’a tenu ce discours ; il m’a fallu faire mille efforts pour me retenir. J’ai affecté la plus grande simplicité, et j’espere que ce rôle, que je veux jouer jusqu’à mon départ, ne contribuera pas peu à me faire découvrir toutes ses intrigues avec son amant. Je languis déja d’avoir le plaisir de vous revoir, de même que mon cher dom Delabrisse, à qui je vous prie de dire bien des choses de ma part, de même qu’à toutes ces dames, et principalement à nos amies.

J’ai l’honneur d’être,
Ma Bonne,
Votre très-affectionnée cousine
Angélique.

RÉPONSE

DE FÉLICITÉ A ANGÉLIQUE.

Tu m’écris que tu commences à t’ennuyer d’être éloignée de moi ; je t’assure que tu n’as pas à faire à une ingrate. L’habitude que nous avions de vivre ensemble, fait que lorsque j’entre dans ma chambre, ou quand je suis au lit, je t’appelle, ne pouvant m’imaginer que tu sois si loin de moi ; aussi je n’y fais pas long séjour depuis ton départ ; elle me paroît on ne peut pas plus triste ; mais ce qui me console, c’est que je vis dans l’espérance que tu viendras bientôt lui rendre sa premiere gaieté. Je suis charmée que tu ayes été bien accueillie ; l’abondance que tu vois chez ton pere te confirme tout ce que je t’ai dit : continue donc de te comporter avec ta sœur comme tu me l’as marqué, et si tu découvres quelque chose, ne manque pas de m’en rendre un compte exact. Toutes tes amies t’embrassent mille fois, et Susanne en particulier. Mais quant à moi tu me connois assez pour croire combien je serois charmée de te témoigner de vive voix que je suis et serai toujours ta Bonne amie

Félicité.

LETTRE

D’ANGÉLIQUE A FÉLICITÉ.

Ma Bonne,

J’ai pleuré de joie en lisant votre lettre. Comment pourrai-je reconnoître tant de bontés ! et puisque je serai toujours en arriere avec vous, au moins ferai-je mon possible pour en mériter la continuation.

J’ai eu l’honneur de voir Mr. l’évêque de ***, et de dîner avec lui. C’est un très-joli homme ; il m’a comblée de politesse, et m’a même offert ses services ; je ne doute pas qu’il n’ait contribué à l’augmentation de ma pension. Il a pour laquais un beau garçon fort jeune, qui, à ce que je pense, s’accommode de la fille de chambre de ma sœur, qui n’est pas indifférente. Mr. de *** a été devant moi de la derniere réserve avec son amante ; mais malgré toutes leurs précautions, je me suis apperçu plusieurs fois que leurs yeux en se rencontrant se sont parlé le langage de l’amour ; et je crois que la nuit suivante ils se sont dédommagés de la gêne qu’ils avoient été obligés de garder à table, car ils ont couché ensemble. C’est tout ce que je puis vous apprendre pour cette fois, mais j’ai imaginé un expédient qui me mettra sûrement à même de les voir, et ma premiere lettre vous en dira davantage. Je suis un peu surprise de ne point recevoir de lettres de dom Delabrisse ; mais persuadée de son affection pour moi, je ne peux l’attribuer qu’à quelque indisposition. Si vous en sçavez quelque chose ne me le cachez pas, s’il vous plaît. Je n’ai pas encore vu le neveu du prélat ; mais s’il lui prend envie de me conter fleurette, fût-il aussi beau qu’Adonis, je suis bien résolue de ne pas l’écouter. Conservez-vous, pour que je puisse à mon retour vous témoigner que je suis avec affection,

Ma Bonne,
Votre très humble servante
Angélique.

RÉPONSE

DE FÉLICITÉ A ANGÉLIQUE.

Tu vois que je ne t’ai pas menti pour ce qui concerne ta sœur ; tiens-moi ta parole de m’envoyer au plutôt un détail circonstancié de tout ce que tu auras vu, afin qu’en lisant tes lettres je puisse du moins me dédommager de l’ennui que me cause ton absence. Tu dois recevoir une lettre de dom Delabrisse en même-temps que la mienne : tu aurois reçu plutôt de ses nouvelles, si dom de la Mothe trop occupé de ses plaisirs, n’avoit pas oublié de me remettre une lettre dont ton amant l’avoit chargé. Dom Delabrisse est venu me remettre lui-même celle que tu vois, et m’a recommandé de t’assurer de la vérité, craignant que tu ne le soupçonnasses de négligence, il étoit tout consterné. Je l’ai rassuré le mieux que j’ai pu ; nous nous sommes beaucoup entretenus de toi, et j’ai tenu ta place. Adieu ma chere, adieu, ma petite ; souviens-toi que je suis toujours ta Bonne cousine,

Félicité.

LETTRE

DE DOM DELABRISSE A ANGÉLIQUE.

Ne pouvant aller à l’Abbaye le jour que je t’écrivis, ma chere amie, je chargeai dom de la Mothe de remettre ma lettre à madame Félicité ; elle t’a mandé son oubli, et tu me rends assez de justice pour croire qu’il n’y a pas de ma faute si tu n’as pas reçu plutôt de mes nouvelles. Reçois donc dans celle-ci des nouvelles preuves d’un attachement inviolable. Ma plume est trop foible pour te peindre le tourment que j’endure depuis ton absence ; il n’y a que ma bouche qui puisse te l’exprimer à ton retour. J’ai beau me représenter que tu dois revenir, que tu m’aimes toujours et qu’un jour je rentrerai dans mes droits, tout cela, mon cœur, quoique très-satisfaisant, ne m’empêche pas d’être privé pour le présent de ma belle Angélique. Demeure le moins que tu pourras, je t’en prie, ma chere amie. Ta Bonne m’a comblé d’amitié ; j’y ai été sensible et ai tâché d’y répondre le mieux que j’ai pu ; cependant l’Abbaye m’a paru peu agréable, puisque je n’ai pas eu le bonheur de t’y voir. Ménage ta santé, mon ange ; je ne veux conserver la mienne que pour la sacrifier à celle que j’adore, et de qui je veux être toute ma vie le fidele et sincere ami,

D. Delabrisse.

LETTRE

D’ANGÉLIQUE A FÉLICITÉ.

Ma Bonne,

Mes craintes sont enfin dissipées par la lettre que j’ai reçue de dom Delabrisse ; ce pauvre garçon cherche à s’excuser, quoiqu’il soit innocent ; je n’ai fait que consulter mon cœur pour lui répondre conformément à sa tendresse. Je suis charmée qu’il vous ait amusé ; lorsque vous le reverrez, dites-lui combien je languis d’être auprès de lui.

J’ai enfin vu nos amants dans leurs ébats amoureux ; je vais vous raconter comment je m’y suis prise. Après avoir bien examiné le grenier qui est sur la chambre de ma sœur, j’ai employé une partie des deux jours qu’elle s’est absentée à me procurer avec un instrument une ouverture au plancher, suffisante pour pouvoir découvrir tous les coins de son appartement. J’ai eu soin aussi, pour qu’il n’y paroisse rien, de fermer ma petite lucarne avec un morceau de liege, et j’ai peu tardé à m’en servir.

Le jour que ma sœur fut de retour Mr. l’évêque arriva sur les quatre heures du soir : après le souper je fis ma révérence à la compagnie et fus me coucher. Le lendemain dès les cinq heures je montai au grenier, je laissai mes souliers à la porte que je fermai doucement, je fus à mon trou, j’ôtai le tampon avec lequel je l’avois bouché, et je m’étendis de tout mon long, pour voir mieux à mon aise ce qui se passeroit dans cette chambre, que je croyois devoir être le temple où ma sœur sacrifioit à Vénus. Il étoit grand jour ; les volets des fenêtres et les rideaux du lit étoient ouverts ; nos amants, à moitié couverts, dormoient de fort bonne grace ; je languissois de voir le dénouement d’une piece que je croyois devoir être fort intéressante, après avoir attendu une heure je les vis remuer, et enfin ils se réveillerent.

Le début fut une embrassade réciproque, après laquelle ma sœur se saisit du nerf érecteur de Sa Grandeur, qu’elle eût bientôt mis dans l’état qu’elle desiroit : elle prit ensuite un oreiller qu’elle se mit sous les reins ; cela fait, nos amants entamerent la grosse besogne. Le prélat ayant pris sa crosse, l’introduisit si avant dans la moniche de ma sœur, qu’elle en jetta un profond soupir ; mais sentant tout à-coup la vertu prolifique du saint crême, elle se trémoussa si fort, qu’on auroit dit qu’un bataillon de fourmis assiégeoit son derriere. Ah ! ma Bonne, qu’ils savent leur métier ? Pendant l’opération, ce digne prince de l’église avoit la bouche collée sur celle de son amante ; elle avoit les jambes croisées sur ses cuisses et les bras sur le dos pastoral : enfin, après beaucoup d’agitations de part et d’autre ils acheverent l’ouvrage, et je vis la crosse de monseigneur furieusement diminuée. Ils s’entretinrent deux ou trois minutes sans que je pusse distinguer ce qu’ils se dirent ; ensuite ma sœur appella sa femme de chambre, qui étoit couchée dans un cabinet voisin, avec le jeune homme dont j’ai parlé dans la précédente. Je jugeai par sa réponse, qu’ils en étoient aussi au dénouement de quelque pièce galante : ils ne se firent pourtant pas attendre, et vinrent nuds comme la main se présenter au pied du lit de leurs maîtres pour recevoir leurs ordres. Ces deux enfans de l’amour, (car ils le sont effectivement,) après leur avoir administré quelques restaurans, se caresserent, et lorsque le jeune ganimede fut dans l’état que sa maîtresse le desiroit, il monta sur un tabouret ; la fillette, appuyée contre le mur, au-devant de lui, s’élança et se saisit d’une corde qui étoit attachée au-dessus d’elle, et qui formoit un arc ; elle lui mit les jambes sur les épaules, et fut ainsi exploitée en présence des deux autres.

Cette perspective, ainsi que quelques minauderies que l’on sçut mettre en usage fort à propos, firent un si grand effet sur le bâton de monseigneur, qu’il monta derechef sur ma sœur : Suzette revint près du lit, et pour rendre plus vif le plaisir de l’évêque, pendant qu’il faisoit à sa maîtresse ce qu’elle venoit d’éprouver, prit les deux témoins de la sagesse de Sa Grandeur, et s’amusa à les secouer ; ce qui ne contribua pas peu aux ahi !… ahi !… qu’il rendit en achevant son ouvrage. La Fleur debout, une serviette sur le bras et une éponge à la main, fit le Lavabo. Je présumai que c’étoit la fin de la comédie, et comme ma posture étoit gênante, je me retirai aussi doucement que j’étois venue.

Voilà ma Bonne, ce que j’ai vu ; si par la suite je découvre encore quelque chose, je vous le ferai sçavoir incontinent. J’ai eu plusieurs visites de trois demoiselles du voisinage : elles sont d’une curiosité sans pareille, et dans les questions qu’elles me font, elles s’échappent assez souvent sur la bagatelle : je tiens mon sérieux, et fais semblant de n’y rien comprendre. Le neveu du prélat est venu aussi ; j’ai eu fort peu de conversation avec lui, mais j’ai apperçu, par la façon dont il m’a fixée, que je ferois fort bien son affaire : il a bien tort, car dès la premiere entrevue j’ai conçu pour lui une aversion singuliere. Il a la figure plate, les manieres gauches : il est officier dans un régiment de cavalerie ; mais un sarrau et une pioche lui conviendroient mieux qu’un habit uniforme et une épée. Vous voyez par ce portrait, ma Bonne, que je n’aurai pas besoin de me faire violence pour l’envoyer ailleurs conter ses sornettes, si toutefois il lui en prenoit envie. Remettez au plutôt, s’il vous plaît la lettre ci-incluse à dom Delabrisse, afin de tirer ce cher amant de la peine où je m’imagine qu’il doit être. Mandez-moi plus souvent de vos nouvelles, et soyez assurée que je suis toujours avec sincérité,

Ma Bonne,
Votre très-affectionnée cousine
Angélique.

LETTRE

D’ANGÉLIQUE A DOM DELABRISSE.

Il ne falloit rien moins que ta lettre, cher ami, pour me tirer d’inquiétude ; je craignois qu’il ne te fût arrivé quelque malheur ; car je ne t’ai jamais soupçonné d’indifférence ; je suis maintenant informée du sujet pour lequel j’ai resté si longtems à recevoir de tes cheres nouvelles, et j’attends à mon retour à l’Abbaye pour en faire de vifs reproches à dom de la Mothe qui en est l’auteur. Je n’éprouve pas moins que toi qu’il est dur d’être éloigné de ce qu’on aime, et il n’y a que la douce espérance de nous voir bientôt réunis pour toujours, qui puisse me faire supporter ton éloignement. Il n’est point de moment où je ne repasse dans mon esprit les plaisirs que j’ai goûtés dans tes bras. Heureux jour où je dois revoir l’objet de mes vœux ! quand reviendras tu ? Que de délices je me promets !… Que de pertes libidineuses après une si longue absence ! Oui, mon cher, sans ces agréables réflexions, je crois que j’abandonnerois tout pour voler près de toi : mais sois persuadé que je hâterai de tout mon pouvoir ce retour chéri.

Les amitiés que tu témoignes à ma parente ne peuvent que me plaire, vu que je la regarde comme une seconde moi-même. Conserve toi pour celle qui veut être toute sa vie ta bonne amie,

Angélique.

RÉPONSE

DE FÉLICITÉ A ANGÉLIQUE.

Tu ne sçaurois imaginer le plaisir que j’ai pris à lire ta lettre ; le portrait que tu me fais des amours de Mr. l’évêque de ***, est on ne peut pas plus amusant : tu vois par la maniere dont ce prélat cherche à aiguiser ses plaisirs, que les commandemens de l’église ne sont guere exécutés, et que ceux qu’elle commet pour nous défendre l’œuvre de la chair sont les premiers à l’aiguillonner par ce qu’il y a de plus piquant : aussi, à leur exemple, tout le monde s’en mêle, et il n’y a positivement que ceux à qui les occasions manquent qui s’en passent ; et si effectivement nous étions damnés pour prendre des plaisirs si nécessaires à l’humanité, il faudroit absolument ajouter foi à l’Alcoran, qui, bien opposé à la Bible, promet des plaisirs éternels aux fideles qui se rendront utiles à la génération.

Tu fais bien de dissimuler avec les demoiselles dont tu as fait connoissance ; tiens-toi toujours sur tes gardes, et quelques questions que l’on te fasse, fais bien attention de ne rien laisser échapper qui puisse faire soupçonner les secrets de l’Abbaye.

L’idée que tu me donnes du neveu du prélat n’est pas fort avantageuse : au cas qu’il veuille te faire sa cour, j’espere que tu te ressouviendras que dom Delabrisse t’aime toujours, et qu’il compte sur ta fidélité.

Adieu, ma petite amie, je t’embrasse mille fois, et suis toujours ta bonne cousine

Félicité.

LETTRE

D’ANGÉLIQUE A FÉLICITÉ.

Ma Bonne,

Notre aimable militaire en tient pour le coup. Si vous aviez été présente lorsqu’il me déclara que je troublois son repos, vous n’auriez pu vous empêcher de rire ; imaginez-vous s’il a fallu me contraindre pour ne pas éclater au nez d’un homme qui me faisoit une déclaration aussi sotte que sa figure étoit plate !… Il a mis mon frere dans ses intérêts, et il ne cesse de m’obséder pour que je consente à écouter ce maroufle. Je tâche cependant à force de raisons de faire désister mon frere de son projet, et je ne peux pas absolument le déterminer à me laisser tranquille. Il me prêche sans cesse pour son ami ; j’ai beau lui dire que ce n’est qu’un sot, et que quand il posséderoit les plus éminentes qualités, il ne changeroit en rien la résolution que j’ai prise de finir mes jours dans le cloître ; tout est inutile, et s’il continue à me poursuivre, je serai obligée de lui faire quelque mauvais compliment, ainsi qu’à son mâgot d’ami. Ah, ma Bonne ! ils sont bien éloignés de sçavoir ce qui cause mon goût pour la solitude ; et que n’en résulteroit-il pas s’ils venoient à le soupçonner ! mais ils seront bien fins s’ils réussissent à me faire avouer ma façon de penser sur cet article.

Des trois demoiselles qui me rendent visite, il y en a une qui paroît rechercher mon amitié avec plus d’empressement que les autres. Elle est venue me voir deux fois en particulier ; je ne sçais si c’est par commisération, craignant que je ne sois malheureuse, ou si c’est réellement par affection qu’elle cherche à me dégoûter du choix que j’ai fait de l’état monastique. Quoiqu’il en soit, je m’en défie, et, ni elle, ni ses compagnes ne viendront à bout de savoir mon secret. Si c’est par obéissance à vos parens que vous êtes résolue de quitter le monde, me dit-elle, il viendra un jour que vous vous repentirez d’avoir exécuté si aveuglément les volontés de ceux qui ne manqueront pas aussi à leur tour d’être fâché de vous avoir obligée à suivre des ordres aussi rigoureux. Si c’est par inclination, vous êtes d’autant plus à plaindre, qu’ignorant les besoins les plus nécessaires à l’humanité, et que votre extrême jeunesse vous empêche sans doute de sentir, vous vous abandonnez à un goût qui ne durera que jusqu’à ce que ces mêmes besoins s’étant présentés à votre esprit, vous vous appercevrez, mais trop tard, que ce n’est pas dans une maison religieuse qu’on peut les satisfaire… Elle alloit continuer, mais je la priai poliment de finir une conversation où je ne comprenois rien, l’assurant que je ne connoissois en cette vie d’autres besoins que de manger, de boire et de dormir ; que la seule envie de gagner le Ciel me faisoit prendre le voile : enfin je lui contois cela si naïvement, que la pauvre fille donna dans le panneau, et l’air de fermeté que je mis dans mes paroles la détermina à me laisser tranquille ; d’ailleurs ma sœur étant entrée sur ces entrefaites, nous changeâmes de discours.

Je languis de voir arriver Mr. l’évêque de la campagne, parce que ce retour ne manquera pas de me donner matiere à pouvoir vous amuser.

Je vous prie d’embrasser pour moi toutes ces dames, et de me croire toujours avec la plus sincere amitié,

Ma Bonne,
Votre très-affectionnée cousine
Angélique.

RÉPONSE

DE FÉLICITÉ A ANGÉLIQUE.

