Le Mirage perpétuel/LES PAYSAGES/Naples

Librairie Paul Ollendorff (p. 35-37).


NAPLES



Les balustres, la colonnade, et le fronton
Sous lequel, jeune dieu païen, je me repose
S’embaume d’un parfum d’églantine et de rose
Qui s’évapore ainsi qu’un soupir dans l’air blond.

Le soir, comme un brouillard de gaze rose et blanche
Où l’or du crépuscule est encore en suspens
Flotte au-dessus du golfe assoupi et des champs,
La flûte du dieu Pan susurre dans les branches.


Une danseuse enfant, svelte et comme hésitant,
S’avance à pas craintifs sur les degrés de pierre ;
Dans le soir plus léger mon âme plus légère
S’émeut à sa venue et tremble en l’attendant.

Elle porte un grand vase roux de forme pure,
Ses deux bras relevés sont sinueux et blancs,
Le geste héréditaire a fait saillir ses flancs,
Sa poitrine précoce a des arêtes dures.

Ô toi que le hasard approche ainsi de moi,
Es-tu donc ma pensée un moment incarnée ?
Mon cœur te pressentait comme la destinée,
Vois, je te reconnais sans rien savoir de toi !

Tes yeux semblables à deux fleurs miraculeuses
Se posent sur mes yeux comme un baume, tes mains
En me tendant la coupe où vacille le vin
Me font ressouvenir d’époques fabuleuses.


Comme ta voix est douce à mon cœur bondissant !
Ton nom seul est un souffle amoureux qui s’exhale,
Ô Luciuola, syllabes musicales
Qui me font défaillir comme un parfum d’encens !

Veuille ne me danser aucune tarentelle,
Et reprends ton amphore au long col évasé,
J’y mettrai si tu veux un humide baiser,
Puis tu t’éloigneras, harmonieuse et belle.

Le feuillage luisant de ces hauts chêneverts
Verse déjà la nuit aux herbes et aux plantes,
Je perçois maintenant dans l’ombre grandissante
Tout le soupir immense et léger de la mer,

Et voici que, mêlée à ce vin de Sicile
Où tantôt se mirait ton visage immobile,
Je savoure à longs traits avec un peu de fièvre
La douceur de ton nom qui se fond sur mes lèvres.