Le Moine et le Philosophe/Tome 2/I/XIX


Le Roi (2p. 37-59).


CHAPITRE XIX.

L’Amour et le Désert.


Les murs du sérail tenaient Laurette prisonnière ; ils étaient pour elle les bornes de l’univers, mais ils la mettaient à l’abri des dangers de la vie et du monde.

Après un long voyage, elle avait aussi peu d’expérience que le jour où le moine répétait à sa fenêtre, en agitant des étoupes embrâsées, l’ave, le tendre ave du bel ange à la belle et chaste épouse de Joseph. Elle obéit au moine croyant obéir à Dieu ; souvent sa raison, imbue des maximes philosophiques de son père, se révoltait contre le moine, mais habituée à le voir depuis son enfance, elle se soumettait sans effort. Loin de la famille et de la patrie, il lui tenait lieu de famille et de patrie, il était son espérance et son appui. Ses discours, d’ailleurs, avaient, d’une certaine manière, charmé son voyage. Maintenant, sur une terre inconnue, chargée de deux enfans, dont elle est la mère sans avoir prévu qu’elle pouvait devenir mère, livrée à la discrétion de trois barbares, elle jette autour d’elle des regards épouvantés ; tout l’effraie, la nuit obscure, l’éclat du jour, la parole et le silence, les déserts et les hommes. Elle sent en s’éloignant des murs du sérail plus de douleur qu’elle n’en éprouva, peut-être, en quittant le château de Lansac. Elle se retourne à tout moment pour leur jeter un dernier regard. Elle ne peut plus les voir ; ses larmes coulent ; elle a tout perdu

Les soldats de son escorte étaient des nomades à demi-sauvages. L’un avait quitté les douces campagnes de l’Yémen, les deux autres les rives où fut Carthage, pour aller combattre les guerriers du Christ, ou, comme ils le disaient, des esclaves révoltés contre le calife, des impies, des idolâtres, des ennemis de la terre et du ciel. Cependant la jeunesse de Laurette, sa beauté, ses enfans ; les peines continuelles de cette pauvre mère, étonnée et ravie de l’être, adoucirent, non leur caractère féroce, mais l’expression de leurs passions violentes.

Deux objets bien différens exercent sur nous un empire non contesté. La vieillesse dans un homme vertueux, la jeunesse dans une femme, mère et remplissant les devoirs de la maternité. Bientôt ces barbares connurent le pouvoir de cette faible mère, seul appui de deux créatures plus faibles encore, n’ayant tous les trois pour protéger leur faiblesse que des larmes, les larmes du malheur. Ils se disputèrent l’occasion de la servir ; l’un d’eux, surtout, se distinguait par un zèle plus empressé, par des soins plus délicats. Pendant le jour, il marchait en avant pour écarter les obstacles. Il multipliait ses pas pour abréger ceux de l’étrangère ; tantôt sa voix l’appelait à lui, tantôt il accourait pour la guider dans une route moins pénible. Il lui cueillait les fruits les plus beaux, lui réservait l’eau la plus pure, l’allégeait du poids de ses enfans ; et le soir, avec les branches des palmiers et les vêtemens dont il se dépouillait pour elle, il lui formait un abri contre les rigueurs du climat, et veillait pour protéger son sommeil.