Je ne me suis pas trompée, comme tu vois dans tout ce que je t’ai annoncé ; tâche cependant de ne pas te brouiller avec ton frere pour un si petit sujet : s’il continue ses démarches, remontre-lui qu’il joue un rôle qui ne lui fait pas honneur ; plaisante-le même ; crois qu’il se désistera, et que notre amoureux transi se voyant privé d’entremetteur, ne filera pas long-temps le parfait amour. Dom Delabrisse qui est venu me voir m’a chargé d’une lettre pour toi, dans laquelle il te marque qu’il se fait fort de t’empêcher d’être suffoquée par les besoins dont cette demoiselle officieuse t’a parlé. Il en est venu une, ma petite amie ; niece de madame de ***. qui est décidée à se fixer avec nous pour la vie. Si je ne me trompe, il y a quelques amourettes par-là qui n’ont pas réussi à son gré ; car autant que je puis m’appercevoir, la ferveur claustrale ne lui causera jamais d’indigestion. Elle m’a remis aussi une lettre pour toi, après s’en être informée, et elle désire ton retour avec autant d’empressement que toutes ces dames. Je voudrois que ce moment-ci fût pour moi celui de t’embrasser et de t’assurer de toute l’amitié de ta bonne cousine,

Félicité.

LETTRE

DE DOM DELABRISSE A ANGÉLIQUE.

Est-ce que ce trousseau ne s’avance pas, ma chere amie, il me semble qu’il y a un siecle que je ne t’ai vu ; si cela est encore long je n’y pourrai plus tenir, un peu de diligence, mon cœur, et reviens bientôt trouver ton bon ami, pour pouvoir, le plutôt possible, rire avec lui de la simplicité de cette demoiselle, qui croit que tu dois subir le sort de la fille de Jephté. Ne t’inquiète pas ; je t’assure que les vapeurs utérines ne nuiront pas à ta santé ; j’y mettrai bon ordre, et saurai leur faire prendre un cours qui te sera salutaire.

Mais, à propos, j’ai un rival, à ce que m’a dit ta Bonne : j’en suis jaloux ; car selon le portrait que tu en fais, il paroît très-dangereux. Les enfans de Mars savent se faire aimer : féconds en ressources, ils ne se rebutent point, et peut-être que celui-ci médite quelque chose d’extraordinaire pour te rendre sensible : ainsi, reviens vîte je te le répéte, car je ne peux vivre sans l’aimable personne de qui je veux être toute la vie le serviteur,

D. Delabrisse.

LETTRE

DE SYLVIE A ANGÉLIQUE.

Mademoiselle,

Sur le rapport que toutes ces dames me font de vous, j’attends votre retour avec la plus grande impatience. Il n’est pas un lieu dans l’Abbaye dont votre absence n’excite les murmures : revenez donc les appaiser. Déterminée à finir mes jours dans le cloître, je me félicite par avance d’avoir pour compagne une personne qui a sçu se concilier tous les cœurs. J’espere que vous voudrez bien aussi me mettre au nombre de vos amies ; au moins ferai-je tout ce qui dépendra de moi pour mériter ce titre. Madame Félicité, votre Bonne, m’a bien voulu honorer de son amitié, de même que toutes ces dames : ainsi il ne manque que la vôtre pour mettre le comble à ma satisfaction.

J’ai l’honneur d’être,

Mademoiselle,
Votre très-humble servante,
Sylvie.

LETTRE

D’ANGÉLIQUE A FÉLICITÉ.

Ma Bonne,

Je suis fort aise qu’il me soit venu une compagne : sur ce que vous m’en dites, et de la façon dont elle m’écrit, j’en juge très-favorablement. Je lui fais réponse, de même qu’à dom Delabrisse dont la lettre m’a on ne peut pas plus amusée. J’ai revu nos amants mais avant d’entamer leur chapitre, il faut que vous sçachiez comment je me suis débarrassée du chevalier.

J’ai commencé par suivre vos conseils ; mais mon frere, qui m’avoit promis de ne me plus parler de lui, ne m’a pas tenu parole : l’intérêt l’a emporté sur le point d’honneur dont je l’avois piqué ; car le lendemain d’une assez longue conversation que j’eus avec lui, son ami ne laissa pas que de beaucoup me courtiser, et il parut même moins timide qu’à son ordinaire : j’en fus surprise ; mais je me retirai sans lui répondre un seul mot.

Le soir en rentrant dans ma chambre je trouvai un billet-doux sur la table ; je me doutois bien qu’il étoit du chevalier ; je voulus le lire par curiosité, et je le trouvai trop bien conçu pour croire qu’il en fût l’auteur. Vous en jugerez : je vais vous le transcrire mot à mot.

Vous n’êtes pas faite, Mademoiselle, pour l’asile des pleurs et des regrets. L’auteur de la nature auroit-il réuni envain dans une même personne, tant de graces et de charmes ? Croyez-moi, défaites-vous d’une résolution qui ne peut que vous occasionner bien du chagrin, et en causer un mortel à celui qui s’estimeroit le plus heureux des hommes, s’il pouvoit espérer que les soins les plus respectueux fussent favorablement reçus de la personne unique qu’il adore.

Le Chevalier de ***.

Voilà qui est flatteur, et du plus tendre, dis-je en riant ; mais je n’en eus pas de lui une idée plus avantageuse. Encore une fois, ma Bonne, je le répete, quoiqu’il n’y ait rien d’extraordinaire dans cette déclaration, il n’en est pas capable.

Le lendemain matin je dis à ma fille de chambre d’appeller mon frere, ne voulant pas aller à la salle parce que je les savois ensemble. Il vint ; je lui fis des reproches sur son peu d’exactitude à tenir sa parole ; j’y mêlai le moins d’aigreur qu’il me fut possible, ne voulant pas chagriner un frere que j’aime beaucoup, et qui ne prenoit sans doute les intérêts du chevalier avec autant de chaleur, que parce qu’il croyoit qu’il étoit nécessaire de se l’attacher pour obtenir par son canal une place qu’il desiroit.

Je lui parlai de son ami d’une maniere peu conforme à son billet : précisément il étoit aux écoutes, et il parut. Je sçaurai placer ailleurs, mademoiselle, me dit-il… et resta la bouche béante sans pouvoir achever. Je n’en fus point étonnée, et du ton le plus méprisant je lui dis : voilà ce que c’est, monsieur, que d’écouter aux portes ; les curieux sont ordinairement payés comme ils le méritent. D’ailleurs voulant vous persuader que je ne suis point dans l’intention de vous laisser ignorer ce que j’ai dit, je commence par vous prier d’aller ailleurs conter vos sornettes, ou je me plaindrai à monsieur votre oncle. Mes dernieres paroles furent le signal de sa retraite : il s’étoit présenté comme un sot, il se retira de même.

Mon frere me laissa brusquement lorsqu’il le vit partir. Il revint me trouver une demi-heure après, ne paroissant pas trop content. Il me dit que le chevalier venoit de monter à cheval fort piqué ; que j’aurois pu le traiter moins durement, et que cela lui feroit beaucoup de tort. Aye les sentimens plus nobles, mon frere, lui répondis-je ; si pour ce sujet le chevalier rompt avec toi, il mérite que tu l’honores du dernier mépris, et cela seul te prouvera que tu n’avois pas un véritable ami

D’ailleurs, il n’y va point de ta faute, et si tu en as fait une, c’est celle d’avoir voulu le servir : mais n’en parlons plus.

Nous nous entretînmes ensemble jusqu’au dîner : mon frere a de l’esprit, et le cœur excellent ; il convint que j’avois raison, et je lui promis que puisque l’oncle de son ami faisoit l’honneur à mon pere de vouloir être le sien, je m’y prendrois de façon à lui faire obtenir par son canal la lieutenance qu’il postuloit, et qu’il pourroit ainsi se passer de ce nigaud, et n’en pas acheter les faveurs par des bassesses.

Vous voyez, ma Bonne, que je suis de bon conseil, et que je sais assez bien dissimuler. Mais il est temps que je vous entretienne de choses plus amusantes ; c’est de la seconde entrevue de ma sœur avec son amant dont j’ai été témoin, que je veux parler, et dont je veux vous détailler toutes les circonstances.

Monsieur l’évêque a resté huit jours à la campagne. La veille de son retour j’entendis fort à propos les instructions que ma sœur donna à sa fille-de-chambre. Elle lui dit de la réveiller de bonne heure, qu’elle vouloit être prête pour le plus tard à huit heures. Bien résolue d’être plus matineuse qu’elle, j’attendis avec impatience le lendemain.

Je me levai à sept heures ; croyant avoir devancé ma sœur, je fus vite me placer à ma lucarne ; mais quelle fut ma surprise de voir ma sœur déja debout, nue comme un ver, son quoniam bonus en papillotes, et la fille-de-chambre un peigne à la main. Comme je ne pouvois pas rire de crainte d’être découverte, je faillis d’étouffer à force de me contraindre. Ma sœur s’étant assise, et ayant écarté les cuisses, Suzette mit un genou à terre, ôta les papillotes, et fit deux petits frisons de chaque côté ; mais je vous prie de faire attention, ma Bonne, que ce n’étoit pas des boucles à l’œil, mais des boucles détachées. Ayant pris ensuite de la poudre brune, elle lui en souffla, (c’étoit apparemment pour que le voisinage parût plus blanc.) et avec des ciseaux elle eut soin qu’un poil ne passât pas l’autre. Elle se fit aussi frotter tout le corps avec des essences, et passa ensuite un habillement leste et de bon goût. Les pompons et les diamants placés avec simétrie sur sa coëffure, dont elle avoit ménagé une boucle qui tomboit sur le sein gauche, la rendoient plus galante. Un deshabillé rose brodé d’une dentelle d’argent, avec le jupon de même qui ne couvroit que la moitié d’une jambe assez bien faite, terminoit sa parure.

Tandis que, sous cet habit de combat, et couchée nonchalamment sur un lit de repos, ma sœur attendoit son prélat, sa fille-de-chambre toute nue, un pied sur un tabouret, l’autre sur la têtiere, un bourdon à la main, et montrant entiérement son lustucru, lui servoit de garde.

Ah, ah ! Monseigneur, votre Grandeur est experte en amour, dis-je en voyant cet appareil. Un moment après je le vis entrer : comme il étoit en robe longue, suivi de son laquais qui lui portoit la queue, j’aurois cru voir le Grand Seigneur entrer dans son Serrail, si je n’avois pas été persuadée que celui qui le suivoit n’étoit rien moins qu’un eunuque.

Il s’arrêta un moment pour admirer ces deux Vénus, et après avoir loué la femme de chambre sur le talent qu’elle avoit pour la frisure des C... il donna l’essor à son Priape, qui, furieux de l’esclavage où Monseigneur l’avoit retenu pendant sa méditation, fondit sur l’instrument qui sert à ses plaisirs, comme un aigle fond sur sa proie, et ne tarda pas à déranger toute l’économie de cette toilette.

Je vous assure, ma Bonne, que la vigueur avec laquelle le prélat travailloit, et les transports réitérés des deux combattans, m’enflammerent au point de désirer d’être à la place de ma sœur ; mais voyant qu’il n’étoit pas possible, et que le seul qui pouvoit éteindre mon feu étoit trop loin de moi, je m’étendis sur le plancher, me troussai jusqu’au nombril, et je fis avec le doigt ce qu’auroit dû faire le membre érecteur de mon cher Dom Delabrisse.

Quand je fus un peu soulagée, je me remis à mon poste, et je vis que Sa Grandeur pêchoit une seconde fois à l’eau trouble. Pendant ce temps-là le jeune homme s’étant deshabillé, il se mit en devoir, quand son maître eut fini, de faire à la femme de chambre, ce qu’il venoit de voir faire avec tant d’adresse.

Les deux postes subites qu’avoit couru Sa Grandeur, lui firent faire une pose assez longue : les deux filles se mirent à ses trousses, et métamorphoserent bientôt le gougeon en lausseron[1]. La suivante voyant que ses soins étoient inutiles, étendit une couverture sur le plancher, fit signe à la Fleur, et tous les deux dessus, pour amuser leurs maîtres, jouerent pendant un moment le Romina grobis : notre fille au nez retroussé, pinçoit, mordoit, égratignoit, tandis que son jeune matou la tenant sous lui, sembloit faire son possible pour l’enfiler. Ma sœur et son amant, très-attentifs à ce qui se passoit, en riant s’agassoient aussi : le désordre dans lequel étoit son ajustement la rendoit encore plus piquante, et lorsqu’elle vit que son espiégle, un peu plus traitable, appuyé sur ses quatre pattes, se laissoit lancer, elle tourna lestement la médaille, et se fit caresser de la même maniere. Après cette farce je délogeai.

Voilà, ma Bonne, ce que j’ai vu ; j’ai cru ne devoir omettre aucune circonstance touchant cette entrevue, afin de vous en rendre le récit plus amusant. Je compte avoir le bonheur de vous rejoindre bientôt, reprendre mon appartement, et ne plus me séparer de vous. Ma premiere lettre vous annoncera le jour de mon départ, et celui de mon arrivée.

J’ai l’honneur d’être, en attendant ce moment tant désiré,

Ma Bonne,
Votre très-humble servante,
Angélique.

RÉPONSE

D’ANGÉLIQUE A SYLVIE.

Mademoiselle.

De la maniere dont vous vous annoncez, je ne suis pas moins empressée de faire connoissance avec vous, que vous l’êtes à desirer mon retour. Il paroît que le portrait que ces dames vous ont fait de moi est fort à mon avantage ; mais si cela satisfait mon amour-propre, il excitera mon émulation, pour ne pas les mettre dans le cas de se retracter, et me conserver la bonne opinion que vous avez de moi. Une acquisition comme la vôtre dans le choix d’une amie, me flatte infiniment, je vous prie d’en être persuadée. Le portrait que ma parente m’a fait de vous, et qui ne céde en rien à celui dont vous me flattez, me fait languir après le moment où je pourrai vous témoigner l’envie que j’ai d’être de vos amies.

J’ai l’honneur d’être en attendant,

Mademoiselle,
Votre très-humble servante
Angélique.

LETTRE

D’ANGÉLIQUE A DOM DELABRISSE.

Le temps s’approche, mon cher ami, qui doit rompre la barriere qui nous éloigne. La premiere lettre que j’écrirai à ma Bonne, lui désignera mon retour à l’Abbaye : j’espere t’y trouver, et que tu commenceras à me donner des à-comptes des promesses que tu me fais de me payer avec usure les intérêts de six semaines. Oui, mon ami, nous rirons bien, je te le promets, et si l’affection que tu me portes étoit susceptible d’augmentation, ce seroit le cas de m’en récompenser, car par rapport à toi, j’ai manqué à un aimable cavalier, et lui ai donné un peu durement son congé. Tu me mandes qu’agrégé à un corps fécond en ressources, il pourroit tenter quelque chose d’extraordinaire pour me rendre sensible : iroit-il comme Don Quichote, affronter les dangers, se battre contre les moulins à vent, et revenir couvert de lauriers me présenter ses hauts faits ? Je te réponds qu’après un tel témoignage, je n’y pourrois tenir. Dans la crainte de t’être infidelle, j’avancerai mon départ, et jusqu’à-ce que nous puissions, mon petit, réaliser de nouveau tout ce que nous sentons l’un pour l’autre, je suis ta bonne et tendre amie,

Angélique.

RÉPONSE

DE FÉLICITÉ A ANGÉLIQUE.

Ta premiere description des amours du prélat me satisfit extrêmement ; mais pour celle-ci, elle m’a fait rire jusqu’aux larmes : je m’en suis amusée avec nos amies une journée entiere, et elles sont toutes convenues, que s’il sait rafiner ses plaisirs, tu sais traiter cette matiere de façon à en relever beaucoup le prix. Tu dois donc m’annoncer bientôt le jour de ton arrivée ; que n’est-ce aujourd’hui, mon cœur ; ces dames le souhaiteroient, de même que ta compagne, qui est extrêmement satisfaite de la réponse que tu lui as faite, et en tire le meilleur augure pour la société qu’elle se propose d’entretenir avec toi. Nous te l’abandonnerons entiérement ; il y a de l’étoffe pour en faire un bon sujet : jusqu’à présent elle nous gêne beaucoup ; mais tu lui arracheras son secret, à ce que j’espere, et si elle persiste à demeurer avec nous, le temps fera le reste.

En ménageant ton frere, tu t’es débarrassée de ton soupirant d’une maniere fort leste à ce qu’il paroît : j’aurois voulu être témoin lorsque tu lui as donné son congé ; je crois qu’il n’étoit pas moins risible qu’au moment qu’il te déclara sa belle passion : je te félicite de ce que tu n’en es plus fatiguée. Pour le temps qui te reste, laisse ta sœur et son amant se débattre à leur aise : j’en sais assez. Je vais donc tenir tout prêt pour te recevoir, et prendre des arrangemens, afin qu’à ton arrivée tu trouves quelqu’un qui te dédommage de ton veuvage ; et en attendant que nous commencions notre bail pour la vie, sois persuadée de me trouver en tout et partout disposée à t’obliger.

Félicité.

LETTRE

D’ANGÉLIQUE A FÉLICITÉ.

Ma Bonne,

Me voici donc au terme tant desiré : je pars demain, et je compte arriver mardi à l’Abbaye. Mon pere reste seul à la maison, et je serai accompagnée de ma mére, de ma sœur et de mon frere, qui, devant partir dans peu pour le Corps-Royal, vient vous faire ses adieux. Monsieur l’évêque de ***. à qui j’ai pris la liberté de le recommander, l’adresse à un de ses parens qui y occupe une des premieres places.

Notre héros est allé rejoindre sa troupe, et moi qui ne desire la mort de personne, je suis fort aise que nous soyions en paix, car il ne manqueroit pas de donner tête baissée dans le gros des bataillons, et de se sacrifier à sa mauvaise fortune. Mais en voilà assez sur son compte : je reprends ce qui met le comble à ma joie, qui est d’autant plus complette, que je touche au moment où je vais rejoindre ce que j’aime pour ne m’en séparer jamais. Vous aurez la bonté, ma Bonne, de dire à dom Delabrisse de rester dans votre chambre, et de ne point paroître ; la contrainte seroit trop gênante, tant pour l’un que pour l’autre, et peut-être malgré nous, donnerions-nous à soupçonner quelque chose. Mon cœur se réjouit d’avance des caresses qu’il doit vous faire à tous les deux.

J’ai l’honneur d’être, ma Bonne, en attendant ce doux moment,

Votre très-humble et très-obéissante
servante,
Angélique.

