Le Marquis ridicule ou la Comtesse faite à la hâte/Dédicace


À M. L’ABBÉ FOUQUET.


Monsieur,

Une personne, qui vous entendant nommer, demanderoit qui vous seriez, passeroit bien pour un campagnard très-ignorant des affaires du monde : vous y êtes en telle réputation, qu’enfin, lorsque l’on parlera de vous, on en viendra à ne dire plus que, M. L’ABBÉ, comme on dit aujourd’hui M. le Cardinal, comme on a dit autrefois au dernier grand Ministre, et comme on a dit toujours de tous ceux qui se sont rendus importans par leur mérite. Ce vous est une grande gloire d’être, à votre âge, un des plus considérables hommes de l’État ; mais ne vous est-ce point une grande fatigue ? Votre grand crédit ne vous accable-t-il point de prières inciviles, et ne vous fait-il point trouver quelquefois dans votre anti-chambre une haie d’importuns qui vous attendent au passage ? Je pense même que quelqu’un s’imaginera que c’est ce qui vous a attiré le livre que je vous dédie ; mais que tous faiseurs de jugemens téméraires sachent que j’ai pris mes sûretés de ce côté-là, et que devant que de vous destiner une maniére de présent, qui plaît souvent moins à celui qui le reçoit, qu’à celui qui le fait, j’ai voulu savoir si vous trouveriez bon que je vous le fisse. Vous m’avez fait dire que vous ne l’auriez pas désagréable. Et en vérité, MONSIEUR, vous ne deviez pas recevoir moins obligeamment l’envie que j’ai d’être votre serviteur : mais ce n’est pas assez que je le veuille, il faut que vous le vouliez aussi ; et après que vous l’aurez bien voulu, il faudra peut-être encore savoir si je mérite de l’être. Si vous m’en voulez croire, vous n’y regarderez pas de trop près, et vous m’accorderez l’honneur de votre bienveillance, comme a fait M. le Procureur-Général votre frère. En attendant que vous ayez pris votre résolution sur une affaire qui m’est aussi importante, que sont importans à l’État les services que vous lui rendez tous les jours, je vous supplie de lire ma Comédie : c’est à mon gré la mieux écrite de toutes celles que j’ai données au Public, depuis que mon malheur m’a réduit à n’avoir rien de meilleur à faire ; et ce sera celle qui m’aura le mieux réussi, si elle a votre approbation, que je préfère à tous les applaudissemens des théâtres, comme je fais à toutes qui me pourroit arriver de plus heureux, la qualité de

MONSIEUR,

Votre très-humble, très-obéissant
et très-obligé serviteur, Scarron.