Le Messager Évangélique/1861/Le Kénien


Collectif
Le Messager ÉvangéliqueVolume 2 (pdf) (p. 184-200).

Le Kénien.

L’Écriture nous révèle l’histoire d’une portion de la tribu ou nation des Kéniens, portion détachée du reste, et qui vient, en quelque sorte, tomber dans le courant des destinées d’Israël. Cette histoire occupe, il est vrai, seulement un petit espace dans le récit sacré, en com­paraison de celle d’Israël ; néanmoins elle est pleine d’instructions importantes, et même d’instructions que l’histoire d’Israël ne saurait donner aussi clairement, ni aussi simplement.

Chaque fois que nous ouvrons l’Ancien Testament, il est bon de nous rappeler ces paroles de l’apôtre Paul : « Toute Écriture est divinement inspirée et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour in­struire dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli, et parfaitement propre pour toute bonne œuvre » (2 Tim. III, 16).

Peut-être ne verra-t-on pas d’abord la sagesse spi­rituelle, et le profit qu’il y a à retirer d’un récit aussi étrange et en apparence aussi obscur. Cependant, de l’instruction, il doit y en avoir, et de l’instruction pour nous, car Dieu l’a dit : Ainsi donc, puisque l’âme aussi bien que l’Église sont si abondamment fournies, il nous faut apprendre pourquoi le Saint-Esprit nous a parlé du Kénien, et recueillir une instruction conve­nable de cette histoire. J’espère que plusieurs y trou­veront la correction et l’enseignement, pour ne pas dire davantage, que j’y ai moi-même trouvés, quant à ce qui me paraît l’intention du Seigneur en perpétuant ainsi le nom et le caractère de la race des Kéniens.

Introduits devant nous ici et là, et n’occupant que peu de place dans les récits sacrés, ils y paraissent de temps en temps, puis ils sont comme perdus de nou­veau. Cependant si nous relions ensemble les frag­ments de leur histoire, nous la verrons marcher pa­rallèlement à celle d’Israël, et cela, depuis le moment où Dieu méditait la délivrance de son peuple hors d’Égypte, jusqu’à celui où ils sont cachés, comme cap­tifs, dans les palais ou les donjons de Babylone.

1° Il est écrit : « Or Pharaon ayant appris ce fait-là (qu’un Égyptien avait été tué), chercha à faire mourir Moïse ; mais Moïse s’enfuit de devant Pharaon, et s’ar­rêta au pays de Madian, et s’assit près d’un puits. Or le sacrificateur de Madian avait sept filles, qui vin­rent puiser de l’eau ; et elles emplirent les auges pour abreuver le troupeau de leur père. Mais des bergers survinrent, qui les chassèrent ; et Moïse se leva, et les secourut, et abreuva leur troupeau. Et quand elles fu­rent revenues chez Réhuel, leur père, il leur dit : Com­ment êtes-vous revenues sitôt aujourd’hui ? Elles ré­pondirent : Un homme égyptien nous a délivrées de la main des bergers, et même il nous a puisé abondam­ment de l’eau et a abreuvé le troupeau. Et il dit à ses filles : Où est-il ? Pourquoi avez-vous laissé ainsi cet homme ? Appelez-le et qu’il mange du pain. Et Moïse s’accorda de demeurer avec cet homme-là, qui donna Séphora, sa fille, à Moïse » (Exod. II, 15-21).

« Mets en avant le conseil, fais l’ordonnance ; sers d’ombre, comme une nuit, au milieu du midi ; cache ceux qui ont été chassés et ne décèle point ceux qui sont errants. Que ceux de mon peuple qui ont été chas­sés séjournent chez toi, ô Moab ! Sois-leur une retraite contre celui qui fait le dégât » (És. XVI, 3, 4).

« Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire : j’étais étran­ger, et vous m’avez recueilli… En vérité, je vous dis, en tant que vous avez fait ces choses à l’un des plus petits de ceux-ci qui sont mes frères, vous me les avez faites à moi-même » (Matth. XXV, 35, 36, 40).

« N’oubliez pas l’hospitalité, car par elle, quelques-uns, à leur insu, ont logé des anges » (Hébr. XIII, 2).

Accueil bienveillant au pauvre proscrit, hospitalité envers l’étranger, tels sont les premiers traits qui marquent le beau caractère du Kénien, et cela, comme dans tout le cours de l’histoire, en contraste avec la conduite d’Israël. Deux fois Moïse s’était présenté comme défenseur d’Israël, même jusqu’à tuer l’Égyptien. Moïse avait tout abandonné pour Israël, mais Is­raël le rejeta et le méprisa. Cependant cet étranger à la république privilégiée d’Israël, après que Moïse eut chassé les bergers et abreuvé son troupeau, accueillit Moïse en toute franchise et affection, dans sa tente et dans son cœur. N’est-ce pas là aussi une figure de la manière dont Israël a rejeté un plus grand que Moïse, tandis que les Gentils, qui étaient loin, l’ont à la fois reçu et adoré ? mais ceci n’est qu’une question en passant, puisque c’est le caractère du Kénien qui doit nous occuper.

Il serait étrange de supposer que Moïse eût pu de­meurer quarante ans dans les tentes du Gentil sans l’instruire dans la connaissance du seul vrai Dieu, et du Seigneur Jésus, dont il portait l’opprobre (« esti­mant l’opprobre de Christ un plus grand trésor que les richesses de l’Égypte »), bien qu’il ne paraisse pas, alors, s’être soumis à cette instruction ; mais la foi de Moïse était si claire qu’on ne saurait douter que le Madianite n’ait souvent entendu parler des promesses à Abraham et à sa postérité, promesses qui étaient si près de s’accomplir, puisque les quatre cents ans li­raient à leur fin ; et comme il n’hésita pas à laisser partir Séphora avec Moïse, il fallait bien qu’il eût donné quelque attention à la merveilleuse vision du buisson qui brûlait et ne se consumait pas. C’était déjà une ample récompense pour son bienveillant amour. Certes, sans le savoir, il avait reçu plus qu’un ange, « le serviteur fidèle dans la maison du Dieu vivant, » le roi en Jéshurum, en figure du moins — celui qui devait voir « l’Éternel en effet », et avec lequel il parlait bouche à bouche, et non point en obscurité (Nombr. XII), — le Libérateur d’Israël.

