Le Messianisme chez les Juifs/Quatrième partie/Chapitre 3

CHAPITRE III

LES DÉCEPTIONS MESSIANIQUES.


I. — APRÈS LA RUINE.


La révolte qui aboutit à la ruine du Temple fut provoquée, en partie du moins, par des illusions messianiques. Nous en avons trouvé la preuve dans les aveux de Josèphe, et dans ses réticences mêmes. Nous reprenons ici l’histoire où nous l’avons laissée en le quittant. La nation juive n’a plus d’historien, et on ne peut que très difficilement se rendre compte de l’état des esprits et même des faits.

C’est la tradition chrétienne qui rejoint ici Josèphe sur le caractère messianique de la guerre.

Eusèbe nous apprend, d’après Hégésippe, que Vespasien fit rechercher après la prise de Jérusalem tous ceux qui seraient censés appartenir à la race de David, pour n’épargner personne qui pût avoir des prétentions à la royauté. Cette inquisition aurait été la cause d’une véritable persécution[1].

Si on a parlé de Messie durant la guerre, on avait en vue la maison de David ; les Romains ne pouvaient l’ignorer et leur préoccupation est très vraisemblable. Que les familles qui passaient pour descendre de David, — et celles de Bethléem devaient plus ou moins émettre cette prétention, — aient refusé de livrer leurs chefs, c’en était assez pour donner prétexte à de mauvais traitements et à des massacres.

Le même Hégésippe racontait encore que Domitien, tourmenté par la même inquiétude, fit comparaître des petits-fils de Juda, le frère du Seigneur[2], qu’on lui avait dénoncés comme descendants de David[3]. Cette anecdote bien connue place les deux messianismes dans une opposition saisissante. Les descendants des rois étaient de pauvres gens qui gagnaient leur vie en travaillant la terre. Quand on leur parla du règne du Messie et du temps et du lieu où il devait paraître, ils répondirent que ce règne n’était ni de ce monde, ni de la terre, mais céleste, et commencerait à la fin du monde, quand le Christ viendrait dans la gloire pour juger les vivants et les morts.

Domitien n’en eut cure et les laissa aller.

C’est parce qu’il était de la race de David en même temps que chrétien que Simon, fils de Clopas, aurait subi le martyre sous Trajan, d’après le même Hégésippe[4].

Il est assez naturel que les Romains aient d’abord cherché du côté de l’Église chrétienne les fomentateurs du messianisme. Mais on reconnut bientôt qu’elle avait un esprit tout autre[5], si bien marqué par les parents de Jésus.

La sélection qui se fit alors contribua sans doute à donner un caractère plus tranché au messianisme temporel et national. Les Juifs qui embrassèrent le christianisme furent peu nombreux, mais ce furent sans doute ceux qui étaient le plus disposés à demander au Messie la satisfaction de leurs aspirations religieuses, plutôt que l’indépendance et la vengeance, le salut de l’âme et le règne de Dieu plutôt que la restauration politique d’Israël.

Et le messianisme juif devint sans doute aussi plus ardent, plus emporté, plus révolutionnaire, à mesure qu’il se concentra davantage dans le peuple.

Déjà, pendant le siège de Jérusalem, les scribes pharisiens, en grande majorité, s’étaient tenus à l’écart. Iokhanan ben Zakkaï semble avoir voulu imiter de tout point la conduite de Jérémie au temps de Nabuchodonosor. On racontait que les portes du Temple étant sorties de leurs gonds, Iokhanan l’apostropha : « Temple, temple, pourquoi te troubles-tu ? Je sais que tu es proche de la destruction et c’est de toi qu’a prophétisé Zacharie, fils d’Addo : Ouvre, ô Liban, tes portes, et le feu brûlera tes cèdres[6] ». Fatigué des dissensions des assiégés, il se réfugia auprès des Romains.

Au moment de la destruction du Temple, son disciple Josué s’écria : « Malheur à nous, notre foyer d’expiation est détruit ! » Iokhanan répondit : « Ne t’afflige pas, il nous reste une expiation, qui vaut celle des sacrifices ; c’est l’exercice des œuvres de charité, car il est dit : Je veux la charité, non le sacrifice » (Os. vi, 6)[7].

Cette attitude, loin d’être exceptionnelle, est plutôt normale. Le judaïsme dirigeant avait foi dans la supériorité de sa doctrine et de ses mœurs ; il avait foi dans la restauration future du temple et du culte ; le temps travaillait pour lui, et Dieu interviendrait au moment voulu. La principale préoccupation des maîtres qui survécurent à la ruine fut de pratiquer de la Loi ce qui pouvait encore être pratiqué, le sabbat, la circoncision, les lois sur la pureté et l’impureté, en conservant soigneusement les ordinations relatives au culte pour le temps où il serait rétabli.

La résidence qu’ils avaient choisie favorisait cette indifférence. Dès le début de la guerre, Vespasien avait établi à Iamnia (ou Iabné) et à Lydda comme une sorte de colonie des Juifs qui s’étaient donnes à lui, ne voulant pas se battre[8]. C’est dans ces deux villes qu’enseignèrent, à la fin du premier siècle et au début du second, les rabbins les plus fameux. C’est à Iabné que Iokhanan avait fondé, non plus un sanhédrin, mais une Académie[9]. L’assemblée avait encore une autorité considérable, surtout dans l’ordre spéculatif ; elle s’efforça de maintenir l’unité du judaïsme, d’exercer une juridiction, d’empêcher les Romains de s’immiscer dans toutes les affaires de la nation. Mais elle ne pouvait prétendre à une action politique, et ces exégètes n’avaient ni estime, ni goût pour le métier des armes.

Cependant à côté de cette petite capitale de scribes, les ruines de Jérusalem et du Temple parlaient encore très haut.

On n’est pas d’accord sur l’importance que reprit alors Jérusalem.

M. Schlatter me paraît avoir démontré que la ville juive revécut[10].

Josèphe nous dit bien que la ville fut rasée jusqu’au sol, au point qu’on n’eût pu dire si elle avait été habitée[11].

Mais l’histoire nous apprend, et nous voyons en Orient de nos yeux, ce qu’il faut penser de ces populations exterminées et de ces villes détruites. Elles renaissent parfois comme par enchantement.

Le même Josèphe suppose assez clairement que l’accès des ruines ne fut pas interdit aux Juifs, même dès les premiers temps. Il eût été bien dur de les empêcher de venir pleurer, se lamenter, déchirer leurs vêtements, du moins les vieillards et les femmes[12].

Avec le temps tous passaient. Les pèlerinages étaient dans les mœurs, ils appartenaient à la religion et ne pouvaient être interdits. Puis on restait.

Jérusalem, il est vrai, avait été profanée ; elle l’était encore par le campement de la Xe légion. Mais les Juifs savaient s’accommoder de ce voisinage dans d’autres villes.

Malheureusement les textes font presque absolument défaut. Les classiques païens sont muets. Les sources rabbiniques, interrogées par M. Schlatter, ont fourni quelques indices, d’autant plus précieux qu’ils viennent des maîtres de Iabné[13].

Le témoignage le plus important, quoique très peu précis, est celui de l’Église chrétienne. L’Église de Jérusalem, à partir d’Hadrien, ne compte plus que des Gentils. Mais la tradition s’était conservée d’une église plus ancienne, composée en grande partie d’éléments juifs d’origine, avec la succession régulière de ses évêques appartenant à la même race[14]. Il y avait donc là une communauté judéo-chrétienne importante. Les Juifs demeurés juifs n’avaient-ils pas de plus justes motifs de repeupler la Ville Sainte ?

Peu importe d’ailleurs le nombre plus ou moins considérable des Juifs habitant Jérusalem. Le feu couvait sous les cendres du Temple. Le contraste entre ces ruines et la prospérité de Rome ne pouvait abattre les âmes ardentes et croyantes.

Le Sifrê[15] raconte que Gamaliel II, Josué, Éléazar b. Azaria et Aqiba se trouvant à Rome, Aqiba répondit aux larmes des autres par un sourire.

Si Dieu donne cette heureuse fortune à ceux qui l’outragent, que ne fera-t-il pas pour ceux qui le servent ? Le quatuor monte à Jérusalem, et la scène se renouvelle. Des hauteurs du Scopus ils aperçoivent la ville et déchirent leurs vêtements. Sur la montagne du Temple, un chacal sort du saint des saints ! Aussitôt ils se rappellent les lamentations de Jérémie, la montagne de Sion où les chacals se promènent en liberté[16].

Et pendant qu’ils se lamentent, Aqiba sourit encore. Puisque Dieu a réalisé ses menaces, il saura accomplir les promesses splendides d’Isaïe, de Michée et de Zacharie.

Aqiba est donc animé d’un autre esprit que le plus grand nombre des maîtres. On ne se tromperait pas en disant que c’était l’esprit des foules, non seulement en Palestine, mais partout où il y avait des Juifs soupirant après la restauration du Temple et du culte[17].


II. — LES GUERRES SOUS TRAJAN.


Vers la fin du règne de Trajan, la paix du monde juif fut profondément troublée. Il semble que les désordres commencèrent à Alexandrie, mais la conflagration s’étendit bientôt à toute l’Égypte et au pays de Cyrène. Ce fut une guerre véritable. Appien n’en parle qu’en passant, à propos du monument avec enceinte sacrée que César avait fait élever à Pompée, et où on avait enseveli sa tête : « Ce monument, dit-il, a été détruit de mon temps, par les Juifs, à cause des nécessités de la guerre, sous l’empereur Trajan qui a exterminé en Égypte la race des Juifs »[18].

C’est Eusèbe qui nous apprend que le mouvement gagna même la Thébaïde[19]. À Alexandrie, les Grecs demeurèrent les maîtres, mais ce ne fut sans doute qu’après une lutte désespérée, puisque la ville passait pour détruite et qu’on attribuait à Hadrien l’honneur de l’avoir rebâtie[20]. Chassés d’Alexandrie, les Juifs d’Égypte donnèrent la main à ceux de Cyrène, où le soulèvement eut un caraclève atroce. Voici comment le décrit Dion Cassius, ou plutôt son abréviateur Xiphilin[21].

Trajan quitta donc ces lieux et peu après commença à être malade. Ce fut alors que les Juifs de Cyrène, ayant mis à leur tête un certain André, massacrèrent les Romains et les Grecs, firent cuire leur chair, se faisant des ceintures avec les entrailles, des onctions avec le sang, et des vêtements avec les peaux ; ils en scièrent beaucoup de la tête en bas, livrèrent les autres aux bêtes et les forcèrent à s’entre-tuer, de façon à en faire périr deux cent vingt mille. Ils firent de même en Egypte et en Chypre, où ils avaient pour chef un certain Artémion ; il périt quatre cent vingt mille personnes. De sorte qu’il n’est permis à aucun Juif de débarquer dans l’île ; s’il y est poussé de force par le vent, il est mis à mort. Parmi ceux qui soumirent les Juifs, il faut compter Lusius, envoyé par Trajan.


La dernière phrase marque un abréviateur peu diligent. Eusèbe nous explique[22] que Trajan, craignant que les Juifs de Mésopotamie ne fissent cause commune avec leurs coreligionnaires d’Afrique, — et c’était sans doute déjà commencé[23], — chargea Lusius Quietus de les exterminer. Ce qui fut fait ; après quoi ce général fut nommé procurateur de Judée.

En Afrique, les Juifs furent réduits par l’action énergique de Marcius Turbo. Il y fallut beaucoup de combats et un temps assez long, que M. Schürer a cependant réduit avec raison à une année[24], l’an 116 ap. J.-C. Cependant le calme ne se rétablit complètement à Alexandrie qu’au début du règne d’Hadrien, ou plutôt une nouvelle émeute éclata à ce moment[25].

