Le Monde comme volonté et comme représentation/Appendice/Page44

Traduction par A. Burdeau.
Librairie Félix Alcan (Tome deuxièmep. 323).
L’unité synthétique de l’aperception : ambiguïté de cette théorie de Kant. 
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Après avoir, dans les grandes lignes de sa théorie sur la faculté de représentation, commis tant de graves fautes, Kant arrive à des hypothèses multiples et fort compliquées. Citons entre autres et en première ligne, l’unité synthétique de l’aperception, chose fort singulière, exprimée d’une manière plus singulière encore. « Le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations. » — Doit pouvoir ! — C’est là ce qu’on appelle une énonciation tout à la fois problématique et apodictique ; autrement dit, et pour parler clair, c’est une proposition qui reprend d’une main ce qu’elle donne de l’autre. Quel est en définitive le sens de cette phrase si ambiguë ? Est-ce celui-ci : Toute représentation est une pensée ? Non ; heureusement non ; car dans ce cas il n’existerait plus que des concepts abstraits, et surtout il n’y aurait plus d’intuition exempte de réflexion et de volonté ; du même coup serait supprimée la compréhension la plus profonde qu’on puisse avoir de l’essence vraie des choses, c’est-à-dire de leurs Idées, au sens platonicien du mot. Ajoutons que dans ce cas les animaux devraient, de deux choses l’une, ou bien penser comme les hommes ou bien être totalement privés de représentations. — Ou bien Kant aurait-il voulu dire par hasard : Point d’objet sans sujet ? Cette vérité serait alors bien mal exprimée, et elle viendrait trop tard. — En résumant les explications de Kant, voici ce que nous trouvons : ce qu’il appelle unité synthétique de l’aperception, c’est en quelque sorte le centre de la sphère de nos représentations, point sans étendue vers lequel convergent tous leurs rayons ; c’est ce que j’appelle le sujet connaissant, le corrélatif de toutes les représentations ; c’est également ce que, dans un autre passage, je décris en détail et caractérise de la manière suivante : le foyer où convergent les rayons de l’activité cérébrale[1]. Pour ne point me répéter, je renvoie le lecteur au passage en question.

  1. Voyez ch. XXII des Suppléments.