Mais tout ce que Dieu a promis est bientôt accompli. La rage de l’oppresseur s’éteint dans les vagues de la mer Rouge. Le bandes d’Israël, conduites par la colonne de nuée, s’avancent jusqu’à la montagne de Dieu, et là est de nouveau le proscrit errant, mais cette fois le proscrit entouré de six cent mille hommes, sans compter les femmes et les enfants, lui le conseiller et le conducteur de tous.

2° « Or Jéthro, sacrificateur de Madian, beau-père de Moïse, ayant appris toutes les choses que l’Éternel avait faites à Moïse et à Israël son peuple : savoir com­ment l’Éternel avait retiré Israël de l’Égypte, prit Séphora, la femme de Moïse, après que Moïse l’eut ren­voyée,… et Jéthro, beau-père de Moïse, vint avec ses enfants et sa femme au désert, où il était campé, en la montagne de Dieu… et Moïse sortit au-devant de son beau-père, et s’étant prosterné, le baisa ; et ils s’enquirent l’un de l’autre touchant leur prospérité ; puis ils en­trèrent dans la tente. » Que l’humilité de Moïse est belle en de telles circonstances de gloire humaine ! et comme le caractère de Jéthro est empreint de grâce et d’affec­tion ! « Et Moïse récita à son beau-père toutes les choses que l’Éternel avait faites à Pharaon et aux Égyptiens en faveur d’Israël, et toute la fatigue qu’ils avaient soufferte par le chemin, et comment l’Éternel les avait délivres. Oui, il peut maintenant raconter les actes qui confirmaient tout ce qu’il avait dit dans les jours de son bannissement. Et Jéthro crut et « se réjouit de tout le bien que l’Éternel avait fait à Israël ; et Jéthro dit : Béni soit l’Éternel qui vous a délivrés de la main des Égyptiens et de la main de Pharaon. Je connais maintenant que l’Éternel est grand par-dessus tous les dieux : car en cela même en quoi ils se sont enorgueil­lis il a eu le dessus sur eux » (Ex. XVIII). Certaine­ment, avait dit l’Éternel à Pharaon, certainement je t’ai fait subsister pour ceci, afin de faire voir en toi ma puissance, et afin que mon nom soit célébré par toute la terre[1] (Ex. IX, 16). Ainsi Jéthro apprend à connaître le nom de l’Éternel et à se confier en lui ; et « Jéthro, beau-père de Moïse, prit aussi un holocauste et des sa­crifices pour les offrir à Dieu ; et Aaron et tous les an­ciens d’Israël vinrent pour manger du pain avec le beau-père de Moïse, en la présence de Dieu. » Ce sa­crifice, offert selon l’ordonnance de Dieu, est une preuve que Jéthro connaît Dieu, et se connaît lui-même, et qu’il sait que sans effusion de sang, il n’y a point de rémission des péchés ; c’est aussi une confes­sion publique de sa foi devant Dieu et devant Israël, en conséquence de laquelle il a communion avec le peuple mis à part pour Dieu, et avec Dieu lui-même : « ils vinrent pour manger du pain avec le beau-père de Moïse en la présence de Dieu » (Ex. XVIII, 12).

Déjà le cantique d’Israël : « Chantez à l’Éternel, car il s’est hautement élevé », avait cessé de retentir sur les rivages de la mer Rouge ; « les miracles faits en Égypte et les merveilles au territoire de Tsohan » re­venaient à peine à la mémoire, et ce murmure incré­dule : « L’Éternel est-il au milieu de nous ou non ? » (Ex. XVII, 7) avait souvent retenti aux oreilles, lorsque ce mystérieux Kénien arrive au milieu du camp pour accorder de nouveau la harpe délaissée d’Israël, et, par le joyeux chant de sa foi, lui reprocher son in­ gratitude. « Et Jéthro se réjouit de tout le bien que l’Éternel avait fait à Israël et dit : Béni soit l’Éternel… Je connais maintenant que l’Éternel est grand par-des­sus tous les dieux. » « Qui est comme toi entre les forts, ô Éternel qui est comme loi magnifique en sainteté, digne d’être révéré et célébré, faisant des choses merveilleuses ? » (Ex. XV) « Il n’y a nul saint comme l’Éternel, car il n’y en a point d’autre que toi ; et il n’y a point de rocher tel que notre Dieu » (1 Sam. II, 2) « Grandes et merveilleuses sont les œuvres, Seigneur Dieu, tout-puissant ; justes et véritables sont tes voies, Roi des nations ! Seigneur qui ne te craindra, et qui ne glorifiera ton nom ? car tu es saint, toi seul ; car toutes les nations viendront et se prosterneront devant toi, parce que tes jugements ont été manifestés » (Apoc. XV).

La louange du Seigneur, de ce qu’il a exercé sa puissance pour la délivrance de l’opprimé et le juge­ment de l’oppresseur, tel est le thème de chacun de ces chants ; toutefois on ne pouvait dire, ni d’Israël, ni d’Anne, ni des vainqueurs qui sont sur la mer de verre avec leurs harpes d’or, ce qu’on peut dire du Kénien : « Bienheureux sont ceux qui n’ont point vu et qui ont cru » (Jean XX, 29). Un étranger était là, au milieu du camp des rachetés de l’Éternel, et tandis que le cœur du peuple défaillait, que leurs instruments de louange avaient cessé de se faire entendre, lui ranimait le sou­venir de leurs dangers et de leur délivrance par le chant de sa foi : « Béni soit l’Éternel qui vous a délivrés de la main des Égyptiens et de la main de Pharaon. Je connais maintenant que l’Éternel est grand par-dessus tous les dieux, car en cela même en quoi ils se sont enorgueil­lis, il a eu le dessus sur eux. »