Pendant ce temps, la Palestine demeura-t-elle tranquille ? Il est difficile de le croire. Spartien, biographe d’Hadrien, la met sur le même rang que la Libye. « Au début du règne d’Hadrien, l’Égypte était agitée, la Libye et la Palestine montraient un esprit rebelle »[26]. Le gouvernement de la Palestine ne pouvait être simplement une récompense pour un personnage consulaire de la valeur de Lusius Quietus. On dirait plutôt que Trajan lui demanda d’achever en Judée, au cœur de la nation, la tâche qu’il avait menée à bien en Mésopotamie. M. Schürer reconnaît que les circonstances étaient à tout le moins difficiles, mais il se refuse à prononcer le nom de guerre[27].

C’est cependant celui qu’emploient les sources juives : « La guerre de Quiétos ». Font-elles allusion par ce terme à la guerre de Mésopotamie ? mais d’ordinaire les rabbins palestiniens ne s’intéressent qu’à leur pays. La guerre de Quiétos est encadrée entre celle de Vespasien et celle d’Hadrien dans la Michna[28] :

Après la guerre de Vespasien, ils ont interdit les couronnes des fiancées et les tambours ; après la guerre de Quiétos[29], ils ont interdit les couronnes des fiancées et l’enseignement du grec aux enfants ; après la dernière guerre, ils ont interdit aux fiancées de sortir en palanquin dans la ville.

Ces interdictions sont portées par les rabbins de l’Académie de Palestine, et celle du grec s’entend beaucoup mieux de ce pays que de la Mésopotamie. Faut-il ne voir là, si près des faits, qu’une pure légende ?

La guerre de Quiétus est encore citée dans la grande chronique du Seder ‘Olam, avec une approximation chronologique suffisante pour qu’on puisse lui assigner son rang[30].

De plus, la Megillath Ta‘anith, très ancien catalogue des fêtes, probablement antérieure à la Michna[31], mentionne au douze adar « le jour de Trajan ». Nous n’estimerions pas volontiers qu’il s’agit d’une victoire remportée sur Trajan, et la mort de Trajan, survenue en août, ne devait pas être commémorée en adar (février-mars). Lusius Quiétus fut mis à mort par Hadrien. Ce fut sans doute pour les Juifs un second jour de Nicanor. Lui aurait-on donné le nom de « jour de Trajan » ? Quoi qu’il en soit, cet indice n’est pas négligeable, et si le commentaire plus récent de la Megillath Ta‘anith l’a glosé par une légende inepte[32], ce n’est point une raison suffisante pour récuser le témoignage de la tradition plus ancienne.

On ne peut d’ailleurs se montrer plus affirmatif en l’absence de témoignages précis[33]. Il y eut certes de l’agitation en Palestine, et sans doute aussi des exécutions. Les rabbins en conservèrent un très pénible souvenir. S’il y eut aussi un soulèvement, on ne voit pas du moins qu’ils y aient pris part. Si la guerre avait été aussi sérieuse qu’en Libye, en Égypte, en Chypre, en Mésopotamie, nous en serions informés par les sources déjà entendues[34].

Quelles furent les causes de cette nouvelle levée de boucliers du monde juif ? Ce qu’on peut dire avec certitude, c’est qu’elle ne fut pas provoquée par l’autorité impériale. Aucune mesure attentatoire aux droits ou même aux privilèges des Juifs n’est signalée. On ne parle pas non plus dans ce cas d’une fermentation des païens contre les Juifs. Les savants juifs, assez soucieux de décharger leur race de toute responsabilité, laissent entendre que ce sont les Juifs qui ont commencé[35], et c’est le témoignage formel des sources. Eusèbe parle d’un esprit de sédition[36]. Josèphe aurait dit le goût des nouveautés. Aujourd’hui on mettrait en avant l’agitation nationaliste. Personne ne fait allusion au messianisme. Mais Dion n’en soufflera mot non plus dans la grande guerre sous Hadrien. Ce qui nous autorise à supposer que les espérances messianiques ne furent pas sans influence sur les esprits, c’est l’analogie des autres guerres, et, de plus, l’attestation formelle d’Eusèbe que le chef des Juifs de Cyrène, — que Dion nommait André, et qu’il nomme Loukouas, — avait pris le titre de roi[37]. On ne peut se soustraire à la conclusion qu’à cette époque un roi des Juifs est un Messie.

Nous savons d’ailleurs par Josèphe que l’esprit des Sicaires avait jeté des racines en Cyrénaïque[38]. Un certain Jonathan avait, dès cette époque, esquissé une révolte en attirant une troupe au désert où il devait lui montrer des prodiges extraordinaires. On reconnaît le type de l’agitateur juif sous Vespasien ; il fallut envoyer contre lui des fantassins et des cavaliers. Ce fut presque une guerre. On ne peut guère se représenter autrement Loukouas (André), du moins à ses débuts. S’il a pris le titre de roi, il se donnait donc comme Messie, et les atrocités commises par les Juifs prouvent qu’ils avaient commencé une guerre à outrance, se croyant sûrs du succès.

Mais sur ce point encore nous voulons ne pas dépasser le témoignage des sources. Quand la guerre de Trajan n’aurait pas été une guerre messianique, il eût encore fallu en parler pour aider à comprendre le problème si difficile du soulèvement messianique sous Hadrien.


III. — LA GUERRE MESSIANIQUE.


Le soulèvement des Juifs de Palestine sous Hadrien fut formidable. Tout le monde en convient, même ceux qui sont le moins d’accord sur les causes. Si l’on en croit M. Schlatter[39], c’est l’empereur lui-même qui surexcita les espérances messianiques en autorisant les Juifs à rebâtir le Temple. Voyant la maison de Dieu sortie de ses ruines, ils crurent assister à l’accomplissement des prophéties sur la restauration d’Israël. Les temps messianiques étaient donc arrivés ; il ne restait plus qu’à trouver le Messie et à secouer le joug de Rome. Le Messie fut Bar-Kokébas, et la révolte commença. Elle dura trois ans et demi (de 132 à 135) et fut suivie de la fondation d’Aelia Capitolina : un temple de Jupiter remplaça le Temple juif détruit par Hadrien.

Ce système, soutenu avec entrain, ne paraît pas avoir beaucoup ébranlé l’opinion.

M. Schürer soutient des vues diamétralement opposées[40]. Loin de supposer qu’Hadrien ait montré aux Juifs tant de condescendance, il le rend responsable de la guerre par deux mesures qui durent paraître aux Juifs de graves atteintes à leur religion. Hadrien aurait ordonné, avant toute provocation de leur part, de rebâtir Jérusalem à la mode païenne et spécialement d’élever un temple de Jupiter sur les débris de l’ancien Temple, demeuré en ruines depuis Titus, ou plutôt rasé jusqu’au sol. De plus il aurait absolument interdit la circoncision, l’assimilant au crime de castration, qu’il avait lui-même précédemment déclaré punissable par la loi Cornelia, c’est-à-dire passible de la peine de mort[41]. Donc tout Juif pratiquant la circoncision, même sur son fils, s’exposait à périr par la main du bourreau. C’était obliger tous les Juifs de l’Empire à choisir entre l’apostasie et la mort.

A la vérité M. Schürer s’efforce d’atténuer ce que de semblables mesures auraient eu d’atroce et de tyrannique. Hadrien, rebâtissant une des plus illustres villes de l’Orient, ne songeait qu’au bien général. De même, s’il a interdit la circoncision, ce n’est point pour contraindre les Juifs à renoncer à leur foi. Très épris de culture, ami du progrès et des lumières, il regardait la circoncision comme un usage barbare, indigne d’un siècle civilisé. Il l’aurait interdit sans songer au trouble où il allait jeter la conscience juive.

Malgré tout on est bien tenté de dire avec notre sage Tillemont que cela paraît « peu croyable » [42].

Peut-être est-il à propos de tenir une opinion moyenne entre MM. Schlatter et Schürer.

La prétendue permission accordée par Hadrien de rebâtir le temple ne repose que sur des combinaisons de traditions rabbiniques fort douteuses. Tout ce que dit M. Schlatter de l’existence du Temple à cette époque est, croyous-nous, à retenir pour une grande partie, mais ne prouve pas que l’empereur ait donné une autorisation dont les Juifs pouvaient se passer, une fois la révolte commencée.

On ne peut alléguer qu’un texte positif. Mais il est de basse époque et son caractère légendaire saute aux yeux.

En voici le début[43] :

Au temps de R. Josué b. Khanania, l’empire impie permit de rebâtir le sanctuaire ; alors Pappos et Loulianos (Julianus) établirent des banques depuis Acre jusqu’à Antioche, et ils fournissaient à ceux qui revenaient de la captivité de l’argent, de l’or, et tout ce qui leur était nécessaire.

Le temps de Josué b. Khanania indique bien Hadrien. L’agadiste juif regarde l’empereur comme un nouveau Cyrus, et se représente la captivité comme revenant de Babylone !

On voit ensuite les Samaritains rappeler au roi les tendances de Jérusalem à la révolte — nouvelle réminiscence du passé[44] ; — sur quoi l’empereur ordonne qu’on change l’emplacement du Temple ou qu’on le fasse plus haut ou plus bas que l’ancien. Réunis à Beth-Rimon, et prêts à se révolter, les Juifs consultent Josué qui leur répond par la fable du lion et la cigogne. La cigogne dut s’estimer heureuse de retirer son bec de la gueule du lion ; ainsi est-ce beaucoup si les Juifs conservent la paix avec l’Empire !

L’anecdote est jolie et caractérise bien les tendances normales du rabbinisme. On ne peut faire aucun fond sur le thème historique, qui est purement et simplement transposé du retour de la captivité de Babylone.

Des textes plus anciens[45] assignent à la guerre les causes les plus futiles :C’est un Juif, invité par erreur, et mal reçu, qui dénonce ses compatriotes comme refusant de sacrifier pour l’empereur ; ou bien les Romains qui molestent un cortège nuptial en tuant le coq et la poule, symboles de la fécondité des époux ; ou encore ils cassent, pour réparer un palanquin, un arbre planté à la naissance d’un enfant.

Évidemment ce n’est pas sérieux. M. Schlatter n’a pas tout à fait tort d’objecter à M. Schürer ces inepties. Si la guerre avait été causée, légitimée, par une odieuse provocation, les rabbins lui auraient-ils cherché de pareils prétextes ? Mais on pourrait rétorquer l’argument. Au temps où le Talmud a été rédigé, et sans doute beaucoup plus tôt, on ne connaissait pas l’historiette du midrach de la Genèse ; ou plutôt on ignorait complètement les vraies causes de la guerre. Il fallait bien mettre les torts du côté des Romains ; ceux qu’on allègue sont légers, une équivoque ou de simples tracasseries : on avait donc oublié les véritables, et s’ils avaient été graves, on ne les aurait pas oubliés.

Mais nous en sommes encore à examiner les raisons de M. Schlatter.

Il cite l’épître de Barnabé, document contemporain, dont l’autorité serait décisive. Le prétendu Barnabé nous apprend qu’au moment où il écrit, les Romains construisent le temple des Juifs[46].

M. Schlatter en conclut que c’est d’un commun accord, en suite des ordres d’Hadrien. Mais l’intention de l’auteur est d’être désagréable aux Juifs. Il constate leur ruine et leur réprobation. Il est donc plus vraisemblable qu’il voit dans cette reconstruction une suprême déchéance. Tout s’explique pour le mieux si le temple construit est celui de Jupiter, élevé sur les ruines du temple de Dieu.

Notons dès à présent qu’à prendre ce texte à la lettre, le Temple a été détruit par les Romains, avant d’être reconstruit. Il existait donc, rebâti probablement durant l’insurrection, et la construction du temple de Jupiter ne vint qu’après.

