Le Moine et le Philosophe/Tome 2/I/XVII


Le Roi (2p. 29-32).


CHAPITRE XVII.

Jérusalem. — Transport du Moine.


Comment dépeindre les transports du renégat ! ses cris de joie firent retentir les échos de la Judée.

Salut, s’écria-t-il, ville sainte ! où vécut un peuple détesté par tous les autres, car il était lâche, ignorant, persécuteur et sanguinaire, mais chéri de l’Éternel, car il obéissait aux prêtres.

« Salut ville sainte ! où les prêtres étaient les maîtres suprêmes ; ou, par conséquent, on punissait de mort un geste, un regard séditieux ou suspect.

» Où les auteurs des plus petites peccadilles, même involontaires, et ceux qui n’avaient pas dénoncé les auteurs de ces peccadilles, étaient punis par des amendes en faveur des prêtres.

» Où les péchés et les absolutions, les souillures et les purifications, les offrandes au Seigneur et les cérémonies étaient multipliées à l’infini, parce qu’il en revenait toujours une amende aux prêtres, et un sacrifice de gibier, de volaille, de gâteaux, d’huile et vin, que les prêtres mangeaient et buvaient pour le Seigneur-Dieu ; puis, gibier, volaille, gâteaux, huile et vin pour le salut d’Israël ; car Dieu avait déclaré cette manducation lui être fort agréable.

» Où Dieu révéla la manière de faire les cérémonies, les mariages, les sépultures et les ragoûts ; la manière de dîner et de souper, et même de faire certaine autre chose ; conséquence forcée du dîner et du souper[1] : afin que les prêtres, chargés de faire exécuter toutes ces lois, gouvernassent l’homme, même dans les actions les plus indifférentes, les plus basses et les plus secrètes ; et le liassent ainsi, à l’autel, par les bras, par les pieds, par l’esprit, par le corps, par l’âme et par la pensée.

» Salut ville sainte ! qui, après avoir exterminé les hérétiques, les incrédules, égorgé les rois, éventré les femmes enceintes, écrasé la tête des enfans sur la pierre, parce que tes prêtres te le commandèrent au nom de Dieu, crucifias enfin Dieu lui-même, parce que tes prêtres le voulurent.

» Salut ville sainte ! berceau de la théologie et de la dîme, villes où les plus pauvres des hommes, en prêchant la pauvreté, ont laissé pour successeurs des hommes riches et puissans, ad majorem Dei gloriam, et qui, je l’espère, pour le salut de l’humanité, envahiront toutes les richesses de l’univers, dont nous aurons notre bonne part ; mon frère le mahométan que voilà, et moi. »

Ils entrèrent dans la ville. Le renégat demanda d’être réconcilié, l’Iman demanda le baptême ; le patriarche fixa le jour des deux cérémonies au jour prochain, où tous les fidèles, après avoir achevé l’extermination des habitans de Jérusalem, devaient se rendre sur le tombeau de l’Homme-Dieu, et y achever leur pélerinage par des prières et des gémissemens.




  1. Historique.