Maintenant Jéthro n’est plus seulement le beau-père plein de grâce et d’affection, mais encore le croyant et l’adorateur. Et ce n’est point là tout ce que nous avons à dire sur le chef de cette mystérieuse tribu, car, avec une sagesse démontrée plus tard comme divine, il con­seille à Moïse de partager le fardeau de son gouverne­ment avec ceux qui, d’entre le peuple, « sont des hom­mes de bien, craignant Dieu, des hommes véritables, haïssant le gain déshonnête. » Le nombre d’hommes choi­sis d’après ce conseil n’est pas mentionné ici, mais au XXIVme chapitre il est parlé des soixante-dix anciens d’Israël, de manière à rendre plus que probable que c’étaient ces mêmes conducteurs choisis et privilégiés. Ce qui nous est raconté (Nombres XI) des peines de Moïse n’est que d’une année subséquent au conseil de Jéthro ; et comme l’Éternel appelle les soixante-dix, connus pour être les anciens du peuple, et ne con­damne en aucune manière l’arrangement, ne pouvons-nous pas conclure qu’il n’y avait pas manque de sa­gesse dans ce plan, et que le caractère moral justifiait ce choix, mais seulement que ces hommes étaient in­compétents pour la tâche sans un don spécial ? Et certes pour partager les peines et l’anxiété que Moïse ressen­tait, comme berger du peuple, il fallait bien plus que de l’habileté et de la droiture. La difficulté leur apprit cela, comme elle leur apprit aussi que la grâce de Dieu suffit à tout. Toujours est-il que ce fut le Kénien qui donna le conseil que Dieu confirma ensuite par le don de l’Esprit de puissance, et que dans cette courte vi­site à la montagne et au peuple de Dieu, il les ra­mena à louer et à adorer leur Libérateur ; et dans une sainte communion avec eux, devant Dieu (n’était-ce pas la manne qu’il mangeait avec eux, — le pain de Dieu ?) ils les instruisit selon « l’esprit de sagesse et de conseil, » Puis « Moïse laissa partir son beau-père qui s’en alla en son pays. »

3° Douze mois s’étaient écoulés depuis qu’Israël avait été délivré de la maison de servitude, et il était tou­jours campé en Horeb, la montagne de Dieu ; mais maintenant le tabernacle était debout, les statuts et les jugements complétés, « la colonne de l’Éternel s’était levée », et l’arche ainsi que le peuple la suivaient. Alors, quoique Jéthro s’en fût allé, Hobab son fils est encore avec Israël, car « Moïse dit à Hobab, fils de Réhuel, Madianite, son beau-père : Nous allons au lieu duquel l’Éternel a dit : Je vous le donnerai. Viens avec nous, et nous te ferons du bien ; car l’Éternel a pro­mis de faire du bien à Israël. Et Hobab lui répondit : Je n’irai point ; mais je m’en irai en mon pays et vers ma parenté. El Moïse lui dit : Je te prie, ne nous quitte point, car tu nous serviras de guide, parce que tu connais les lieux où nous aurons à camper dans le désert. Et il arrivera que quand tu seras venu avec nous, et que le bien que l’Éternel nous doit faire sera arrivé, nous te ferons aussi du bien » (Nomb. X, 29-32). Il pourrait sembler, à première vue, que Moïse voulût rejeter sur Hobab le gracieux service que l’Éternel lui-même, leur Seigneur et leur guide, avait entrepris ; mais ce n’é­tait pas le cas. La colonne de nuée devait marquer le lieu ils auraient à camper. Moïse ne demandait à Hobab que ceci : comment il fallait camper, parce qu’il connaissait bien tous les chemins et passages du dé­sert, et Hobab, à la requête de Moïse, se soumet à ce long et fatigant travail de près de quarante ans, ce dont je vois la preuve dans deux passages de l’Écriture, preuve passablement claire, bien que les pas­sages n’aient pas été écrits directement dans ce but. Premièrement (1 Sam. XV), Saül, par le commande­ment de l’Éternel, marche contre Hamalec, à cause de leurs péchés « en s’opposant à Israël sur le chemin, quand ils montaient d’Égypte » (verset 2). Quelques-uns des Kéniens se trouvant là, leur conduite envers Israël, au désert, dut être mise en contraste avec celle d’Hamalec. Le souvenir du péché d’Hamalec renouvelle le souvenir de la bonté des Kéniens. « Saül donc dit aux Kéniens : Allez, retirez-vous, descendez du milieu des Hamalécites, de peur que je ne vous enveloppe avec eux ; car vous usâtes de gratuité envers tous les enfants d’Israël quand ils montaient d’Égypte. Et les Kéniens se reti­rèrent d’entre les Hamalécites. » Secondement, nous ap­prenons que lorsque les voyages et les conquêtes d’Is­raël furent achevés, et que le pays de leur héritage leur fut assigné suivant leurs tribus, les Kéniens se trouvèrent là pour y avoir leur part, suivant la pro­messe positive de Moïse. « Or les enfants du Kénien, beau-père de Moïse, étaient montés de la ville des pal­miers avec les enfants de Juda, au désert de Juda, qui est au midi de Harad, parce qu’ils avaient marché et demeuré avec le peuple » (Jug. I, 16). La parole de Moïse à Hobab avait été : « Quand tu seras venu avec nous, et que le bien que l’Éternel nous doit faire sera arrivé, nous te ferons aussi du bien. » Si une portion de la plus favorisée des tribus d’Israël est donnée aux Kéniens, n’est-il pas très-simple et très-naturel d’en conclure que c’était en récompense des tribulations souffertes, et du service entrepris pour Israël, tribu­lations qu’ils avaient endurées pour lui, et avec lui — que c’était l’accomplissement delà promesse condition­nelle de leur chef ?