C’est d’ailleurs la note ordinaire des sources, et un argument en faveur de M. Schlatter. Eusèbe[47] et saint Jérôme[48] ne placent la fondation d’Aelia Capitolina qu’après la répression, et comme un moyen de la rendre plus efficace. Il n’y avait donc pas eu provocation de la part d’Hadrien.

Cependant, sur ce point, M. Schürer a l’appui très solide de Dion Cassius. Cette autorité est moins grave assurément si tout le passage ne nous est parvenu que dans l’abréviation de Xiphilin, mais elle est encore de premier ordre.

A Jérusalem, comme il fondait sa ville au lieu de celle qui avait été détruite, ville qu’il nomma Aelia Capitolina, et comme il bâtissait à la place du temple de Dieu un autre temple à Zeus, il s’ensuivit une guerre longue et considérable[49].

Ce texte a été mis dans une bonne lumière par l’illustre auteur de l’Histoire du peuple juif. Hadrien était en Orient en l’an 130, s’occupant partout de restaurer ou d’embellir à la grecque les anciennes cités.

Palmyre et Pétra, les deux grandes villes du désert, crurent s’honorer en prenant son nom[50]. Il était très naturel qu’il songeât à rebâtir Jérusalem. Cependant la chose n’allait pas de soi. Si la cité sainte ne fût demeurée qu’un désert ou plutôt un simple camp retranché affecté à la Xe légion, le dessein de l’empereur eût été assez naturel. Mais nous avons dit combien vite renaissent en Orient les populations exterminées et les villes rasées, et on sait avec quelle facilité les Juifs, aujourd’hui encore, viennent en foule à Jérusalem pour s’y installer malgré les mesures qui leur interdisent l’achat des terrains. L’ancienne capitale était redevenue une ville juive[51].

Hadrien a-t-il estimé qu’il transformerait Jérusalem en Aelia et remplacerait le temple de Dieu par un temple à Jupiter sans soulever toute la population juive ? Assurément ce n’était point seulement un lettré, un amateur et un sceptique. Il continuait, comme empereur, la manière autoritaire de Trajan. Mais il montra aussi dès le début son soin d’éviter les difficultés en renonçant aux conquêtes de son prédécesseur. Il est très peu vraisemblable qu’il ait provoqué les Juifs, dont la guerre de Trajan avait prouvé l’audace et la concorde.

Reste le texte. Il explique admirablement le mécontentement des Juifs. Et c’est peut-être pour cela même que Dion, qui n’écrivait guère que quatre-vingts ans après l’événement, a transposé les faits. D’ailleurs il n’a pas dû parler du temple de Dieu. Cette expression rappelle l’abréviateur chrétien du XIe siècle.

Dans cette situation, le texte allégué doit-il prévaloir sur le témoignage d’Eusèbe ?

Il est vrai qu’à la rigueur on peut les harmoniser. Hadrien aurait conçu de son cru le plan de paganiser Jérusalem. Il aurait mis la main à l’œuvre. Interrompue par l’insurrection, cette œuvre aurait été définitivement achevée après la répression. C’est peut-être la solution la plus probable, mais il nous demeure quelque doute.

A plus forte raison est-il impossible d’admettre que l’empereur ait acculé à l’apostasie, non seulement les Juifs de Jérusalem, mais ceux de tout l’Empire, en leur interdisant la circoncision. Cette cause de la révolte n’est alléguée que par Spartien dans la Vie d’Hadrien[52]. L’autorité est plus que médiocre.

Ici encore, M. Schürer a su mettre toutes les apparences de son côté. La mesure aurait été générale ; les Juifs n’auraient été atteints que par contre-coup et sans préméditation. Et le savant maître énumère tous les peuples qui pratiquaient la circoncision. L’argument pourrait tourner contre lui. Plus ils étaient nombreux, plus la mesure eût été intolérable. En fait la circoncision avait sans doute disparu chez plus d’un peuple sous l’influence des mœurs grecques. Déjà de son temps Hérodote l’affirme des Phéniciens établis en Grèce[53]. On suppose donc qu’Hadrien espérait porter le dernier coup à cet usage barbare, et on donne comme preuve la pression exercée par les Romains en Arabie. Après la conquête du pays des Nabatéens ils auraient supprimé la circoncision chez les Arabes. Ce fait très intéressant, connu par un texte syriaque du début du iiie siècle[54], prouve trop ou trop peu. S’il s’agit du temps qui suivit immédiatement la conquête, c’était donc vers l’an 106, quelque vingt-cinq ans avant la révolte des Juifs. Si ce fut plus tard, on ne saurait dire si la mesure date d’Hadrien ou d’Antonin.

Et il est bien certain en effet que la circoncision fut interdite du moins à partir d’Antonin, mais avec une exception en faveur des Juifs[55].

Si on lit sans prévention le texte de Modestin dans le Digeste, on en déduit que le même décret qui prohibait la circoncision contenait une exception en faveur des Juifs.

Et cela seul était raisonnable et conforme à la tradition impériale.

De nombreuses décisions, à partir de César, avaient autorisé les Juifs à vivre selon leurs lois et à pratiquer leurs rites. Si la circoncision n’était pas mentionnée expressément, elle était assurément partie intégrante et importante de leur loi religieuse. L’interdire sans songer aux Juifs eût été une insigne étourderie ; braver les Juifs, une imprudence et un crime politique. Hadrien et son conseil de jurisconsultes ne peuvent en être accusés sur le seul témoignage de Spartien, qui d’ailleurs suppose l’interdiction dirigée expressément contre les Juifs[56].

Le Digeste attribue à Hadrien deux décisions relatives à la castration, aucune sur la circoncision. La législation d’Antonin marque un progrès signalé dans le sens de l’humanité. Il applique à ceux qui circoncisent les mêmes peines qu’Hadrien avait édictées contre ceux qui font des eunuques : mais il a soin d’excepter les Juifs[57].

Ce n’est pas à dire qu’une fois la lutte engagée, les soldats romains n’aient traité rudement les Juifs. En pleine guerre, la circoncision, qui perpétuait une race détestée, fut certainement regardée comme un crime capital. Et c’est ainsi que s’expliquerait le souvenir conservé par Spartien, comme la joie des Juifs lorsque l’édit d’Antonin consacra par un texte positif l’exception constituée en leur faveur. C’était, à leur égard, un véritable édit de tolérance.

Il nous est donc impossible d’admettre que les Juifs furent poussés à la guerre par la brutalité d’Hadrien, ou, chose plus improbable encore, par l’incurie d’un empereur dilettante qui aurait su bien mal son métier.

Mais alors quelles furent les causes de la guerre ? Peut-être, avons-nous dit, la fondation d’Aelia. Mais elle a pu aussi bien éclater sans cause, c’est-à-dire sans provocation officielle du côté des Romains. Les Juifs n’en ont point mis en avant qui fussent sérieuses. Il n’y en eut pas non plus sous Trajan. La vraie cause fut sans doute dans les deux cas leur extrême exaltation, et, pourquoi ne pas le dire ? leurs espérances messianiques, surexcitées par leurs malheurs, et dont le terme parut marqué lorsqu’il se fut écoulé soixante ans depuis la ruine du Temple.

L’assujettissement, ne comportât-il que des tracasseries et des abus particuliers, était une cause permanente de révolte pour un peuple qui se croyait appelé par Dieu non seulement à la liberté, mais à l’empire du monde.

Si la guerre ne dut pas son origine à une poussée messianique, du moins prit-elle formellement ce caractère par la reconnaissance d’un Messie : le fameux Bar-Kokébas.

Dans les sources rabbiniques, il est constamment nommé Bar Koziba[58], ou plutôt Kozêba, si on regarde ce nom comme celui de son lieu de naissance et si ce lieu est bien Kozêba, mentionné par la Bible[59]. Il semble que rien dans ses origines n’ait contribué à le rattacher à David. Aussi n’est-ce pas par ce biais qu’on reconnut sa mission. A suivre les analogies, il a débuté comme tous les agitateurs mentionnés par Josèphe, en promettant aux foules des signes du ciel et des miracles. C’est à cette période de sa vie qu’on peut rapporter sans trop d’invraisemblance ce que dit saint Jérôme, qu’il faisait semblant de vomir des flammes[60]. Lorsqu’il se fut imposé à l’attention générale, et que les rabbins durent prendre parti pour ou contre lui, Aqiba, qui le reconnut comme Messie, eut recours à un jeu de mots à propos de l’oracle de Balaam (Num. xxiv, 17), le seul passage que Philon applique à son Messie. Au lieu de lire : « Une étoile (kôkab) sortira de Jacob », il proposait de lire « Koziba sortira de Jacob »[61]. Koziba était ainsi identifié à l’étoile ; on transforma donc Bar Kozêba en Bar-Kokébas, « le fils de l’étoile ». C’est le nom qu’il porte dans les sources chrétiennes[62], et sans aucun doute celui qu’on lui donnait pendant qu’il jouait le rôle de Messie. Eusèbe avait très bien compris le sens du mot[63], et c’est peut-être à cela que fait allusion l’étoile qui brille au-dessus du Temple sur une de ses monnaies[64].

L’adhésion de R. Aqiba, déjà fort âgé, la lumière des maîtres, était un événement d’une portée considérable. Il dut en entraîner beaucoup d’autres. Parmi les rabbins les plus illustres, on peut du moins nommer avec certitude Éléazar de Modin, enfermé dans Béther avec Bar-Kokébas, dont les prières préservaient la ville, et que le tyran, son propre neveu, tua brutalement d’un coup de pied[65].

Mais tous les rabbins ne suivirent pas.

Pendant qu’Aqiba s’écriait : Voilà le roi Messie, R. Iokhanan b. Torta lui répondit : Aqiba, l’herbe aura poussé entre tes mâchoires avant que le fils de David paraisse[66]. Cette prudente réserve était conforme à la tradition des maîtres, à la conduite antérieure d’Aqiba lui-même. Il est donc vraisemblable qu’il n’a cédé qu’à une imposante pression populaire, comme, d’autre part, la sanction des docteurs était absolument nécessaire à l’aventurier qui se donnait comme Messie. Ce n’était qu’un brigand, analogue à tant d’autres ; mais le signe de l’étoile, reconnu par l’exégèse du plus grand des maîtres, en faisait le libérateur d’un peuple réduit en servitude[67].

Aussi fut-il un véritable souverain, et il y eut un véritable état juif, avec son prince, son grand prêtre et sa capitale.

Ces points ne résultent clairement que du témoignage des monnaies, sur lequel, il est vrai, les spécialistes ne sont pas entièrement d’accord. M. Madden, dans son Corpus des monnaies juives[68], n’attribue à la révolte du temps d’Hadrien que les pièces qui portent pour légende : « Simon » et « Liberté de Jérusalem »[69]. Mais nous ne voyons pas qu’on puisse résister aux raisons apportées par MM. Schürer[70] et Théod. Reinach[71] entre autres, pour rapporter au même temps deux autres séries.

La première, de l’an un de la délivrance d’Israël, offre les quatre combinaisons « Éléazar le prêtre, l’an I de la délivrance d’Israël[72] » ; « Éléazar le prêtre, Simon »[73] ; « Jérusalem, l’an I de la délivrance d’Israël »[74] ; « Simon prince d’Israël, l’an I de la délivrance d’Israël »[75]. La seconde série, de l’an II de la liberté d’Israël, ne connaît plus le prêtre Éléazar : on y trouve seulement « Simon, l’an II de la liberté d’Israël »[76] ; « Jérusalem, l’an II de la liberté d’Israël ».

