Le Marquis de la Rouerie et la Conjuration bretonne/02
Maintenant qu’il se sentait soutenu par Coblentz, Armand de la Rouerie était assuré du succès. De caractère trop mobile, d’ailleurs, pour tomber dans de longs découragemens, il était d’autant plus porté à l’optimisme qu’il menait enfin l’existence la plus conforme à ses aptitudes. Il commandait en maître à toute la Bretagne : ce n’était plus, comme jadis en Amérique, une légion de déserteurs et d’aventuriers qu’il avait sous ses ordres, mais une armée considérable, composée des paysans de sa chère province et un état-major comptant les plus beaux noms de l’armoriai breton. De son château de la Rouerie, transformé en quartier général, il faisait mouvoir cette vaste machine, veillant a tout, se multipliant, portant lui-même les instructions, visitant ses comités. On le rencontrait par les bas chemins, chevauchant en compagnie de Thérèse de Moëlien, qui s’était instituée son officier d’ordonnance et qui courait les campagnes en habit d’amazone, portant, à l’exemple du chef, des épaulettes d’or et la croix de Cincinnatus attachée sur la poitrine par un ruban bleu ; un panache blanc flottait à son chapeau.
Le château était devenu place de guerre : les hautes avenues seigneuriales étaient sillonnées de patrouilles et coupées de barricades formées de charrettes renversées. Au portail de la grande cour et près des guérites de pierre qui en gardaient les entrées latérales, des fagots amoncelés obstruaient le passage. Le Champ de l’avenue, vaste esplanade demi-circulaire devant l’entrée principale du château, servait de terrain de manœuvres : une trentaine de cavaliers y faisaient des évolutions ; dans la cour même, des paysans apprenaient l’exercice du fusil. Les gens qui passaient la nuit, sur la route d’Avranches, voyaient toutes les fenêtres de la façade éclairées ; pendant le jour, on « défaisait les lits et on roulait les matelas, pour faire croire qu’il n’y avait personne au château ».
Il semble d’ailleurs qu’à cette époque, c’est-à-dire pendant les premiers mois de 1792, l’argent rentrait assez régulièrement dans la caisse de l’association : outre les sommes envoyées de Coblentz, l’imposition d’une année de revenus dont le marquis avait frappé ses affiliés commençait à donner quelques résultats.
Vers le même temps, la Rouerie faisait en Angleterre l’acquisition de 3 600 fusils qui, joints à 3 000 autres, envoyés d’Ostende par Calonne, formaient un total de 6 600 armes qui furent immédiatement distribuées. Il s’était en outre procuré trois milliers de poudre, quinze cents livres de plomb, quatre canons montés sur affût. Une maison écartée, louée tout exprès, servait d’atelier pour la fabrication des cartouches et la mise en état des armes.
Aux premiers jours du printemps de 1792, le marquis de la Rouerie se trouvait donc prêt à l’action. Aussi bien y avait-il urgence de brusquer l’entrée en campagne, car, si profond que fût le mystère dont on entourait les préparatifs, une pareille intrigue n’avait pu demeurer secrète, tout le pays étant, en quelque sorte, dans la confidence. Certains officiers municipaux se montraient hostiles aux projets du marquis et voyaient grandir sous leurs yeux une conjuration qu’ils auraient volontiers dénoncée ; mais à qui ? La monarchie existait encore de fait, et il n’était pas possible de traiter en factieux un homme qui se préparait à lutter pour la défense des institutions établies. Et puis, bien des gens hésitaient à se compromettre : le terrible marquis était de taille à soulever toute la province, et on craignait de se déclarer ouvertement contre un si puissant adversaire.
Le chef de la conjuration bretonne n’était pas cependant sans éprouver quelques scrupules sur la validité de ses pouvoirs. Les Princes l’avaient autorisé à agir, rien de plus ; et maintenant que le projet entrait dans la période d’exécution, il redoutait de se voir déposséder du commandement par quelque rival jaloux de recueillir le bénéfice de ses peines et de son activité. En outre, à certains indices, il soupçonnait que nombre de gentilshommes, de plus noble race ou plus âgés que lui, s’astreindraient difficilement à servir sous ses ordres. Malgré ses objurgations, plusieurs avaient émigré et, pour bien montrer qu’ils ne prenaient pas au sérieux les services que pouvait rendre à la cause royale une insurrection purement locale, ils étaient allés s’enrôler dans l’armée des Princes. MM. de Boisfévrier, parent du marquis, et Léziard de Villorée, l’un de ses principaux agens de Fougères, avaient cru devoir imiter cet exemple : il y avait là un danger auquel il fallait parer. La Rouerie dépêcha donc à Coblentz son ami Pontavice, chargé d’exposer aux Princes la difficulté et de solliciter leur intervention.
Cette fois, il eut tout lieu de se déclarer satisfait. Vers le milieu de mars, Pontavice rapporta une commission formelle livrant à la Rouerie le commandement de toute la province, la direction des troupes de ligne et des maréchaussées, lui conférant le pouvoir de donner, au nom des Princes, les ordres que les circonstances lui paraîtraient exiger et ordonnant à tous les sujets fidèles de lui obéir comme au roi lui-même. Bien plus, les frères de Louis XVI recommandaient à tous les gentilshommes bretons de s’unir au marquis de la Rouerie et manifestaient le désir « que le nombre des émigrés ne fût pas augmenté ». Une lettre de Calonne, jointe à cette commission, contenait un blâme personnel contre MM. de Boisfévrier et de Villorée. Fontevieux devait suivre de près Pontavice et venir se mettre à la disposition du chef de la conjuration afin que celui-ci pût entretenir, avec la cour de Coblentz, des relations plus fréquentes.
Fort de cette complète approbation, le marquis se prépara à l’action. Le plan était simple : l’armée des Princes allait entrer en France par Thionville et Verdun. Nul doute que les places fortes ne se hâtassent d’ouvrir leurs portes aux émigrés : en quelques jours ils seraient à Châlons, car on ne comptait rencontrer aucune résistance, et le pays tout entier allait se soulever pour accompagner la marche triomphale des défenseurs de la royauté. C’est ce moment que choisirait le marquis pour donner le signal qu’attendaient ses affiliés. Les dix mille hommes qui se grouperaient à son appel entraîneraient indubitablement les provinces voisines : il s’avancerait vers Paris à la tête de ces volontaires que suivrait une formidable levée de paysans, de gentilshommes, de gardes nationaux, de troupes de ligne dans un irrésistible mouvement de contagieux enthousiasme. Les deux armées devaient se rencontrer sous les murs de Paris, — les Princes d’un côté, la Rouerie de l’autre, — délivrer le Roi, disperser l’Assemblée et mettre les Jacobins à la raison.