Dans les deux faits cités, nous retrouvons l’étrange et gracieux caractère du Kénien fortement dessiné, et son mystérieux attachement pour Israël, le même jus­qu’au bout. Pendant que Jéthro, probablement déjà un vieillard, s’en retourne dans son pays, le jeune et vi­goureux Hobab reste, avec sa famille, pour être le compagnon et le serviteur de ce peuple châtié, affligé, errant, et toutefois bien-aimé, — de ce peuple qui, semblable à « Issachar, était un âne ossu, couché en­tre les barres des étables ; il a vu que le repos était bon et que le pays était beau, et il a baissé son épaule pour porter, et s’est assujetti au tribut. » Mais Israël pé­cha et fut renvoyé dans le désert ; eh bien ! est-ce que la patience du Kénien fut épuisée ? Non. La colonne de nuée demeura avec eux dans le châtiment, de même le tabernacle, et l’adoption, et les promesses, et la gloire ; de même aussi Hobab, le patient serviteur. Les cadavres des Kéniens ne tombèrent pas dans le désert à cause de leur incrédulité ou de leur rébellion ; mais, ainsi que Caleb et Josué, qui avaient persévéré à suivre l’Éternel de tout leur cœur, ils entrèrent dans le repos et reçurent la promesse. « Car Dieu n’est pas injuste pour oublier votre œuvre, et l’amour que vous avez montré pour son nom, ayant servi les saints et les ser­vant encore » (Hébr. VI, 10). « Portez les charges les uns des autres, et ainsi accomplissez la loi du Christ » (Galat. VI).

Le Kénien n’avait pas péché, mais il portait le fardeau que le péché avait amené sur Israël. Le péché avait ra­mené Israël dans le désert, et là, pendant que l’Éternel, bien que fatigué par leurs péchés et leur rébellion, les supportait néanmoins avec fidélité et patience, planant au-dessus d’eux dans la nuée de sa gloire, ainsi le Kénien s’était fait leur serviteur sur la terre, se montrant en cela le témoin de l’immuable compassion et de la vérité de l’Éternel. — Heureux Gentil ! Gentil favorisé !

4° Mais la conquête du pays est faite ; et quelle part doit y avoir l’étranger ? Ruben, qui s’est précipité comme de l’eau, et qui n’aura pas la prééminence, Ruben ne forme aucune prétention à la meilleure et à la plus belle part, bien qu’elle lui appartint selon le droit d’aînesse. Se complaisant dans les vallées et les campagnes de Basan, il cède sa place à Juda. — « Juda, quant à toi, tes frères te loueront. » Conduit par le fidèle Caleb, au lieu même qui lui est assigné mainte­nant comme son lot, Juda reçoit le pays du midi, pays rempli de fontaines, car il y avait celles du quartier de dessus et celles du quartier de dessous ; et là aussi est le lot de l’ambitieux Kénien. Ne se contentant pas d’une partie moindre du pays, lors même que tout le pays soit saint et favorisé, il cherche sa part avec Juda. — « Ils montèrent et demeurèrent avec le peuple », dans l’humilité d’abord, portant le poids et la tribulation, mais les premiers aussi dans le pays dont ils avaient salué par avance la richesse et la beauté. Heureux Gentils.

5° Et maintenant Israël, oubliant l’ordre de l’Éternel, qui était de détruire tous les peuples du pays, Is­raël est entraîné par eux, d’abord à d’impurs mélan­ges, puis à l’idolâtrie, et l’Éternel, pour les châtier, les livre entre les mains de leurs ennemis. Première­ment ils sont opprimés par le roi de Mésopotamie ; puis par Héglon, roi de Moab ; puis par un plus cruel encore, Jabin, roi de Canaan, qui régnait en Hatsor, dont le capitaine d’armée était Sisera, qui avait neuf cents chariots de fer. Les tribus de Zabulon et de Nephtali furent plus particulièrement opprimées, leurs terres étant plus voisines d’Hatsor. Pauvre Israël ! tou­jours faible en lui-même, et cependant appelé à être plus fort que tous, dans la force de son Dieu, comme le voilà tombé maintenant ! ils avaient péché et étaient « violemment opprimés. »

Cependant bien que leur affliction ne fût que le ré­sultat de leur péché, « dans toute leur angoisse le Seigneur a été en angoisse. » Mais il y en avait encore d’autres, outre Débora et Barak, qui étaient affligés ; ils n’étaient pourtant pas d’entre le peuple, mais tou­jours de ces mystérieux Kéniens. Car « Héber, Kénien, qui était des enfants de Hobab, beau-père de Moïse, s’étant séparé des Kéniens (de ceux qui demeuraient en Juda, je suppose), avait tendu ses tentes jusqu’au bois de chênes de Tsahanajim qui est près de Kédes. » Le récit de la destruction de Sisera par Jabel, la manière dont elle l’accomplit et sa joie en l’annonçant, tout prouve combien le cœur de cette femme était lié à Is­raël et oppressé de son oppression. Voici comment la Parole en parle : « L’Éternel frappa Sisera, et tous ses chariots, et toute l’armée, au tranchant de l’épée, devant Barak. Et Sisera s’enfuit à pied, dans la tente de Jahel, femme de Héber, Kénien ; car il y avait paix entre Jabin, roi de Hatsor, et la maison de Héber, Kénien. » Et pourquoi, si ce n’est parce qu’ils n’avaient pas péché comme Israël, et en conséquence n’avaient pas été livrés par l’Éternel entre ses mains ? « Et Jahel étant sortie au-devant de Sisera, lui dit : Mon Seigneur, retire-toi, retire-toi chez moi ; ne crains point. Il se retira donc chez elle dans la tenté, et elle le couvrit d’une couverture. — Puis il lui dit : je te prie, donne-moi un peu d’eau à boire, car j’ai soif. Et elle, ouvrant un baril de lait, lui donna à boire et le couvrit. Il lui dit aussi : Demeure à l’entrée de latente, et, au cas que quelqu’un vienne et t’interroge, disant : Y a-t-il ici quelqu’un ? alors tu ré­pondras : Non. Et Jahel, femme de Héber, prit un clou de la tente ; et, prenant un marteau en sa main, elle vint à lui doucement et lui enfonça le clou dans sa tempe, lequel entra dans la terre, pendant qu’il dor­mait profondément, car il était fort las, et ainsi il mourut. Et voici, Barak poursuivait Sisera, et Jahel sortit au-devant de lui, et lui dit : Viens, et je te mon­trerai l’homme que tu cherches. Et Barak entra chez elle, et voici, Sisera était étendu mort, et le clou était dans sa tempe. »