Élevé sous la tente, et fils de l’Arabe, sa pensée était vive et féconde. La contemplation du beau ciel de l’Orient, le soin monotone des troupeaux, la solitude du désert, formèrent son âme à la tendresse, à la mélancolie. Tantôt il avait erré sur les montagnes avec sa belle et douce cavale, aux yeux de gazelle ; la nourrissant, dans ses mains, de l’herbe la plus tendre ; retrouvant dans son lait la nourriture qu’elle avait prise dans ses mains ; tandis qu’elle paissait, il lui chantait les douleurs de Meignoun (a), de ce Meignoun, éloigné de Léïla, perdant la raison avec son amie. Hélas ! l’Arabe avait vu sa gazelle, frappée d’un trait assassin, mourir à ses côtés. Il l’avait tendrement aimée, l’aimait encore, la pleurait toujours, et racontait à tout moment avec enthousiasme, et sa vîtesse et sa beauté. Sur les chants de Meignoun, il arrangea des vers ; depuis il semblait célébrer Léïla, mais chantait sa gazelle. Tantôt sur le dromadaire docile, traversant les mers de sable, il avait vu les oasis saluer les eaux de la mer rouge et du Nil, et revu les campagnes fortunées de l’Yémen ; ces douces campagnes ! où le miel, un miel plus doux que le travail de l’abeille, sort de la terre et croît sous l’enveloppe des roseaux ; où les arbres exhalent des parfums, où la cité du prophète atteste les merveilles de son règne, où le tombeau de Mahomet s’élève sous le ciel le plus brillant, sous le soleil le plus majestueux : ces douces campagnes, véritable paradis des vivans, où le premier homme vit la lumière, où tous les fidèles doivent porter leurs pas, au moins une fois, s’ils veulent connaître la magnificence de la nature, les merveilles de la création, la gloire du prophète, et l’assurer, en visitant les lieux où il dévoila le vrai Dieu à l’homme régénéré ; l’immortel bonheur de jouir, après cette vie, de la vue du seul Dieu de l’univers et des délices du paradis céleste, dont la molle Arabie présente une si vive image.

Sous la tente du nomade, parmi les caravanes, dans les villes, des merveilles lui furent racontées. Il savait les prodiges arrivés à la naissance et à la mort du prophète, et les miracles opérés sur sa tombe. Il savait l’histoire des califes, et surtout d’Aaron[2] et du tendre Giaffard. Dans ses courses, rêvant Dieu, l’amour et la gloire, il avait lui-même fait descendre le ciel sur la terre, son cœur avait reconstruit le monde, son imagination expliquait la nature, et, comme il arrive aux plus savans, il croyait enfin à tout ce qu’il inventa.

La tête ainsi remplie de contes, de magie, de religion et d’amour, il ne tarissait point dans ses récits. Il déroulait aux yeux de Laurette enchantée, le tableau du monde idéal, des poëtes persans et des prêtres de la Mecque. À sa voix les génies sortaient du sein des mers ou descendaient du ciel ; les amans séparés, franchissaient l’espace immense et se trouvaient, tout-à-coup, réunis à l’extrémité du monde. Mahomet multipliait pour ses fidèles les moyens de salut et les sources du bonheur.

Laurette ainsi conduite dans le sein d’un monde nouveau, transportée dans le mahométisme par les génies protecteurs, par l’amour, toujours si puissant sur le cœur des femmes, ne savait plus que croire ni de la vie actuelle, ni de la vie à venir. Les miracles du christianisme se mêlaient dans sa mémoire aux faux prodiges du fourbe de la Mecque ; Mahomet et Jésus-Christ l’occupaient tour-à-tour ; et, par un bizarre effet de son inexpérience, elle puisait dans les raisonnemens du moine en faveur de la véritable religion des argumens favorables au culte des faux dieux. Elle errait incertaine entre Baal et Jehovah.

Son esprit flottait, mais son cœur s’était fixé pour toujours, il avait oublié le moine et ses leçons. Il dédaignait les deux Maures, avides comme elle des récits de l’Arabe, et cherchant à lui plaire comme lui. Soins inutiles, ni souvenir pour le moine, ni regard pour les Africains ! L’Arabe aussi n’était plus libre. Errant sur la terre, il avait rêvé l’amour sans jamais le connaître. Son âme tendre s’occupa de tout avec tendresse. Il aima vivement sa gazelle, il chanta Léïla comme la chantait le poëte de la tribu, il soupira pour la sœur du calife avec toute l’ardeur de Giaffard, il sentit pour le prophète tous les transports d’un cœur dévoué ; il voit Laurette ! l’amante du poëte et la sœur du calife, et sa gazelle et Mahomet sont encore dans sa mémoire et ne sont plus dans son cœur. Ses vains sentimens s’évanouissent devant elle ; tout ce qu’il aima rentre dans l’ombre quand l’amour s’est montré, comme les astres nombreux devant l’unique flambeau du jour ; il s’élance, il paraît… et leur retire la lumière dont il les fit briller loin de lui. Seul, il remplit l’espace ; seul, l’amour véritable occupe tout le cœur de l’homme. L’Arabe aime Laurette, et ne sait plus que l’aimer ; ses regrets, ses espérances, ses plaisirs, sa douleur, tout est amour ; ses paroles et son silence, tout est amour, langage d’amour.