Telle était la confiance qui régnait à Coblentz et aussi en Bretagne que le succès ne faisait question pour personne. Ce n’était pas une guerre qu’on entreprenait, mais bien une simple démonstration ; pourtant, il faut dire que, tout en étant, comme les Princes, assuré du résultat, le marquis se montra, beaucoup plus queux, avisé et prudent. Prévenu que certaines municipalités s’inquiétaient des enrôlemens qui se faisaient au château de la Rouerie, il prétexta les craintes que lui inspiraient des bandes imaginaires de brigands qui l’avaient menacé à diverses reprises. Tantôt ces brigands se massaient, assurait-il, dans les landes de Crollon, tantôt ils étaient censés s’avancer jusqu’aux bois de Blanchelande. Quoi d’étonnant, à ce que, dans cette extrémité, il fît appel au concours de ses concitoyens ? les paysans venaient s’offrir pour le soutenir en cas d’attaque, et ainsi se trouvaient expliquées les allées et venues qui intriguaient les officiers des municipalités voisines et les moyens de défense, — sentinelles, barricades ou patrouilles, — qui faisaient de son château un véritable camp retranché.
Cette précaution prise, afin de justifier des mouvemens qu’on ne pouvait dissimuler, le marquis convoqua les présidens de tous ses comités d’insurrection à un rendez-vous général. Il les avait déjà groupés, partiellement du moins, en des conseils secrets tenus, la nuit, soit au château du Rocher-Portail, près de la Celle-en-Cogles, soit dans le pavillon de Plaisance, perdu au cœur de la forêt de Gâtine ; mais il voulait, avant d’ouvrir la campagne, tenir des assises solennelles auxquelles figureraient tous les chefs de la conjuration. Le château de la Rouerie fut désigné comme lieu de réunion et la date fixée à la nuit qui suivrait le dimanche de la Pentecôte.
Toute la contrée fut en émoi. Bien que la convocation eût été secrète, tant de gens étaient dans la confidence que, de Saint-Malo à Fougères et de Lamballe à Avranches, ce fut comme une traînée de poudre : le bruit se répandit que les événemens étaient proches. Par les chemins détournés, les commissaires de la conjuration, déguisés qui en paysans, qui en colporteurs, quelques-uns même en patriotes, la plupart à cheval, cachant sous leur manteau leurs pistolets ou leurs sabres, se dirigeaient vers le château de la Rouerie. A tous, le marquis avait distribué une sorte de passeport, tracé de sa main sur une bande de papier facile à dissimuler et qui était ainsi conçu :
Toute confiance et secours au porteur de ce billet de la part des amis d’Armand.
Dès l’après-midi du dimanche, les affiliés affluaient au château : au loin, dans la campagne, la Rouerie avait placé des sentinelles perdues ; derrière cette première défense s’étendait une ligne de grand’garde ; puis, à la tête des avenues, sur les chemins, étaient des postes d’hommes armés : toutes les entrées du château enfin, toutes les barrières du parc avaient été obstruées à l’aide de fagots entassés. Les arrivans étaient accueillis par les aides de camp du chef : on avait vidé de bétail les écuries afin d’y loger quatre-vingts chevaux ; d’autres restèrent toute la nuit sellés et bridés dans la cour. Les chambres du premier étage étaient transformées en dortoirs : dans les salles du bas, des tables servies attendaient les convives : depuis plusieurs jours, les domestiques avaient fait de grands achats « en viandes et provisions de toute sorte ». En attendant l’heure de la réunion, on dressa des tables de jeu.
Enfin le marquis parut : aux acclamations des assistans, il traversa la salle, distribuant des accolades et des poignées de main : peu à peu le silence s’établit, et la Rouerie donna la parole à l’un de ses aides de camp qui lit lecture de la commission adressée au marquis par les princes. Sa qualité de chef ainsi établie, la Rouerie, d’une voix vibrante, commença à parler :
— « Bretons et concitoyens des différentes provinces, que la religion et l’honneur rassemblent ici, on vient de vous donner connaissance de mes pouvoirs, celle de mes desseins. C’est pour votre bonheur que je les ai formés… Il n’est pas un de nous, mes dignes compagnons, que les crimes et les désordres de la Révolution n’aient pénétré d’horreur…
« La preuve la plus évidente et la plus utile que vous puissiez donner de vos sentimens… est votre union actuelle autour d’un chef commissionné au nom du Roi par les Princes, frères de Sa Majesté.
« En rendant à l’Eglise ses véritables pasteurs, en protégeant l’influence et la dignité de votre culte bénit, en protégeant les individus et les propriétés contre tous les genres de brigandage, vous hâterez le retour de la constitution bretonne…
« Pour moi, mes braves amis, se trouve un moment de gloire dans ma vie : c’est celui où, confondant mes principes, mon honneur, mes espérances et mes dangers avec les vôtres, je promets, en votre nom et au mien, à mon Dieu, à ma patrie et à mon Roi, de le servir aux dépens de ma fortune et de ma vie.
« Jurons tous de nous dévouer, sans réserve, à une si noble cause et que nos amis et nos ennemis sachent enfin que dans la faible partie de la France que nous habitons, il y a une force irrésistible, composée d’hommes dignes de l’honneur du monde entier !… »
Nous ignorons quelle impression produisit cette harangue sur les conjurés réunis autour de l’ardent orateur, mais il paraît bien certain qu’à ce moment tous les assistans se levèrent, toutes les mains se tendirent, et que les cris : Nous le jurons ! accueillirent ces entraînantes paroles. La Houerie reprit alors d’un ton plus calme :
— « Je vous rappelle, mes chers concitoyens, que s’il se présente des occasions où votre courage sera la base de nos succès, votre humanité, votre sagesse et votre subordination le remplaceront souvent avec fruit, accéléreront autant et souvent plus que lui la fin glorieuse de nos travaux.