Nous arrivâmes donc à l’Abbaye le jour marqué : une partie de la Communauté vint nous recevoir à la porte ; j’eus bientôt distingué ma Bonne, et je ne tardai pas de voler entre ses bras : comme je finissois mes épanchemens de cœur, il est ici, me dit-elle tout bas : cette nouvelle, quoique attendue, me causa une émotion singuliere. Après avoir répondu aux caresses que me firent ces dames, ainsi que ma nouvelle compagne, nous montâmes chez l’Abbesse, qui m’en combla aussi. Il étoit tard et nous nous mîmes à table : j’aurois bien voulu m’absenter pour voir un moment dom Delabrisse, mais la bienséance me retint, et je fis de mon mieux pour qu’on ne s’apperçût pas que quelque chose m’occupoit. Sylvie, (c’est le nom de ma compagne) me plût beaucoup : lorsqu’après le repas nous eûmes conduit ma mere et ma sœur dans leur appartement, elle voulut aussi m’accompagner dans le mien : je me serois bien passée de cette civilité, mais de crainte de la désobliger j’y consentis, et me contentai de faire signe à ma Bonne d’aller faire cacher celui qui m’y attendoit. Arrivées dans ma chambre, Sylvie ratifia de vive voix ce qu’elle m’avoit écrit, et après m’avoir bien assurée de son amitié elle se retira.

Ce fut pour lors que parut ce tendre ami. Je laisse au lecteur sensible à se figurer tout ce que nous pûmes nous dire : il étoit quatre heures du matin que nous n’avions pas encore fermé l’œil ; il fallut cependant nous séparer, et je me consolai dans l’espérance qu’il reviendroit dès que mon monde seroit parti. Ma parente en m’embrassant, assaisonna ses tendresses de quelques propos qui me divertirent beaucoup : enfin elle m’engagea à reposer et sortit. Il étoit huit heures lorsqu’elle revint : Sylvie m’a demandé de tes nouvelles, me dit-elle, et elle ne tardera surement pas de venir ; ainsi répare vite ce désordre un peu trop sensible, et sers-toi de ce flacon pour dissiper cette odeur de… A peine eus-je mis le tout en règle qu’elle entra, s’assit près de mon lit, me dit encore des choses fort gracieuses, et m’ayant aidé à m’habiller nous fûmes joindre la compagnie.

Mes chers parens demeurerent quatre jours à l’Abbaye, et lorsqu’ils furent partis dom Delabrisse revint. Ma compagne étant une grande partie de la journée avec moi, je fus obligée, et même plus que ces dames de prendre mes précautions, et je sçus si bien conduire mes petites affaires, que je recouchai trois fois avec mon amant sans qu’elle pût s’en appercevoir. Cette conduite trop étudiée me gênoit cependant beaucoup : assez clairvoyante, les soupirs profonds qui échappoient de temps en temps à Sylvie dans nos entretiens, et un peu de mélancolie, me faisoient juger que toutes ses démarches n’avoient d’autre cause qu’un amour malheureux, et qu’elle cherchoit une amie à qui elle pût épancher son cœur. Quoiqu’il en fût, il y avoit trois semaines que nous nous parlions très-familiérement, sans qu’il y eût aucune confidence ni d’une part ni de l’autre ; mais une occasion qui se présenta mit fin à cette contrainte réciproque.

Elle s’éclipsoit de temps en temps ; je cherchai à découvrir l’asile de ses méditations, et une après-dîner s’étant absentée je la suivis, la vis entrer dans le noviciat, et se renfermer dans un petit cabinet : je restai à la porte et lui entendis remuer quelques papiers en poussant de grands sanglots et répétant à plusieurs reprises le nom de comte ; ah mon cher comte ! Voyant que je ne m’étois pas trompée dans mes soupçons je me retirai, et l’attendis dans ma chambre. Une demi-heure après elle revint, reprit son ouvrage, et me parut plus triste qu’à son ordinaire. Je lui adressai la parole, et m’y pris assez bien pour l’engager à s’ouvrir entiérement à moi.

Angélique.

Tu as quelque chose qui te chagrine, Sylvie ; ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’en apperçois, et je souffre réellement de te voir dans cet état.

Sylvie.

Je te suis obligée de l’intérêt que tu prends à ce qui me regarde : il est vrai que j’ai quelques sujets de mécontentement ; mais cela se passera avec le temps.

Angélique.

Si tu me juges digne de ta confiance, ma chere amie, tu ne dois pas me cacher tes peines : il n’arrive que trop souvent que pour les concentrer au dedans de soi-même, on les augmente au lieu de les diminuer. Ne crains pas de m’en faire la confidence, ne seroit-ce que pour me les faire partager.

Sylvie.

Tes bontés, Angélique, me pénetrent de la plus vive reconnoissance ; mais mon mal est sans remede, et mes peines ne sont pas de nature à pouvoir se partager.

Angélique.

De quel genre qu’elles puissent être sois persuadée de toute ma discrétion ; et si je ne puis en supporter une partie, au moins aurai-je la satisfaction de te consoler. As-tu regret de quitter le monde ?… Es-tu forcée par tes parens de t’ensevelir dans le cloître ? Quoiqu’il m’en coûte pour me séparer de toi, je n’hésiterai pas à te détourner de condescendre à leur caprice.

Sylvie.

Je n’ai aucun regret de quitter le monde, ma chere ; plût à Dieu, au contraire, que j’y eussé pensé plutôt, je n’y aurois pas éprouvé des choses aussi ameres !

Angélique.

As tu aimé ? ton amant t’a-t-il fait infidélité ? ou des obstacles tyranniques se sont-ils opposés à votre bonheur mutuel ?

Sylvie.

Eh bien oui, j’ai aimé, ma chere amie ! et j’ai aimé le plus généreux des hommes. Il étoit incapable de me tromper ; mais le destin cruel me l’a enlevé, et cette perte irréparable, jointe à d’autres motifs, m’ont fait prendre la résolution de m’éloigner pour toujours de ce monde injuste, qui ne jugeant que des apparences extérieures, nous condamne souvent sans nous connoître.

Angélique.

Je prends toute la part possible à ton affliction : je conçois que l’on n’oublie pas facilement un quelqu’un qui nous a tendrement aimé ; mais que faire dans de pareils cas, et sur-tout lorsqu’il n’est pas en notre pouvoir d’y remédier ? notre raison doit venir à notre secours. Sers toi donc de la tienne, Sylvie : nous devons nos regrets, il est vrai, à ceux qui s’en sont rendus dignes ; mais faut il pour cela s’abattre jusqu’au point de nuire à sa santé ! d’un mal en faut-il faire deux ?

Sylvie.

Cela est vrai, j’en conviens ; mais les plaies sont encore trop fraiches : s’il eut été moins aimable, sa perte me seroit moins sensible. Tiens en voici la copie ; les qualités de l’esprit et du cœur l’emportoient encore sur la figure.

Angélique.

Sur ce que je vois, et sur ce que tu m’en dis, il méritoit toute ton affection. Mais je le répete, puisqu’il n’est plus, modere ta douleur : je comprends aussi que le désagrément que tu as essuyé des suites de votre amour, te donne une aversion pour le siecle : mais puisque cette abbaye ne te représente pas ces solitudes composées d’êtres, que sous le spécieux prétexte d’abnégation, de renoncement, d’obéissance aveugle, on abrutit à un tel point, qu’on voudroit même les priver de la Faculté de penser, et que l’on y jouit, selon ton propre aveu, d’une liberté honnête, profite également comme nous, des agrémens qui s’y rencontrent et qui ne laissant pas d’avoir leur prix. C’est ce qui m’engage à y rester ; je t’avoue ingénûment que pour peu que j’y eusse apperçu de cafarderie, j’en serois bientôt partie.

Sylvie.

Puisque tu me parles si sincérement, je te dirai que c’est cela qui a contribué au choix que j’en ai fait ; car je t’avoue qu’en rompant sans retour avec le monde, je n’ai d’autre motif que de mener une vie tranquille, et de m’éloigner d’une société où je ne retrouverai plus celui qui devoit faire tout le bonheur de ma vie. L’amitié que tu me témoignes, la gaieté et l’aisance qui regnent dans cette maison, diminuent mes peines, et je m’estime, dans tous mes malheurs, encore fort heureuse, d’avoir si bien rencontrée.

Angélique.

Tu pourras toujours à ton gré, disposer de cette amitié ; mais cependant l’amour dont tu as goûtée toutes les douceurs, te fera de nouveau sentir ses feux. Tu soupires, Sylvie ! va, va, rassure-toi ! il y a du remede à tout si ce n’est à la mort.

Sylvie.

Que veux-tu dire, Angélique ? explique-toi ! tu réveilles par-là mes soupçons, et si je ne me trompe, on n’est pas dupe ici.

Angélique.

Ils peuvent être fondés, mais je n’ai pas le temps de t’en dire davantage : nous nous rejoindrons ce soir, et je te parlerai plus clairement.

Elle vint me retrouver avec empressement ; je lui tins parole, et l’instruisis des amours de ces Dames et des miennes ; que le tout se passoit de maniere, à ne craindre aucune suite fâcheuse : et sur ce que je lui dis, qu’il ne dépendoit que d’elle de réparer l’échec qu’elle venoit d’essuyer ; que je lui ferois faire la connoissance d’un jeune Bernardin, qui la consoleroit bientôt de la perte qu’elle avoit faite, elle m’embrassa de tout son cœur, me chargea entiérement du soin de ses affaires, et promit de me raconter le lendemain ses aventures sans en omettre la moindre circonstance : nous nous séparâmes ainsi. Je rendis compte de tout à ma parente et à la Prieure. Je rejoignis ma compagne à l’heure prescrite, et la priai de commencer du moment qu’elle avoit connue le plaisir : voici tout au long son histoire qui m’amusa beaucoup, et m’attendrit aussi dans certains endroits : je ne doute pas que le Lecteur curieux n’en soit satisfait.


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HISTOIRE

DE

SYLVIE.


J’ai premierement sçu de très bonne heure, ma chere amie, avant même que la nature se fût développée chez moi, ce qui fait la distinction des deux sexes ; car à peine avois-je dix ans, que nous nous rassemblions cinq à six de l’un et de l’autre, à peu près du même âge. Mon frere invitoit ses camarades, moi mes petites compagnes ; nous nous fouëttions, nous nous examinions : la broquette des garçons qui n’étoit pas plus grosse que le petit doigt, nous servoit de joujou, c’est ainsi que nous nommions cette partie-là ; en un mot nous faisions mille petites singeries : ignorant sa véritable propriété, et trop jeunes pour nous laisser enflammer, nous en restions-là.

Ce petit train dura quelque temps ; mais ma mere qui l’apprit, vint un matin me trouver que j’étois encore au lit, et me dit : comment ! morveuse, vous commettez, déjà des immodesties ? vous commencez de bonne heure ! elle m’étrilla en fille de bonne maison : mon frere eut aussi sa ration, et dès ce moment notre petite société fut rompue.

Je fus conduite le lendemain, après dîner, aux Augustins pour me confesser. Le Pere qui m’entendit, étoit ou jouoit le sévere ; cependant tout le temps qu’il a eu ma confiance, il ne s’est point démenti : et lorsque je commençai à lui débiter l’article en question, car on m’avoit expressément ordonné de ne pas l’omettre ; ainsi prévenu, il ne me laissa pas achever, m’ordonna expressement de ne jamais toucher, ni sur moi ni sur autrui, les endroits qui servent aux besoins de la nature ; que cela étoit contre la décence, la pureté, que l’on offensoit Dieu ; en un mot, il me débita une kyrielle de morale qui ne finissoit plus, et me renvoya après m’avoir imposé une légere pénitence.

Arrivée à la maison, ce salut dont il m’avoit parlé, que je craignois de perdre, et la maniere dont il condamna nos jeux enfantins, toute jeune que j’étois, me fit afficher la dévotion et cela de bonne foi. Je fréquentois les sacremens toutes les semaines, je ne sortois que pour aller à la messe, je travaillois et priois toute la journée, au point que j’étois citée pour modele. Je continuai ce train de vie, sans la moindre difficulté, jusqu’au temps que je me formai. Tu sçais, Angelique, que nous ne parvenons pas à ce point sans éprouver bien des révolutions ! On eut soin de me faire la leçon : cependant, malgré toutes les défenses de mon pieux directeur, un matin, en changeant de linge, j’examinai fort attentivement ce qui commençoit à ombrager ma petite fraise : selon les principes que j’avois reçus, je compris que j’avois mal fait ; je me jettai à genoux, et en demandai, dans l’instant, pardon à celui qui en étoit le créateur.

J’allai le révéler aux oreilles de mon Augustin, et cela si ingénument qu’aucun autre n’auroit pu s’empêcher d’en rire ; il me traita fort mal, me dit que j’étois une impudique, me défendit de nouveau ces regards et ces attouchemens, à moins que je ne voulusse me précipiter dans les enfers dont il me représenta avec emphase, toutes les horreurs. Il m’avoit si effrayé, que je crus qu’ils alloient s’ouvrir sous mes pieds : je fus donc pendant quelque temps, fort réservée sur l’article en question, et quoique je pusse ressentir, très-exacte à suivre ses avis, je lui faisois part des démangeaisons que j’éprouvois ; il me donna une discipline, mais j’eus beau me mettre les fesses en compôte, je n’étois pas plus tranquille ; je m’apperçus même que les envies de me toucher étoient plus fréquentes ; ma santé s’altéra ; cette liqueur qui surabonde en nous, et qui nous incommode lorsque nous n’avons pas soin de nous en débarrasser, me fit tomber dans une espece de langueur ; quoique la nature s’aidât quelquefois elle-même, j’en étois peu soulagée ; on m’ordonnoit encore de jeûner pour empêcher ces effets. Que les filles sont à plaindre lorsqu’elles ont le malheur de tomber entre les mains de pareils animaux ! Mais enfin une aventure dont je fus témoin, me fit changer de conduite, et j’eus bientôt repris mon embonpoint : voici comme la chose arriva.

Ma mere, encore jeune et fraîche, peu contente des embrassemens de mon pere, qui étoit un vieux militaire ruiné, et plus que sexagénaire, tandis que je suivois ainsi mon zele outré, se faisoit caresser par un médecin de bonne mine qui venoit souvent à la maison.

Un jour que le démon de la chair, pour parler le langage de l’apôtre, me livroit un combat singulier, et que pour obtempérer aux conseils de mon bigot, qui étoit de tracasser, de changer d’occupations, je me proposois d’aller à ma voliere qui étoit au grenier, j’entendis en passant, parler dans la chambre de ma mere ; la croyant sortie, je voulus sçavoir qui c’étoit, et regardant par la porte vitrée ; quelle fut ma surprise de la voir appuyée sur le devant de son lit, retroussée jusqu’aux hanches ! et le docteur debout, qui examinoit, pâtinoit tout ce qui se présentoit à sa vue, et qui en montroit un, oh ! je te réponds Angélique, qu’il étoit de taille : j’en frémis : je me rappellai pour lors ce que j’avois vu faire aux petites bonnes gens dont je t’ai parlé, mais quelle différence !

C’est assez, lui dit ma mere en se tournant ; allons donc ! Je vis pour lors, et cela très-distinctement, comment nous nous reproduisons ; leurs mouvemens, les baisers qu’ils se donnerent, m’annoncerent qu’ils touchoient au terme de la suprême félicité : il avoit commencé par le petit pas, il alla ensuite le grand trot ; il redoubla ses ah ! ah, maman ses sanglots, et parurent expirer tous deux : je me retirai.

Convaincue que celle qui m’avoit si maltraitée pour m’être amusée avec des enfans de mon âge, n’étoit pas si scrupuleuse qu’elle vouloit le faire paroître ; on abuse de ma simplicité, me dis je à moi-même : et éloignant tous les obstacles qui pouvoient balancer mon empressement à me soulager, je portai la main au fruit défendu, et ne tardai pas à tressaillir de joie : je recommençai, nouveau plaisir. J’abandonnai pour lors toutes les momeries dans lesquelles m’avoit plongée mon rigoriste, et me trouvai plus à l’aise

il est vrai que de temps en temps quelques réflexions, effets de la morale dont on m’avoit bercée, vinrent troubler tour-à-tour mon nouveau genre de vie ; cela ne m’empêcha pas de continuer. Je fus cependant bien aise que les vendanges approchassent pour n’être pas dans le cas de me confesser ; c’est tout ce qui m’embarrassoit. Nous partîmes, et j’y fis connoissance d’une demoiselle qui détruisit entiérement mes scrupules : nous devînmes bientôt amies, nos confidences rendirent nos plaisirs communs, et pour les satisfaire, nous nous servions des ressources que nos mains nous fournissoient. Ce n’est pas qu’elle manquât de connoissances, et qu’elle ignorât que les femmes se servent encore d’autres moyens.

Je ne te conseille pas, me dit elle, surtout si tu prétends au mariage, de faire usage de certains instrumens dont notre sexe se sert quelquefois pour s’amuser ; l’atteinte qu’en reçoit le pucelage est un peu forte ; malgré les astringents dont on se sert, on ne remet jamais les choses dans leur premier état, et on perd souvent l’estime de son mari ; elle voulut que je lui racontasse toutes les circonstances de l’aventure galante de ma mere, et comme je lui demandois si elle s’en étoit toujours tenue à la petite oie, elle répondit qu’elle avoit été souvent poursuivie, mais que tant qu’elle seroit fille, elle ne souffriroit jamais l’approche d’aucun homme : car, vois-tu Sylvie, toutes leurs caresses sont pour la plupart, fourbes, dissimulées : et leurs complaisances n’ont pour but que leurs plaisirs, lesquels satisfaits, nous leur devenons ensuite un objet de mépris ; ils nous perdent de réputation, en se glorifiant de leur bonne fortune et des faveurs que nous leur accordons. Je suppose pour un moment, l’homme le plus fidele à sa parole, doué des intentions les plus pures et les plus droites, ne peut-on pas s’oublier dans ce tendre mystere ? et au lieu de retrancher de ses plaisirs ce qui en peut faire l’amertume, nous plonger par-là dans un abyme de douleurs ? Il est donc plus prudent de… et quoique je connoisse de mes amies qui ne sont pas si craintives, leur exemple ne m’entraînera pas : jusqu’à ce que j’aie un mari je ne l’accorderai à personne.