D’abord, il disait ses contes pour charmer l’ennui du voyage ; la joie et l’attention de la jeune chrétienne l’engagèrent à multiplier ses récits. Il fut reconnaissant du plaisir qu’elle prenait à l’entendre. Sa pensée s’occupa d’elle, et son infortune le toucha ; ses malheurs lui montrèrent sa beauté. Sainte inspiration d’une âme grande et vertueuse !… Il ne vint point à son secours parce qu’elle était belle, il la trouva belle parce qu’elle était malheureuse, il l’aima parce qu’il lui devenait nécessaire.

Je l’ai dit pourtant, la nature lui prodigua ses dons, et son cœur était encore plus parfait que ses charmes : noble et généreuse, Laurette ne pouvait ni garder le souvenir de l’injure, ni perdre celui du bienfait. Fière, docile, elle s’attachait à tous ses alentours et ne se détachait jamais ; rose des champs, par les vents battue, elle répondait à leurs outrages en leur livrant ses parfums.

Elle connut bien vite, malgré son inexpérience ; car le moine n’avait eu pour elle, et elle n’avait eu pour le moine aucune espèce d’amour (la théologie n’admet que l’amour de Dieu) (b) ; elle connut les sentimens de l’Arabe ; alors la solitude et l’isolement disparurent ; elle ne se trouva plus seule dans la vie ; ses pieds se reposèrent sur la terre avec plus de hardiesse, sa tête s’élevait avec plus d’assurance vers le Ciel. Ils s’abandonnèrent à leur tendresse avec toute la franchise des habitans du désert, avec toute l’innocence des premiers âges.

Les contes de l’Arabe et surtout le récit de ses aventures acquirent un nouveau charme ; l’un et l’autre se plaçaient dans la situation des héros de l’histoire, éprouvaient leurs plaisirs et leurs peines, espéraient ou craignaient avec eux. Laurette, après avoir suivi son amant dans sa longue course, à travers les sables de la Lybie, se reposait, fatiguée comme lui, se reposait, doucement, comme lui, dans les merveilleux oasis, sous les palmiers solitaires, au sein des villes immenses et désertes, où les génies invisibles gardent, d’invisibles trésors, et la cendre des peuples éteints. À la sortie des déserts, elle s’enivrait des délices du Delta ; elle pleurait la Cavale aux yeux de gazelle, soupirait avec la sœur du calife ou l’amante du poëte ; et, sans le croire, ces soupirs donnés à l’infortune, qui n’était pas la sienne, lui étaient arrachés par un sentiment plus vif de sa propre faiblesse ; mais ces soupirs étaient sans désolation ; le cœur, en les exhalant, en perdait la mémoire. Le bonheur actuel effaçait les terreurs de l’avenir. Ainsi l’amour, la couvrant de ses voiles, dérobait le malheur à ses yeux, et lui promettait des jours filés d’or et de soie : hélas ! a-t-il jamais tenu ses promesses ! Quand il sème des fleurs, n’est-ce pas pour tromper ! Il vous ouvre une route charmante ; vous marchez, les fleurs vous laissent dans les ronces. Chrétiens ! pourquoi ces regards toujours fixés sur la terre ? qu’y verront-ils ? espérances vaines, regrets du passé, plaisirs dans les jours qui ne sont pas encore, et fatigue du présent ; la vie entière est une déception. Levez les yeux ! la vérité, ainsi que le bonheur, est au Ciel ; sur la terre, où votre âme est comme exilée ; tout est erreur, folie et misère.

Les deux Africains aimaient aussi Laurette. Sa préférence pour leur compagnon ne put leur échapper. La route de l’amour est toute lumière et il se croit dans les ténèbres. Imprudent ! ou souffle ta torche, ou jette ton bandeau.

Ne pouvant l’emporter sur leur rival, ils résolurent son trépas. Un des deux Africains, moins cruel, s’empara des armes de l’Arabe, et lui dit : Prends ces provisions et suis-moi. L’Arabe le suivit. Arrivés dans des lieux écartés : Fuis, ajouta le Maure ; mon camarade avait juré ta mort, je te donne la vie ; fuis les regards de la sultane et les miens. Retourne si tu veux auprès d’Abenzaïd ; il ne nous verra plus, et puisses-tu pour ton bonheur ne nous revoir jamais. Il dit, et s’éloigna, le menaçant du dard et du glaive.