«… Ceux de vous qui êtes fortunés avez fait des avances, même des sacrifices pécuniaires : les autres se sont également dévoués en donnant tous leurs moyens. Il a été nécessaire de fournir à vos besoins et de le faire de manière à ce que vous ayez tous les mêmes avantages. A cet égard, nous pensons que la somme de vingt sols par jour serait suffisante pour les vivres et les nécessités de chacun de vous… »
La Rouerie termina son discours par quelques conseils de modération et de discipline : la victoire paraissait si certaine et si facile à l’ardeur de ses affiliés que l’enthousiasme et la joie de tous éclataient sans retenue. Et ce dut être une scène d’une étrange solennité que la réunion de ces jeunes gentilshommes, abandonnant châteaux et familles, ceignant l’épée, acclamant le chef sous lequel ils allaient combattre. Sans doute, ils estimaient le succès assuré ; aucun d’eux, certes, ne prévoyait que le serment qu’ils prononçaient les vouait, pour de longues années, à la vie aventureuse des partisans, aux plus atroces privations, aux nuits sans repos, aux hivers sans abri, à la misère des proscrits, cachés dans les bois, traqués comme des bêtes malfaisantes… Combien de ceux qui se rencontrèrent là devaient tomber dans les genêts ! Combien donnaient, à cette heure, un rendez-vous à la mort ! La chouannerie venait de naître, avec ses rages héroïques, ses désespoirs tenaces, ses inénarrables désastres. Avec sa grandeur aussi, car pas un de ces gentilshommes ne manqua à la parole donnée au chef dont la chaude éloquence créa, cette nuit-là, une force que Napoléon lui-même ne parvint pas à abattre. Vingt-cinq ans plus tard, il s’en trouvait encore qui, hâves, blanchis, méconnaissables, menaient sans repos par les landes leurs bandes décimées.
Cette scène, encore qu’on prît toutes précautions pour ne pas l’ébruiter, eut, dans la région, un écho singulier. Soit que la fièvre qui régnait au château de la Rouerie eût gagné toute la vallée du Couësnon, soit qu’un ordre mal interprété eût fait croire à quelques agens que l’heure de mobiliser leurs hommes avait sonné, les paysans de Sougeal, de Vieuxviel, de Trans prirent les armes. L’incident mérite d’être rapporté avec quelques détails, car il fut la première expérience de l’organisation du complot : il montre en outre de quelle façon les commissaires subalternes de la conjuration opéraient leurs recrutemens, et il permet de pénétrer, pour ainsi dire, dans les coulisses de ce prologue de la chouannerie.
Donc, le lendemain du jour où la Rouerie avait chez lui réuni ses compagnons, à la sortie des vêpres célébrées à l’occasion du lundi de la Pontecôte, un jeune séminariste nommé Louis Orain, habitant Sougeal, invita quelques jeunes hommes à venir « manger un morceau et boire un coup » dans la chambre qu’il occupait chez le sieur Derbrée, vicaire réfractaire de la paroisse. Ils se trouvèrent là une trentaine : sur la table était un repas servi, pain blanc, vin, cidre et un quartier de veau qu’une femme, Monique Gaillard, apporta tout fumant du restaurant où elle l’avait fait cuire. A peine fut-on assis autour du « fricot », qu’Orain insinua qu’on irait peut-être faire, à la brune, un tour du côté du château de M. de la Rouerie ; que ce seigneur était menacé par des bandes de brigands, et qu’il serait reconnaissant à ceux qui viendraient à son secours.
— Je suis allé cette nuit au château, narra-t-il, j’y ai vu M. le marquis, couché à plat de chambre et qui faisait pitié : il m’a demandé si je lui amènerais du monde.
Beaucoup approuvèrent, mais un des assistans, nommé Julien Gilbert, prit la chose assez froidement, répondit qu’il avait des fagots à faire et qu’il n’irait pas : sur ces mots, il se leva et sortit. Orain suivit Gilbert jusqu’au cabaret où il entra, cherchant en vain à le faire changer d’avis ; au bout d’une heure il revint à la charge, très animé, criant que Gilbert s’en repentirait « lorsque les choses seraient retournées » et qu’à présent qu’il savait le secret, s’il ne suivait pas ses camarades à la Rouerie, c’était, sans doute, pour les vendre. Gilbert eut ensuite à subir l’assaut de Monique Gaillard qui vint le trouvera son tour :
— Voilà donc, ricanait-elle, les lâches qui s’amusent à boire plutôt que de se joindre aux autres pour aller à la Rouerie, tandis que le retour des anciennes choses est assuré.
Elle affirma que, « si elle était garçon, elle serait partie tout de suite, et qu’il n’y avait aucun risque ».
Gilbert, ébranlé par cet argument, passa chez l’ancien maire de Sougeal, Louis Lambert, et lui demanda « si cette démarche était à propos ». Celui-ci lit « tirer un pot de cidre qu’ils burent ensemble et l’engagea à y aller ». Gilbert retourna donc chez Orain et prit sa part du fricot. Orain roulait des yeux furieux et grommelait « qu’il y en a qui font les câlins et les lâches, mais que, pour ne pas leur permettre de s’enfuir, on les mettra quatre par quatre avec un bon par peloton et que le premier qui voudrait s’échapper, il fallait lui tirer un coup de fusil dans le corps. » Ces allusions désobligeantes et d’autres réflexions du même genre rendirent assez morne le repas qui se termina vers neuf heures du soir. Au moment du départ, Gilbert insista de nouveau, s’informant « si ce n’était pas une f… mauvaise affaire. »
— C’est une bonne affaire pour tous, répondit Orain.
On se mit en route, quatre par quatre. Plusieurs avaient des fusils, quelques-uns des épées, d’autres ne portaient que des bâtons. Ils prirent le chemin de la Celle, passèrent le Couësnon au Gué-Perrier, à l’aide du bateau de la veuve Raouline Guichard, et suivirent quelque temps la rivière. Tandis qu’ils remontaient la rive droite, Gilbert crut apercevoir, dans la nuit, la silhouette d’un homme qui marchait sur l’autre bord, se dissimulant derrière les arbres. Il cria : — Qui va là ?
— Je n’ai pas besoin de me nommer, repartit l’autre ; Jamet et Berthelot sont-ils avec vous ?
On lui répondit que non, et c’était vrai, du moins pour Jamet qui, après le repas, s’était éclipsé sous un prétexte futile. Gilbert insista :
— Si tu ne dis pas ton nom, je te tire un coup de fusil.
— Je ne peux pas vous apprendre mon nom, répliqua l’homme.
Mais à l’intonation de ces mots, Gilbert reconnut le sieur Ricault, curé réfractaire de Sougeal : rassuré, il en fit, à haute voix, l’observation à ses camarades.
— Ne dites pas que vous m’avez vu, cria Ricault.
Et, hâtant le pas, il disparut.
La bande poursuivit sa route. Au village de la Barbaie. Julien le Pauvre et Mathurin le Marchand frappèrent à la porte d’un cabaret et demandèrent le chemin de la Rouerie. On apercevait, dans les sentiers convergeant vers le château, d’autres troupes, arrivant de Sacey et échangeant, en manière de signaux, des coups de sifflet. À la lisière du bois de Bannières, un cri de Halte ! qui vive ? arrêta les gens de Sougeal. Orain répondit : Ami de la Garde ! Un homme sortit du bois, vint à leur rencontre et quelques-uns reconnurent que c’était André fils, colonel de la garde nationale d’An train. André les accompagna le long des avenues.