Et voici comment, dans le cantique de triomphe de Débora, l’Esprit de Dieu raconte le fait : — « Bénie soit par-dessus toutes les femmes Jahel, femme de Hé­ber, Kénien ; qu’elle soit bénie par-desssus toutes les femmes qui se tiennent dans les tentes ! Il a demandé de l’eau, elle lui a donné du lait : elle lui a présenté de la crème dans la coupe des magnifiques. Elle a avancé sa main gauche au clou, et sa main droite au marteau des ouvriers ; elle a frappé Sisera ; elle lui a fendu la tête ; elle a transpercé et traversé ses tempes. Il s’est courbé entre les pieds de Jahel ; il est tombé, il a été étendu entre les pieds de Jahel ; il s’est courbé, il est tombé, et au lieu où il s’est courbé, il est tombé là tout défiguré » (Jug. IV et V).

Il n’y en eut qu’un petit nombre en Israël qui voulu­rent « exposer leur âme à la mort sur les hauteurs de la campagne, » Quelques-uns, comme Méroz, refusè­rent « de venir au secours de l’Éternel avec les forts » ; et d’autres, plus éloignés du lieu du combat, trouvè­rent des excuses pour leur incrédulité et leur négli­gence. Et même Barak, avec ses dix mille hommes, n’égala pas cette femme dans son zèle pour la gloire d’Israël et n’obtint pas non plus la distinction que le Dieu d’Israël avait en réserve pour elle, « car Dieu vendit Sisera dans les mains d’une femme. » Sisera ne lui avait pas fait tort ; il ne l’avait pas opprimée ; ce­ pendant il est évident qu’elle éprouvait de la satisfac­tion d’attirer ce terrible ennemi d’Israël dans sa tente, et de l’y mettre à mort. Pourquoi ne pas le laisser dormir jusqu’à l’arrivée de Barak ? Ah ! c’est qu’il eût pu s’éveiller, rafraîchi, puis s’échapper pour être l’op­presseur encore, et il ne faut pas qu’il en soit ainsi. Mais quelle hardiesse dans une femme ! le moindre bruit pouvait l’éveiller ; et s’il l’eût vue, le marteau et le clou à la main, c’en était fait d’elle, car qui pouvait la délivrer ? eux deux étaient seuls dans la tente. Le cœur lui eût-il manqué, sa main eût-elle tremblé de manière à ne porter qu’un coup de femme, elle n’eût fait que réveiller le tigre blessé, et cela à sa prompte des­truction. Mais non, là était le capitaine des neuf cents chariots de fer, qui avait foulé les champs fertiles d’Is­raël. Là était le tyran qui avait opprimé si longtemps le peuple bien-aimé de Dieu, et il fut livré entre ses mains ; et cette femme, cette femme d’entre les Gentils, donna courageusement le coup pour Israël et pour Dieu. « Il s’est courbé entre ses pieds ; il est tombé, il a été étendu entre les pieds de Jahel ; il s’est courbé, il est tombé, et au lieu même où il s’est courbé, il est tombé là tout défiguré. Qu’ainsi périssent, ô Éternel ! tous tes ennemis : et que ceux qui t’aiment soient comme le soleil quand il sort en sa force ! Or le pays fut en re­pos quarante ans. » Bénis furent Zabulon et Nephtali, champions d’Israël, avec leur chef Barak ; bénie aussi fut Débora, cette mère en Israël, avec ses appels éner­giques. Bénies furent les étoiles des cieux qui avaient combattu du lieu de leur cours contre Sisera. Béni fut le torrent de Kison qui balaya les Cananéens du champ de bataille, mais bénie, bénie bien plus encore, fut la femme courageuse et fidèle ; oui, bénie par-dessus tous fut Jahel, femme de Héber, Kénien.

Mais ne me sera-il pas permis de m’arrêter un in­stant pour rappeler à ceux qui sentent et qui appré­cient le bonheur ainsi décrit, que nul ne peut entrer pleinement dans l’affliction d’un autre, aussi long­temps qu’il est lui-même sous le poids de cette afflic­tion. Héber n’avait pas commis le péché d’Israël, et ainsi n’était pas soumis au sceptre de fer de Sisera. Dieu ne l’avait pas livré entre les mains du Cananéen. Libre lui-même des angoisses de l’oppression, il pou­vait sympathiser aux misères des opprimés, porter leur fardeau, et chercher leur délivrance, comme si c’eût été la sienne propre. Ce n’est pas lorsque nous sommes plongés nous-mêmes dans la dégradation commune de l’Église et dans son assujettissement au monde, que nous pouvons lui être en aide, ou prendre la place d’intercesseurs pour elle, mais seulement lorsque nous sommes personnellement exempts de sa mondanité. Alors nous pouvons, en charité, nous retourner vers elle et, oubliant notre propre fidélité comparative, sympathiser aux misères et à l’esclavage des autres. Sainte et heureuse condition, oh ! comme nos âmes devraient la désirer pour l’amour de l’Église, qui est, aux yeux de Dieu ! l’épouse sans tache du Roi des rois, mais à nos yeux, hélas ! l’esclave infidèle et souillée du monde.