Tout parle dans ces précieuses monnaies, et ce sont les documents les plus sûrs que nous possédions sur cette époque. Ce sont en partie des monnaies d’argent, qui ne peuvent dater que d’une époque d’indépendance, puisque jamais les Romains n’ont autorisé les princes juifs, pas même Hérode, à battre de la monnaie d’argent. Quelques-unes sont des deniers romains surfrappés où l’on reconnaît encore l’effigie de Trajan : celles-ci du moins sont postérieures à son règne, et, comme le style des autres est le même, elles ne peuvent donc remonter à l’insurrection du temps de Néron. La frappe est hâtive et maladroite, comme elle pouvait l’être dans un temps troublé. Les légendes parlent de la délivrance d’Israël, de la liberté de Jérusalem : Jérusalem était donc au pouvoir des rebelles. Israël avait un prince, un nasi ; c’est le terme employé par Ézéchiel pour désigner le souverain de l’avenir. Ce prince, nommé Simon, ne peut être que Bar-Kokébas ; Simon était sans doute son nom propre.

A côté de lui, mais pendant la première année seulement, un grand prêtre, nommé Éléazar. Quelques-uns l’ont identifié avec Éléazar de Modin ; mais ce dernier était un docteur, que rien ne désigne comme prêtre. M. Schlatter[77] a pensé à Éléazar ben Kharsôm, sur lequel les sources talmudiques ont conservé des anecdotes et qui vivait « à l’heure du danger », terme consacré pour le temps d’Hadrien. On savait donc par tradition que le grand prêtre avait rempli de nouveau les fonctions sacerdotales, ce qui suppose la restauration du Temple, suggérée aussi par les monnaies.

Le prêtre disparaît sur les monnaies de la seconde année ; Simon demeure seul, et ne prend plus le titre de nasi, comme si son nom suffisait à tout dire.

On peut conjecturer qu’il a absorbé en sa personne le double pouvoir, comme au temps des Macchabées. Cependant, s’il descendait de Lévi, comment pouvait-il être le Messie, et s’il descendait de David, comment pouvait-il être prêtre ? On pensa peut-être que la dignité messianique suppléait à tout.

Les monnaies nous renseigneraient encore sur la durée de la guerre s’il fallait attribuer à cette époque de petites monnaies de cuivre qui mentionnent jusqu’à la quatrième année de la délivrance de Sion[78]. Mais les numismates les placent ordinairement au temps de Vespasien.

D’après la tradition rabbinique, la guerre dura trois ans et demi. Ce chiffre a pris une valeur symbolique ; c’est la moitié de la dernière semaine de Daniel[79], qui se trouve ainsi partagée entre la guerre de Vespasien et celle d’Hadrien. Cependant il est conforme à la réalité. Les Juifs attendirent pour se révolter qu’Hadrien eût quitté l’Égypte, au commencement de 132, et l’empereur ne fut salué comme Imperator II qu’en 135, la guerre étant terminée[80].

Ce fut une guerre d’extermination. Bar-Kokébas n’était point le doux prédicateur d’une alliance nouvelle. Consacré par l’autorité des rabbins, il devait employer son pouvoir à faire appliquer la loi strictement. La tradition rabbinique a conservé le souvenir de son inflexible rigueur. Iehouda b. Ilaï admettait qu’on dispensât d’une seconde circoncision les Juifs apostats qui étaient parvenus à dissimuler la première, pour ne pas les exposer à un péril de mort. Mais les sages répondirent : « on en circoncit beaucoup au temps de Ben-Koziba, et ils eurent des enfants et ne moururent pas »[81]. Peut-être cette préservation fut-elle regardée comme miraculeuse.

Zélé pour la Loi, le faux Messie ne pouvait composer avec les chrétiens, qui naturellement refusèrent de le reconnaître. Saint Justin affirme qu’il s’acharna spécialement contre eux[82]. C’était une lutte de messianisme à messianisme ; il fallait renier Jésus avant de s’enrôler sous îa bannière de l’étoile.

Du côté des Romains la répression fut dure et atteignit plus d’un rabbin tranquille qui ne demandait qu’à enseigner en paix la Thora. Ce fut l’ère des martyrs. On ne peut, sans autres preuves, regarder comme des partisans de Bar-Koziba les docteurs illustres qui moururent alors pour leur foi. Il serait en particulier étonnant qu’Ismaël ben Elicha, chef d’une école à peine moins importante que celle d’Aqiba, et engagé avec lui dans de fréquentes controverses, ait, lui aussi, reconnu le chef de la révolte comme Messie. Il fut cependant livré au supplice, avec un Simon inconnu, et Aqiba vit dans leur mort un funeste présage : « Préparez-vous au châtiment, car c’eût été le mérite de Simon et d’Ismaël si le salut avait été réservé à notre temps »[83].

R. Khanina b. Téradion fut brûlé vif parce qu’il expliquait la Thora. On l’avait enveloppé dans un rouleau de ce livre. Sur le bûcher ses disciples lui demandèrent : « Que vois-tu ? » Il répondit : « Le rouleau est brûlé, mais les lettres s’envolent ! » Ces histoires de martyrs, racontées de plusieurs manières différentes[84], et, il faut bien le dire, très légendaires, furent toujours pour les Juifs un souvenir douloureux mais fortifiant. On honora surtout le héros religieux de la guerre, le prophète du nouveau Messie, R. Aqiba. Il aurait été emprisonné longtemps[85] avant de souffrir un cruel martyre, et serait mort avant la fin de l’insurrection, fidèle à son héros jusqu’au dernier soupir.

Les opérations militaires furent longues et difficiles[86], et la guerre ne le céda à celle de Vespasien et de Titus ni en importance, ni en acharnement. Les sources talmudiques, avec leurs exagérations tragi-comiques, ont plutôt voilé ce qu’elles voulaient mettre en lumière. Elles ne parlent avec emphase que du siège de Béther, une bicoque[87], et lui attribuent une telle importance, que tout en est discrédité[88].

R. Yohan dit que sur l’ordre d’Adrien, 80 myriades de personnes périrent à Bethar. Il dit aussi [que] 80.000 couples de sonneurs de trompe entourèrent Bethar, dont chacun dirigeait plusieurs troupes. Bar Koziba avait avec lui deux cent mille hommes dont chacun s’était laissé couper un doigt (en signe de courage). Les docteurs lui firent dire : Combien de temps infligeras-tu aux Israélites des infirmités ?

Suit le récit de la mort de R. Éléazar, accusé traîtreusement par un samaritain, et tué par le tyran.

Aussitôt Bethar fut prise, et R. Koziba périt. Sa tête fut portée chez Adrien. Qui l’a tué ? demanda l’empereur. — Moi, dit un samaritain. — Montre-moi ses organes (veretrum ejus), dit Adrien. Il les lui montra, et l’on trouva un serpent enroulé au-dessus. Si Dieu ne l’avait pas tué, dit le souverain, personne ne l’aurait dompté. On égorgea ensuite tant de juifs, que les chevaux s’enfoncaient dans le sang jusqu’aux naseaux ; le sang souleva des quartiers de roc pesant 40 saas et les roula à la mer, qu’il colorait de sa teinte rouge jusqu’à 4 milles au large. Ce n’est pas que Bethar était près de la mer ; cette ville en était distante de 10 milles, etc., etc.

Nulles comme valeur historique, ces lignes ne sont pas sans intérêt ; elles caractérisent les sentiments des rabbins à l’égard du héros de l’indépendance, du moins après les faits. L’histoire véritable ne se rencontre que dans un fragment de Dion[89], malheureusement très peu précis. Il ne nomme aucune ville assiégée, mais il affirme que les Romains durent forcer cinquante forteresses en état de défense, qu’ils ravagèrent neuf cent quatre-vingt-cinq bourgs et massacrèrent cinq cent quatre-vingt mille hommes, sans parler de ceux qui périrent par la famine, par les maladies ou dans les incendies. Hadrien dut mander de Bretagne Julius Severus, un des meilleurs généraux du temps. Il réussit par une stratégie de détail, en évitant des engagements toujours dangereux avec des désespérés.

Encore est-il que lorsque Hadrien rendit compte au sénat de l’heureuse issue de la guerre, il n’osa se servir de la formule accoutumée : « Si vous et vos enfants êtes en bon état, tout est bien ; l’armée et moi nous sommes en bon état ». Si Dion ne cite même pas Jérusalem parmi les villes prises et détruites, c’est peut-être pour demeurer fidèle à l’ordre qu’il a adopté, de placer la fondation d’Aelia sur les ruines de Jérusalem au début de la guerre.

Les monnaies ont prouvé qu’elle fut au pouvoir des rebelles ; elle a donc été prise et ruinée une fois de plus par les Romains, comme Appien l’atteste expressément[90]. Il est probable qu’elle succomba avant Béther, où Bar-Kokébas fit une résistance désespérée comme jadis Éléazar à Masada, après la ruine du Temple sous Titus[91].

La tradition juive croyait savoir que Béther avait succombé le 9 du mois de ab, au jour anniversaire de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, et de l’incendie du Temple par Titus. Le même jour on passait la charrue sur les ruines du Temple pour jeter les fondements d’Aelia Capitolina[92].

La nouvelle colonie se nommait Aelia, du nom de famille de l’empereur, Capitolina, à cause du temple de Jupiter Capitolin.

Ce n’était pas assez que les Juifs en fussent écartés par l’aspect païen de la ville. Il leur fut défendu d’y entrer ou même d’en approcher sous peine de mort. Cette défense était en pleine vigueur au temps de saint Justin[93], d’Ariston de Pella cité par Eusèbe[94], et d’Eusèbe lui-même[95]. C’est donc probablement sous le premier empereur chrétien qu’on usa de quelque tolérance, car au temps du pèlerin de Bordeaux, vers 333, on permettait aux Juifs, une fois par an, de s’approcher d’une pierre, sûrement celle que recouvre aujourd’hui la mosquée dite d’Omar, l’ancien noyau de l’autel des holocaustes ; ils l’oignaient en pleurant, et déchiraient leurs vêtements[96]. C’est à peu près le spectacle qu’ils donnent aujourd’hui, mais à l’extérieur du Haram. Le soulèvement n’avait donc abouti qu’à une ruine plus complète, et sans espoir.

A qui incombait la responsabilité de cette rechute mortelle ?

M. Schlatter[97] remarque que les sources rabbiniques n’ont jamais condamné le mouvement en lui-même. Les rabbins ne disent pas : on a eu tort de reconnaître Bar-Koziba pour le Messie, parce qu’ils ne veulent pas se donner tort. Ayant été les plus actifs fauteurs de la révolte, ils n’ont point consenti à se rétracter.

Dans ces termes cette opinion serait exagérée. Il est fort douteux que les rabbins aient provoqué la guerre, et qu’ils aient été unanimes à saluer le Messie dans la personne de Bar-Kokébas. S’ils n’ont pas jeté la pierre aux insurgés, c’est que toute révolte contre les Romains était légitime à leurs yeux et par un sentiment de solidarité nationale.

Toutefois il est certain qu’ils ont dissimulé leur adhésion partielle, et qu’ils ont renié le faux Messie, au moins après sa chute.

A les en croire, Bar-Koziba aurait soumis son messianisme à l’examen d’une académie de rabbins. Débouté de ses prétentions, il aurait été mis à mort par eux[98].

Ils affectent de ne le nommer jamais Bar-Kokébas, mais seulement Bar-Koziba. On croit généralement qu’ils entendent par là le désigner « fils du mensonge » au lieu de « fils de l’étoile ». M. Bacher a protesté[99]. Le calembour formel ne se rencontrerait qu’à une époque assez basse. Bar-Koziba était en somme le propre nom du personnage. Il n’en est pas moins vrai qu’on l’a connu longtemps comme « fils de l’étoile », et les auteurs chrétiens n’auraient pas retenu ce nom seul, s’il n’avait été usité couramment.