Au portail de la grande cour, deux abbés, montant la garde, armés de pistolets, demandèrent aux arrivans le nom de leur chef. Ils répondirent que c’était Louis Orain ; sur quoi ils durent attendre quelques instans, pendant qu’on prévenait au château. Il était environ une heure du matin, toutes les fenêtres de la façade étaient éclairées : la cour était pleine d’hommes et de chevaux : on entendait « beaucoup de bruit dans les greniers de l’écurie neuve, » où était logée, sans doute, une partie de la garnison. Enfin, « un monsieur, vêtu d’une redingote blanche, » vint recevoir les paysans de Sougeal et les invita à entrer au château : ils le suivirent docilement : Orain était le seul « à n’avoir pas l’air neuf et emprunté. » Reçus d’abord dans une chambre du premier étage, dans laquelle se trouvaient dix à douze personnes, on les fit presque aussitôt redescendre au rez-de-chaussée « pour se rafraîchir ». On leur servit « à manger plus en beurre qu’en viande », remarqua l’un d’eux ; un autre nota qu’on ne leur versa point de vin, mais seulement du cidre qu’ils burent en se tenant debout autour d’une table ronde. Dans un angle, trois gardes nationaux étaient couchés tout habillés sur des lits. On parla de M. le marquis que les « brigands avaient menacé de tuer ; » qu’il fallait se joindre à lui pour empêcher que la Bretagne ne fût pillée « par des troupes étrangères ; » Gervais Tuffin qui buvait avec les paysans ajouta que, pour le moment, d’ailleurs, ils avaient eu tort de venir et qu’on n’avait pas besoin d’eux.
À ce moment un aide de camp appela Orain et passa avec lui dans une chambre voisine où l’on disait que le marquis était couché.
— Voilà Orain qui veut décamper et nous laisser là ! insinua Julien le Pauvre.
— Ne craignez rien, riposta Tuffin, il est à parler avec monsieur.
Orain reparut après un quart d’heure d’absence. Il avait l’air satisfait et apprit à ses compagnons que « les choses étaient rentrées dans l’ordre ; que M. de la Rouerie allait devenir le seigneur de tout le pays ; qu’il était tranquille et qu’on ne lui en voulait plus. » Il tenait de « l’argent blanc » dans sa main et distribua vingt sous à chacun de ses hommes. C’est à ce moment que Pierre Lambert entendit quelqu’un faire cette réflexion :
— Quand le marquis sera le maître, il fera brûler Pontorson et Antrain.
Il fallait partir : les officiers de la Rouerie pressaient les paysans de regagner leur village, car le jour allait bientôt paraître, leur recommandant de s’en aller deux par deux et conseillant à ceux qui étaient armés « de dire, si on les rencontrait, qu’ils poursuivaient un lièvre. » Ils se hâtèrent d’achever leur collation et, par petits groupes, reprirent le chemin de Sougeal. Leur séjour au château avait duré un peu moins de deux heures.
Dès l’aube, toute la contrée connaissait l’aventure : le bruit s’en répandit jusqu’à Rennes. Les administrateurs du département tinrent conseil : il importait de disperser ces rassemblemens de factieux et de s’assurer de la personne des chefs. En conséquence, un détachement du 16e dragons, en garnison à Rennes, ainsi que la cavalerie de la garde nationale avec deux pièces de campagne, reçurent l’ordre d’aller mettre le siège devant le château de la Rouerie, sous la direction de deux commissaires, François Varin et Marie Hévin, délégués par le directoire du département d’Ille-et-Vilaine. Les troupes arrivèrent à Antrain le jeudi 31 mai : la petite ville regorgeait de soldats ; depuis la veille une véritable armée s’y concentrait ; à la requête des districts d’Avranches et de Dol, les gardes nationales et les brigades de gendarmerie de Pontorson, de Fougères, de Saint-Aubin-du-Cormier, de Saint-Servan, de Dol même s’étaient mobilisées et campaient dans la haute ville et sur les bords de l’Oysance. Les commissaires rennois s’y rencontrèrent avec MM. de la Brigue, du district de Dol, Gauttraye fils et Latouche, du district de Fougères, qui les instruisirent du détail des faits.
Espérant s’emparer par surprise du marquis de la Rouerie avant que ses espions ne l’eussent prévenu du danger qui le menaçait, un peloton de vingt hommes, sous les ordres de Cadenne, lieutenant de gendarmerie à Saint-Servan, se mit en campagne, dès la nuit venue, et battit, sans succès, les environs du château. A onze heures du soir, Cadenne rentrait avec ses hommes à Antrain, ramenant « un particulier » rencontré sur la route : c’était Deshayes, le secrétaire du marquis. Hévin l’interrogea sur-le-champ ; mais l’autre, très maître de soi, joua la stupéfaction. « Il y a quatre ans qu’il est au service du marquis en qualité d’intendant et jamais il n’a entendu parler de conjuration ni de politique : depuis trois mois, principalement, la Rouerie s’occupe seulement de l’entretien de son jardin et de l’embellissement de son domaine qu’il a quitté mardi dernier dans l’après-midi, afin d’empêcher ses amis de venir le voir et de couper court aux bruits de rassemblemens que des gens malintentionnés ont répandus. Deshayes ignore où s’est retiré le marquis et sait seulement qu’il est parti en compagnie de plusieurs personnes, entre autres de son cousin Tuffin, de MM. du Pontavice, de la Haye-Saint-Hilaire et Chafner, des dames du Pontavice, Fabiani et de Mlle Moëlien de Trojolifî. Le valet de chambre Saint-Pierre, ainsi que Guillon et Bossart, sont aussitôt montés à cheval et ont suivi leur maître. »
Le commissaire comprit que Deshayes s’en tiendrait à ces discrètes révélations et n’insista pas : il estima plus urgent de découvrir la retraite de la Rouerie ; le marquis ne pouvait être bien loin, si même il était vrai qu’il eût fui. Hévin ne perdit pas un moment : il était une heure du matin ; il monta à cheval, se mit à la tête des dragons rennois et arriva, vers trois heures du matin, au château de la Rouerie : il n’y trouva qu’une dizaine de domestiques qui, interrogés individuellement, ne firent aucune révélation nouvelle. Tous déposèrent que leur maître était parti, le mardi 29, vers quatre heures de l’après-midi, en compagnie de douze ou quinze personnes formant sa société habituelle.