Tout le temps que nous demeurâmes en campagne, il ne se passoit point de jour que je ne visse cette demoiselle, et comme je lui faisois part, avant de revenir en ville, de mes petites inquiétudes sur ce qui s’étoit passé entre nous deux, car on se défait difficilement de ses préjugés : que tu es simple, Sylvie, me dit-elle en riant ! Mais notre religion le défend, lui répondis je ?… Tais-toi donc avec tes raisons ! eh, que faisons-nous de plus que les femmes enceintes qui se font connoître par leurs maris ? Elles n’ont d’autre vue, puisque le sac est plein, que de satisfaire leur appétit pour le plaisir ; elles se déchargent également à pure perte, de ce qui les incommode, et cela leur est même permis par notre religion. Mais, sans vouloir en attaquer les fondemens, je te dirai cependant, que plusieurs de ses maximes sont plutôt de l’invention des hommes, que l’ouvrage de Dieu, et ne sont faites que pour les ames simples et incapables de démêler le vrai du faux. Reconnoissons un souverain moteur de toutes choses, rendons-lui graces de ses bienfaits, traitons nos semblables comme nous voudrions l’être, ne troublons point l’ordre de la société : dans ceci est renfermé toute la loi. Quel tort reçoit la société de nos amusemens ? dis-moi un peu ? est-ce parce que l’on nous débite comiquement qu’il faut se mortifier, renoncer à ses passions, faire pénitence ? Je ne peux m’empêcher de rire, de ce que très-souvent ceux que nous écoutons nous prêcher ces sortes de matieres, n’en croyent pas un mot ! Si nous allons à confesse, ces égrillards ne nous entendent que pour satisfaire leur curiosité, ne nous questionnent que pour en plaisanter, et s’en divertir entr’eux. Mais, aussi avisée qu’eux, je sçais les dévoyer, et les frustrer de ce qu’ils attendent toujours de nous avec avidité : entr’autres, j’en rendis un bien sot, je t’en réponds ; c’étoit un capucin. Ce bouc sacré ne s’avisa-t-il pas de me demander où je mettois mes mains lorsque j’étois au lit ? où vous voudriez bien mettre autre chose, lui répondis je ; mais il n’est pas fait pour un vilain magot comme vous ; et je m’esquivai. Je ne crois pas qu’il s’en soit jamais vanté.

Cette histoire là, Angélique, m’amusa beaucoup. Elle me donna encore d’autres instructions, et me fit présent d’un livre qui acheva de me tranquilliser. Le temps de quitter la campagne approchant, nous fûmes obligées de nous séparer ; nous promîmes de nous écrire : j’ai reçue plusieurs fois de ses nouvelles, et depuis sa derniere qui m’annonçoit son mariage, notre commerce de lettres a cessé.

De retour à la ville la veille de la Toussaint, nous allâmes, ma mere et moi, aux Augustins. Je fus fort aise que mon ancien directeur fût absent : j’étois décidée, il est vrai, à garder le tacet ; mais il auroit pu me faire des questions embarrassantes, et peut-être me conduire insensiblement à un aveu que je redoutois avec raison : les grilles, les chaînes, et les disciplines n’auroient pas été épargnées. Il en vint donc un autre qui après avoir entendu quelques simplicités, sans me faire la moindre morale, me renvoya avec pénitence et absolution. Je revis mes anciennes amies, nous nous fîmes part mutuellement de nos nouvelles acquisitions, et nous en tirions un très-bon parti. Mon frere avoit aussi renoué avec ses camarades, mais ils faisoient bande à part : nous ne voulions pas les souffrir avec nous ; les filles veulent toujours passer pour plus sages qu’elles ne sont. Nous étions bien éloignées de prendre avec eux aucune familiarité ; et il faut que je te fasse part d’une scène qui se passa entre mon pere et ma mere, un jour que j’étois seule avec ma compagne favorite.

Comme elle desiroit voir mes canaris, nous fûmes obligées de passer près de leur chambre. Quelques propos singuliers que nous entendîmes, exciterent notre curiosité : nous nous approchâmes de la porte et les apperçûmes. Mon pere étoit assis dans un fauteuil ; pour se mettre en humeur, il se faisoit, par sa chaste épouse, branler son vieil outil ridé ; mais infructueusement, et dix bras comme le sien n’auroient pu, je crois, ranimer ce V.. paralitique : aussi cessa-t-elle en lui disant : vous êtes singulier ; je suis fatiguée et n’ai rien avancé ; si vous le voulez cependant absolument, il faut faire usage de ce que vous sçavez. Elle alla chercher une poignée de verges, et vous le fessa d’importance. J’avois à la vérité, pitié de ce pauvre cul livide et décharné, et ne me doutois pas de ce que cela signifioit ; je fus donc bien surprise, lorsqu’après plusieurs coups d’étrivieres bien appliqués, je vis son anchois se roidir. C’est assez, ma femme, reprit-il ; place-toi ! et il l’enfila avec sa hallebarde rouillée. Elle que j’avois vue si agitée avec son Diaphorus, ne remuoit pas plus qu’une pierre ; il est vrai que les bottes que son vieux champion lui portoit, n’étoient pas capables de la piquer bien vivement, après donc avoir ainsi raclé pendant un quart-heure, et hors d’haleine, comme un cheval poussif, il lui dit : cela vient ; il se donna encore quelques mouvemens, et retira enfin du pot son morceau de tripe : d’un pas chancelant et tout essouflé il se jetta sur le fauteuil le plus proche, nous nous sauvâmes en riant comme deux folles. Il paroît, Angélique, que cela fait la même impression sur toi, qu’en dis-tu ?

Angélique.

Je t’en réponds, et qui pourroit y tenir, de la façon que tu racontes l’aventure ?

On vint nous avertir que l’on avoit servi, et remis à après dîner la suite de son histoire. En l’attendant dans ma chambre, j’en racontois à ma parente, quelques particularités, et lorsque j’en fus à l’article du pere de Sylvie, donnant libre cours à mon humeur enjouée : sans les coups de fouet, ma Bonne, il n’auroit donc jamais pu rendre le devoir, à sa femme ? Il ne faut pas que cela te surprenne tant, Angélique, répondit-elle ; c’est un restaurant pour les personnes usées : le sang pour lors se porte à cette partie-là, l’échauffe, la ranime, et les picotemens qu’ils ressentent, rappellent à la vie le pauvre moribond : mais ceux qui sont jeunes, vigoureux et bien portans, se contentent seulement lorsqu’ils sont ensemble, et sur-tout avec des personnes de différent sexe, de toucher cette partie charnue, de la frapper légérement, de la flatter. Tu le sçais, bien, petite friponne, ne t’es-tu pas souvent apperçue que cela te causoit des sensations agréables ? Ma compagne entra comme nous finissions, ma Bonne lui fit beaucoup d’amitié, nous laissa seules et elle continua ainsi.

Sylvie.

Quelques jours après ce que je t’ai raconté, il vint à la maison un marquis, gendarme de la garde, ami de mon pere, homme fort, vigoureux et à la fleur de son âge : il demeura la huitaine, et eut bientôt fait connoissance avec ma mere, car dès le second jour il la ..... Mon pere avoit la goutte, et quoiqu’il y fût sujet tous les ans, elle fut, cette fois-ci, prématurée ; effet peut-être de son dernier voyage à cythère. Il témoigna avoir envie de reposer après dîner et on le laissa seul : je me retirai de mon côté : le gendarme et ma mere d’un autre. Me doutant de ce qui pouvoit résulter de ces particularités et de ce tête-à-tête, car je m’étois apperçue de quelque chose, je ne tardai pas à les suivre : je me postai dans le coin de la porte vitrée, le rideau de laquelle n’étoit pas exactement bien tiré.

Le gendarme étoit assis sur un canapé auprès d’elle, en termes les plus tendres il lui témoignoit sa passion ; mais comme il voulut lui toucher la gorge : descendons, Monsieur, lui dit-elle, j’ai tout à craindre avec vous. Mais le madré, du nombre de ceux qui connoissent notre sexe, qui savent que nos résistances ne sont souvent que simulées, la serra de plus près, répéta encore que ses charmes faisoient trop d’impression sur lui, que c’étoit dommage qu’une personne comme elle et à son âge, fût si mal partagée, qu’il étoit impossible qu’elle pût être satisfaite des plaisirs insipides que son vieux mari lui procuroit etc. Apparemment que ses yeux fideles interprêtes de son cœur, ne lui paroissoient point cruels, car il coula aussitôt sa main sous sa jupe. En vérité, monsieur, reprit-elle, vous vous oubliez ; finissez, ou je vais sonner ! Il vit bien que tout ceci n’étoit que grimaces, car les défenses étoient foibles : il savoit aussi certainement chatouiller comme il faut, le quartier de devant, je la vis se pâmer entre ses bras. Enfin il profita de l’heure du berger, la renversa, en mit au jour un qui me parut sortir d’un taillis, et sans obstacle, vous l’exploita en maître. Les bottes qu’il lui portoit, bien différentes de celles que lui portoit son cul-pourri de mari, la firent revenir de son assoupissement, et en lui disant : oh Dieu ! dans quel état me mettez-vous ? elle lui donnoit toute l’aisance possible, et le plaisir lui fit une seconde fois perdre connoissance : il en goûta un non moins parfait ; et quoique la finette rioit sous cappe, cependant elle dissimuloit toujours, et se remit sur son céant, baissa ses jupes sans le regarder, et fit semblant de vouloir sortir.

Mais il n’étoit pas homme à abandonner ainsi sa proie… Laissez-moi aller, Monsieur ; ce que vous venez de faire, vous deshonore absolument dans mon esprit : est-ce ainsi que l’on se comporte avec une honnête femme ! profiter d’un moment de foiblesse, et me faire manquer à un homme que j’aime… Calmez-vous, ma petite chere mere ; eh ! quel tort en recevra votre mari ? il en aura toujours plus qu’il n’en pourra faire : il n’en saura rien : vous ne voulez pas lui dire, ni moi non plus. Je suis encore en état de vous prouver, et je vous forcerai d’en convenir, que je vaux mieux que lui.

Il voulut réitérer ; vous m’écrasez, dit-elle, un moment et je vous l’accorderai de bonne grace : il la crut, mais elle s’échappa de ses mains. J’eus en vérité peur qu’elle ne gagnât la porte ; car malgré ma diligence à me sauver, elle auroit pu m’appercevoir ; mais heureusement il me tira d’embarras : il l’eut bientôt rejoint ; tout cela n’étoit qu’un jeu de sa part. Ah, ah, c’est donc ainsi que vous attrapez les gens, lui dit-il, et à l’instant il la porta sur le lit… Vous êtes terrible, faites donc ce que vous voudrez. Il l’embrassa tendrement et en lui disant je savois bien que je vous réduirois à la raison ; il lui donna encore des preuves de sa vigueur. Elle ne dissimula plus alors et lui tint parole : ensuite s’entretenant familierement ensemble, j’espere, marquis, lui dit-elle, que puisque je n’ai pu me défendre de vos poursuites séduisantes, vous ménagerez au-moins ma réputation ?… Que me dites-vous-là, madame ? est ce parce que j’ai tenu quelques propos contre la comtesse de **. Mais quelle différence ! la comtesse de ** est une femme sans mœurs, et s’il m’est échappé quelques traits satyriques à son sujet, j’y ai été forcé, par ses fourberies et ses méchancetés… Cela ne fait rien, marquis, il suffit qu’elle vous ait accordé ses faveurs pour que vous eussiez dû l’épargner. Je les laissai alors et descendis.

La façon dont ma mere venoit de se comporter avec le marquis, elle que j’avois vue n’en pas tant faire avec son esculape, me servit de leçon, et je compris par-là qu’il falloit se servir de détours avec les hommes.

Il resta, comme je t’ai dit, la huitaine à la maison ; la veille de son départ, ils eurent encore une entrevue fort longue ; je fus témoin des baisers d’adieu qui furent tendres et vifs de part et d’autre : il lui promit de revenir, et cela la dédommagea de l’absence du docteur, qui cependant peu de temps après revint aussi poser son cachet. Je fus encore obligée de me contenter du manuélisme ; mais l’instant vint aussi où je goûtai à mon tour les douceurs du duo.

J’allai voir une de mes tantes qui demeure dans une campagne à trois lieues de chez nous ; c’est une femme très-commode, qui reçoit très-souvent compagnie chez elle : j’y vis donc alternativement, les premieres semaines, à-peu près ce qu’il y a de plus honnête dans le voisinage ; parmi quelques jeunes officiers qui y vinrent, il y en eut un du régiment du Roi, qui fixa mes attentions ; il les méritoit à tous égards, et comme je m’apperçus que mes yeux lui faisoient aussi impression, mon cœur fut bientôt pris. Il m’adressoit souvent la parole ; se plaçoit près de moi lorsque l’occasion s’en présentoit, et me disoit les choses les plus gracieuses : il étoit ému et enjoué dans la conversation, ce qui me fit conjecturer que j’étois aimée : je ne me trompois pas. Un soir, retirée dans ma chambre, et prête à me coucher, je trouvai un billet dans ma poche ; je me doutai bien d’où il pouvoit venir : il étoit conçu en ces termes.

Je ne vis, Mademoiselle, que du moment que j’ai eu l’honneur de vous voir : je tremble que cet aveu, que je n’ai pu retenir, ne soit la cause de mon malheur. Je suis téméraire, il est vrai, mais j’ose me dire sincere.

Le Comte ***.

Avec des preuves aussi certaines de son amour, le mien pour lui redoubla au point, que dès que je fus couchée, et sans témoin, mon imagination fut tellement frappée de ce beau jeune homme, que je me satisfis : s’il eût paru alors devant la place, j’en présentois le centre, la brèche étoit embrasée, la prise étoit sûre ; je me reposai un moment, je recommençai et m’endormis.

Le lendemain, en me réveillant, mes sens étant plus tranquilles, cela me fit faire des réflexions et trembler pour l’avenir ; s’il eût été là, me disois je à moi-même, je n’aurois pu lui résister. Je me rappellai pour lors tout ce que cette demoiselle m’avoit dit : je pris donc la résolution d’être avec lui de la derniere réserve, sans cependant le rebuter. Il revint le lendemain après dîner, je m’apperçus qu’il étoit inquiet de savoir l’effet qu’avoit produit son billet ; il m’aborda en tremblant, je reçus ses civilités en fille qui sait son monde, et à peu-près comme les jours précédens. Cela ne le contenta pas beaucoup : il auroit voulu quelques signes qui lui eussent prouvé clairement que j’approuvois sa premiere démarche.

Sur les cinq heures, ma tante proposa une partie de promenade, fit l’office de maître des cérémonies, et sut si bien distribuer son monde que je lui restai : il eut soin de laisser passer les autres devant, et ce fut pour lors qu’il m’ouvrit entiérement son cœur. Entr’autres choses il me dit, depuis trois ans, Mademoiselle, que j’étudie les mathématiques, aucun objet n’avoit pu encore m’en distraire ; mais j’ai eu l’honneur de vous voir, et toute ma philosophie est trop foible contre de pareilles charmes. — Sans lui donner le temps d’achever, votre compliment est des plus honnêtes, Monsieur, lui répondis-je ; mais je ne sçais comment il faut l’entendre : il est d’usage en campagne, pour s’amuser, de se faire des déclarations ; comme chacun doit contribuer au plaisir général, y mettre du sien dans la société ; c’est ainsi que je le reçois, et c’est ainsi que j’ai entendu le billet que vous avez sçu glisser dans ma poche. Cette réponse l’interloqua : je lui fis appercevoir que nous étions fort éloignés de la compagnie ; je doublai le pas, il fut obligé de me suivre, soupira et me baisa la main.

J’évitai, le reste de la soirée que nous restâmes tous ensemble, les propos particuliers, quoiqu’il en cherchât assez les occasions. J’étois assurée qu’il portoit mes chaînes ; cela suffisoit : je faisois l’indifférente en apparence, tandis qu’intérieurement j’étois toute en feu. Il faut convenir, Angélique, que nous sommes singulieres de nous contrefaire ainsi, et ne sommes-nous pas à plaindre d’y être obligées ! S’il est doux d’aimer, pourquoi nous interdit-on le plaisir de le témoigner ? Que le sort des humains qui ne suivent en tout que la nature pure, est préférable au nôtre ! sans aller ainsi par des chemins obliques, le soulagement suit de près leur besoin, et sont par-là plus heureux que nous.

Angélique.

Que veux-tu que je te réponde, Sylvie ! sinon que ce sont les usages, et qu’il faut s’y conformer.

Sylvie.

C’est précisément contre ces usages que les hommes ont établis à leur avantage que je me récrie, car ils sont si bizarres qu’on ne sçait comment se comporter avec eux. Ce n’est pas que j’aye à me plaindre de mon cher Comte, ou que je le sçache par expérience, car je n’ai jamais connu que lui ; mais quelques histoires que j’ai lues depuis mon malheur, m’ont instruite, et fait connoître tout le désagrément de notre sexe. Si nous leur résistons, ils nous attaquent par tant de différens endroits, qu’à la fin nous succombons, et ils n’ont souvent après notre défaite, qu’une idée désavantageuse de nous. Si en leur accordant nos faveurs, nous ne témoignons pas assez de sensibilité, nous sommes des bégueules qui cachons notre jeu. Si nous témoignons trop d’ardeur, nous sommes des catins : il leur est permis de nous manquer, et si nous leur manquons, tout est perdu. En un mot de quelque côté que l’on se tourne, on ne trouve que des difficultés.

Angélique.

Ma foi, ma chere amie, tu de tourmentes mal à propos : il en faut choisir un bon sur cent, et sans tant approfondir, tant philosopher, il faut jouir : c’est ainsi que je fais avec D. Delabrisse ; il m’aime, je n’en puis douter ; il me comble de caresses, je le paye de retour, et je serois bien fâchée qu’il eût à me reprocher que je suis moins sensible que lui. Je te conseille d’en faire autant avec celui que tu auras : laissons à celles qui sont dans le monde, le soin de se tirer d’affaire ; ne t’inquiètes pas ; elles sçavent bien rendre à Messieurs les hommes la monnoie de leur piece ; s’ils les jouent une fois, elles les jouent dix ; et sois persuadée qu’en amour, nous leur en revendrons toujours. Ne te chiffonnes donc pas inutilement la cervelle à ce sujet : mais continue !

Sylvie.

Le lendemain sur les huit heures, je reçus une lettre de lui ; je n’en fus pas fort surprise, je m’y attendois.