A lire les sources, on croirait que l’adhésion des rabbins a été plus que discrète. Celle d’Aqiba ne nous est racontée que suivie de la protestation de R. Iokhanan b. Torta. On nous dit qu’Éléazar de Modin était parmi les défenseurs de Béther, et l’ange gardien de cette place, pour mettre dans tout son relief l’odieux forfait de Bar-Koziba. Au même endroit les rabbins blâment les sacrifices que ce tyran imposait à Israël. Enfin il meurt frappé par Dieu, et on trouve un serpent enroulé sur son corps[100].

Le rabbinisme essaya donc de rejeter sur l’auteur principal de l’entreprise toute la responsabilité et d’atténuer la part qu’il avait prise aux événements. Et Bar-Kokébas fut bien cet auteur principal. Lui mort, l’élan qui avait emporté quelques docteurs tomba de lui-même. Ils revinrent à leur attitude favorite, persuadés qu’ils obtiendraient beaucoup plus du pouvoir impérial par la soumission que par la force… en attendant que Rome succombât.

On ne voit pas d’ailleurs que ce lamentable échec ait rien changé à leurs convictions messianiques. Plus que jamais le Messie temporel était nécessaire pour la restauration d’Israël. Les aspirations ne s’orientèrent pas vers le ciel parce que la terre leur manquait. Elles furent peut-être seulement plus contenues sans être moins âpres, on avait une revanche de plus à prendre, de nouvelles injures à venger ; ce serait la tâche du Messie et la grâce que l’on implorait de Dieu[101].

En attendant les Juifs reprirent le collier et s’en trouvèrent bien. On leur permit expressément de circoncire leurs enfants, on les laissa étudier en paix leurs livres saints, et ils reprirent même partout une certaine autonomie sous la direction de leurs chefs spirituels, devenus plus que jamais leurs chefs dans l’ordre civil. Origène les invitait, sans ironie, à rechercher la Jérusalem céleste, au lieu de pleurer, comme des enfants, sur la Jérusalem de la terre[102], et c’est à partir de ce moment surtout que le judaïsme concentra tous ses efforts dans la conservation de la race et de la Loi. Il n’a jamais mis sur le même rang l’interdiction des sacrifices, résultant de la destruction du Temple, et celle de la circoncision. Le Temple avait été détruit par Nabuchodonosor et pouvait être rebâti, c’était la part de l’espérance. Sans la circoncision, il n’y avait plus de peuple juif. On accepta donc de payer aux Romains le didrachme sacré dû au Temple, et à ce prix on obtint une certaine indépendance. Origène eut le loisir de constater en Palestine que le chef de la nation jouissait d’un pouvoir presque royal[103].

L’Empire demandait seulement aux Juifs de ne pas s’afficher lorsqu’ils procédaient, d’après la Loi, à des exécutions capitales qui ne pouvaient être qu’illégales au point de vue romain.

Le chef de la nation ou ethnarque dont parle ici Origène, n’est autre que le plus haut représentant de la tradition rabbinique, le patriarche fixé à Tibériade depuis la fin du iie siècle, et héréditaire dans la descendance de Hillel, le maître le plus vénéré.

Ce fut probablement grâce à ce magistrat, reconnu par l’autorité romaine, et auquel les empereurs chrétiens reconnaissaient encore le titre de spectabilis[104], ce fut aussi sans doute grâce à la prudence et à l’esprit conciliant ou même obséquieux de leurs rabbins, que les Juits durent la protection et souvent la faveur du pouvoir. Sans cet appui qui leur fit rarement défaut, ils auraient peut-être succombé devant la haine générale qu’ils ont plus d’une fois provoquée.

Les Juifs voulaient devenir citoyens, pour jouir des privilèges de la cité sans en supporter les charges. C’est M. Théodore Reinach qui marque cette contradiction étonnante « non pas que, dans les idées des anciens, on ne pût appartenir à deux patries à la fois ; mais parce que les juifs voulaient cumuler les droits des citoyens avec le maintien de leurs propres privilèges, avec leur autonomie financière et judiciaire, avec l’exemption du service militaire etc. »[105].

Il fallut une merveilleuse souplesse aux chefs religieux de la nation pour faire entrer l’Empire dans ces vues. Ils y réussirent cependant, et lorsque, depuis Caracalla, tous les sujets de l’Empire devinrent citoyens romains, de même qu’ils avaient été des peregrini privilégiés, ils furent des citoyens privilégiés.

Situation singulière, puisqu’ils quémandaient ces faveurs sans renoncer à leurs aspirations, dont le premier article était la chute de l’Empire, gage de l’avènement du Messie.

En attendant ce moment, les rabbins avaient grand soin de maintenir la chaîne de l’autorité et de la tradition. Rab, le plus célèbre des amoras, louait Iehouda ben Baba d’avoir, avant sa mort, sauvé la continuité de la jurisprudence légale et de l’autorité religieuse, en imposant solennellement les mains, malgré la défense des Romains, aux élèves d’Aqiba qui n’avaient point encore reçu l’ordination, et sur lesquels reposait alors l’espoir de la tradition juive[106].

Rome dura cependant longtemps encore, et lorsqu’elle succomba, les Juifs, privés de la sécurité qu’ils aimaient, furent lancés dans des tempêtes plus rudes.

IV. — LE JUDAÏSME EN ARABIE.


Au moment où le prosélytisme juif s’éteignait en Occident, il prenait en Arabie un développement extraordinaire. Cette histoire, malheureusement peu connue, est cependant une partie intégrante des espérances et des échecs du judaïsme.

Quand les Juifs ont-ils pénétré en Arabie ? nul ne peut le dire. La tradition arabe remontait au temps de Moïse, après sa victoire sur les Amalécites. C’est légende pure. Les modernes, après Aboul’faradj-Isfahâni, supposent une série de migrations, après les prises de Jérusalem par Pompée, par Titus, par Hadrien[107]. Cela est naturellement possible, et même vraisemblable, pourvu qu’on ne se figure pas des masses trop considérables. Les Juifs ont dû se répandre en Arabie par petits paquets, comme dans le monde romain, et leurs rapports commerciaux avec les Nabatéens leur en ouvraient la porte. De Pétra et d’Hégra[108], les deux capitales nabatéennes, les Juifs pouvaient facilement pénétrer jusqu’aux environs de Yathrib, nommée Médine depuis l’Islam. Là fut toujours le centre de leur influence. C’êst de Yathrib que le judaïsme pénétra dans le Yémen, vraisemblablement à la suite de la conversion d’Abou Karib, tobba des Himyarites, vers le début du ive siècle. Philostorge[109] constatait, au début du ive siècle, sa diffusion parmi les Himyarites, et les choses en vinrent au point qu’au sixième siècle ils étaient les maîtres du Yémen.

Il est vrai que d’autres auteurs racontent les mêmes faits du célèbre Dhou Nowâs, le persécuteur des chrétiens. Son nom était, dit-on, Zura‘ ; en se convertissant au judaïsme ou en montant sur le trône il prit le nom de Iousouf[110] ; Dhou Nowâs est un surnom qui fait allusion aux mèches de cheveux pendantes qu’il portait probablement à la façon des papillotes des Juifs modernes. Il régnait, disent les sources[111], sur tous les Juifs ; mais le récit éthiopien prétend qu’ils observaient fort peu la Thora, à l’exception des lois sur les aliments. C’est là sans doute une exagération, mais elle n’eût pas même été possible, si tous les Juifs du Yémen avaient été des Juifs de race ; c’étaient plutôt des prosélytes dans le sens large. Le prince juif engagea une véritable guerre religieuse contre les chrétiens dominant dans la ville de Nedjrân, au nord du Yémen. Il s’adressa même à Al-Mundhir III, prince de Ḥira, le priant d’exterminer, lui aussi, les chrétiens de ses états[112]. C’était donc une véritable tentative de chasser le christianisme des pays arabes. Il parvint à réduire Nedjrân dont les habitants furent massacrés en haine de la foi, puis fut vaincu par les Abyssiniens, qui avaient franchi la mer pour venger leurs coreligionnaires ; mais on pouvait craindre une revanche des Juifs et se demander s’il ne leur serait pas donné d’établir leur hégémonie en Arabie, lorsque Mahomet parut.

Leur succès s’explique aisément. Malgré leurs hardies falsifications des auteurs grecs anciens et leur prétention d’avoir été la source de toute philosophie, les Juifs furent toujours méprisés des lettrés de la Grèce et de Rome. En Arabie, ils l’emportaient beaucoup par leur instruction ; c’est probablement par leur influence que les Arabes substituèrent à l’année solaire, admise du moins par les Nabatéens, les mois lunaires avec un mois intercalaire tous les trois ans. Ils étaient les gens du Livre. Dans les histoires de conversions, ce sont toujours les saints livres qui jouent le rôle principal ; ils résistent au feu ou même ils l’éteignent. Ce sont les Juifs qu’on consulte pour poser à Mahomet des questions embarrassantes[113].

Le monothéisme était par lui-même une grande force. Dans le chaos des panthéons orientaux se manifestait une tendance à l’unité. Aucune religion ancienne ne pouvait y arriver par ses propres forces, mais les esprits étaient préparés à la confesser ailleurs. Les nouvelles inscriptions de Médaïn Saleh découvertes par les Pères Jaussen et Savignac renferment deux formules qui se rapprochent de celles de Palmyre glorifiant le maître du monde, et celui qui sépare le jour de la nuit. L’attrait de l’unité s’exercait ici d’autant plus librement que le principal obstacle au judaïsme complet n’existait pas en Arabie ; la circoncision y était générale. Beaucoup d’Arabes n’admettaient pas la survivance de l’âme, mais « d’autres croyaient à la résurrection et à une autre vie[114] ». Si ceux-là n’étaient pas des prosélytes juifs, ils étaient du moins bien préparés pour le devenir.

Le seul obstacle était donc l’idolâtrie, une idolâtrie en décadence, et le christianisme grandissant. Mais le christianisme était représenté par l’empire grec dont on craignait le joug[115], et qui avait moins d’ affinités ethniques avec les Arabes que les Juifs. Les chances du judaïsme étaient donc considérables. Si l’entraînement ne fut pas plus décisif, cela tint sans doute à ce que, même là, le judaïsme ne cessa point d’être une religion nationale. Les Juifs des environs de Médine étaient arabisés ; on sentait toujours la différence : c’étaient encore des Juifs. Avec le soin jaloux des tribus arabes de conserver leur indépendance et la pureté de leur sang, une compénétration complète était bien difficile. Beaucoup d’Arabes ne voulaient plus de leur ancienne religion, mais ils voulaient une religion à eux, une religion arabe. Le génie de Mahomet et les circonstances firent ce prodige.

Peut-être les Juifs y contribuèrent-ils plus qu’on ne pense, par leurs espérances messianiques. Elles se perpétuaient là comme ailleurs. Lorsque Abou Karib (vers 206 après J.-C.), tobba des Himyarites, assiégeait Médine, occupée alors surtout par les tribus juives des Corayzha et des Nadhîr, « deux savants docteurs Israélites allèrent le trouver et le prévinrent que s’il s’obstinait à vouloir détruire Yathrib, il s’exposait à un châtiment terrible du ciel. « Pourquoi cela ? demanda le roi. — C’est, répondirent-ils, parce que cette ville est destinée à servir de retraite à un prophète qui doit paraître dans Les derniers temps, et qui, chassé de sa patrie, fera ici sa résidence[116] ». Dans ces termes l’anecdote est plus que suspecte : elle vise Mahomet ; mais l’espérance messianique peut très bien être authentique. Abou Karib et Dhou Nowâs furent sans doute salués par quelques Juifs du titre de Messie[117], à plus juste titre que Vespasien par Josèphe, puisqu’ils combattirent pour eux.