Seul le valet de chambre Pierre-Charles Boujard, fut loquace. Il raconta que, depuis longtemps, « il était occupé à servir une quantité d’étrangers qui allaient et venaient journellement et nuitamment : ils appelaient le marquis mon général et buvaient à sa santé. » S’il n’a pas déjà révélé ces faits à la municipalité de Saint-Ouen, c’est « parce qu’une femme, tenant auberge au village, le prévint que, s’il avait le malheur de dire un seul mot de ce qui se passait sous ses yeux, il serait chassé sans paiement et courrait risque d’être tué d’un coup de fusil à travers les hayes. » Il cita les noms de quelques-uns de ceux qui venaient au château le plus fréquemment : Faligan, fils d’un tailleur de Hennés ; Magnin, instituteur dans cette même ville ; Rasmeur, de Vannes ; de Blossac ; un ci-devant abbé appelé Gardel. Tous mangeaient à la table du maître avec les dames, Pontavice, Chafner et le fils naturel de la Rouerie : ces derniers avaient quitté le château avec le marquis. Boujard ajouta qu’il était « mal vu par les autres domestiques : il avait voulu se sauver et était déjà au bout de la rabine quand le jardinier se saisit de lui et le ramena au château. Le marquis le fit mettre en prison dans une chambre où il était gardé à vue, et menaça de le faire pendre dans sa cour lorsque les affaires seraient arrangées. Il resta ainsi au cachot pendant trois mois et demi : il parvint enfin à sortir eu dévissant la serrure : repris aussitôt, il fut souffleté par la femme de chambre de Mlle de Moëlien, pendant que deux autres domestiques le tenaient. »
Après s’être étendu sur les prétendues persécutions qu’il avait souffertes, le valet revint aux rassemblemens dont il avait été témoin, assurant que le marquis, outre les vingt sous par jour qu’il donnait à ses hommes « promettait six cents livres de récompense à ceux qui passeraient tout au fil de l’épée, sans compter les femmes et les enfans : il a entendu dire encore qu’il y aurait des villes où on mettrait la charrue dedans. »
Le commissaire Hévin, guidé par Boujard, commença une perquisition complote du château et du parc, tandis qu’il expédiait à Antrain une escouade chargée d’en rapporter des rafraîchissemens pour sa troupe et de ramener un maçon pour piquer les armoiries sculptées sur la façade du château. Entre temps il fouillait les carrés du parterre où devaient se trouver enfouies, d’après Boujard, des caisses pleines de fusils. On ne trouva, dans la terre, que diverses pièces d’argenterie, du beurre en baril et des bouteilles de vin. La visite des appartemens ne donna pas meilleur résultat : beaucoup de papiers, contrats, actes de toute sorte, correspondance particulière, aucune pièce ayant trait à la conjuration. Hévin mit de côté deux lettres qui lui parurent cependant intéressantes, fit jeter tout le reste dans trois sacs de toile qu’on devait déposer à Saint-Ouen en regagnant Antrain et rallia sa troupe qui, pendant toute la journée, s’était conduite avec un calme et une modération dignes d’éloges. Quelques hommes s’étaient attaqués à la charpente du colombier, situé à l’extrémité de l’avenue de chênes, au bord du Tronçon ; d’autres avaient cassé quelques bouteilles de liqueurs, brisé un battant d’armoire, cueilli dans le parterre des branches de myrte et d’oranger et coupé trois arbustes : c’étaient là les seuls dégâts commis.
Quant au marquis de la Rouerie, il avait disparu : son château restait à la garde d’une seule domestique, et toutes les battues organisées pour retrouver la trace du fugitif demeurèrent sans résultat : de guerre lasse, les officiers municipaux d’Antrain firent apposer dans tout le pays des placards ainsi libellés :
6 juillet 1792.
Jean-Laurent Lemonnier. homme de loi, juge de paix et officier de police, et de sûreté de la ville et paroisse de Dol, mandons et ordonnons à tous exécuteurs des mandemens de justice, d’amener par devant nous le sieur Armand Tuffin demeurant au château de la Roirrie, âgé d’environ quarante ans, taille d’environ 5 pieds 5 pouces, cheveux châtain, yeux, barbe et sourcils noirs, visage long et marqué, nez long et aquilain, menton fourchu, la bouche enfoncée.
Les paysans s’attroupaient devant les affiches : quelques-uns s’indignaient contre ce seigneur donnant l’exemple de la révolte ; le plus grand nombre ricanaient ouvertement du bon tour joué aux commissaires rennois ; tous s’attendaient à voir surgir le marquis à la tête d’une armée : l’antagonisme croissait entre ses partisans et ses détracteurs, et cette animosité rendait plus active la propagande de ses agens : les enrôlemens se faisaient presque ouvertement ; les autorités locales, indécises, fermaient les yeux, et chacun s’apprêtait pour le jour prochain où reparaîtrait le colonel Armand dont le nom, devenu presque légendaire, acquérait une immense popularité.
Le marquis de la Rouerie avait quitté son quartier général, mais il n’avait pas fui : ce projet de retraite entrait dans ses plans : satisfait du résultat des stratagèmes qui lui avaient permis de prendre son temps et de réunir chez lui, à la barbe des municipaux hostiles, les chefs du complot, il avait abandonné son château, moins en proscrit qu’en stratégiste, exécutant un mouvement dès longtemps médité. Il en était sorti en plein jour, emmenant avec lui son fils, les personnes composant sa société habituelle, ses aides de camp et quelques-uns de ses serviteurs : les gens assuraient qu’il était parti par la route de Rennes, d’autres l’avaient vu s’éloigner sur le chemin d’Avranches ; en réalité, il avait pris une tout autre direction.