6° Dans 1 Chr. II, 55, au milieu des généalogies d’Is­raël, voici ce que nous lisons : « Et les familles des scribes, qui habitaient à Jahbets, Tirathiens, Simhathiens, Suchathiens ; ce sont les Kéniens qui sont sor­tis de Hamath, père de Réchab. »

La ville de Jahbets était près d’Hébron, dans la meilleure contrée de Juda, et probablement avait été nommée (ainsi que c’était la coutume ordinaire) du nom de l’homme remarquable mentionné au quatrième chapitre, dans la généalogie de Juda. La situation et les avantages locaux de cette ville sont, en quelque sorte, effacés par le caractère de celui qui en est le père et le fondateur. « Jahbets fut plus distingué que ses frères, et sa mère lui avait donné le nom de Jahbets, parce que, dit-elle, je l’ai enfanté avec travail. Or Jahbets invoqua le nom de l’Éternel, en disant : Oh ! si tu me bénissais abondamment, et que tu étendisses mes limites, et que ta main fût avec moi, et que tu me garantisses tellement du mal que je fusse sans douleur ! » Et Dieu lui accorda ce qu’il avait demandé. C’est avec ce serviteur de Dieu affligé, et cependant béni, que demeurait le Kénien, tou­jours fidèle à son caractère ; celui qui, dans le dé­sert, avait eu la plus dure portion a maintenant la plus belle, localement et spirituellement, dans la terre du repos. Mais outre cela, que nous montre clairement le verset que j’ai cité, nous y apprenons encore que Réchab, père de Jéhonadab, était un Kénien, un descen­dant direct de ces fidèles témoins de la vérité divine, au milieu des erreurs d’Israël, et ainsi nous sommes portés en avant jusqu’aux Réchabites, qui nous sont démontrés n’être, sous un autre nom, que le même peuple, toujours étrange, et conséquent avec lui-même.

7° Lors de la solennelle entrevue d’Élie et de l’Éternel, Dieu d’Israël, à la montagne d’Horeb, nous ap­prenons l’intention du Seigneur quant à son peuple. « Et voici, une voix lui fut adressée et lui dit : Quelle affaire as-tu ici, Élie ? Et il répondit : J’ai été extrême­ment ému à jalousie pour l’Éternel, le Dieu des ar­mées, parce que les enfants d’Israël ont abandonné ton alliance ; ils ont démoli tes autels ; ils ont tué les prophètes avec l’épée ; je suis resté moi seul, et ils cherchent ma vie pour me l’ôter. Mais l’Éternel lui dit : Va, retourne-t-en par ton chemin vers le désert de Damas ; et quand tu seras arrivé, tu oindras Hazaël pour roi sur la Syrie. Tu oindras aussi Jéhu, fils de Nimsi, pour roi sur Israël ; et tu oindras Élisée, fils de Saphat, qui est d’Abel-Méholab, pour prophète en ta place. Et il arrivera que quiconque échappera de l’épée de Hazaël, Jéhu le fera mourir, etc. » (1 Rois XIX).

Or voici les paroles de Jéhu : « Sachez maintenant qu’il ne tombera rien en terre de la parole de l’Éternel, laquelle l’Éternel a prononcée contre la maison d’Achab, et que l’Éternel a fait selon qu’il avait parlé parle moyen de son serviteur Élie. Jéhu tua aussi tous ceux qui étaient demeurés de reste de la maison d’Achab à Jizréhel, et tous ceux qu’il avait avancés, et ses familiers amis, et ses principaux officiers, en sorte qu’il ne lui en laissa pas un de reste… Et Jéhu étant parti de là, trouva Jéhonadah, fils de Réchab, qui venait au-devant de lui, lequel il salua et lui dit : Ton cœur est-il aussi droit envers moi que mon cœur l’est à ton égard ? Et Jéhonadab répondit : Il l’est, oui, il l’est ; donne-moi ta main. Et il lui donna sa main, et le fit monter avec lui dans le chariot. Puis il dit : Viens avec moi et tu verras le zèle que j’ai pour l’Éternel. Ainsi il le mena dans son chariot. Et quand Jéhu fut venu à Samarie, il tua tous ceux qui étaient demeurés de reste de la maison d’Achab à Samarie, jusqu’à ce qu’il eût tout exterminé, selon la parole que l’Éternel avait dite à Élie… Puis Jéhu rassembla tous les serviteurs de Bahal. Et Jéhu et Jéhonadab, fils de Réchab, entrèrent dans la maison de Bahal, et les archers et les capitaines tuèrent les serviteurs et les sacrificateurs de Bahal, et ils tirèrent dehors les statues de la maison de Bahal et les brûlè­rent. Et ils démolirent la statue de Bahal. Ils démoli­rent aussi la maison de Bahal et la firent servir de re­traits jusqu’à ce jour. Ainsi Jéhu extermina Bahal du milieu d’Israël » (2 Rois X).

Du commencement à la fin, le terrible péché d’Israël ou des dix tribus révoltées fut l’idolâtrie. C’est ce même péché qui, s’il ne l’avait pas amenée, mainte­nait du moins leur séparation d’avec Juda et la maison de David ; de là leurs diverses et presque toujours croissantes calamités, et de là aussi à la fin leur ex­pulsion loin de leurs coteaux et de leurs vallées, et loin de leur Dieu. Cette iniquité avait atteint son plus haut degré sous le règne d’Achab et de sa femme Sidonienne. Ainsi il est écrit : « Achab fit encore pis que tous les rois d’Israël qui avaient été avant lui, pour ir­riter l’Éternel, le Dieu d’Israël » (1 Rois XVI, 33) ; et c’était pour exécuter la vengeance de l’Éternel sur cette maison inique que Jéhu fut envoyé. On pourrait s’attendre à ce que, dans un temps comme celui-là, les fidèles en Israël se fussent mis en avant pour la même œuvre, car il y en avait sûrement qui, comme Élie, menaient deuil devant le Seigneur : mais le Kénien seul devint le compagnon du serviteur choisi de l’Éternel. — Sainte colère !

Lorsque Israël fit et adora son veau d’or, au pied d’Horeb, et qu’il fut dénué pour être en opprobre parmi ses ennemis, Moïse se tenant à la porte du camp dit : « Qui est pour l’Éternel ? Qu’il vienne vers moi. Et tous les enfants de Lévi s’assemblèrent vers lui. Et il leur dit : Ainsi a dit l’Éternel, le Dieu d’Israël : Que chacun mette son épée à son côté ; passez et repassez de porte en porte par le camp, et que chacun de vous tue son frère, son ami et son voisin. Et les enfants de Lévi firent selon la parole de Moïse ; et en ce jour-là, il tomba du peuple environ trois mille hommes. » Et les Lévites, comme tribu, furent mis à part pour le service du tabernacle, au lieu des premiers-nés du peuple (Exod. XXXII, 25-29. Nombr. III et IV).