Mademoiselle,

J’ai eu l’honneur de vous dire, que le beau sexe n’avoit pas encore pu, jusqu’à ce moment, me détourner de mes études ; que vous étiez la seule qui ayez occasionnée cette diversion. Heureux mille fois ! puisqu’elle me met dans le cas de vous distinguer d’une infinité d’autres, qui ne réunissent pas comme vous, l’esprit à tant d’agrémens : mais malheureux cependant, de ne pouvoir toucher une si belle ame ! Que ne puissiez-vous lire dans mon ame ! vous y verriez votre ouvrage ; vous la verriez pénétrée de l’amour le plus pur ; vous la verriez s’élancer vers le seul objet digne de toute sa tendresse ; car je ne prétends pas vous amuser, Mademoiselle, ce sont des liens indissolubles qui doivent mettre le comble à son bonheur. Ne traitez donc pas, je vous prie, d’amusement de campagne la déclaration que j’ai eu l’honneur de vous faire ; elle est partie d’un cœur que vous avez blessé, et d’un cœur qui n’attend sa guérison qu’en vous possédant : il n’est point d’autre remede aux tourmens que j’endure. De grace ! ayez pitié d’un amant qui seroit moins passionné, s’il connoissoit moins le mérite de celle qu’il adore.

J’attends de votre bonté, avec la plus grande impatience, qu’il vous plaise par un mot de réponse décider de mon sort.

J’ai l’honneur d’être,
Mademoiselle,
Votre très-humble et très obeissant
serviteur
Le Comte de ***.

Cette lettre me flatta infiniment plus que je ne devois espérer : mais voyant la partie trop inégale, après de sérieuses réflexions, en fille qui se sacrifie à son amour, je lui répondis ainsi.

Monsieur,

J’ai cru effectivement que vos procédés n’avoient pour but qu’un amusement agréable ; mais vous parlez sérieusement à ce qu’il paroît. Croyez-moi, défaite-vous d’un amour qui ne peut pas encore avoir jetté de fortes racines, et avoir d’heureuses suites pour l’avenir. Recevez cet avis d’une personne qui vous estime. Vous êtes dans l’expectative d’une fortune brillante ; celle sur qui vous jettez les yeux en est trop maltraitée, pour que monsieur votre pere puisse y consentir. Reprenez donc vos occupations, et le calme succédera bientôt à cet orage passager ; car je n’ai pas assez de présomption pour croire que de foibles charmes comme les miens, aient pu le rendre si violent.

J’ai l’honneur d’être,
Monsieur,
Votre très-humble et très obéissante
servante

Sylvie de ***.
Angélique.

Eh bien, cette lettre si désintéressée, quel effet produisit-elle ?

Sylvie.

Elle m’en attira le lendemain une seconde, avec son portrait.

Mademoiselle,

J’ai lu vingt fois la réponse dont vous m’avez honoré : que n’est-elle plus satisfaisante ! Je n’y vois rien qui puisse me faire espérer. L’avis que vous me donnez de me défaire de mon amour, me fait voir que je n’ai rien pu gagner sur un cœur dont la possession feroit tout le bonheur de ma vie. Mais en suis-je le maître ? Il est bien prompt, dites-vous ! Eh ! que n’ai-je eu l’honneur de vous connoître plutôt ? La défaite honnête dont vous vous servez, en alléguant le défaut de fortune, supposeroit en moi une ame basse et mercenaire, si cela étoit capable de me faire changer de résolution. Trop heureux de pouvoir partager avec vous, celle dont j’espere jouir un jour. Encore une fois, Mademoiselle, si réellement dans ceci, l’aversion ne s’en mêle pas, permettez-moi de vous continuer mes soins et vous verrez que mes démarches et mes intentions sont droites. Je me rendrai après dîner chez Madame votre tante ; que le bonheur que je me propose, puisque j’aurai l’avantage de vous voir, ne soit pas altéré par un regard trop sévere ! Cette copie que je prends la liberté de vous envoyer et que je vous prie d’accepter, vous demande grace : ayez donc quelque pitié pour l’original, dont le repos dépend de vous seule.

J’ai l’honneur d’être pour la vie

Mademoiselle,

Votre très-humble et très-obéissant
serviteur
Le Comte de ***.

Après la lecture de cette seconde lettre, et après avoir beaucoup examiné son portrait fidele qui me retraçoit si bien ses traits, je me décidai à l’écouter. Ah, beau jeune homme ! disois-je, si à ton tour, tu pouvois lire dans mon ame, tu y verrois bien le contraire de ce que tu penses. Il vint comme il me l’avoit écrit, ne pouvant pas me contenir, je le regardai avec bonté, et baissai les yeux : il parut plus gai qu’à l’ordinaire, et amusa infiniment la compagnie.

Le hazard voulut que j’eusse ce jour-là même, un entretien particulier avec lui. Un orage qui survint, et qui fut suivi d’une pluie des plus abondantes, obligea ma tante à offrir le couvert à ses hôtes : je m’apperçus qu’il n’en étoit pas le plus mécontent ; lorsque l’heure de se retirer eut fait prendre à chacun son parti, et que j’étois prête à me mettre au lit, je regardai encore son portrait, je le baisois, et lui adressois quelque chose de tendre, comme s’il eût pu me comprendre, et dans ce moment j’entendis quelqu’un entrer dans ma chambre : je n’avois pas eu la précaution de me fermer en dedans, et en regardant qui c’étoit, je vis le Comte. Comme j’étois en chemise, et que la chandelle étoit allumée, je me cachai derriere mon rideau, et d’un ton courroucé, je lui dis, qu’est-ce que cela signifie, Monsieur ? j’avois de vous une toute autre idée ; retirez-vous, ou je vais mettre toute la maison en alerte ? Il resta immobile sans oser avancer, se jetta à genoux, me pria les mains jointes, d’avoir la bonté de l’écouter, qu’il étoit incapable de rien entreprendre qui me fit repentir de lui avoir accordé cette grace, et cela avec tant de bonhomie qu’il me désarma : et me tenant toujours derriere la coulisse, est-ce l’heure, repris-je, sur-tout d’entrer ainsi ?… Je vous ai entendu, Mademoiselle, et n’ai pu prendre sur moi de manquer cette occasion de pouvoir vous entretenir un instant : je vous en prie, ne me refusez pas cette grace ; je suis incapable de rien faire qui puisse vous déplaire… Hélas ! à quelle nécessité me réduisez-vous ? je passai ma jupe, me couvris de mon manteau ; je le vis dans cette posture de suppliant qui me toucha, et le priai de se relever.

Assis près de moi, il me répéta ce qu’il m’avoit écrit, avec une si grande effusion de cœur et de décence, que j’eus autant de plaisir à l’entendre qu’il en eut à me le réciter. Ecoutez-moi, Comte, lui répondis je, je crois votre amour sincere ; vous voyez que je ne lui suis pas tout-à fait contraire, par ma facilité à vous accorder une entrevue à une heure si peu convenable, et si c’eût été tout autre, je ne l’aurois certainement pas permis : mais à quoi cela se réduira-t-il ? monsieur votre pere, comme je vous l’ai marqué, n’y consentira jamais ; d’ailleurs n’y a-t-il pas de votre part un peu de précipitation ? vous m’avez vu, et vous avez aussitôt conçu de l’amour pour moi : peut-être regarderez-vous bientôt d’un œil d’indifférence, celle que vous paroissez aimer aujourd’hui ?…Je ne puis vous laisser finir, Mademoiselle, vous faites tort aux sentimens que vous m’avez inspirés, je vous prie d’un peu mieux les ménager. L’obstacle que mon pere peut apporter, n’est pas si difficile à lever que vous pensez ; la plus grande partie des biens que j’attends, sont de ma mere ; par son testament elle ne l’en a pas rendu maître : de son côté il a peu de chose, et j’en jouirai dès que je serai en âge. Trop heureux ! encore une fois, si en unissant ma destinée à la vôtre, je puis les partager avec vous ! Il me prit la main, la baisa plusieurs fois avec transport, et s’avança un peu pour m’embrasser. Je fis la petite cérémonie, je le lui permis ; aurois-je pu lui refuser ? Je lui dis seulement de se ressouvenir de ce qu’il m’avoit promis. Il fut fort respectueux d’ailleurs, et quoique sa compagnie me plût beaucoup, je le priai de se retirer ; mais il ne me quitta qu’après avoir exigé de lui laisser prendre un baiser sur ma bouche. A peine fut-il sorti que je me couchai : quelle fut ma surprise en me réveillant au jour, de le voir assis et dormir près de ma couchette ! les rideaux étoient ouverts à moitié, j’étois presqu’entierement découverte, et comme j’ai suffisamment de gorge, la peau blanche, que je suis charnue et d’ailleurs assez bien faite, je ne fus pas fâchée de me trouver ainsi : tu diras peut-être qu’il y avoit là un peu de vanité ?

Angélique.

Tout ce que tu dis est vrai, ne n’interromps donc pas !

Sylvie.

Oh ! qu’il étoit beau, Angélique, entre les bras du sommeil, quoique en négligé ! il étoit en chenille, et n’avoit qu’un simple caleçon qui par devant formoit un bourrelet : je le regardois avec satisfaction, et dans le cas qu’il fût entré dans ma chambre avant le jour, et qu’il pût à son réveil me voir à son aise, je me plaçai un peu de côté, laissai ma chemise dans le même désordre que je l’avois trouvée ; je la dégageai seulement, pour qu’il eût la liberté de voir ce qui étoit dessous si l’envie lui en prenoit ; il étoit cependant à propos de lui laisser desirer quelque chose ; de la maniere dont j’étois placée, le principal étoit caché et il ne pouvoit voir qu’à peine une petite partie du toupet ; il se réveilla peu après en se frottant les yeux et en poussant de profonds soupirs ; il porta aussitôt la main sur la pâte qui étoit levée ; pour lors comme un chat qui guette une souris, je ne remuois point et faisois la dormeuse : son étonnement me fit juger qu’il ne m’avoit pas encore vu ; il s’approcha doucement pour examiner de plus près, tourna comme je l’avois prévu, le feuillet en haussant un peu la visiere ; je voyois tous ses gestes : ma foi, ma chere amie, le simple caleçon qui lui colloit contre ses cuisses, ne put résister au prisonnier qu’il renfermoit, et sortant brusquement, il fit partir le bouton : je le vis pour lors dans son entier ; il n’étoit pas monstrueux, mais il étoit honnête, et avoit sur-tout le gland fort beau.

Il se posta de façon qu’il voyoit tout en perspective, et me fixant pour lors avec ses grands yeux noirs, il se b… le plus vîte qu’il pût, pour n’être pas dans le cas de me manquer, comme il me le dit par la suite. Je ne tardai pas d’en voir l’effet, et cela partit comme un jet. Mes draps même en reçurent une partie. Il replaça mon linge comme il l’avoit trouvé, et s’en retourna sur la pointe des pieds. A peine fut-il parti, que je respirai : son respect me donna de lui une idée très-avantageuse.

Sur les huit heures du matin, je descendis, et le trouvai seul dans la salle, lisant une brochure. Il me fit son compliment, m’embrassa, cela ne se demande pas, et nous restâmes encore près d’une demi-heure ensemble. Je le vis très-souvent, mais peu en particulier pendant tout le temps que je restai chez ma tante : elle s’apperçut cependant de nos amours, et me dit un jour qu’elle croyoit que le comte me faisoit les yeux doux, et que je n’en étois pas fâchée. Il est vrai répondis-je que le comte cherche quelquefois les occasions de me parler… Et tu l’écoutes volontiers, ajouta-t-elle ?… Sylvie, le comte te fait honneur ; je voudrois pour toi que cela pût avoir une heureuse fin ; c’est un excellent sujet, mais le parti est trop avantageux ; tu dois me comprendre ; ainsi dégage ton cœur, s’il est pris. Je pense bien que tu ne voudrois pas lui servir de passe temps… Je vous assure, ma tante, que je le vois sans conséquence : d’ailleurs le comte est trop bien né pour faire tort à une demoiselle qu’il connoîtra… Tant bien né que tu voudras, on commence par l’esprit, et souvent on finit par la chair.

Elle continua encore sur le même ton, mais en badinant ; je la remerciai de ses bons avis, que je ne suivis point du tout. Nous nous étions, le comte et moi, juré un amour éternel : j’étois décidée à attendre sa majorité ; et à quelque chose près, nous n’en étions encore que là : les baisers tendres étoient assez fréquens lorsque nous trouvions le moment favorable. Je lui fis un jour une petite querelle, de ce qu’il s’émancipoit plus qu’à son ordinaire. Ma jarretiere tomba comme nous nous promenions ensemble, il fut plus prompt que moi à la ramasser, et me dit avec tant de grace que le droit de la remettre lui étoit dévolu, que je lui en donnai la permission ; après qu’il l’eut attachée, il coula sa main plus haut, et si je l’eusse laissé faire il y alloit tout droit : je le grondai beaucoup, il m’en demanda pardon, et la paix fut bientôt faite.

Deux jours avant mon départ de chez ma parente, il vint me voir ; comme elle se trouva incommodée de sa migraine, cela nous procura un entretien particulier assez long, et ce fut la premiere fois qu’il toucha à son aise le quartier de dessus : il l’avoit déja effleuré, et l’avoit même vu très-distinctement lorsque je faisois la dormeuse ; mais voulant savoir si le tact répondoit à la vue, il me pria avec tant d’instance, me dit de si jolies choses accompagnées de mille petites drôleries, que je ne pus m’en défendre. Cette main et cette bouche que je sentis contre mon sein me procurerent… j’en soupirai ; il n’étoit pas assez neuf pour ne pas s’en appercevoir, mais trop honnête pour profiter d’un moment de foiblesse ; il colla seulement ses levres sur les miennes, et il ne lui en arriva pas moins qu’à moi. Ce moment délicieux étant passé, je lui recommandai d’être à l’avenir plus réservé, qu’autrement il me féroit repentir de ma complaisance. Nous causâmes encore un moment ; il me pria de lui permettre de venir me voir, j’y consentis, et il ne me quitta ce jour-là qu’après m’avoir fait de nouvelles protestations de tout son attachement.

Je partis de chez ma tante dans l’espérance de le revoir avec moins de gêne selon le plan que nous nous en étions formé ; c’est ce qui me fit supporter patiemment son absence. Dès que je fus rendue chez nous, je mis dans mes intérêts la cuisiniere qui avoit une chambre seule et fort commode pour mes entrevues : je pouvois compter sur elle ; c’étoit une fille d’un certain âge, en conséquence très-propre à conduire une intrigue.

Sur les onze heures du matin, il me fit savoir qu’il étoit en ville, et me fit demander comment il pourroit s’introduire ; j’avertis ma confidente, et lui fis réponse qu’à deux heures il se trouvât à la porte de la maison et de se laisser conduire par celle qui lui répondroit : cela ne manqua pas ; il étoit négligemment mis pour se faire moins remarquer ; et je le reçus dans cet appartement, pas trop brillant, il est vrai, mais nous en étions le principal ornement.

Après plusieurs caresses qui me plûrent autant qu’à lui, je le fis asseoir près de moi : je ne finirois point si je racontois toutes les particularités qui firent l’objet de notre entretien. Il fallut encore lui laisser tâter mon bijou ; car lorsque nous avons accordé une faveur aux hommes, ils ne nous en tiennent pas quittes pour une fois : mais comme cela m’échauffoit furieusement, j’exigeai de lui qu’il se contînt un peu plus à l’avenir. De temps en temps il manquoit à sa parole, je le grondois un peu, et notre paix étoit toujours scellée de deux ou trois baisers. Trois heures se passerent sans presque nous en appercevoir ; je savois que ma mere étoit dehors, et mon pere ne m’inquiétoit pas beaucoup : en quinze jours je le vis cinq fois de la sorte ; les pays-bas furent encore sacrés, et ce ne fut pas sans une violence extrême de part et d’autre.

Un jour sur-tout qu’il me baisoit la gorge, m’embrassoit avec transport et ne pouvoit presque plus articuler ; comme je n’étois pas moins animée que lui, craignant les suites de ce moment de foiblesse, je le priai de m’excuser si je m’absentois un instant ; je n’allai pas loin, et pour savoir ce qu’il feroit, je restai près d’une petite ouverture quarrée qui donnoit dans la chambre ; il y avoit une vitre, l’endroit où j’étois étoit sombre, et je pouvois voir sans être vue.

Il ne put donc pas se contenir, et lâcha la bride à son V… que je regardois de tous mes yeux. Il disoit : non, je ne pourrai jamais ; qu’elle est aimable et rusée en même temps ! Il s’amusa donc seul avec son flageolet, et moi qui ne quittois pas la vue de dessus je touchois du timpanon : nous tirâmes ainsi tous deux notre poudre aux moineaux. Je lui donnai le temps de se remettre et je revins également un peu soulagée.

Mon amour pour lui produisoit en moi des effets que je ne puis exprimer ; je sentois à merveille que nous ne pouvions nous voir ainsi avec tant de liberté et attendre le temps que nous nous étions prescrit. Il étoit beau et je l’aimois ardent, je ne l’étois pas moins : comment en rester là ? Je voyois bien que je m’exposois beaucoup, cependant je ne pouvois me déterminer à rompre nos entrevues. Je confiois tous mes secrets à ma compagne favorite, elle me faisoit part des siens, mais elle ne disoit pas tout, aussi lui en fis-je des reproches lorsque je l’eus découvert.

Un jour que je folâtrois avec elle, je vis quelques taches sur son linge et j’eus bientôt connu ce que c’étoit. Ah ! Bélote, lui dis-je, tu ne m’as pas tout dit… Quoi, ma chere amie, qu’est-ce donc que cela ? Elle rougit, m’avoua pour lors qu’elles étoient du jeune conseiller dont elle m’avoit parlé, répondit à toutes mes questions, et me fit un portrait si agréable des plaisirs dont elle jouissoit que cela me donna envie d’en tâter aussi. Ma tante a besoin de moi, demain je te dirai le reste.

Lorsque Sylvie m’eut quittée, j’allai rejoindre nos Dames que je savois être ensemble ; elles exigerent que je leur rendisse compte de ce qu’elle m’avoit racontée : je le fis de mon mieux, et elles parurent très satisfaites : sur ces entrefaites je reçus une lettre du Pere Anselme.

Ma belle enfant,

Le moment auquel vous recevrez ma lettre sera celui ou je serai exposé à la discrétion des vents : j’aurai autant de plaisir à me rapprocher de vous que j’ai eu de chagrin à m’en éloigner ; mais obligé de plier sous le joug, j’ai été commis pour accompagner au Chapitre général cet homme dont je vous ai parlé dans ma premiere lettre ; je me serois bien passé de cette faveur, et j’aurois désiré qu’on l’eût fait tomber sur un autre : mais je n’ai pu le refuser, et c’est un acheminement, m’a-t-on dit, pour avoir entrée aux premieres charges. Ma patrie m’eut été préférable, et j’aurois eu du-moins le bonheur de vous voir ; je vous apporterai de Rome, de cette ville tant renommée, de fort jolies choses.