Tandis que les autorités le cherchaient aux environs de Saint-Brice et d’Antrain, le marquis s’était porté à quinze lieues de là, près de Loiron, c’est-à-dire à l’avant-garde de ses positions du côté de Paris, car il ne semble pas que l’association eût compté des recrues en deçà de Laval. Là se trouvait, réuni par une avenue au village de Launay-Villiers, le château du chevalier de Farcy de Villiers, qui, resté célibataire, vivait avec sa sœur Mme de Pontfarcy, ses nièces et une autre de ses parentes, Mlle Tuffin. En prévision du soulèvement prochain de la province, Mme de Lan-gan était venue avec ses deux filles se réfugier également chez son frère. On restait à Launay-Villiers dans la plus parfaite tranquilité ; on n’y apprenait que par les journaux et les lettres les progrès de la Révolution et les troubles qui agitaient la Bretagne. Les paysans des environs étaient bons, pieux, peu curieux et pauvres ; vivant des bienfaits du châtelain, ils lui étaient entièrement dévoués. Dans les derniers jours de ce mois de mai 1792, M. de Farcy, un matin, au cours du déjeuner, annonça à ses jeunes nièces « qu’elles dîneraient avec quelqu’un de leur connaissance, mais qu’il fallait ne désigner que sous le nom de M. Milet, négociant de Bordeaux ». Le marquis arriva au château la nuit suivante : il était accompagné de ses domestiques et d’un de ses plus fidèles agens, dissimulé sous le sobriquet de Fricandeau, et qui n’était autre que Loisel, ancien contrôleur aux actes à Plancoët et à Saint-Malo, remplaçant Deshayes près du chef on qualité de secrétaire.
La Rouerie avait habilement choisi son refuge : outre que Launay-Villiers, se trouvant sur le territoire du département de la Mayenne, était hors de l’atteinte immédiate du directoire d’Ille-et-Vilaine, l’endroit était sauvage et retiré, également distant des routes de Fougères et de Rennes, et proche des grands bois de Misedon, des Gravelles, des Effretais et de la forêt du Pertre qui offraient alors des taillis presque impénétrables. Il vécut là pendant trois mois, et nous avons, sur son séjour à Launay, un document d’une si pittoresque authenticité qu’il serait regrettable de ne point le citer intégralement : c’est le récit de Mlle de Langan, qui, presque une enfant à l’époque de la Révolution, vit ces choses tragiques avec des yeux si jeunes, qu’en les évoquant dans sa vieillesse, elle les retrouvait amusantes et joyeuses encore du reflet de ses seize ans.
Quel plaisir, dit-elle, que de prendre part à une aventure si romanesque et d’être initiée à un pareil secret ! Aussi je me souviens combien j’étais fière et combien je prenais de précautions inutiles pour me donner un air d’importance. Assurément, si nous eussions été observés, mon air mystérieux nous eût perdus ; mais comme tout le monde était dans le secret, mes soins indiscrets n’étaient que risibles.
On logea M. de la Rouerie dans la grande chambre près le salon, dont la porte resta fermée de manière à ce que ce côté-là de la maison lui était consacré et semblait inhabité, car on n’ouvrait jamais les jalousies. Deux jours après, nous déjeunâmes avec MM. Tuffin (neveu du marquis) et Chafner qui, après avoir passé deux jours à Villiers, se rendirent une nuit chez Mme de Bourgon, au Boisblin, où ils restèrent cachés, sans jamais revenir à Villiers. Toutes les nuits, il arrivait des courriers ou des principaux chefs, qui avaient une manière particulière de se faire connaître et qui étaient introduits par le perron. Nous les voyions à déjeuner. Je me souviens de MM. du Pontavice, Vincent, Rallier et le Bouteiller. Ce dernier venait très souvent et possédait toute la confiance de M. de la Rouerie.
On conçoit combien cette vie agitée et variée avait de charmes pour moi et avec quelle curiosité je descendais pour le déjeuner, sûre d’y trouver de nouveaux venus. Tout cela m’occupait plus que la grande affaire qui se faisait et à laquelle je n’étais pas étrangère cependant ; car, après avoir veillé à la sûreté de notre hôte dont je faisais la garde, et brodé des écharpes blanches semées d’hermines et de fleurs de lys, M. de la Rouerie me faisait copier beaucoup de choses. Je ne me rappelle que d’une : c’était la manière dont la coalition éclaterait ; c’était ce que l’on devait faire à Fougères où le général devait se rendre la nuit avec ses gens. Tous ces détails semblaient si nouveaux, cette guerre si chevaleresque, que j’ai eu longtemps ma copie dans la mémoire. Maintenant il n’en reste plus rien ; des faits, sont venus effacer ce qui n’était qu’un projet.
Le marquis n’était connu que de la famille, et pour ne pas donner de soupçons on continuait de recevoir les personnes qui avaient l’habitude de venir à Villiers. Quand on ne venait que pour dîner, nos hôtes restaient dans leur chambre ; mais quand on venait pour plusieurs jours, M. de la Rouerie se montrait sous le nom de M. Milet, négociant de Bordeaux et compromis dans une affaire de révolution. Ses amis qui venaient le voir, s’ils étaient nombreux, restaient renfermés. Nous eûmes pendant huit jours Mme de Montigny qui nous gêna bien. Elle croyait fermement être avec M. Milet et s’intéressait beaucoup à son sort, lui faisant raconter comment il avait été compromis, sans s’apercevoir que jamais il ne parlait de ses aventures de la même manière, attendu qu’il les inventait chaque fois. Je me souviens d’une scène qui me sembla plaisante.
M. de la Rouerie rentra un jour chargé de fleurs qu’il avait cueillies dans le jardin, demanda du fil, s’assit devant une table et se disposa à nous faire des bouquets. Mme de Montigny le regarda et dit :
— Vous aurez beau faire, vous ne serez jamais aussi habile que M, de la Rouerie. Vous n’avez jamais entendu parler de ce fou-là à Bordeaux ? Figurez-vous qu’il a payé très cher une bouquetière pour lui apprendre à faire des bouquets. C’est le même qui est allé s’enfermer à la Trappe, qui en est sorti au bout de quelques jours pour aller faire la guerre en Amérique. Tout cela fit beaucoup de chagrin à son grand-père qui était un brave amiral…
— Amiral ! dit M. de la Rouerie, je vous assure, madame, que mon grand-père…
— Mais qui vous parle de votre grand-père ? dit la dame en riant. Votre grand-père n’était pas M. de la Bélinaye et heureusement pour vous, vous n’êtes point le marquis de la Rouerie, la plus mauvaise tête de Bretagne et qui s’occupe encore de je ne sais quelle affaire qui l’oblige à se tenir caché. Je ne comprends pas qui pourrait se fier à lui…
Les habitans de Villiers vivaient dans de continuelles inquiétudes. L’n jour que M. de la Rouerie déjeunait tranquillement dans la petite salle à manger, deux gardes nationaux entrèrent tout à coup dans le corridor. M. de la Rouerie eut d’abord l’idée de s’échapper par une porte vitrée qui dégageait cet appartement du côté de l’étang ; mais, voyant ces étrangers, entrer tout de suite dans la salle à manger, il saisissait un couteau pour vendre au moins sa vie, quand il reconnut dans les deux prétendus patriotes MM. du Pontavice (c’était je crois Louis-André du Pontavice) et le Bouteiller, qui s’étaient déguisés pour pénétrer jusqu’à lui. Il était rare cependant que les conjurés vinssent le jour. Il existait du reste à Villiers une cachette sous le plancher de la grande chambre ; M. de la Rouerie ne s’est jamais servi de cette retraite, mais elle eut pu lui être utile en cas de surprise.
