Le Moine et le Philosophe/Tome 4/II/XXXIII


Le Roi (4p. 222-227).


CHAPITRE XXXIII.

Florestan réformateur.


Les frontières du Languedoc, de la Catalogne et de l’Arragon, étaient occupées par des bandes qui, comme les Suisses depuis, vendaient leur sang et leurs services à quiconque voulait les payer. Florestan était pauvre, mais les églises et les couvens étaient riches ; il jura l’extermination des prêtres pour lesquels il avait exterminé tant de misérables. Il appela ces terribles auxiliaires, et, à leur tête, il saccagea les églises et les monastères, et, de leurs trésors ou de leurs récoltes, paya l’ardeur avide de sa troupe. Ce n’était pas assez ; joignant le glaive de la parole à celui des guerriers, il prêchait, le sabre à la main, contre les ecclésiastiques, il dévoilait leur avarice, leurs débordemens, leurs fraudes pieuses. Il invoquait Dieu, les prophètes et les évangiles : il montrait, il lisait au peuple le livre et la page où l’affranchissement du genre humain est prononcé, où les tyrans et les persécuteurs sont maudits, et puisait ainsi les armes de la liberté dans le même arsenal où ses ennemis prenaient les chaînes de l’esclavage.

Les seigneurs, toujours avides de pillages, imitèrent son exemple ; ils dévastèrent les églises. Les peuples étonnés prêtaient l’oreille à ses discours, et s’éveillaient aux accens de sa voix flatteuse. Le danger devenait imminent pour les prêtres, mais les prêtres veillaient ! La ruine, le pillage des églises ne les épouvantaient guères. Autant de vols faits aux ecclésiastiques, autant pour les ecclésiastiques de conquêtes sur leurs ennemis. Les seigneurs finissaient toujours par leur restituer, et au-delà, ce qu’ils leur avaient pris. D’une main ils renversaient ou dépouillaient de vieux temples, de l’autre ils en élevaient de magnifiques et les dotaient richement. Ils étaient pillards et dévastateurs par instinct, et fondateurs par crainte et ostentation ; c’est ainsi qu’on nommait les grands qui fondaient des églises nouvelles, et faisaient de sacriléges offrandes à Dieu, des biens qu’ils avaient ravis au pauvre peuple[1]. Le peuple était en définitif le seul pillé ; l’Église recevait toujours, de la main des seigneurs, et les vols faits à l’Église et les vols faits aux citoyens, aux laboureurs, aux bourgeois ; aussi l’histoire de France, remplie des plaintes perpétuelles du clergé contre les exactions et les pillages de la noblesse, nous le présente toujours plus riche et plus puissant.

Cette guerre faite à ses biens ne l’effrayait donc point : il savait que les jours de la restitution arriveraient ; mais ce qui l’effrayait, c’étaient les prédications de Florestan. Déjà plusieurs fois attaquée par de semblables déclamations, elle en connaissait le danger, elle ne craignait pas les voleurs, mais la lumière. Déjà s’étaient élevés nombre d’hérétiques. L’an 1000, pour ne pas remonter plus haut, un paysan[2] brisait les images, soutenait que les prophètes n’avaient pas toujours dit de bonnes choses, et criait contre la dîme ; le peuple le regardait comme un envoyé du ciel. En 1017, le sage roi Robert[3], à la suite d’un concile, avait fait brûler dans Orléans, treize hérétiques imbus des mêmes principes : cet exemple fut imité partout, et particulièrement dans Toulouse, ville espagnole, quant au zèle catholique. En 1050, le savant Berenger attaqua la présence réelle, et tant de disciples le suivaient, qu’on le surnomma le Magicien. Les conciles, les censures ecclésiastiques, et surtout l’épée et la justice, assoupirent ces querelles ; mais les Albigeois conservaient le dépôt de la foi chrétienne ; les jours de la réforme allaient commencer peut-être ; les croisades arrêtèrent l’essor de l’esprit humain.

Les moines de Lansac auraient pu désarmer Florestan, en lui restituant ses terres ; mais restituer est toujours pénible, et l’Église ne doit jamais revenir sur ses pas ; ils décidèrent donc de se défaire de lui par tous les moyens possibles. Florestan, de son côté, leur faisait une rude guerre ; et sa qualité de Croisé l’eût bien servi, s’ils n’eussent affirmé toujours qu’il n’était qu’un imposteur. L’armée innombrable des dévots allait répétant leurs calomnies, et persuadait presqu’à ceux même qui le reconnaissaient qu’il n’était pas lui.




  1. Mézerai, Philippe Ier.
  2. Leutard, né à Vertus, près Châlons.
  3. Le Sage, c’est ainsi qu’en parlent les bons auteurs. Mais la reine Constance était bien plus sage encore. Son confesseur étant du nombre des hérétiques condamnés au feu, elle voulut le voir aller au supplice ; et, au moment où il passait devant elle, la dévote lui enfonça une baguette dans l’œil et le lui creva. Le ciel récompensa la sagesse du roi Robert, car un moine assure qu’il fit un miracle de son vivant.