J’ai l’honneur d’être,

Mon ange,

Votre très humble et très-obéissant serviteur,

P. Anselme.

Bon voyage au suppliant, dis-je en la mettant dans ma poche ; mais je ne l’ai jamais revu : je n’en fus pas fachée, la reconnoissance m’auroit peut-être obligé de récompenser mon premier maître-d’école ; peut-être aussi auroit-il encore fallu entretenir quelques intrigues avec lui ; or j’étois suffisamment pourvue : je reprends l’histoire de Sylvie.

Sylvie.

Lorsque je fus seule, Angélique, les instructions que j’avois reçues de cette demoiselle que j’avois vue en vendanges, vinrent me traverser ; je me représentois les hommes tels qu’elle les avoit dépeints ; mais mon amour pour le comte me le faisoit regarder d’un œil bien différent. La nature, ma chere amie, est trop forte en nous, et la raison trop foible : fille qui combat est à moitié vaincue : aussi décidai-je dans ma petite cervelle que s’il m’en faisoit la proposition, je le lui accorderois.

Il revint le jour qu’il me l’avoit promis, et ce jour-là fut celui de ma défaite. Nous nous témoignâmes comme de coutume, le plaisir que nous avions de nous revoir, et après une demi-heure passée ainsi, il me regarda d’un air tendre, soupira deux ou trois fois et se retira un peu de moi ; cela me donna du soucis, je m’approchai et lui en demandai le sujet : il reçut mes caresses avec transport, se jetta à mes genoux les larmes aux yeux, avec un ton et d’une maniere qui auroient ému le cœur le moins sensible, et me dit : mon respect pour vous a jusqu’à présent combattu mon amour ; mais je meurs, Mademoiselle, si vous n’avez pitié de moi. Je me jettai à son col, et le priai de se relever ; mais il ne le voulut jamais qu’auparavant il ne se fût expliqué, et n’eût entendu ainsi son salut ou sa condamnation. Expliquez-vous, lui dis-je, je ne puis vous souffrir dans une posture aussi humiliante ; si ce que vous exigez de moi, peut se faire sans compromettre ma réputation, je vous l’accorderai. L’affaire étoit comme faite ; je savois d’avance ce qu’il alloit me proposer : mais qu’on ne me blâme pas, la fille qui affecte le plus de vertu n’auroit pu y résister.

Mes dernieres paroles eurent leur effet ; il se leva et me serrant contre son sein : votre réputation, me dit-il, sur ce que je vais vous proposer, ma chere amie, n’en souffrira aucune atteinte, je vous le jure ; rendez heureux un homme qui vous est dévoué pour la vie, et dont l’ardeur ne peut attendre le terme que nous nous sommes fixé.

Ah Comte ! ah, mon ami, repris-je, en rendant les armes, servez-vous donc des moyens que j’ignore, je m’en rapporte à vous. Je fus bientôt renversée sur le lit, et ne tardai pas à voir le meuble qui devoit principalement opérer dans cette scene amoureuse. A cette fois, Angélique, mes deux pommes fixerent peu son attention ; il monta sur le pommier, le secoua d’importance ; la seve qui coula du tronc tempéra la douleur que j’en ressentis d’abord ; j’éprouvai ensuite un plaisir indicible ; la sonde fouilla et en agita la concavité : cela ne fut pas même aussi long que je l’aurois souhaité, et m’embrassant avec une ardeur qui marquoit tout son contentement, il sçut adroitement arroser le gazon sans mouiller la terre.

La premiere séance finie, de quels termes énergiques ne se servit-il pas pour me remercier, et me témoigner en même temps le regret qu’il avoit de m’avoir fait souffrir : je lui dis en l’embrassant à mon tour, que le plaisir avoit effacé la douleur, et que puisque l’on pouvoit se divertir ainsi sans courir aucun risque, il pouvoit, disposer de moi à son gré.

Nous nous couchâmes entiérement sur le lit ; ce fut alors que rien ne fut caché à la vue de l’un et de l’autre : il vit avec satisfaction les preuves sensibles qui l’assuroient d’avoir eu mes prémices ; je portai pour la premiere fois la main sur son joli instrument, et sur tous ses accessoires ; je ne mis point de bornes à ma curiosité ; il recommença, et mon plaisir cette fois ne fut troublé qu’au moment qu’il se retira : s’il étoit ravi de joie, je ne l’étois pas moins : quelques instans s’écoulerent en nous témoignant réciproquement les plus vives caresses, après quoi je lui dis de s’arranger et allai avertir ma confidente de nous apprêter à goûter ; elle ne tarda pas ; il nous restoit encore une bonne heure à demeurer ensemble : assise sur ses genoux, il ne mangeoit pas un morceau que je ne l’eusse goûté auparavant, comme s’il eût été mon nourrisson ; de la table nous retournâmes au lit, et j’y reçus pour ce jour-là le dernier baiser.

Dès qu’il fut parti, la cuisiniere vint lever la table : ce beau Monsieur me dit-elle, m’a obligé de prendre quatre louis, je ne voulois pas les recevoir au moins, car je ne suis point intéressée ; tout ce que je fais, c’est pour vous obliger : aimez-le cependant bien, Mademoiselle, et soyez, persuadée qu’on me couperoit plutôt la gorge que de m’arracher une parole sur ce qui vous regarde, et je saurai toujours si-bien prendre mes précautions que l’on ne s’appercevra jamais de rien ; et puis je mesure le monde à mon aune : lorsque j’étois jeune je n’étois pas tant déchirée, j’avois bien aussi un galant. Bon, bon ! il faut bien que jeunesse se passe !

Je ne pus m’empêcher de rire et de la remercier en même temps : je lui demandai si ma mere étoit rentrée ? elle me répondit que non, et que mon pere, avec un de ses amis, faisoit une partie de piquet dans sa chambre : je me reposai un moment, et m’ajustai un peu avant d’y monter. Je m’occupai beaucoup le soir et avant de m’endormir, du plaisir dont j’avois joui et dont je me promettois bien de jouir encore par la suite : le lendemain ma compagne favorite vint me voir ; je ne lui cachai rien de ma bonne fortune. Pendant l’espace de deux mois j’eus le plaisir de voir mon tendre amant trois à quatre fois par semaine, toujours avec les mêmes précautions. Il avoit fait venir de Paris quelques livres de galanterie, où les estampes étoient au naturel ; nous essayâmes les différentes postures que nous y vîmes marquées ; je m’y prêtai par complaisance, mais la commune me plaisoit davantage, je m’en trouvois sans contredit beaucoup mieux.

Angélique.

Tu as raison, je l’ai éprouvé de même ; joint à ce que la femme est très à son aise, ou est à même alors de se parler bec-à-bec ; on se voit, on s’embrasse et quoique le plaisir qui par lui même sait fixer tous les sens, soit déja assez grand, tous ces petits riens cependant, lui donnent encore un certain prix, sur-tout si l’un et l’autre se chérissent. Mais pour varier on en prend d’autres, cela amuse les hommes : ils aiment chez nous cette partie charnue que nous avons plus belle qu’eux, je veux dire la croupe, et en nous faisant tourner l’aumelette, ils sont charmés de l’avoir pour point d’appui ; comme selon un certain poëte elle est le magasin des plaisirs, tu sais bien ce qu’on y éprouve : nous ne sommes pas fâchées pendant l’acte, de la sentir heurter de temps en temps… Allons dîner.

Sylvie.

Je t’ai dit que mon amant me vit pendant quelque temps avec les précautions dont nous étions convenus ; mais il s’en lassa à la fin, et je sentois qu’il ne se retiroit qu’avec peine.

Angélique.

Et toi, ma chere, et toi, tu n’en dis mot ; en étois-tu contente ?

Sylvie.

Et moi, pour te le dire ingénûment, je n’etois pas pleinement satisfaite ; je sentois bien intérieurement qu’il manquoit quelque chose à mon entiere félicité.

Angélique.

Il vaut cependant mieux ne jouir qu’à demi, que de risquer le paquet !

Sylvie.

J’en conviens, mais tu verras par la suite quelles étoient ses intentions. Un jour donc que nous étions ensemble et qu’assis tous deux sur le lit, nous commencions à nous dire des douceurs, et que nous faisions nos petites visites, je lui apperçus un peu d’inquiétude, cela m’alarma : hé ! qu’as-tu comte, lui dis-je en l’embrassant, tu n’as pas coutume de paroître tel ? parle-moi donc ? crains-tu de verser tes peines, si tu en as, dans le sein de celle qui partage tes plaisirs ? Je n’en ai d’autres, me répondit-il, que celle d’être obligé d’en retrancher une partie… Que me dis-tu là, mon ami ? à la bonne heure, lorsque le terme qui doit nous unir pour la vie, sera arrivé ; les liens, à la vérité, n’en seront pas plus sacrés que ceux qui nous unissent actuellement ; mais ils sont nécessaires cependant par rapport aux loix ; ainsi jusqu’à ce moment contentons-nous de jouir de cette façon, et ne cherchons pas à nous plonger dans des embarras qui ne nous laisseroient, à moi surtout, que la honte et le regret… Ecoute-moi, Sylvie, si je t’embarrassois, ce seroit le moyen d’accélérer notre union ; puisque la condition est la même : par ces loix que tu me cites, je forcerai mon pere à y souscrire. D’ailleurs je n’aurai pas tant de peine à le gagner que tu penses : je t’ai dit que je devois entrer en possession des biens de ma mere lorsque je serai majeur, comme elle n’a pas eu lieu de se louer de sa conduite pendant sa vie, elle ne lui a pas accordé une obole de jouissance : je le sçais du notaire même à qui j’ai fait adroitement une honnêteté ; par-là tu vois bien que mon pere est intéressé à me ménager. Pour mettre ton honneur à couvert ainsi que pour lever tous tes scrupules, voici deux promesses ; signe celle-là, je la garderai comme un dépôt précieux pour m’en servir dans l’occasion ; conserve celle-ci, et ne faisons point difficulté de jouir de nos droits ; je me rendis à des raisons si plausibles ; je m’absentai un moment pour m’aboucher avec ma confidente, à qui je recommandai qu’au cas que ma mere revînt et qu’elle demandât de mes nouvelles, de lui dire que j’étois sortie. Mais mes précautions étoient vaines, car elle étoit trop occupée de ses plaisirs pour troubler les miens. Elle sortoit exactement tous les jours l’après-dîner, et ne revenoit souvent que fort tard : j’eus la précaution aussi de lui dire d’apporter tout de suite quelques rafraîchissemens pour n’être pas interrompus, et revins trouver le comte qui m’attendoit avec toute l’impatience que tu peux t’imaginer ; car je ne fus pas plutôt rentrée que tout de suite il voulut … Je le priai d’attendre, en lui disant qus la fille alloit venir, et de paroître même décemment, quoiqu’elle sût très-bien que nous ne nous en tenions pas à la simple conversation : elle nous apporta tout ce qu’il falloit, et nous nous enfermâmes.

Je lui dis que nous avions pour le moins quatre heures à demeurer ensemble pour vaquer à nos plaisirs, et par condescendance pour lui, je consentis à me mettre nue comme la main, ainsi que lui. Nous nous regardâmes, et nous vîmes avec satisfaction, que nous n’avions de couvert que les endroits auxquels la nature avoit pourvû.

Le lit sur lequel j’avois mis des draps blancs pour être plus proprement, nous reçut, et comme deux athletes qui doivent entrer en lice, nous nous prîmes à brasse corps ; le serpent qui avoit séduit notre premiere mere, bien loin de m’effrayer en s’élançant, m’en anima davantage ; il se glissa comme un furet et redoubla ma joie, sur-tout lorsqu’il darda sa liqueur, et qu’elle se maria avec la mienne ; car j’entrai dans une espece d’yvresse. Ce fut pour lors que ce que tu nommes fort à propos le magasin des plaisirs fit son devoir, et que le comte en éprouva un bien grand ; mais il n’est point d’orage qui ne cesse.

Cela ne vaut-il pas mieux, me dit-il encore tout essoufflé ? il m’a paru que tu as beaucoup été satisfaite : pour moi je n’ai jamais été si heureux de ma vie. Oui mon ami, lui répondis-je, cela m’a beaucoup satisfait : ton bonheur, puisque tu le nommes tel, est en ta disposition ; et dès ce moment je te regarde comme mon époux. A peine eus je fini de parler, que pour remercier il recommença, et pour la seconde fois nous nageâmes tous les deux dans une mer de délices.

Tu penses bien Angélique, qu’étant ainsi nuds, comment nous nous examinâmes : en amour, ma chere amie, tout intéresse, aussi aucune partie ne fut oubliée ; Robin eut cependant la préférence, et je lui lis bientôt tracer une ligne droite. Je me mis à cheval sur le comte, qui s’en saisit, et pour s’amuser il lui fit faire quelques cérémonies ; un mouvement de ma part lui procura l’entrée ; pendant deux ou trois minutes je continuois, mais nous ne demeurâmes pas ainsi sans nous désunir, nous nous jettâmes de côté, et pour prolonger notre plaisir, en nous donnant par intervalle des baisers tendres, nous nous berçâmes doucement, ensorte que nos sens se troublerent, et il ne nous fut pas possible d’observer la mesure.

Sylvie en étoit là, l’orsqu’on me demanda au parloir : je la priai de me permettre de m’y rendre et j’y trouvai Dom Delabrisse que je n’attendois pas. Je lui témoignai tout mon contentement, d’une si agréable surprise ; il me répondit qu’il n’avoit qu’une heure à demeurer avec moi, et vîte d’en profiter ; qu’étant à la promenade avec ses confrères et le professeur, à une lieue de l’Abbaye, il n’avoit pas pu s’en voir si près sans venir me voir : je lui en sçus bon gré ; il étoit arrivé fort à-propos, car la maniere dont ma compagne m’avoit dépeint ses amours, m’avoit singuliérement émue. Je lui dis donc qu’elle étoit dans ma chambre, de passer à celle qu’il savoit, et lui en donnai la clef. Je retournai faire part à Sylvie de cette visite si peu attendue ; elle m’en félicita, et me témoigna avoir envie de nous voir ensemble : je lui désignai l’endroit où elle devoit se placer, et je courus joindre mon bon ami qui ayant quitté sa soutane, et enflé son chalumeau, m’attendoit sur le lit pour me satisfaire ; et pour faire voir à Sylvie, que je savois être aux aguéts, qu’il en valoit la peine, je le fis découvrir entiérement : je fis la basse, il fit le dessus ; pour lui faire voir aussi que je n’étois pas mal adroite, tandis qu’à coup de fesses il battoit la mesure, je donnois fort-à-propos les coups d’évantail : nous profitâmes de notre mieux du peu de temps que nous avions à rester ensemble, après qu’il m’eut appliqué deux bons topiques sous le nombril, je le fis partir, j’allai rejoindre ma compagne, et je lui demandai comment elle le trouvoit.

Sylvie.

Tu es fort bien partagée, Angélique.

Angélique.

Tu l’as vu à ton aise.

Sylvie.

Il étoit assez découvert pour cela : Eh, dis-moi, celui dont tu m’as parlé est-il aussi aimable ?

Angélique.

Vernier est un blondin fort gentil : il viendra jeudi pour te voir, et tu en jugeras.

Sylvie.

Je le verrai avec plaisir ; mais cependant…

Angélique.

Je t’entends, ma bonne amie ; cependant ne le fais pas trop languir ; plutôt tu te rendras, plutôt tu jouiras : cela même me fera plaisir, parce qu’à l’exemple de ces dames, nous ferons nos parties ensemble.

Sylvie.

Au moins faut-il se connoître.

Angélique.

Tu ne l’auras pas plutôt connu, que tu en seras enchantée : continue ton histoire ; je te donnerai un expédient pour bien resserrer ton… afin qu’il te croye pucelle : le jour que tu te rendras je t’y ferai introduire quelque chose, et le tout fera merveille.

Sylvie.

Après les témoignages que j’avois reçus du Comte, nous fîmes alte ; cela étoit nécessaire. Les rafraîchissemens pris, il me donna une quatrieme dose ; c’en étoit assez pour ce voyage. Nous répétâmes ce que cent fois nous nous étions dit, et il partit. Je passerai sous silence ce qui m’arriva jusqu’à son retour : ma mere, près de laquelle je couchois fut en campagne, et y demeura une quinzaine de jours ; je pris mes arrangemens pour le recevoir dans mon lit. Ma petite chambre étoit au-dessus de celle de mon pére ; je t’ai déja dit qu’il m’inquiétoit peu. Tout étant concerté, j’écrivis à mon amant de venir, et je fus satisfaite de pouvoir au moins le recevoir dans un endroit honnête.

Il arriva sur les six heures ; nous restâmes ensemble quelques momens : il ne se possédoit pas de joie de penser que nous pouvions passer la nuit ensemble, je l’obligeai à se modérer jusqu’à ce que nous fussions entre deux draps : je le laissai dans ma chambre et fus souper avec mon papa, pour lui tenir compagnie ; mais je prétextai une indisposition, et ne mangeai rien, me réservant pour souper avec le Comte. Le bonhomme m’ennuya beaucoup, et lorsqu’il se disposa à se coucher, (ce qu’il faisoit tous les soirs de bonne heure) je remontai dans mon appartement ; la cuisiniére avoit pourvû à tout, et notre souper fut assaisonné de mille jolies choses.

Nous nous deshabillâmes, je voulois garder ma chemise ; mais il me l’ôta et en fit autant. J’avois une fort belle glace dans ma chambre, et avant que de nous mettre au lit nous nous y regardâmes : il me fit remarquer comme j’étois blanche et bien faite ; je le savois, car ce n’étoit pas la premiere fois que je m’y étois présentée. Nous nous y procurâmes plusieurs points de vue qui nous firent beaucoup rire ; je lui témoignai même que je souhaitois que ma couchette fût vis-à-vis, qu’il devoit être fort drôle de se voir répéter dans les transports amoureux. Il me dit qu’il en seroit fort aise aussi, et aussitôt il approcha le fauteuil, m’y fit mettre à genoux, me fit appuyer sur le dossier, et me plaça comme s’il eût dû me donner un clistere. Il y avoit deux flambeaux sur la table : je tournai la tête ; le miroir me rendit ma posture et celle du Comte, qui, la canule en main me regardoit le derriere. Fais-donc, lui dis je, ne l’as-tu déja pas assez vu ? Il enfila pour lors ; mais non pas le trou de l’apothicaire. Il étoit debout ; je me tins de mon mieux, et lorsqu’il s’apperçut que je l’avois prévenu, ses mouvemens compassés s’accélererent, et en m’arrosant il me l’enfonça jusqu’aux gardes : je tressaillis et perdis l’équilibre, et je serois tombée s’il ne m’eût retenu : il put cependant finir. Nous rîmes beaucoup de cet expédient et après quelques autres singeries, nous nous couchâmes.