Ces précautions n’étaient pas superflues ; le directoire d’Ille-et-Vilaine n’avait pas, en effet, renoncé à découvrir la retraite du chef de la conjuration et poursuivait ses recherches. Les événemens du 10 août avaient ramené bien des indécis à la cause de la révolution : certaines municipalités qui, jusque-là, s’étaient montrées fort tièdes, essayaient maintenant de se faire pardonner, à force de zèle, leur pusillanimité : les dénonciations affluaient : on fouillait les châteaux dans l’espoir d’y découvrir les desservans réfractaires, et c’est ainsi que, le 24 août, la gendarmerie de Vitré se transportait au château de Boisblin, dans la paroisse de Bréal, tout proche de Villiers-Launay et y procédait à l’arrestation de Gervais Tuffin et du major Chafner. Du reste, comme au cours des interrogatoires qu’ils eurent à subir, ils ne révélèrent rien qui pût aider à découvrir la retraite du chef, le directoire du département rendit, après quelques jours de détention, la liberté à ces deux intimes confidens du marquis de la Rouerie.
Celui-ci, dans la solitude de Launay-Villiers, s’exaltait à la pensée de ses futurs exploits ; la résistance à ses ordres qu’avaient montrée certains de ses comités lui apportait bien quelques désillusions ; mais il avait trouvé, dans sa retraite, un disciple ardent et docile, le seul de tous, peut-être, qui comprît pleinement la pensée du maître et partageât son enthousiasme.
Gavard, dont nous avons déjà cité le nom, en venant un jour conférer à Launay avec le marquis, avait pris pour guide, à travers la forêt de Misedon, un faux-saulnier du Bas-Maine, qui, en cette qualité, connaissait tous les sentiers perdus de la contrée. Gavard présenta à la Rouerie l’homme qui s’appelait Jean Cottereau. Comment ce paysan se lia-t-il avec le gentilhomme fugitif ? Il n’y a, de cette rencontre étrange, qu’une explication plausible : tous deux se comprirent au premier abord ; tous deux étaient possédés de la même passion d’aventures, de la même fièvre d’indépendance. Cottereau sentit en la Rouerie un maître digne de lui ; le marquis, de son côté, trouva dans le contrebandier une de ces natures ardentes qu’il aimait, un homme d’une intrépidité folle, d’une endurance fanatique, d’un royalisme désintéressé et farouche, comme il en avait jusque-là trop peu rencontrés, à son gré. Il se livra tout entier à Cottereau, lui apprit ses projets, lui révéla son plan, la stratégie de la campagne qu’il allait entreprendre, stratégie qu’il n’avait encore dévoilée à aucun de ses affiliés, non point par méfiance, mais par crainte des critiques, des remontrances ou des railleries.
Ce qu’il méditait, en effet, c’était une façon nouvelle de combattre, une guerre de partisans, d’embuscades, de ruses, appropriée au courage sournois des paysans et où les landes et les haies de sa chère Bretagne, qu’il connaissait mieux que personne, joueraient le principal rôle. Il dit le parti qu’on pouvait tirer des routes du pays, presque toujours en déblai, bordées par des rochers et de hautes levées de terre couvertes d’ajoncs offrant des abris inaccessibles : il montra propices aux guets-apens ces bas-chemins, ces champs, clos de broussailles et de lignes d’arbres, qui ne permettaient pas à la vue de s’étendre à plus de cent toises. Cottereau l’écoutait religieusement, s’imprégnant de ses paroles ; le soir, il regagnait sa hutte, grisé, la tête en feu, rêvant aventures et combats. De tous ceux auxquels le marquis de la Rouerie transmit la bonne parole, Cottereau est celui qui profita le mieux de la leçon. On sait qu’il devint fameux sous le nom de Jean Chouan. Comme Vespuce à Colomb, il déroba, sans l’avoir voulu, la célébrité qui devait revenir à son maître ; car si Jean Cottereau fut le parrain de la Chouannerie, la Rouerie en fut bien véritablement le père. Il la créa de toutes pièces, chefs, soldats, armes, stratégie, moyens d’action, tout lui est dû, et c’est à lui seul qu’en doivent revenir les lourdes responsabilités et la redoutable gloire.
Si la confiance des patriotes dans le succès de la révolution augmentait, celle des partisans de la Rouerie n’avait reçu des derniers événemens aucune atteinte. Les affiliés de tous rangs suivaient avec un intérêt anxieux la marche de l’armée des Princes. Le manifeste de Brunswick, qu’avait rédigé un ancien intendant du comte de Provence, Geoffroy de Limon, lancé le 25 juillet, était parvenu le 28 à Paris : la déclaration qui le suivit deux jours plus tard et qui était due à la plume du comte de Moustiers auquel Calonne réservait, dans son futur cabinet, le portefeuille de la marine, avait achevé, dans l’état de fermentation où se trouvait la France, d’enflammer diversement les esprits.
Le 11 août, l’avant-garde de Hohenlohe campait à Rodemach et à Sierck, en Lorraine ; le 19, par un temps pluvieux et froid comme en novembre, le gros de l’armée prussienne passait la frontière à Redange. Ce même jour avait lieu, à Fontoy, le premier engagement où la cavalerie française fut mise en déroute : elle s’était défendue pourtant, ce dont Brunswick « ne revenait pas » ; il croyait ne recevoir que des fleurs et des bravos, mais pas un seul coup de fusil. Le 20, Longwy était investi et capitulait après trois jours de pourparlers.
Ces débuts étaient d’un heureux augure pour les émigrés, qui avaient mis le siège devant Thionville. Au camp du comte d’Artois, dont le quartier général était à Hettange, les visages ne respiraient que la joie et l’espérance : on se disait que la campagne serait de courte durée ; on savait que la Bretagne était prête à se soulever ; « il n’était pas un de nous, raconte Las Cases, qui ne se vît, à quinze jours de là, chez lui, triomphant, au milieu de ses vassaux humiliés et soumis ».