Les Juifs eux-mêmes étaient plus portés à l’agriculture qu’à la guerre. Aussi les tribus juives de Yathrib ne purent-elles résister aux Aus et aux Khazradj, tribus idolâtres qui les opprimèrent assez durement. On se consolait par l’attente du Messie. « Les Aus et les Khazradj avaient souvent entendu les Juifs leurs compatriotes parler de l’apparition prochaine d’un prophète qui soumettrait le monde à son empire, et s’écrier dans les moments où ils se sentaient opprimés : « Qu’il vienne, ce Messie ! nous serons les premiers à le suivre. Avec son aide puissante, nous secouerons votre joug et nous vous détruirons[118] ».

Quand Mahomet parut, quelques-uns des Khazradj se dirent que cet homme était sans doute l’envoyé du ciel, dont les Juifs les menaçaient. Ils se donnèrent à lui et furent les plus ardents parmi ses premiers auxiliaires (Ansar).

On cite deux docteurs juifs qui se convertirent à l’Islam : la masse se montra réservée, puis franchement hostile. Pendant longtemps Mahomet espéra les gagner[119] et il les comprit dans sa première charte, avec leurs clients et amis, c’est-à-dire peut-être avec leurs prosélytes plus ou moins convertis[120]. On sait comment la défection des Corayzha et l’atroce massacre de toute la tribu mit entre le judaïsme et l’Islam un souvenir de haine et de vengeance. Ces Juifs surent mourir fidèles à leur foi et ils avaient, comme leurs ancêtres au temps des Macchabées, refusé de combattre un jour de sabbat. Cependant Mahomet ne renonça pas à se rattacher aux prophéties et à l’attente des Juifs. Ce n’est pas ici le lieu de montrer que sa mission est une page, la plus inattendue et la plus décevante pour les Juifs, des antiques espérances messianiques[121]. C’était bien le Messie guerrier qu’ils avaient rêvé, mais il n’était pas de leur race. Son triomphe leur coûta cher. Les anciens seigneurs des châteaux des environs de Médine ne furent même pas tolérés comme fermiers des musulmans. L’Arabie ne devait avoir qu’une religion ; Juifs et chrétiens en furent chassés.


V. — ÉPILOGUE.


Israël a toujours eu foi en ses destinées. Son histoire est avant tout celle de la fidélité d’un peuple à sa Loi religieuse, c’est aussi celle de ses déceptions messianiques. Ce n’est pas le lieu de les raconter toutes ici. On ne peut que constater par quelques traits la perpétuité de la tradition, toujours la même, malgré les modifications imposées par le temps.

C’est ainsi que la Rome chrétienne s’est substituée à la Rome de l’Empire. Les Juifs regardaient toujours du même côté. Tout ce qui menaçait la papauté leur était de bon augure et un présage de l’avènement du Messie.

On en citera un exemple[122]. Lorsque Charles VIII se précipita comme un torrent sur la péninsule italienne, Alexandre VI inquiet se renferma au château Saint-Ange. Les temps avaient été durs pour les Juifs, chassés d’Espagne et de Portugal. Ils crurent que l’invasion française marquerait la fin de la papauté. On avait fixé en 1490 la délivrance messianique. Puis on étendit « les douleurs » jusqu’en 1495. Le roi de France n’était pas le Messie, mais le roi du Nord qui met un terme à l’abomination[123]. La Rome papale, comme la Rome impériale, est désignée sous le nom d’Édom. L’an 5263 depuis la création du monde, soit l’an 1503, vit l’apparition d’un Messie juif, Ascher Lemlein.

Peu après parut un nouveau Messie qui était, chose étrange, issu de la gentilité ! I! se nommait Salomon Molko, « son roi », c’est-à-dire le roi élu de Dieu[124]. Dans une sorte de poème en hébreu barbare, il se regarde comme le messager du salut, le courrier messianique, qui, ceignant son épée flamboyante, conduira les siens de l’obscurité à la lumière. Était-ce donc seulement un précurseur du Messie ? Il périt sur le bûcher, vers 1528.

Dans leurs polémiques contre les chrétiens, les Juifs s’abstiennent de parler de l’épée flamboyante, mais ils soutiennent toujours comme Tryphon que le Messie « sera un homme qui réunira les dispersés, qui rétablira Jérusalem et le sanctuaire, et qui ne renouvellera pas la doctrine ».

Un polémiste inconnu s’exprimait ainsi en 1617[125]. Cinquante ans plus tard se produisait la sensationnelle manifestation de Sabbathaï Cevi[126]. M. David Kaufmann, qui a publié récemment d’intéressantes pièces relatives à sa détention à Constantinople en 1666, est frappé de l’intensité du mouvement messianique : « Des milliers de juifs affluèrent, en effet, de toutes les localités de la Turquie d’Europe pour rendre visite au faux Messie pendant qu’il séjournait sur la rive asiatique, vendant dant tout ce qu’ils possédaient, abandonnant joyeusement leurs demeures pour aider à restaurer le nouvel état juif »[127].

De nos jours, — pour la première fois, — l’idéal juif se dédouble. Pendant que nous voyons des Juifs fidèles affluer à Jérusalem de tous les points du globe, Espagne et Portugal, Maroc et Algérie, Allemagne, Pologne, Russie, Yémen, pour reconstituer de leurs éléments dispersés une Sion nouvelle, d’autres déclarent, comme M. Maurice Bloch, que : « La nouvelle Jérusalem sera partout où triomphera l’idée française de la Révolution ». Ceux-là, comme leurs pères, sont très attentifs aux signes, mais ils ne les cherchent plus au ciel.

Arrivé au terme de cette étude, si l’on ramasse les éléments d’une impression générale, c’est le mot de saint Paul qui se présente à l’esprit : Judaei signa petunt, les Juifs demandent des prodiges. Et il paraît alors si neuf qu’on croit ne l’avoir jamais lu, si profond qu’on ne saurait dire si jamais personne a mieux résumé en trois mots la situation la plus complexe. Les Juifs attendaient des prodiges. Voilà bien la note dominante de leur pensée. Est-ce à cette attente générale que Jésus a voulu répondre ? l’opinion courante dans laquelle il se serait placé ?

Les Apôtres ont opposé nettement leur solution inattendue, disant avec saint Paul : nos autem praedicamus Christum crucifixum[128].

Le judaïsme compte encore aujourd’hui, parmi tant de personnes abandonnées à un messianisme moins chimérique, mais encore plus matériel que celui de leurs ancêtres, beaucoup d’âmes éprises d’un autre idéal, pétries par la douleur, et anxieuses de leur salut. Elles ne sont même plus tentées de rêver au Messie guerrier vers lequel ont soupiré à la fois leur peuple, leurs voyants et leurs docteurs ; puissent-elles reconnaître le vrai Messie en Jésus crucifié !