Quoique nous avions passé une partie de la nuit à ginguer, nous nous réveillâmes à sept heures du matin, nous rappellant nos perspectives. Il me dit qu’au jour elles devoient être plus sensibles, et alla détacher la glace. Comme mon lit étoit joint au mur, il l’y plaça ; nous nous trouvâmes moins gênés que la veille et inventâmes différentes postures : elle fut encore témoin de nos culbutes, et avant de partir je lui fis prendre un bon consommé.

Pendant l’absence de ma mere, il coucha quatre fois avec moi, je le vis à son retour comme précédemment, cela sans la moindre traverse ; car quoique ma bonne maman fût un peu coquette, elle faisoit cependant mentir le proverbe, et ne me gênoit aucunement : mais il n’avoit pas semé dans une terre ingrate. Je fis part de mon état à une de mes amies, mariée depuis un an, et elle me dit qu’indubitablement j’étois grosse : je le dis au Comte lorsqu’il revint ; il en fut enchanté. Voici le moment, Angélique, qui va me rappeller des choses bien différentes de celles que tu viens d’entendre ; dispense-moi de t’en dire davantage ; il suffit que tu saches que je l’ai perdu pour toujours.

Angélique.

Ah ! tu ne me laisseras pas là : allons, ne fais pas l’enfant, ne m’a-tu pas promis ?…

Sylvie.

C’est plus fort que moi : je continuerai ; mais permets-moi au moins de traiter légérement ces tristes particularités.

Il prit la petite vérole ; je l’appris par un billet de sa propre main, et ce fut le dernier. Je recevois tous les jours des nouvelles de sa maladie ; mais on me flatta sur l’issue ; on me cacha même sa mort. Ah ! si j’eusse pu lui rendre les derniers devoirs, je serois je crois, de douleur expirée avec lui. Enfin, lorsque je l’appris, (il m’est impossible d’exprimer ce que je ressentis,) je fus presque vingt-quatre heures sans connoissance : on désespéra de moi ; les révolutions que j’éprouvai me firent accoucher d’un enfant à peine formé, et sans vie, et je ne revis le jour que pour me voir couvrir de confusion, en présence de ma mere et de quelques-unes de ses amies : ses bontés, car elle m’en donna de véritables marques, la force de mon tempérament, et ma grande jeunesse, m’ont sauvés. Lorsque j’ai été rétablie, je lui ai demandé la permission de venir voir ma tante ; arrivée à l’abbaye, je lui écrivis qu’après ce qui m’étoit arrivé, je ne pouvois plus soutenir les yeux du public, et ma résolution à y finir mes jours : trop heureuse, je te le répéte, Angélique, malgré tous mes malheurs, d’y rencontrer une amie comme toi.

Après ce dernier récit elle m’embrassa, en répandant un torrent de larmes : il auroit fallu que j’eusse eu un cœur de bronze, pour ne pas m’attendrir. Je la consolai encore le mieux que je pus, et pour faire diversion nous fûmes nous promener.

Je lui donnai le soir d’une pommade rouge, pour produire l’effet dont je lui avois parlé ; c’étoit un assez bon astringent : comme les hommes aiment à être gênés dans leurs plaisirs, nos dames s’en servoient de temps en temps pour entretenir la bonne intelligence avec leurs amis. Le lendemain elle vint d’assez bonne heure me trouver, et l’après dîner, comme Rigot et la Platiére étoient venus voir leurs belles, je voulus la convaincre de ce que je lui avois avancé : lorsqu’elle le fut entiérement, nous nous retirâmes et attendîmes l’une et l’autre avec impatience le jour que devoient venir de D. Delabrisse et son confrere. Ils vinrent, et nous demanderent au parloir : j’y laissai Sylvie avec Vernier, qui deux heures après, vint seul nous joindre.

D. Delabrisse.

Te voilà ! eh bien, où en es-tu ?

D. Vernier.

Seulement aux complimens, et aux baisemens de mains.

D. Delabrisse.

Tu en es réellement resté-là ?

D. Vernier.

Je n’ai pas osé passer outre, son air composé a fait faire alte à tout ce que j’avois prémédité.

Angélique.

Comment la trouvez-vous ? et comment a-t-elle reçu vos honnêtetés ?

D. Vernier.

Je la trouve charmante ; si je ne me flatte, elle a reçu assez bien tout ce que je lui ai débité, mais je crains qu’elle n’ait pas conçu une grande idée de moi.

Angélique.

Pourquoi ?

D. Vernier.

Je n’ai jamais été si stupide de ma vie, pour vouloir trop bien dire, j’ai resté deux ou trois fois court. Vous riez ? je n’en ai ma foi pas envie, et suis fort mécontent de mon début.

Angélique.

Soyez tranquille, tout ira bien.

D. Delabrisse.

Il falloit lui montrer ta dague, elle auroit peut être été plus éloquente.

D. Vernier.

Tu parles fort à ton aise, parce que tu as de quoi dérouiller la tienne ; mais je crois que vous vous moquez de moi tous les deux… Oh ! il ne sera pas dit que je serai venu pour enfiler des perles.

Angélique.

Défends-moi, Delabrisse, défends-moi ?

D. Delabrisse.

Ah ! bigre, veux-tu finir !

D. Vernier.

Parbleu, je n’ai pas encore commencé : Sois généreux confrere ! et que je sçache comment tu te trouves ici… Allons donc, mademoiselle, pas tant de façon… figurez-vous que c’est… Il y fait bon ; je te félicite : il auroit fallu faire dans un coin la bataille des jésuites ; cela vaut mieux.

Angélique.

Tu n’as qu’à y revenir ! c’est ainsi…

D. Delabrisse.

Il faut bien faire quelque chose pour ses amis.

Angélique.

Oh ! non, ménagez-vous pour Sylvie ; car la premiere fois que vous viendrez, pour rétablir dans son esprit votre réputation, que vous croyez avoir reçu quelques breches, il faudra bien la servir.

D. Vernier.

Elle ne voudra peut-être pas.

Angélique.

Je l’y disposerai. —

D. Delabrisse.

Diantre, comme vous faites vos petites affaires tous les deux. Mais — dis donc, Vernier, ne vas pas me couper l’herbe sous les pieds. —

Angélique.

Je voudrois que vous puissiez encore rester, mes amis, mais il se fait tard, ainsi il faut nous séparer. —

Sylvie.

Il est parti ?

Angélique.

Oui, je viens de les conduire tous les deux. Pourquoi ne lui as-tu pas tenu compagnie tout le temps.

Sylvie.

Parce que je craignois de ne pas pouvoir soutenir le rôle que j’avois commencé ; — je me suis composée de mon mieux, mais sur la fin, mon cœur me trahissoit. Car sans aller par deux chemins, il me plaît, et qu’a-t’il dit de moi ?

Angélique.

Tout ce que peut dire un homme amoureux, ardent, et épris d’un objet qui l’a frappé. Mais il se plaint de cet air composé, et craint fort que cela ne retarde son empressement — cela te fait rire —

Sylvie.

Oui, et c’est aussi le sien qui m’a engagé à me retirer plutôt que je n’aurois fait — il avoit envie — et n’osoit pas — il a fallu beaucoup prendre sur moi, pour me retenir. Mais écoute, Angélique, il est un peu neuf, je t’ai promis de ne pas le laisser long-temps soupirer ; tu dois sentir mon embarras. —

Angélique.

Je te comprends. Hé bien, je me charge sans te compromettre, d’avancer les affaires, décide-toi à sa premiere visite. —

Sylvie.

Cela est trop prompt.

Angélique.

Cela est trop prompt ; le plutôt est le meilleur. Tu dois aller chez ta tante, nous nous rejoindrons. —

Le lendemain Madame l’Abbesse nous envoya chercher toutes les deux, nous demanda plusieurs fois, si nous avions sérieusement fait nos dernieres réflexions sur l’état que nous voulions embrasser, et après plusieurs questions qui nous ennuyerent assez, auxquelles nous répondîmes toujours oui, elle nous annonça que dès ce jour là nous étions postulantes, et nous donna pour maîtresse ma Bonne. J’avois si peur de tomber entre les mains de quelques vieilles que j’en tremblois, et fus fort contente du choix qu’elle avoit fait ; cela s’accommodoit on ne peut mieux avec mes pratiques, et j’attendis avec ma compagne le retour de nos amis, qui arriverent au jour donné. Nous fûmes les trouver au palais. Vernier fit beaucoup de complimens à Sylvie, et une demi-heure étoit déjà passée qu’il ne l’avoit embrassée qu’une fois. Sotte maniere de faire l’amour, dis-je ! et prenant leurs deux têtes, je les pressai l’une contre l’autre ; il s’enhardit, lui mit la main sous le menton — et en sçut faire un bon usage. Sylvie s’en défendit, et ne laissa pas que d’aller son train ; je l’animois même en lui répétant plusieurs fois, vous êtes un sot Vernier, si vous abandonnez la partie. Après s’être assuré qu’elle étoit une jolie fille, il l’embrassa de tout son cœur ; voyant pour lors, qu’il étoit temps d’en venir à l’essentiel, je leur dis de venir nous joindre dans la chambre qu’ils savoient ; de notre côté je m’y rendis avec Sylvie, lui donnai en riant, un boyeau de poulet rempli de sang ; elle se l’introduisit, et nos gens entrerent. — Vernier fut bientôt vers ma compagne, lui dit beaucoup de choses passionnés, elle les reçut assez bien ; mais comme il voulut suivre notre avis, en montrant sa dague, et la jetter sur le lit, elle fit toutes les simagrées qui convenoient, pour lui faire encore mieux jouer son rôle. Je vois bien, repris-je, que si je ne m’en mêle, il faudra se morfondre ici, et j’aidai Vernier à la renverser — pour le coup elle ne put plus s’en dédire — se plaignit seulement au commencement, comme si réellement elle eût souffert ; l’expédient en question fit merveille, et le petit drôle ne pouvoit pas assez, exprimer sa joie ; je les laissai pour lors, et D. Delabrisse et moi nous nous livrâmes également à la nôtre. Nous nous rapprochâmes tous les quatre ; Sylvie ne fut pas la moins enjouée, et reçut les caresses de son nouvel amant, avec des preuves certaines qu’il lui étoit fort agréable ; finalement il fallut les quitter. —

Angélique.

Je t’ai bien tenu parole, Sylvie, n’ai-je pas bien conduit cela ?

Sylvie.

On ne peut mieux, ma chere amie, et sans toi où en serions-nous ?

Angélique.

Es-tu contente ?

Sylvie.

Tu as dû t’en appercevoir ; je l’aime réellement, et suis très-décidée à l’aimer toujours ; d’ailleurs il le mérite, il est de très-bon service et m’a procuré d’autant plus de plaisirs, qu’il y avoit longtemps que je n’en avois tâtée.

Angélique.

Voici ma Bonne. —

Félicité.

Hé bien, mes demoiselles, rendez-moi compte de vos exercices, et de vos lectures spirituelles. D’où venez-vous ?

Angélique.

J’ai été, notre maîtresse, avec ma compagne, balayer le dortoir, comme vous nous l’aviez dit.

Félicité.

Y a-t-il long-temps ?

Sylvie.

Il n’y a qu’un moment.

Félicité.

Vous êtes des menteuses, des effrontées, car j’en viens vous prendrez la discipline.

Sylvie.

Il est vrai. Madame, que nous avons été ailleurs. —

Félicité.

Et où, s’il vous plaît ?

Angélique.

Comme il y a beaucoup de souris dans le noviciat, nous nous sommes amusées à les poursuivre. — Il y en a même une qui a mordu ma compagne. —

Ma parente qui savoit de quoi il s’agissoit, ne put pas davantage soutenir la plaisanterie, et toutes les trois pendant un moment rîmes comme des folles. La Prieure vint, s’en mêla aussi, et jusqu’au souper ce fut la matiere de notre amusement. Sylvie reçut les complimens de toute la coterie, et la regarderent pour lors comme une des leurs.

Nous revîmes nos amis, et prîmes le voile blanc. Je n’entre point dans le détail de cette cérémonie lugubre, comme également j’omettrai celle de notre profession ; cela n’est pas assez gai pour faire partie de cette histoire : et nous eûmes soin de faire abattre les coutures de cet acoutrement de beguines. Deux religieuses du même ordre vinrent à l’Abbaye nous voir, on les engagea à rester quelque temps — elles étoient jeunes, jolies et à-peu-près de la même trempe. Ainsi, bien loin de nous gêner, elles ne firent qu’augmenter la joie qui y régnoit. On proposa pour les amuser, une partie de bains. Ma compagne et moi y fûmes invitées. La Prieure, comme j’ai déjà dit, qui ne se baignoit jamais, avoit apporté sa vieille, et nous donna quelques petits airs tendres comme nous étions à folâtrer dans l’eau. Mais après que nous en fûmes sorties, que marchandise mêlée auroit fait merveille, elle nous joua quelques rigodons, et de deux à deux avant de nous habiller, nous fîmes sur l’herbe, valoir nos G…

Colette qui s’étoit emparée de moi, (c’est le nom de l’une des deux nouvelles arrivées, l’autre se nommoit Barbe) en avoit un double, et par ce moyen là, on pouvoit à deux s’amuser dans le même temps. Après avoir bien ris, nous nous habillâmes, et le lendemain le Professeur et Rigot vinrent avec deux Bénédictins du grand ordre, qui étoient les amans des deux étrangeres. On leur donna toute l’aisance de voir leurs belles ; les Bénédictins les ramenerent jusqu’au jour de la grande partie qu’ils avoient arrêtée. La voici.

Au jour désigné, Sylvie qui avoit une envie démesurée de la voir, me pria de lui procurer ce plaisir, et nous nous rendîmes dans un des cabinets du pavillon. Nos acteurs au nombre de dix-sept, dix coqs, et sept poulettes y vinrent une demie-heure après en trois ou quatre bandes, pour ne pas faire un si gros volume. Il est à propos que l’on sçache les noms que nos dames donnerent aux cinq nouveaux débarqués. Les deux Bénédictins furent appellés, l’un trousse-cote, et l’autre tire-droit. Guignolet avoit amené avec lui deux autres Bernardins ; il garda son nom qui étoit assez drôle, et de ses deux confreres, l’un fut nommé belle-pine, et l’autre fretillard.

On n’avoit pas oublié, que primo, il faut vivre ; selon leur choix ils se prémunirent à la hâte de ce qui pouvoit les conforter, allerent chercher les couchettes qui étoient dans les cabinets, baisserent les dossiers des canapés, parurent bientôt tous in puris nuturalibus ; et ce fut un cri général de la part de ces dames, en jettant les yeux sur l’instrument énorme de belle-pine : ma compagne et moi en fûmes toutes stupéfiées. Elles s’approcherent l’une après l’autre pour le toucher, l’examiner, le mesurer ; il portoit neuf pouces, et étoit soutenu par trois boulettes. Il avoit eu la précaution d’apporter son bourlet, expédient dont les hommes qui ont la verge trop longue, se servent pour ne pas incommoder les femmes, il le mit ; cela le racourcissoit de deux pouces, et s’empara ainsi de la Prieure, les deux Bénédictins de leurs bonnes amies, les autres indifféremment de celles auprès desquelles ils étoient ; les trois autres de relais, furent destinés pour Colette Barbe, et la présidente qui n’étoit aucunement déconcertée, de sentir un pareil pilon dans son mortier.

Un bruit confus pour lors se fit entendre ; les hem — hem — des Révérends, semblables à ceux des charpentiers qui dégrossissent leur bois, joints à quelques sons mal articulés de la part de leurs bonnes amies, firent pendant quelques minutes murmurer la salle de toute part. Je regardois comme Colette se tiroit d’affaire ; quoique ramassée dans sa petite taille, si elle jouissoit, elle faisoit jouir aussi, selon leur convention ; ainsi que Barbe et la Prieure, elle soutint deux assauts sans interruption.

Etant tous frais et jeunes, ils mirent peu d’intervalle sans recommencer. Dans les combats les premiers chocs sont toujours les plus vigoureux : il en fut de même dans celui-ci ; et ce ne fut qu’après une seconde cavalcade, qu’ils prirent le temps de respirer. Les uns près des autres se témoignerent leur satisfaction d’une maniere qui n’étoit pas équivoque. Restant sur les différens autels où ils avoient sacrifiés, ils se donnerent quelques claquettes, et s’y amuserent un moment.

Belle-pine qui avoit été officier, à qui le droit de commander étoit dévolu, puisque la sienne de toute la tête surpassoit celle des autres, dit à ses confreres, il faut encore une fois réjouir ces dames avant le dîner, mais le faire avec un certain ordre ; il instruisit l’assemblée de son dessein ; ils débarrasserent la salle, se posterent en ligne aux deux extrémités, les mâles d’un côté, et les femelles de l’autre ; décoré du baudrier qui avoit servi à Rigot le jour de sa réception, et une canne en main ; il s’y prit ainsi. —

Attention au commandement. Mes dames ; c’est à vous — marche — Lorsqu’elles eurent fait, cinq à six pas — distance nécessaire, il cria — alte — demi-tour à droite — reposez-vous sur vos mains — braquez le canon — haut le canon. Il s’approcha pour alligner ceux qui ne l’étoient pas, examina si les lumieres étoient toutes bien disposées, ordonna à Rigot et à la Platiere de faire la sentinelle de droite et de gauche, ce qu’ils firent d’un air grave, la main droite sur la flamberge, et l’autre sur la bouche. Nous nous pinçâmes les lèvres Sylvie, et moi pour ne pas rire, voyant ainsi postés sept postérieurs tous bien nourris et fort blancs. S’adressant ensuite à ses confreres dont les bouroirs, semblables aux chevaux fougueux dont on retient les rênes, témoignoient leur impatience par leurs mouvemens ; marche — lorsqu’ils furent vison-visu de la batterie — alte — genoux en terre — haut les armes — chargez — feu — ma foi ce dernier mot fut le signal ; et tandis que les artilleurs et l’artillerie se livroient un combat général, c’étoit à qui mieux-mieux, les canons n’étant pas patraques, repoussoient assez joliment ; monsieur le major avec sa canne marquoit les temps.