Les Africains persuadèrent à Laurette qu’il était en avant, selon sa coutume ; elle les suivit : il ne vint point. Ne doutant plus de sa mort, elle n’eût pas consenti plus long-temps à traîner dans ces sauvages contrées sa déplorable existence ; mais elle était mère, pouvait-elle se soustraire à l’obligation de souffrir et de vivre ! Combien ses maux s’étaient accrus depuis son départ du sérail, et par l’effet même d’un bonheur imaginaire qui semblait devoir les dissiper à jamais ! Elle pouvait, avant d’aimer, soutenir le poids de son infortune ; elle aime… tout change et s’embellit. Plus tard, tout change encore : l’infortune, absente un moment, reparaît sous des traits plus affreux. Laurette, détrompée, retrouve au-delà de son malheur, et cherche en vain pour le supporter sa force évanouie. Sa misère lui parut sans bornes comme le désert ; l’amant est heureux, il rêve ; le malheur vient, il s’éveille : hélas ! rien n’est vrai comme la douleur. Qu’est-ce que le bonheur d’un rêve !

Les deux Africains lui parlèrent de leur amour et de leur crime ; elle les vit, plongeant le poignard dans le sein de leur rival, et ses cris et ses larmes leur demandèrent un tombeau pour elle, dans les mêmes lieux où leur rage l’avait frappé.

Sa haine leur fit mettre un terme aux vains discours d’une tendresse odieuse ; le cœur des Barbares parut dans toute sa sauvage nudité. Soins empressés, paroles tendres, tout cessa : l’Africain, semblable au tigre de ses plages brûlantes, rugit également d’amour et de rage. Ne pouvant rien obtenir, ils la menacèrent de déchirer ses enfans, et voulurent s’assujétir par la force de l’amour maternel, celle que la crainte de la mort n’avait pu leur soumettre.

C’en était fait : le glaive était déjà levé ; déjà le bras de l’assassin tombait sur les victimes ; la mère s’était vainement élancée au-devant du fer ; ses enfans allaient périr. Tout-à-coup, le Barbare pousse un cri lamentable ; il s’écrie !… et tombe lui-même de tout son poids sur le sable, inondé du sang vomi par ses flancs entre-ouverts.

Kaboul avait-il pu s’éloigner de Laurette ! L’humanité l’eût retenu près d’elle. Que ne devait pas lui commander l’amour ! Vainement le Barbare avait voulu cacher sa route. Kaboul connaissait tous les chemins de Sidon et de Jaffa ; néanmoins, il chercha long-temps les ravisseurs ; long-temps ses espérances furent déçues : d’autres pieds imprimés sur le sable, d’autres bruits transportés par les airs, le sollicitaient, l’entraînaient et l’égaraient. Détrompé bientôt, il revenait et s’élançait dans une autre voie ; quelquefois, incertain entre plusieurs indices, il laissait fuir le temps, qui ne revient jamais. Comme alors il gémissait de la pesanteur de sa course ! comme il regrettait sa belle cavale, émule des vents, et son dromadaire infatigable ! Enfin, il découvrit ses ennemis et ne les quitta plus. Couché sur le sable, il les suivait de l’œil, se relevait, s’élançait, volait après eux ; volait comme sa gazelle, laissant à peine la trace de ses pas. Il les rejoignait, et se couchait encore. Un arbre dominait-il les champs, il se perdait dans son feuillage ; un sol entre-ouvert lui présentait-il une retraite, il s’y jetait, et de là, ses regards, rasant la terre, convoyaient les ravisseurs : passaient-ils auprès de lui ; sa tête se baissait sous le sable dont son corps était déjà couvert. La nuit, il veillait auprès de Laurette, protégé par les ombres. Ainsi, quand elle se croyait esclave et victime, à jamais, à jamais abandonnée de la terre et du ciel, un être invisible, mais partout présent, méditait la vengeance et sa liberté.