« Lorsque Israël demeurait à Sittim (peu de temps seulement avant leur entrée au pays) le peuple com­mença à paillarder avec les filles de Moab. Car elles convièrent le peuple aux sacrifices de leurs dieux. Et Israël s’accoupla à Bahal-Péhor ; c’est pourquoi la co­lère de l’Éternel s’embrasa contre Israël… Et Moïse dit aux juges d’Israël : Que chacun de vous fasse mou­rir les hommes qui sont à sa charge, lesquels se sont joints à Bahal-Péhor. » Alors Phinées, fils d’Éléazar, transperçant avec sa javeline Zimri, chef de la tribu de Siméon, et Cozbi, femme Madianite, « l’Éternel parla à Moïse en disant : Phinées, fils d’Éléazar, fils d’Aaron sacrificateur, a détourné ma colère de dessus les en­fants d’Israël, parce qu’il a été animé de mon zèle au milieu d’eux, et je n’ai point consumé les enfants d’Is­raël par mon ardeur. C’est pourquoi dis-lui : Voici, je lui donne mon alliance de paix ; et l’alliance de sacrificature perpétuelle sera tant pour lui que pour sa postérité après lui, parce qu’il a été animé de zèle pour son Dieu, et qu’il a fait propitiation pour les en­fants d’Israël » (Nomb. XXV).

Le huitième chapitre d’Ézéchiel nous expose le pé­ché d’Israël à une autre époque. Le neuvième nous montre la gloire d’Israël abandonnant sa maison — comme donnée à d’autres. « Et voici, six hommes ve­naient de devers le chemin de la haute porte qui re­garde vers l’aquilon, et chacun avait dans sa main son instrument de destruction ; et il y avait au milieu d’eux un homme vêtu de lin, qui avait un cornet d’é­crivain sur ses reins ; et l’Éternel lui dit : Passe par le milieu de la ville, par le milieu de Jérusalem, et marque la lettre Thau sur les fronts des hommes qui gémissent à cause de toutes les abominations qui se commettent au dedans d’elle. Et il dit aux autres, moi l’entendant : Passez par la ville après lui, et frappez ; que votre œil n’épargne personne, et n’ayez point de compassion. Tuez tout, les vieillards, les jeunes gens, les vierges, les petits enfants et les femmes ; mais n’ap­prochez d’aucun de ceux sur lesquels sera la lettre Thau, et commencez par mon sanctuaire » (Ézéch. IX).

C’est ainsi que nous voyons à la même œuvre de saint zèle, pour un Dieu saint et jaloux, la tribu de Lévi, Phinées, fils d’Eléazar, l’homme vêtu de lin avec ses six compagnons ; et Jéhu, le roi oint, avec son étrange compagnon — Jéhonadab, fils de Réchab, Kénien. Ces diverses histoires forment un commentaire complet, quant à cet autre beau trait du caractère de l’étranger, et ne demandent pas d’autre explication.

8° Encore une dernière fois les Kéniens nous sont présentés dans le livre du prophète Jérémie. « La parole qui fut adressée par l’Éternel à Jérémie… disant : Va à la maison des Réchabites, et leur parle, et les fais venir en la maison de l’Éternel, dans l’une des cham­bres, et présente-leur du vin à boire. Je pris donc… toute la maison des Réchabites, et je les fis venir dans la maison de l’Éternel… et je mis, devant les enfants de la maison des Réchabites, des gobelets pleins de vin et des tasses, et je leur dis : Buvez du vin. Et ils répondirent : Nous ne boirons point de vin, car Jéhona­dab, fils de Réchab, notre père, nous a donné ce com­mandement en disant : Vous ne boirez point de vin, ni vous, ni vos enfants, à jamais. Vous ne bâtirez aucune maison, vous ne sèmerez aucune semence, vous ne plante­rez aucune vigne, et vous n’en aurez point ; mais vous ha­biterez dans des tentes, tous les jours de votre vie, afin que vous viviez longtemps sur la terre dans laquelle vous séjournez comme étrangers. Nous avons donc obéi à la voix de Jéhonadab, fils de Réchab, notre père, dans toutes les choses qu’il nous a commandées. »

« Alors la parole de l’Éternel fut adressée à Jéré­mie, en disant : Ainsi a dit l’Éternel des armées, le Dieu d’Israël. Ne recevrez-vous point d’instruction pour obéir à mes paroles ? dit l’Éternel. Toutes les pa­roles de Jéhonadab, fils de Réchab, qu’il a comman­dées à ses enfants, de ne point boire de vin, ont été observées, et ils n’en ont point bu jusqu’à ce jour, mais ils ont obéi au commandement de leur père. Mais moi, je vous ai parlé, me levant dès le malin, et parlant, et vous ne m’avez point obéi. »

« Et Jérémie dit à la maison des Réchabites : Ainsi a dit l’Éternel des armées, le Dieu d’Israël. Il n’arri­vera jamais qu’il n’y ait quelqu’un appartenant à Jéhonadab, fils de Réchab, qui assiste devant moi tous les jours », ou bien aussi « aucun homme ne sera retran­ché de Jéhonadab, fils de Réchab. »

L’inattention à la parole de Dieu, ou la volonté pro­pre, est signalée tout le long du livre de Jérémie comme étant le péché d’Israël, péché que le prophète dé­plorait et qui a conduit à tous les autres. L’obéissance et l’attention à la parole de Jéhonadab, leur père, nous sont présentées en contraste, dans la conduite des Ré­chabites. Mais ce n’est pas tout. Le repos et la gloire humaine auraient pu être, et cela de la part de Dieu, la portion d’Israël, si Israël eût été obéissant et sans péché ; mais aussi longtemps que la terre est souillée par le péché, il ne peut y avoir pour l’esprit de sainteté ni établissement, ni repos. C’était là l’esprit de Jé­rémie, et celui de la toujours étrange famille du Kénien. Au lieu de chercher une demeure perma­nente et des jouissances terrestres, là où le péché abondait, ils furent pèlerins, et pèlerins conséquents avec eux-mêmes, au milieu de l’abondance, cherchant leur repos et leur portion là où le péché ne pouvait en­trer, et où, par conséquent, la portion pouvait être éternelle aussi bien qu’abondante.