Lorsqu’ils eurent fini, Rigot s’approcha de ma Bonne, la Platiere de Rose, le Commandant de Susanne, et se mirent à même de charger à leur tour. Je parie que c’est belle-pine, dit cette aimable fille — oh, mon ami, ménage-moi, je t’en prie : Barbe qui étoit la plus près, y porta la main ; elle ne se plaignit plus : elles se leverent après les trois derniers assauts, louerent beaucoup cette invention, furent tous dans le réservoir y prendre le bain, revinrent et mirent la table.

Nous fûmes aussi Sylvie et moi prendre quelque chose, et retournâmes les revoir.

Les premiers coups de dent étoient donnés, chacun fêtoit sa compagne ; quelque verres du meilleur vin du pays se siffloient à leurs santés ; les mains pour voltiger n’ayant pas besoin de tourner aucun feuillet, augmentoient de temps en temps la joie des convives — et ils étoient au dessert lorsque la sœur Agnès entra.

Toute l’assemblée témoigna beaucoup de plaisir de la voir ; on la fit asseoir, boire un verre de vin muscat ; tous lui porterent la santé, en la remerciant de la bonne chere qu’elle leur avoit fait faire. Cela est fort honnête de votre part, dit notre homme si bien emmanché ; mais cela ne suffit pas. Puisque les viandes qu’elle nous a préparées étoient si succulentes, qu’il ne nous en reste que de la crue, il faut qu’elle en goûte ; et en voici un morceau, en se levant, qui n’est pas indifférent. Surprise d’en voir un pareil, elle fit un cri et voulut s’en défendre ; mais il la jetta sur un canapé, et en lui disant : allons belle cuisiniere — vous jugerez si cette endouille est bien assaisonnée. Les trois premieres secousses lui firent faire quelques grimaces, elle soutint cependant la gageure en présence de la société, en fille qui méritoit de leur être associée. Ah, bigre, lui dit-elle, regardant et touchant l’illustre pere du genre humain qui étoit sorti triomphant, je ne l’ai jamais été avec autant de véhémence ; il m’a porté jusqu’au cœur ; oh ciel ! ma foi défunt notre âne ne l’avoit pas plus beau.

Trousse-cote s’approcha pour lui donner aussi des preuves de sa reconnoissance ; mais elle le pria d’attendre qu’elle fût à son aise ; et disant à l’assemblée que son dessein étoit de passer l’après dîner avec eux, elle se deshabilla ; ils en furent tous enchantés, leverent la table ; et tandis qu’elle répondit à la politesse qu’on lui faisoit, les autres pour prendre un peu d’exercice, sauterent et gambaderent.

A l’île de Cythere, dit la Prieure ; ils y passerent, mirent tous la main à l’œuvre : les différens meubles qui devoient servir à l’observance de leurs vœux de chasteté, et que j’ai remis à parler dans ce volume, consistoient en un petit chariot, le chevalet, une grande planche longue, placée sur trois piquets de la hauteur de cinq pieds, et trois branles doubles.

C’est à mon tour de commander, dit le Professeur ; et avant de voltiger, commençons, mesdames, par soutenir une thèse de physique expérimentale, tant sur les autres meubles que vous voyez qu’autrement. Il leur assigna leurs places ; lui-même se saisit de Barbe qui étoit fort mince et souple, lui faisant mettre une jambe sur son épaule, et l’autre le long de son corps il en fit exactement une musette, donna un coup de sifflet, enfila, et tous en firent de même.

Pour procéder avec ordre, belle-pine s’étendit sur la planche dont j’ai parlé ; la Prieure se mit à califourchon sur lui, Rose qui étoit en-bas lui prit les pieds ; tire-droit qui étoit dessus, les bras, et s’accordant, ils — contrefirent on ne peut mieux les scieurs de long.

Trousse-cote et fretillard, comme s’ils eussent conduit une charrue, donnerent à tour de rôle à Colette sur le petit chariot des preuves de leur adresse ; et tandis que l’un faisoit le limonier, l’autre à genoux sur le bord du chariot, et tenant les jambes de la belle, qui représentoient la fourche, la piquoit de son aiguillon ; Susanne sur la charrette ne fut pas mal traitée à tour de rôle, par la Platiere et Guignolet.

Les six autres qui faisoient la chaîne, fixerent aussi notre attention ; et si les fesses des revérends qui servoient d’oreiller à nos dames, faisoient sautiller leurs chefs, monsieur le docteur Sorbonicus faisoit assez bien sentir à Barbe la souplesse des siennes.

C’est ainsi que se soutint cette thèse unique, il est vrai dans son genre, mais moins insipide que celles que l’on soutient sur les bancs, et ils rentrerent.

Chacun dit son mot sur ce qui venoit de se passer, et prit quelques rafraîchissemens. Il est près de quatre heures, dit trousse-cote, et je crois que l’on siffle les vêpres dans ce pays ci ; oh, je ne prétends pas cela. Ainsi que l’on fasse deux chœurs. Un moment suffit pour instruire la société ; les dames s’assirent d’un côté sur les dossiers du canapé, les messieurs de l’autre — et chanterent sur le huitième ton les vêpres des mousquetaires. Après l’antienne, Susanne et Colette avec une grace admirable, furent se poster au milieu du chœur, et en faisant la révérence, la premiere chanta le verset — que lui fit-il ?… et l’autre le répond — il la f…tit — …

Toutes ces dames n’y purent plus tenir ; et je crus qu’elles étoufferoient à force de rire. Cela ne fit pas moins d’impression sur nous, mais nous nous retînmes pour ne pas faire de bruit ; ils se rapprocherent, et après quelques soins officieux de la part de leurs chastes sœurs ; aux branles, dit Rose.

Ils sortirent de la salle, six de l’un et de l’autre sexe se mirent dedans ; trois de ces dames assises chacune sur un lit suspendu, les jambes relevées et retenues par des anneaux de rubans, présentoient à leurs confreres à genoux sur les leurs, la partie centrale ; ceux qui étoient en-bas, et qui tenoient les cordes pour les faire aller, donnerent le temps à la conjonction de se faire, et dans le moment, à tour de bras, les firent voltiger. Cette maniere de se caresser en l’air, tantôt dessus, tantôt dessous, joint aux mouvemens que l’on se donne, est assez drôle ; lorsque je l’éprouvai, cela me plut beaucoup. Nous demeurâmes constamment Sylvie et moi jusqu’à ce que tous y eurent passés, et nous fûmes témoins de toute leur joie. Je m’entretins beaucoup avec ma compagne de celle que nous nous promettions le lendemain, puisque Delabrisse et Vernier devoient venir. Lorsque la clique fut séparée, nous fûmes rejoindre ces dames, nous soupâmes toutes ensemble chez l’Abbesse, et cela avec autant de sang froid que s’il ne s’étoit rien passé.

Ils vinrent d’assez bonne heure ; nous restâmes toute la journée avec eux dans le pavillon ; et quoiqu’on petit nombre, et parfaites imitatrices de tout ce que nous avions vu, nous ne laissâmes pas de nous servir des différens meubles dont j’ai parlé.

Tout ceci va paroître surprenant ; c’est cependant l’exacte vérité, et je ne l’aurois jamais rendu public sans une dame fort aimable à qui j’ai de grandes obligations : je renvoye mon lecteur à la lettre qui est au commencement de cet ouvrage. Il s’amusera aux dépens, il est vrai, de l’état monastique. Je ne doute pas que cela ne contribue à le faire tomber dans un plus grand discrédit ; mais s’il pouvoit contribuer à sa ruine entiere, que de victimes de moins ! et quand il ne serviroit qu’à faire ouvrir les yeux aux maratres et aux peres dénaturés, qui pour un intérêt sordide, sacrifient leurs enfans, qui de très-bons citoyens qu’ils auroient été, menent le plus souvent dans le Cloître une vie moins réservée que dans le monde, j’aurois encore lieu d’être satisfaite.

Quelques réfléxions sur ce sujet ; un peu de délicatesse, ma tendresse pour un homme que le ciel m’a destiné, nous engagerent l’un et l’autre à prendre un parti pour ne la partager avec personne. Je vais fort succinctement traiter ce qui suit.

Je reprends. Nous fîmes profession ma compagne et moi, et fûmes agrégées à la société avec toutes les particularités que j’ai détaillés. Mon bon ami fut fait Procureur de sa maison ; pour obliger Sylvie, il fit nommer Vernier pour son celerier ; ils se fixerent ainsi au Prieuré qui étoit proche de l’Abbaye, et nous fûmes à même d’avoir très-souvent leurs visites. Mais mon amour pour Dom Delabrisse s’accrut de telle sorte, que je regardois les faveurs que j’accordois aux autres, comme autant d’infidélités que je lui faisois. La crainte de le perdre m’allarmoit aussi ; il peut, disois-je, par la difficulté de contenter tout le monde, se faire des ennemis, être même supplanté, pour surcroît, et par le plus grand des malheurs, on peut l’éloigner à cent lieues de moi. J’y succomberai continuai-je ; Sylvie qui est remplie de sentimens, me tenoit le même langage du sien ; nous nous assistions alternativement de nos conseils ; mais nous ne savions pas ce que ces chers hommes préméditoient, et le sort qui nous attendoit.

Le chagrin que ma Bonne conçut de l’éloignement de son amant, qui fut nommé à une Cure, à cinquante lieues de l’Abbaye redoubla mes craintes : je fus pendant près de quinze jours à la consoler, et elle perdit beaucoup de sa gaieté. Nous passâmes deux années depuis notre profession, à-peu-près comme précédemment ; la troisieme fut celle qui mit le comble à notre honneur.

Il se fit aussi du changement dans la maison de nos confreres ; une partie de nos dames perdirent leurs amis ; elles en furent affligées pendant quelque temps ; mais s’en consolerent avec les nouveaux venus.

Trois semaines avant notre départ auquel Sylvie, ma Bonne et moi nous ne nous attendions pas, D. Delabrisse et Vernier vinrent nous voir. Comme nous étions quelquefois dans l’usage de faire bande à part ; seule avec le mien, et recevant ses caresses avec une affection sans égale ; car depuis près de dix jours je ne l’avois vu ; je fus fort étonnée de son peu de ménagement ; je m’en attristois, lui en fis même des reproches ; je ne savois ce que j’en voulois dire — il se mit à rire, et me dit de m’asseoir.

D. Delabrisse.

La façon dont je viens de me comporter t’étonne ; mais lorsque tu en sçauras les motifs, au lieu de me blâmer, tu t’y prêteras.

Angélique.

Explique-toi ; je ne comprends rien à ceci, et il s’en faut beaucoup que je sois rassurée.

D. Delabrisse.

Ecoute-moi ; sans te répéter ce que cent fois je t’ai dit, il n’est que toi seule qui peut fixer mon bonheur ; et il ne peut être tel, tandis que nous nous tiendrons dans l’état que nous avons embrassé ; état où peu maître de son sort, on est par l’ambition et les mauvaises menées de plusieurs, beaucoup plus en but à l’inconstance que dans le monde : ainsi depuis le temps que je suis à la tête des affaires de notre Prieuré, j’ai pris mes arrangemens, et j’ai fait une assez bonne pacotille, et te propose de me suivre. Si tu te rends à mes desirs — c’est dès ce moment ci. —

Angélique.

Je ne puis te laisser achever, j’en comprends plus que tu n’en pourrois dire ; tu ne peux rien me proposer de plus agréable ; pourrois-je m’éloigner de toi ? Oui, je te suivrai, seroit-ce au bout du monde. Le voici donc le moment où je puis me flatter que tu seras le seul qui auras part à ma tendresse ! je te le jure ; tu sçais mes répugnances ; ce cœur ne sera satisfait qu’en te possédant seul, et ne peut se partager.

D. Delabrisse.

Tirons le rideau sur tout ce qui s’est passé, et que le ciel soit témoin de nos engagemens ; mais tu pleures ma chere amie ; je t’en prie…

Angélique.

Ma Bonne ; mon amie ; ma Bonne, je ne puis me résoudre à la laisser.

D. Delabrisse.

Aussi viendra-t-elle avec nous ; tel est mon dessein ; rassure-toi.

Angélique.

Oh ! le meilleur de tous les hommes ! Comment pourrai-je reconnoître ?… Et Vernier seroit-il pour Sylvie aussi généreux !

D. Delabrisse.

J’allois t’en parler ; il sont peut-être actuellement sur le même article, et nous partirons tous les cinq ensemble ; tout est prémédité. Jusqu’à présent j’ai gardé le silence, j’avois mes raisons pour cela : oui ma tendre amie, nous serons mille fois plus heureux, et non pas exposés comme les oiseaux sur la branche, au malheur de nous séparer. Ne t’inquiete pas, j’ai suffisamment ce qu’il faut pour prévenir les horreurs de l’indigence : car on a beau s’aimer, il faut vivre ; et comme dit fort bien un poëte :

L’esprit, la beauté, les attraits, la bonne mine,
Echauffent bien le cœur, mais non pas la cuisine.

Angélique.

Les voici.

Sylvie.

Ah, digne et cher homme ! que pourrai-je vous dire ; car tout ceci est votre ouvrage ; que ne vous dois-je pas ?

D. Delabrisse.

Je n’ai fait que suivre en cela mon inclination, pour obliger mon ami, et être dans le cas de pouvoir vous servir : toute la reconnoissance que j’en exige, je vous prie de conserver pour Angélique l’amitié que vous lui avez témoignée jusqu’à présent.

Sylvie.

Je mériterois d’être enterrée toute vive, si j’étois capable de la diminuer. Embrassons-nous ma chere amie, renouvellons-la de nouveau : ah, quel bonheur imprévu !

D. Vernier.

Oui, Sylvie, c’est à ce digne ami que nous sommes redevables…

Angélique.

Je vais chercher ma Bonne, et la joie sera complette.

D. Delabrisse.

Cessez, je vous prie, tant de remercîmens ; j’ai fait pour toi, Vernier, ce qu’à ma place tu aurois fait pour moi.

Félicité.

Que viens-je d’apprendre ! je n’ai jamais douté, D. Delabrisse, de la bonté de votre cœur ; mais votre procédé actuel m’interdit à un point, me pénetre de tant de reconnoissance que je ne sçais de quels termes me servir pour vous la témoigner.

D. Delabrisse.

Trop heureux, Madame, de pouvoir me reconnoître de celles que vous avez eues pour moi. La tendresse mutuelle que vous avez l’une pour l’autre, et ma propre satisfaction m’ont déterminé à vous emmener avec nous.

Félicité.

J’en rends graces au ciel ; oui mon cœur, j’en serois morte de douleur si vous fussiez parti sans moi. Mais je vous serai peut-être à charge mes amis ?

Angélique.

A charge, ma Bonne, que dites-vous là ? Dussions-nous gagner notre vie à la sueur de notre front, vous en auriez toujours la meilleure part ; mais nous ne serons pas dans ce cas-là.

Nous demeurâmes ensemble tous les cinq près de deux heures ; les épanchemens de cœur, et tout ce qu’on peut se dire de plus touchant y furent cent fois répétés. Ma parente se retira, et je dis à D. Delabrisse, allons, rends-moi mere, et fais-toi pere ; ce n’est que par-là que nous pourrons plaire à l’Auteur de la nature, qui a créé chaque chose pour sa fin. Sylvie en dit autant au sien ; et après avoir passé quelque temps avec eux, ils nous dirent que la premiere fois, qu’ils viendroient nous prendrions nos derniers arrangemens, et nous les conduisîmes.

Nous fûmes tout de suite ma compagne et moi chez ma Bonne ; après souper nous la rejoignîmes, et elle nous parla ainsi :

Cette derniere preuve de l’amitié de Dom Delabrisse mérite de notre part, mes amies, tout ce que le cœur peut dicter de plus affectueux. En suivant pour toi Angélique, son propre amour, et la tendresse qu’il te porte, il nous rend le plus grand service que vous ne pouvez vous imaginer ; et il est à propos que je vous fasse part des réflexions que cent fois j’ai faites, et auxquelles je ne me suis pas arrêté, dans la crainte de jetter du sombre sur mon caractere.

Nous avons trop de liberté dans l’Abbaye, pour que cela puisse durer : madame l’Abbesse est dans un état décrépit qui annonce sa fin. Si on nous laissoit le choix après sa mort d’élire une de nous, il y auroit de l’espérance à pouvoir se soutenir ; mais vous savez que c’est la Cour qui dispose de ces sortes de places, et souvent destine pour Abbesse dans tel et tel monastere une religieuse d’un ordre différent. Celle qui succédera à madame de *** peut être de ces atrabilaires, qui sous prétexte de régularité, fermera portes et grillons, et ne laissera aux tourterelles que le triste sort de gémir — je suppose qu’elle ne soit pas de cette trempe, encore je le répete, nous éprouverions bien du changement. J’aurai quelques regrets de quitter nos amies, il est vrai, mais il est permis à un chacun de se pourvoir. Qu’aucune ne puisse s’appercevoir de notre dessein ! Soyons avec elles comme de coutume ; lorsque nous serons parties, qu’elles fassent comme elles voudront.

Finalement nos amis revinrent ; nous arrêtâmes le jour de notre départ, et nous préparâmes ce qu’il falloit pour nous déguiser. Nous nous trouvâmes donc toutes les trois dans le pré du pavillon un soir à neuf heures : un petit coup qu’ils donnerent à la porte qui communiquoit dans le dehors nous avertit ; nous leur donnâmes le bras, et nous allâmes rejoindre les deux chaises de poste, qui étoient sur le chemin : elles partirent comme un trait. A la pointe du jour nous étions à vingt lieues de l’Abbaye ; et court après dîmes-nous, en nous reposant une heure dans une hôtellerie. Notre voyage fut un peu long ; enfin nous arrivâmes dans une des premieres villes du monde pour le commerce ; et quelques jours après pour voir la Cour, nous nous rendîmes dans une plus petite il est vrai, mais séjour fort agréable.

J’y fis connoissance à la comédie d’une dame des plus qualifiées du pays ; c’est la même qui m’a engagé d’écrire cette histoire : elle m’a rendu des services très-essentiels, elle a procuré à mon mari, et à Vernier de très-bonnes places qui nous mettent à même avec ce que nous avons apporté, de vivre très-à notre aise. Je suis mere pour le présent de deux enfants. Sylvie d’un ; ma Bonne les regarde comme les siens ; nous ne leur donnons pas l’envie du Cloître, et j’invite toutes les meres à en faire de même.

FIN.

  1. Mot ne figurant pas dans les dictionnaires. Apparemment une sorte de petit poisson du genre brochet, cf. Bulletin de la société d’histoire de Normandie, 1888, p. 254, ligne 2 : Internet Archive. (Note de Wikisource).