Il épiait l’heure favorable. La crainte d’échouer lui persuadait toujours de différer encore. Enfin, il fallait ou mourir ou la sauver. Ses forces s’accrurent avec le danger. Le lion, dont on enlève la jeune famille, est moins furieux que ne l’était l’Arabe. Il écoutait les affreux discours des Africains. Tout-à-coup le ciel l’éclaire ! Aux cris de Laurette, il se lève ; il se lève les mains chargées de sable, se précipite sur le meurtrier, lance le sable dans ses yeux, l’aveugle ; et, saisissant le fer échappé de ses mains, le couche au pied de ces malheureux enfans, dont il voulait trancher les jours.

Aussitôt, il se précipite sur l’autre Africain ; et, le fer appuyé sur sa poitrine, lui dit : « Tu m’as donné la vie, et je te la donne ; fuis à ton tour, et ne reviens jamais. » Il retira son bras, mais l’Africain, cessant de craindre, frappe Kaboul, dont le sang coule ; Laurette avait heureusement dérangé le glaive du Barbare, Kaboul le perce d’un coup plus sûr : l’Africain tombe près de son camarade.

Les flots de leur sang se mêlèrent ; leurs soupirs se confondirent : ils moururent ensemble.

Cependant Kaboul était lui-même tombé non loin de ses rivaux, et, croyant mourir, il implorait le prophète pour cette pauvre chrétienne, dont les yeux étaient fermés à la lumière céleste ; il lui demandait un double miracle pour éclairer son âme et finir son malheur ; et Laurette, en suçant sa plaie et la serrant avec les morceaux de sa robe déchirée, priait la bonne Marie et le doux Jésus d’illuminer l’idolâtre et de ranimer ses forces épuisées. Ses enfans, oubliés pour l’Arabe, jetaient des cris aigus ; elle les déposa près de lui, se remit à genoux au milieu d’eux ; et, tandis que ses enfans pressaient son sein presque tari ; tandis que l’Arabe, gémissant sur son sort, invoquait Mahomet pour elle, Laurette continuait à prier, pour lui, Jésus et Marie.

Laurette craignit long-temps de perdre Kaboul : elle le voyait s’éteindre ; ses yeux noirs, brillant jadis d’une si vive lumière, maintenant ternes et mornes, n’exprimaient plus que la fatigue de la vie et les angoisses du dernier jour. Sa bouche refusait une nourriture grossière, la seule qu’elle pût lui donner ; et peut-être allait-il mourir d’inanition, quand son amante eut l’heureuse idée d’exprimer son sein et de faire tomber dans sa bouche les dernières gouttes de la liqueur maternelle oubliées par ses enfans.

Sainte inspiration de l’amour et de la pitié ! Kaboul rouvrit ses beaux yeux : la reconnaissance y peignait déjà le désir de vivre ; le ciel l’exauça : Kaboul fut arraché à la mort par son amante ; il renaquit, mais pour elle. Qu’il est doux de devoir la vie à celle pour qui l’on allait mourir ! Qu’il est doux de vivre, quand la vie est un bienfait de ce qu’on aime !

Laurette n’était plus cette craintive châtelaine, dont le feuillage, agité par Zéphire, suspendait les pas tremblans ; ce n’était plus cette compagne du moine, dont les géans et les fantômes effrayaient les regards ; ce n’était plus cette enfant, incapable de veiller, même sur elle. Le malheur et l’amour avaient élevé son âme, rassuré ses esprits, multiplié sa force. Seule, dans le désert, obligée de pourvoir aux besoins du dromadaire dont Abenzaïd lui fit don ; chargée du poids de ses enfans, de l’infortune de Kaboul et de la sienne, elle suffisait à tout : elle guidait le dromadaire sur l’herbe flétrie, et la lui découvrait sous le sable. En donnant son lait à Kaboul, en le nourrissant de sa propre vie, car elle s’épuisait pour lui, sa voix tendre et flatteuse lui répétait les contes dont il avait jadis charmé sa fatigue ; et lui faisait espérer, en les lui redisant, des jours aussi purs, des plaisirs aussi doux, que les plaisirs et les jours d’autrefois.




  1. (a) Les amours et les vers de Meignoun sont fameux en Orient.
  2. Les Contes arabes ont rendu populaire le nom de ce Calife ; il était amoureux de sa sœur, et la maria à son visir Giaffard, à condition qu’il ne jouirait point des droits d’époux.
  3. (b) Encore, est-ce une question. Les avis sont partagés.