« Par la foi, Abraham demeura dans la terre de la pro­messe comme dans une terre étrangère, demeurant sous des tentes avec Isaac et Jacob, les héritiers de la même promesse ; car il attendait la cité qui a les fon­dements, dont Dieu est l’architecte et le créateur. Tous ceux-ci sont morts dans la foi, n’ayant pas reçu les promesses, mais les ayant vues de loin, et saluées, ayant fait profession qu’ils étaient étrangers et forains sur la terre. Car ceux qui disent de telles choses mon­trent clairement qu’ils cherchent une patrie… une meilleure patrie, c’est-à-dire une céleste ; c’est pour­quoi Dieu n’a point honte d’eux, savoir d’être appelé leur Dieu, car il leur a préparé une cité » (Hébr. XI, 8-16). Et les Kéniens ne marchaient-ils pas sur les tra­ces du père des croyants (Rom. IV, 12) ?

« Parle aux enfants d’Israël et leur dis : Quand un homme ou une femme aura fait le vœu de Nazaréen, pour se faire Nazaréen à l’Éternel, il s’abstiendra de vin et de cervoise, il ne boira d’aucun vinaigre fait de vin ou de cervoise, ni d’aucune liqueur de raisins ; et il ne mangera point de raisins frais, ni de raisins secs. Durant tous les jours de son nazéréat, il ne man­gera d’aucun fruit de vigne, depuis les pépins jusqu’à la peau du raisin » (Nombr. VI).

« J’ai suscité quelques-uns d’entre vos fils pour être prophètes, et quelques-uns d’entre vos jeunes gens pour être Nazaréens. N’est-il pas ainsi, enfants d’Israël ? dit l’Éternel. Mais vous avez fait boire du vin aux Naza­réens, et vous avez commandé aux prophètes et leur avez dit : Ne prophétisez plus » (Amos II, 11, 12).

« Ses Nazaréens étaient plus nets que la neige, plus blancs que le lait, leur teint était plus vermeil que les pierres précieuses, et ils étaient polis comme un saphir. Leur visage est plus noir que les ténèbres, on ne les connaît point par les rues » (Lam. IV, 7, 8).

Les enfants d’Abraham avaient abandonné le sentier de leur père. Les Nazaréens étaient devenus des ivro­gnes. Mais lorsque les gobelets de vin furent mis de­vant les enfants de Jéthro, Kénien, dans les chambres de la maison de l’Éternel, leur réponse fut : « Nous ne boirons point de vin. Nous avons obéi à la voix de Jéhonadab, fils de Réchab, notre père, dans toutes les choses qu’il nous a commandées, de sorte que nous n’avons point bu de vin tous les jours de no­tre vie, ni nous, ni nos femmes, ni nos fils, ni nos filles ; nous n’avons bâti aucune maison pour notre demeure, et nous n’avons eu ni vigne, ni champ, ni semence ; mais nous avons demeuré dans des tentes, et nous avons obéi, et avons fait selon toutes les choses que Jéhonadab, notre père, nous a commandées » (Jér. XXXV, 8, 9, 10).

Obéissants, fidèles au milieu de beaucoup de renonce­ments, — « forains et étrangers, s’abstenant des convoitises charnelles qui font la guerre à l’âme, » c’est ainsi que les Kéniens couronnent leur ancien caractère de fidélité et de connaissance de la pensée du Seigneur, étant en cela un perpétuel moniteur pour Israël, et n’est-ce pas pour notre profit que l’Esprit de vérité les a dépeints dans la Parole, nous montrant en eux le vé­ritable Israël, pris d’entre les étrangers — le type et le portrait de l’Église de Dieu ?

Il ne me reste qu’à récapituler brièvement les traits de leur caractère, et ceux qui s’y intéresseront assez pour chercher dans l’Écriture les passages cités, ver­ront combien il est vrai que toute l’Écriture est profi­table, soit pour la répréhension, soit pour la correction, soit pour l’instruction, et l’histoire de Jéthro ne leur sera pas une vaine histoire.

1° Hospitalité de Jéthro envers Moïse dans les tentes de Madian : bonté et affabilité.

2° Visite de Jéthro au camp d’Israël, à Horeb : — affection fidèle, foi ferme, adoration et sagesse.

3° Service d’Hobab en faveur d’Israël dans le désert : — foi, — service patient ; — tribulation et sympathie pour les affligés : — espérance.

4° Portion des Kéniens dans le pays : — sainte am­bition. — Recherche des meilleurs dons de Dieu à son peuple.

5° Déplacement d’Héber pour rejoindre l’armée d’Is­raël : — sympathie pour les opprimés. Mort de Sisera par les mains de Jabel : — saint zèle pour la gloire de l’Éternel dans son peuple, et pour la vraie position d’Is­raël au-dessus de leurs ennemis.

6° Leur association avec Jahbets, comme étant en communion avec les plus saints d’entre le peuple.

7° Communion entre Jéhu et Jéhonadab, dans le massacre des prêtres de Bahal, et la destruction de l’idolâtrie : — saint zèle pour le nom de l’Éternel, en tant qu’il est le seul vrai Dieu, jalousie pour Dieu et avec Dieu.

8° Refus de boire du vin dans la maison de l’Éternel : — obéissance et soumission ; — abstinence de ce qui nourrit les convoitises charnelles ; — l’étranger et le pèlerin.

Laissant de côté le sixième chef, qui se trouve tout naturellement compris dans le quatrième, il nous reste sept différents récits, sous de très-différentes circonstances, le tout faisant un parfait et magnifique portrait de l’Église de Dieu, telle qu’elle devrait être.

Puisse Celui qui a fait une telle grâce à ce peuple étrange, nous exciter à jalousie par lui, pour la gloire du saint nom du Seigneur.

Séparateur

  1. « Il les a délivrés pour l’amour de son nom, afin de donner à connaître sa puissance » (Psaume CVI, 8).