  1. L E. lltT 12 : êrtl TQUTot ; Othcnratfiavov [Aîzà TÜT, (l£poG*G>.*J(jiœv àÀtwfftv ’ÏQUÇ àno YEVOVÇ w ; IQyoatot ; TUW àno z/j ; patrÛAxrç ;
  2. Sur cette question des frères du Seigneur. cL farticle du EL P. Durand, K IL, 1908, p. 9 ss.
  3. EUSEBE, IL IL ni, 19 et 20, citant en partie Jlégésîppe à la lettre.
  4. Eusèbe, H. E. iii, 32.
  5. Sauf, çà et là, la teinte de millénarisme, empruntée aux idées juives, mais qui n’affecte pas l’impression générale.
  6. Zach. xi, 1 ; dans b. Ioma, 39b.
  7. Aboth di R. Nathan, c. 4 ; Bacher, l. l., p. 35.
  8. Josèphe, Bell. IV, viii, 1.
  9. Bacher, Die Agada der Tannaiten, I2, p. 23.
  10. Die Tage Trajans und Hadrians, dans les Beiträge zur Förderung christlicher Theologie, 1897, p. 68-87.
  11. Bell. VII, i, 1 : τὸν δʹ ἄλλον ἅπαντα τῆς πόλεως περίϐολον οὕτως ἐξωμάλισαν οἱ κατασκάπτοντες, ὡς μηδεπώποτʹ οἰκηθῆναι πίστιν ἂν ἔτι παρασχεῖν τοῖς προσελθοῦσι.
  12. Bell. VII, viii, 7 (éd. Niese 377) : πρεσβῦται δὲ δύστηνοι τῇ σποδῷ τοῦ τεμένους 7-UCL yuvŒîxÊ ; o^iyocç Ttpbç üêpcv txÎ7+/ttrtY|V UTTO TWV noXepicwv Dans les discours cTÊIéazar à Masada.
  13. Tous n’ont pas h même valeur, Ainsi la présence à Jérusalem d+un tribunal supérieur à celui de labné doit être purement ^théorique dans la pensée d*Aqiba (Sanhéd. XI, 4 ; SCHLATTER, L p. 85. cite 6 ( ?). Mais on peut $e demander si les sept synagogues du pèlerin de Bordeaux et de saint Ëpîphane (De mens. el pond. 14) ne datent pas de ce temps.
  14. EUSEBE, ZL E. JV, G : irpuro ; p.&rà IQU ; IX Trçv TWV Ï.EiToufr- Y’av Mdtpy.o ;.
  15. Commentaire du DeuL, n* 43.
  16. Lam. vT 18.
  17. Nous pensons en effet avec le très grand nombre des critiques que les sacrifices interrompus par l’incendie du Temple n’avaient pas été repris. Les textes de saint Justin sont décisifs : Contre Trypt., c. xl et xlvi.
  18. Appien, Civ. ii, 90.
  19. Chron., texte arménien et Chron. de saint Jérome sur l’an 2131 d’Abraham ; éd. Schoene.
  20. La traduction armén. de la Chron. d’Eusèbe sur l’an 2133 d’Abrabam : Adrianus Alexandriam a Iudaeis subversam restauravit. S. Jérôme : a Romanis.
  21. Dio, lxviii, 32 ; voir la note de Boissevain, III, p. 187, en tête du livre lxviii.
  22. IL E. IV, 2-5.
  23. C’est la version (TEusèbe dans la Chronique d’après la version arménienne : Quum aulem in Mesopolamia quogue c&ncitarentur, praecepit imperator Lusiae Cilio, ut eos e prowincia eucieiido (liane) pur y ar et. Cilus acte instnicla muUas myriades ludaeoruni irucidavit^ quibus rébus composais praeses (index} htdaeae ab imperatore declaralus est,
  24. SCIIÜBERJ Cftc/ucAte…, IT p. 665 ss.
  25. C’est le seiis le plus naturel de la Chronique d’Eusèbe : arm, : ludaeo£ subegil ter (Tertio) contra ftomanos rebellantes. S. Jêr. : Hadrianus ludaeos capit secundo contra Jlomanos rebellanles. Pour tons deux c’est une nouvelle révolte. S, Jér. lui donne le numéro assez logiquement, puisqu’il n’en a pas mentionné d’autre que la première.
  26. Vie d’Hadrien, V : sedilianibus urgebatur, Libya denique ac Palaeslina rebelles animas efferebant.
  27. Ge&chickte..r, I, p. 667 S,
  28. Soṭa, ix, 14.
  29. Les éditions courantes ont Titos, mais le vrai texte est reconnu par tout le monde.
  30. Texte dans Schürer, Geschichte…, I, p. 669 : « De la guerre d’Asvéros (Varus) jusqu’à la guerre de Vespasien il y a quatre-vingts ans, le temple étant encore debout ; de la guerre de Vespasien à la guerre de Quiétos, il y a cinquante-deux ans ; et de la guerre de Quiétos à la guerre de Ben-Koziba, seize ans. La guerre de Ben-Koziba dura trois ans et demi ».
  31. La Megillath taanith ou « Anniversaires historiques », par M. Moïse Schwab, Congrès des orientalistes, quatrième section, p. 199-259 ; Paris, 1898.
  32. Trajan y figure comme un simple fonctionnaire, qui interroge Pappos et Julien pour les faire apostasier. Il est mis à mort sur un ordre de Rome. Il semble que Trajan remplace ici Quiétus, à cause du mot à expliquer, « jour de Trajan » ; mais la confusion inverse est peut-être à l’origine de ce terme.
  33. Aussi ne voudrions-nous pas adhérer à l’argumentation de M. Schlatter (Die Tage Trajans und Hadrians, p. 92) qui fait de Pappos un général révolté, à cause du texte de Sifrâ sur Lév. : « Je briserai l’orgueil de votre force » ; Aqiba y voyait une allusion à Joab général de David ; d’autres à Pappos et Lulianos (Julianos). A supposer que cette dernière explication ne soit pas récente, l’opinion d’autres rabbins ne fait pas de Pappos un synonyme de Joab.
  34. Il faut probablement rapporter du moins à l’ensemble de l’agitation juive l’inscription de la porte de Néby Daoud à Jérusalem : Iovi o. m. Sarapidi pro salute et victoria imp. Nervae traiani caesaris optimi aug. Germanici, Dacici, Parthici et populi romani vexill. Leg. III. Cyr. fecit (RB., 1895, p. 239). Elle date au plus tôt de 116 à cause du titre de Parthicus. Le Jupiter Sarapis est peut-être spécialement honoré à cause des évènements d’Égypte.
  35. Voici comment les faits sont exposés par M. Théodore Reinach : « Les boucheries qui éclatèrent presque au même moment sous Trajan en Mésopotamie, à Chypre, à Cyrène, prouvent à quel point l’antagonisme des deux races était exaspéré. À Chypre surtout, ce fut une guerre d’extermination : les juifs massacrèrent tous les habitants grecs de Salamine, et, la révolte étouffée, le séjour de l’île fut interdit aux juifs sous peine de mort. À Alexandrie, les relations n’étaient guère meilleures… À la suite de l’un de ces conflits, le préfet romain d’Égypte, d’accord avec les principaux Alexandrins, décida d’enfermer les juifs dans un ghetto facile à surveiller « d’où ils ne pourraient plus à l’improviste se jeter sur l’illustre cité et lui faire la guerre ». Art. Judaei, p. 622 ; la citation d’après un papyrus du Louvre, no 2376 bis, col. vi, 15.
  36. H. E. iv, 2 : ἔν τε γὰρ Ἀλεξανδρείᾳ καὶ τῇ λοιπῇ Αἰγύπτῳ καὶ προσέτι κατὰ Κυρήνην, ὥσπερ ὑπὸ πνεύματος δεινοῦ τινος καὶ στασιώδους ἀναρριπισθέντες, ὥρμηντο πρὸς τοὺς συνοίκους Ἕλληνας στασιάζειν…
  37. H. E. iv, 4 : ἀλλὰ καὶ τῶν ἀπʹ Αἰγύπτου συναιρομένων Λουκούᾳ τῷ βασιλεῖ αὐτῶν.
  38. Bell. VII, xi, 1 : Ἥψατο δὲ καὶ τῶν περὶ Κυρήνην πόλεων ἡ τῶν σικαρίων ἀπόνοια καθάπερ νόσος, κ. τ. λ.
  39. Die Tage Trajans und Hadrians. L’auteur a surtout mis en œuvre les traditions rabbiniques qu’il cherche à mettre d’accord pour réaliser un ensemble satisfaisant, et auxquelles il attribue une vraie valeur historique, sauf les exagérations dont elles sont coutumières. M. Bacher (Revue des ét. juives, t. XXXVI, p. 197-204), très sévère pour cet ouvrage puisque sa recension est intitulée : Erreurs récentes concernant d’anciennes sources historiques, reconnaît une certaine vraisemblance au système de Schlatter ; « plusieurs faits se comprennent mieux et… on trouve moins étrange l’espoir nourri par les Juifs de restaurer Jérusalem et le culte du temple dans la première année de Barkokhba » (l. l., p. 197).
  40. Geschichte…, I, p. 670-704. Admirablement complet pour lous les renseignements littéraires et épigraphiques.
  41. Digeste, xlviii, 8, 4, 2 : Divus Hadrianus rescripsit : Constitutum quidem est, ne spadones fierent, eos autem, qui hoc crimine arguerentur, Corneliae legis poena teneri. Il s’agit de la lex Cornelia de sicariis et veneficis.
  42. Histoire des empereurs, t. II, p. 285. Le chapitre Révoltes et malheurs des Juifs sous Trajan et sous Adrien, p. 282-296, utilise très bien les sources païennes et chrétiennes connues au temps de l’auteur.
  43. Berechith r., c. lxiv : בימי ר׳ יהושע בן חנניה גזרה מלכות הרשעה שיבנה בהמ״ק הושיבו פפוס ולוליאנוס טרפיזין מעכו עד אנטוכיא והיו מספקין לעולי גולה כסף וזהב וכל צרכם. On rappelle pour mémoire que M. Graetz a conclu de ce texte que Pappos et Julien battaient monnaie et qu’il faut leur attribuer les monnaies frappées au nom de Simon ! cf. la réfutation de M. Théod. Reinach dans L’histoire par les Monnaies, p. 223-231 (Extrait de la Rev. des études juives, t. XVII).
  44. Esd. iv, 11 ss.
  45. b. Guittin, 55b. De R. Iokhanan, probablement le célèbre amora, disciple de R. Iehouda le Saint :« Jérusalem a été dévastée à cause de Qamsa, et de Bar-Qamsa ; le mont royal (la Judée ?) a été dévasté à cause d’un coq et d’une poule ; Béther a été dévastée à cause d’une jambe (bâton) de palanquin ». Suivent les gloses. Ce texte est précieux à cause de la mention de Jérusalem; d’ordinaire on ne parle que de Béther.
  46. Barn., c. xvi, 3. πέρας γέ τοι πάλιν λέγει· Ἰδοὺ οἱ καθελόντες τὸν ναὸν τοῦτον, αὐτοὶ αὐτὸν οἰκοδομήσουσιν (Is. xlix, 17). 4. γίνεται· διὰ γὰρ τὸ πολεμεῖν αὐτοὺς καθῃρέθη ὑπὸ τῶν ἐχθρῶν. νῦν καὶ αὐτοὶ [καὶ] οἱ τῶν ἐχθρῶν ὑπηρέται ἀνοικοδομήσουσιν αὐτόν. Avec καὶ, les Juifs et les Romains collaborent, ce qui ne pourrait s’entendre que dans le sens de M. Schlatter. Mais il renonce à soutenir l’authenticité de la copule, attestée seulement par le ms. sinaïtique, et contraire au contexte ; car, pour que la prophétie soit accomplie, il faut que le Temple soit rebâti par ceux qui l’ont détruit. Dès lors, ou ce serait un triomphe pour les Juifs — ce qui est contre l’intention de Barnabé, — ou il s’agit du temple de Jupiter, ce qui est la suprême insulte aux Juifs.
  47. H. E. iv, 6 : οὕτω δὴ τῆς πόλεως εἰς ἐρημίαν τοῦ Ἰουδαίων ἔθνους παντελῆ τε ϕθορὰν τῶν πάλαι οἰκητόρων ἐλθούσης ἐξ ἀλλοϕύλου τε γένους συνοικισθείσης, ἡ μετέπειτα συστᾶσα Ῥωμαϊκὴ πόλις τὴν ἐπωνυμίαν ἀμείψασα, εἰς τὴν τοῦ κρατοῦντος Αἰλίου Ἁδριανοῦ τιμὴν Αἰλία προσαγορεύεται.
  48. Chron. éd. Schoene, après la fin de la guerre, sur l’an 2153 d’Abraham : Aelia ab Aelio Hadriano condita… et commentaire sur Daniel : quo mortuo, transactis septem hebdomadis id est, annis quadraginta novem, Aelius Hadrianus, et quo postea de ruinis Jerusalem urbs Aelia condita est, rebellantes Judaeos, Timo (Tinio) Rufo magistro exercitus pugnante, superavit (P. L., t. XXV, c. 552).
  49. Livre lxix, éd. Boissevain, p. 232.
  50. D’autres exemples dans Schürer. Il allègue un Adrianée à Césarée d’après RB., 1895, p. 75s ., sans avoir remarqué que la traduction fautive de l’inscription de Césarée a été rétractée, p. 240 de la même année. L’Adrianée de Césarée doit être une église de saint Adrien. Ce point particulier ne change rien à l’argumentation générale.
  51. Voir plus haut, p. 303.
  52. C. 14. Moverunt ea tempestate et Iudaei bellum, quod vetabantur mutilare genitalia.
  53. Hér. ii, 104.
  54. Dialogue de Fato, attribué à Bardesanes, résumé dans Eusèbe, Prepar. evang. VI, x, 1-48 ; le passage relatif à la circoncision se trouve dans Cureton, Spicilegium Syriacum, 1855, p. 30 ; cf. Schürer, l. laud., p. 678, note 82.
