Le Massacre des Amazones/Quelques Parasites/Arvède Barine

Chamuel, éditeur (p. 184-185).

M. Larroumet, chaussette-rose de la Sorbonne, trouve à Arvède Barine un talent viril. Pour le professeur Larroumet, le grand talent et la grande virilité, c’est de professer. Et Arvède Barine — intelligence ouverte et superficielle, curiosité en éveil, parole facile et égale, sourire spirituel — est un excellent professeur, bien supérieur, certes, au fade Larroumet. Et il est presque aussi difficile d’apercevoir un bout de jupe sous la toge de l’une que de deviner une culotte sous la toge de l’autre. La voix d’Arvède Barine n’a pas plus la grâce musicale d’une voix de femme que celle de Larroumet la sonorité ferme d’une voix virile. Les esprits parasites, professeurs et cabotins, n’ont peut-être que le sexe de l’écho ou du phonographe.

Parmi tous ceux qui professent à la Revue des Deux Mondes, Arvède Barine est un des moins déplaisants. Sans doute, elle paraît uniquement une intelligence, une calme faculté de comprendre, et, par conséquent, elle n’est pas une grande intelligence, ni une intelligence profonde : pour pénétrer une âme, il faut aimer ; et des idées générales personnelles ne se forment point en nous sans une fermentation lyrique. Sans doute, elle parle de sainte Thérèse comme d’un héros picaresque, avec le même sourire amusé et les mêmes plaisanteries de conférencier. Sans doute, comme tous les vulgarisateurs, elle rend vulgaires les choses qu’elle touche, elle traduit les âmes extraordinaires en langue bourgeoise, plus railleuse que sympathique, et ses ricaneuses analyses transforment trop souvent les tragédies en vaudevilles. Mais ce sont là défauts du genre, nécessités des endroits où elle parle, conventions qu’on ne lui permettrait point d’oublier. D’ailleurs, elle les a moins que beaucoup d’autres : comparée à Sarcey, elle devient la distinction même et elle semble souple si on la regarde après Brunetière. Et je suis reconnaissant à son esprit voyageur du choix heureux des contrées à explorer. Elle nous dit des âmes singulières. Parce que son public exige qu’elle rie de leur noblesse ou de leur fantaisie, elle a l’air de s’amuser seulement. Mais, à bien regarder, elle est supérieure à sa besogne et à ses auditeurs : parfois elle se contient pour ne pas être émue, se force pour rire. Je crois qu’elle aime un peu ces êtres dont elle n’ose parler sérieusement puisqu’ils ne sont point catalogués grands sur les listes officielles. Et je ne serais pas étonné qu’elle méprisât en silence les ineptes badauds auxquels elle les présente comme des bêtes curieuses.