  55. Modestin, Digeste, xlviii, 8, 11 pr. Circumcidere Iudaeis filios suos tantum rescripto divi Pii permittitur ; in non eiusdem religionis qui hoc fecerit, castrantis poena irrogatur.
  56. Ce que M. Schürer n’admet pas.
  57. On dispensait pour chaque cas les enfants égyptiens de race sacerdotale ; cf. Schürer, l. l., p. 678, note 84.
  58. בר כוזיבא, ou, avec le premier mot « fils » en hébreu בן כוזיבא
  59. I Chr. iv, 22. Si c’est bien le même que כזיב (Gen. xxxviii, 5), on peut songer à la source de Akzib, près de Beit-Nettif.
  60. Adv. Rufin, iii, 31 ; P. L., t. XXIII, c. 480 : ut ille Bar-Chochabas, auctor seditionis Iudaicae, stipulam in ore succensam anhelitu ventilabat, ut flammas evomere putaretur.
  61. j. Ta‘an. 68d : תני ר״ש בן יוחי עקיבא היה דורש דרך כוכב מיעקב דכוזבא. Donc une baraïtha de R. Siméon b. Iokhaï rapportant l’exégèse (דורש) de son maître Aqiba. Dans Eka r. sur ii, 2, « ne lis pas Kôkab, mais Kôzeb » (cf. Bacher, Tann. I2, p. 284).
  62. Avec des différences graphiques peu imporantes.
  63. H. E. vi, 6 : ἐστρατήγει δὲ τότε Ἰουδαίων Βαρχωχέβας ὄνομα, ὃ δὴ ἀστέρα δηλοῖ.
  64. Madden, Coins of the Jews, p. 244, n° 38.
  65. j. Ta‘anith, trad. Schwab, t. VI, p. 189.
  66. Eod. loc.
  67. Eusèbe, H. E. vi, 6 : τὰ μὲν ἄλλα ϕονικὸς καὶ λῃστρικός τις ἀνήρ, ἐπὶ δὲ τῇ προσηγορίᾳ οἷα ἐπʹ ἀνδραπόδων, ὡς δὴ ἐξ οὐρανοῦ ϕωστὴρ αὐτοῖς κατεληλυθὼς κακουμένοις τε ἐπιλάμψαι τερατευόμενος.
  68. Coins of the Jews, London, 1903.
  69. Droit : שמעון ; Revers : לחרות ירושלם.
  70. Geschichte…, I, Beilage IV, Die jüdischen Sekel- und Aufstandsmünzen, p. 761-772.
  71. L’Histoire par les monnaies, xix et xx.
  72. Dr. : אלעזר הכהן ; Rev. : שנת אחת לגאלת ישראל.
  73. שמעון; אלעזר הכהן. Cette monnaie est des plus intéressantes, puisqu’elle réunit les noms des deux chefs. Mais c’est là une invraisemblance. M. Théod. Reinach y voit le résultat d’une erreur ; un ouvrier aurait combiné deux coins droits au lieu de prendre un droit et un revers (Une monnaie hybride des insurrections juives, l. l., p. 217 ss.) ; ce savant cite un cas d’erreur opposée, par l’union de deux revers.
  74. Dr. : ירושלם ; Rev. : שנת אחת לגאלת ישראל.
  75. Dr. : שמעון נשיא ישראל ; Rev. : comme la précédente.
  76. Dr. : pystf ; Rev. ; bxitth miFiS 2"C-
  77. Loc. iaud., p, 5i s. M. Bâcher trouve cette conjecture « assez plausible » (/(çv. des él. juives, t. XXXVI, p. 198).
  78. ScnÜRER, L Z-, p, 766* Dr. ; p’iï l^v. : X FCüOu bien Dr. : rVII pS ; Kev* : QTltf FŒ ou FIJÜZ.
  79. S. JER., Comrn. de Daniel (P. L.* t. XXV, c* ô52s.) : Ai ? ifjnoramus’quvsdam illorum (les Juifs) dteere, qtiod una hebdomada^ de qua scriplum est : Confirmabit partum multis hebdomada una : dividalur in Vespasiano eZ in Hadriano : quodjuxta hista^ riant Josephi* Vespasianus et Titus tribus axais et sex mensibus pacem cuni ludaeis fecerinb Très auleni anni et sex menses sub Hadriano suppulanlur, quando Je rusaient omnino subversa est, et Judaeorum gens calerwtûn caesa ; ita ut fudaeae quaque finibus pellerentur.
  80. SCHÜRER, l. p, G95*
  81. Tose/ta Chabbath, c. XV ; étL Zuckcrmaïuteï, p. 133 : p •IQ’Q 7^2 "2^*1 Inn □ ’Ul DHS Wl XZ’IZ* Texte cité par M* ScEihtter, l. L, p. 53.
  82. A pal* I, C. XXXI : xfti IV zii vùv l&vSaiKÜ màêpLto 6 xfc ’IDUS« £(I)V ttKO>7T3(fTEtij ; XpL<7Ttavûù ; p.ôvo’j ; Et ; Setvi ;, U rirj àowHVTQ ’îïjavjv T’ÛV Xpicrtov xod pXüttrpijxûÏÉVj éxû.E’jEv
  83. à compléter
  84. à compléter
  85. à compléter
  86. à compléter
  87. à compléter
  88. à compléter
  89. D1ONT 12-14.
  90. APPJEN, Syr. 50 : Pompée a renversé Jérusalem, la capitale et la ville sainte des Juifs, orç xal ïlToleptaïo ; 6 jrcpwTt>£ AÏ^ÜTTTOV xett Oùwnûtnavijç gtiüîî xac ’ASptavàç auflç ; sif qioü.
  91. JOSEPIIE, Bell. V[[, VHL
  92. TcfaniUi, ivj, 6* La tradition était déjà connue de S. Jérome, commentaire de Zacfh sur vin, 19, P. t, XXV, col. I475t où l’éditeur a mal à propos introduit Turannio Rufb. La leçon vulgate T. JîîIIIo Rufo devait être corrigée en 7ïn ;no Rufo ; cf. TILLEMOFT, et ScHiiai-R, I. L, p* 692, note 127.
  93. Apol. 47 : OTI âè OTIW ; xaï Gavatû ; xavà 5lû’jôaUu EI(JL6VTOÇ wpiffTa :, àxpirëù ; ^(araaOE.
  94. HE. IV, 6 : wç àv pino EE ; àrcûKTG-j 6EÜ>P<HEV zo Ttavpwœj ÈÔasü ;.
  95. Eusèbe suppose que sous Titus Jérusalem n’avait été ruinée qu*à moitié ; elle le fut complètement sous Hadrien : to kotnav xSjç irôî.swç [ispo ; jrûktopziîElEv CTJÛIÇ EÇEIJÏIJVEW, djç EXEIVOU xzt EΠ; Seüpo TCdtpjrav Sfiarov aùrûïç ycvé-crOoc : TOV TUHGV (Demonstr. evangeL VI, XVÏlb 10).
  96. Est et non longe de statuts ((ftfadricn, sur le ijarain actuel) tapis pcrhisiis, ad ijuem veniunt ludaei singulis wm, eZ unguenl euwi et lamentant se cutii gpmitu, et vestimenta sua seindunt el sic recedunl (Ilinera Hierosoly-ntilana, ed. Geycr, p. 22).
  97. Loc. laud.’ p. 52.
  98. b. Sanh. 96b ; voir plus haut, p. 229.
  99. Revue des études juives, t. XXXVI, p. 203 : « rien ne prouve qu’on n’(sic) ait également songé à l’étymologie du mot כוזבה, lieu natal de notre héros ».
  100. M. Schlatter regarde comme une réprobation le rejet de ses monnaies pour les usages religieux. Mais ce rejet s’imposait pour des monnaies qui n’avaient plus cours ; cf. les textes dans Madden, Coins of the Jews, p. 311.
  101. C’est peut-être pour cela que l’Apocalypse d’Abraham est plus haineuse que IV Esdras ; cf. RB., 1905, p. 511 ss.
  102. In Jos. hom., xvii, 1 : Si ergo veniens ad Jerusalem civitatem terrenam, o Iudaee, invenias eam subversam et in cineres ac favillas redactam, noli flere sicut nunc facitis tanquam pueri sensibus… sed pro terrena require coelestem (P. G., XII, c. 910).
  103. Epist. ad Africanum, § 14 : Καὶ νῦν γοῦν Ῥωμαίων βασιλευόντων καὶ Ἰουδαίων τὸν δίδραχμον αὐτοῖς τελούντων, ὅσα συγχωροῦντος Καίσαρος ὁ ἐθνάρχης παρʹ αὐτοῖς δύναται, ὡς μηδὲν διαφέρειν βασιλεύοντος τοῦ ἔθνους, ἴσμεν οἱ πεπειραμένοι. Γίνεται δὲ καὶ κριτήρια λεληθότως κατὰ τὸν νόμον, καὶ καταδικάζονταί τινες τὴν ἐπὶ τῷ θανάτῳ, οὔτε μετὰ τὴν πάντη εἰς τοῦτο παρρησίας, οὔτε μετὰ τοῦ λανθάνειν τὸν βασιλεύοντα (P. G., XI, c. 82 s.).
  104. Cod. Theod., xvi, 8, 11. D’après j. Horayoth, 47a, Juda II, fils de Gamaliel III et ami d’Alexandre Sévère, avait une garde de Goths ; cf. « Les juges juifs en Palestine de l’an 70 à l’an 500 » par H.-P. Chajes (Rev. des ét. juives, t. XXXIX p, 39-52). La conclusion de M. Chajes est qu’ « il n’existait pas de tribunaux au véritable sens du mot, fonctionnant d’une manière permanente. Nous trouvons surtout des juges isolés, ayant des pouvoirs plus ou moins étendus, mais exerçant leur action dans un domaine restreint, avec l’autorisation ou, du moins, la tolérance des autorités ».
  105. Article Judaei, p. 626.
  106. Bacher, Die Agada der Tannaiten, i2, p. 404. L’ordination, ממיעה, n’a aucun rapport avec l’exercice du sacerdoce. C’est une promotion au titre de Rabbi, la transmission de l’autorité doctrinale et de la juridiction ; cf, « Ordination et autorisation » par A. Epstein (Revue des ét. juives, t. XLVI, p. 197-211) et b. Sanh. 55 : « Lorsque Rab alla en Babylonie, R. Hiyya dit à Rabbi : Mon neveu va en Babylonie, peut-il enseigner (rendre des décisions rituelles) ? — Il peut le faire (répondit Rabbi). — Peut-il juger (des procès civils) ? — Il le peut » (trad. Epstein). Ainsi Rab qui voulait fonder en Babylonie une Académie indépendante de l’exilarque prenait l’autorisation du patriarche palestinien, chef de l’Académie qui avait succédé au Sanhédrin.
  107. CAUSSIN DE PEHCEVAL, tissai sur l’histoire des Arabes, IL p.
  108. Les Pères Jaussen et Savîynac viennent de trouver une tombe juive à Med aïn Saleh.
  109. P. G., t. LXV, c. 4SI : OVK dHfov UE XUU ’lovôaitûv aÛTQÏ ; àvazipupTfxu
  110. Le récit éthiopien le nomme Pinehas* autre nom juif.
  111. FBLL, Die CkrisCenverfolguntf in Südarabi&ïi und die hDnjarlsch-dikwpischeti Kriege nark abexsinischer Ueberlieferung* dans Zeitschrift der deulscken Margeur t. XXXV, 188L p* 1-7L
  112. Et même, d’après les sources, au roi de Perse.
  113. Caussin de Perceval, I, p. 381.
  114. Caussin de Perceval, I, p. 349.
  115. Il n’eut donc que des succès partiels, comme celui de l’ambassade de Théophile, envoyé par Constance aux Himyarites et qui réduisit les Juifs au silence (P. G., t. LXV, c. 184).
  116. Caussin de Perceval, I, p. 92.
  117. Dans l’interrogatoire de saint Arétas (Ḥirut), l’un des grands lui dit : « Ne savez-vous pas que le roi des Juifs est l’oint du Seigneur ? » ; ce qui indique du moins que Dhou Nowâs était regardé comme le légitime héritier des rois d’Israël ou de Juda, ou plutôt comme le Messie (dans le texte éthiopien, Fell, l. l., p. 60).
  118. Caussin de Perceval, I, p. 409.
  119. M. Marmorstein qui date de ce moment la petite apocalypse des signes du Messie, explique la surexcitation qu’elle suppose en alléguant que « peut-être des renseignements venus de la Mecque apportèrent-ils la nouvelle que Mahomet était favorable aux juifs » (Rev. des études juives, t. LII, p. 180).
  120. « Les Juifs forment avec les musulmans un seul corps de nation… Ils professeront librement leur religion, comme les musulmans la leur. Les clients et amis de ces Juifs jouiront eux-mêmes d’une entière sécurité » (Caussin de Perceval, III, p. 23). Il n’est pas question des clients des musulmans.
  121. Le messianisme juif aurait exercé encore une très sérieuse influence sur les destinées ultérieures de l’islamisme, s’il était vrai, comme le prétend M. Friedländer (dans les Mélanges dédiés à M. Berliner, Francfort, 1903 : L’idée messianique dans l’islamisme), que cette idée est à l’origine de la doctrine des Chiites. Ali, en effet, a bien les traits d’un Messie ; cf. Carra de Vaux, Le Mahométisme, Paris, 1898, et Revue des ét. juives, t. XLVII, p. 137.
  122. Emprunté à M. S. Krauss : Le Roi de France Charles VIII et les espérances messianiques, dans la Revue des études juives (1er janv. 1906) d’après le colophon du ms. héb. du Vatican in-folio n° 187 (catal. Assemani) et le Sefer ha-kanah.
  123. C’est le pape, nommé האפיור (sic).
  124. Un poème messianique de Salomon Malkho (en réalité מָלְכוֹ, par M. David Kaufmann, dans la Revue des études juives, t. XXXIV, p. 121-127.
  125. Deux polémistes italiens, par M. J. Bergmann (Revue des études juives, t. XL, p. 188-205).
  126. Sabbathaï Cevi (Revue des études juives, t. XXXIV, p. 305-308), par M. David Kaufmann.
  127. Loc. laud., p. 306.
  128. I Cor. i, 22.