On comprend dans quelle angoisse vivaient, au reçu de ces nouvelles, tous ceux qui avaient donné des gages au nouveau régime. Nul doute que si les Princes eussent fait entendre des paroles d’indulgence et d’oubli, leur cause n’eût gagné bien des partisans ; mais Brunswick s’était institué leur porte-parole et il n’annonçait que représailles et châtiment. Les modérés qui seraient venus à résipiscence si on les y eût invités doucement, se voyant acculés à une situation désespérée, brûlèrent leurs vaisseaux et se jetèrent dans le parti extrême. L’infatuation des émigrés, la folle certitude qu’ils avaient de leurs droits et de leurs succès furent les principales causes de la résistance acharnée qu’ils rencontrèrent.
Chévetel, cependant, hésitait encore. La catastrophe du 10 août avait porté ses amis au pouvoir, et, tandis que la marche de la coalition absorbait tous les esprits, seul, dans l’entourage gouvernemental, il connaissait le danger qui, du côté de l’ouest, menaçait la révolution. S’il continuait à se taire, il trahissait son parti politique ; s’il parlait, il livrait à l’échafaud ses amis de Bretagne : l’alternative était cruelle, mais il l’envisageait de sang-froid, soucieux seulement de son intérêt personnel. — Etait-il temps de prendre position ? La monarchie était-elle assez définitivement vaincue pour qu’il n’y eût plus à se compromettre en lui portant un dernier coup ? L’association bretonne était-elle de force à triompher et pouvait-on, sans imprudence, se ranger au nombre de ses adversaires ? — Questions embarrassantes, auxquelles Chévetel ne savait que répondre, étant, depuis plusieurs mois, sans nouvelles des progrès de la conjuration. Il voulut juger par lui-même des chances de la Rouerie, et, au commencement d’août, il partit pour la Bretagne.
Il n’avait pas dépassé Laval que déjà il connaissait par la rumeur publique « la découverte des projets du marquis, le siège et la prise de son château, sa fuite et l’obligation où il était de se cacher ». S’arrêta-t-il à Bazouges ? C’est probable, puisqu’il parle de ses voyages entre Dol et Dinan : il n’aurait pu, décemment, passer si près de son village, sans aller voir son père. Toujours est-il qu’au cours de ses pérégrinations dans cette contrée où il était né, où il avait vécu longtemps et où il connaissait tout le monde, il fut vite mis au courant des détails de la conjuration. A l’en croire, il ne questionna personne ; servi par ce même hasard qui l’avait déjà fait, malgré lui, le dépositaire des secrets de la Rouerie, il aurait reçu bien des confidences sans jamais en solliciter aucune. La chose, pour être improbable, n’est cependant pas impossible : venu pour se renseigner, il devait fréquenter, de préférence, chez les principaux affiliés, qui, le sachant, de longue date, l’ami du marquis, n’avaient aucun motif de lui cacher leurs projets et leurs espérances. Il s’introduisit ainsi chez Mme de Saint-Gilles, qui ne se gêna pas « pour blâmer hautement en sa présence la tentative du marquis et se plaindre des inconsidérations de Mlle de Moëlien qui courait les campagnes en habit d’amazone avec des épaulettes et un panache à son chapeau : elle termina en disant que la Rouerie n’était pas venu chez elle, et qu’il se cachait sous le nom de Milet ».
Muni de ces renseignemens, Chévetel se présenta chez Desilles au château de la Fosse-Ingant. Ce qu’il savait de la situation financière de l’association lui permit de simuler une connaissance approfondie des ressources dont elle disposait. Desilles ne pouvait témoigner de la méfiance à l’ami qui s’était, à deux reprises, obligeamment entremis pour le change des billets envoyés de Coblentz. A quoi bon dissimuler, d’ailleurs, avec un homme qui paraissait si bien informé ? Quand le docteur manifesta le désir de rendre visite au marquis, Desilles n’y mit aucun obstacle, et s’offrit à préparer discrètement cette entrevue.
Depuis quelques jours, la Rouerie était informé du séjour de Chévetel en Bretagne : nous avons dit déjà les sentimens d’affection qu’il gardait à cet ami des jours heureux, affection augmentée encore de cette sorte de déférence soumise qu’on éprouve pour un médecin en la science duquel on a confiance. Il reçut le docteur avec empressement, « lui parla ouvertement de ses projets, du pillage de son château, ne dissimula pas qu’il voulait pousser sa pointe ; il se plaignit de la lenteur des Princes, de la jalousie de Botherel, alors à Jersey et qui, sous prétexte de prudence, retenait par perfidie un envoi d’armes ». Il lui apprit que Ponta-vice « était en observation à Paris », lui vanta enfin l’activité de Fontevieux, alors en mission auprès des Princes et dont il attendait le retour d’un jour à l’autre. Chévetel se retira après mille protestations d’amitié et d’encouragement : le soir même, il reprenait la route de Paris, où il arriva le 2 septembre. Il se rendit, sur-le-champ, à l’hôtel de la Chancellerie, qu’habitait Danton ; mais celui-ci s’excusa de ne le point recevoir et lui donna rendez-vous pour le lendemain entre trois et six heures du matin.
À l’heure fixée, Chévetel fut introduit dans le cabinet du ministre, où se trouvait Danton en compagnie de Camille Desmoulins et de Fabre d’Églantine. Sur quel point précis roula l’entretien ? C’est là ce qu’il est impossible de connaître d’une façon certaine. Chévetel louvoyait-il encore et chercha-t-il seulement à se faire donner une mission vague, un mot signé de Danton, qui pût l’aider à jouer, auprès des conjurés, double jeu sans risquer d’être pris, le cas échéant, pour un des leurs ? Danton lui-même, dans l’incertitude où il était du dénouement de la Révolution, voulut-il, ainsi que l’assura Chévetel, se ménager un rapprochement possible avec les royalistes de Bretagne et, par ce moyen, composer avec le parti de la cour ? Eut-il simplement l’intention de fortifier le crédit de Chévetel auprès de la Rouerie, de manière à pénétrer plus avant dans les secrets de l’association ? Toutes ces hypothèses sont également admissibles ; mais les dessous de cette intrigue sont si complexes que nous devons nous en tenir au récit des faits. Or, il est certain que, sans séjourner à Paris, Chévetel partit le jour même pour la Bretagne, avec mission officielle d’accélérer la levée des troupes et de l’artillerie qu’on devait diriger vers la Champagne. Après une semaine d’absence, au plus, il rentrait à la Fosse-Ingant, où se trouvaient le marquis, Thérèse de Moëlien et quelques-uns des principaux conjurés.
Il y fut reçu très froidement. Presque en même temps que lui était arrivée une lettre de Pontavice, qui, ainsi que nous l’avons vu, « resté en observation à Paris », avait pris sur Chévetel des informations et dévoilait au marquis les relations du médecin avec les chefs du parti révolutionnaire.
La Rouerie n’était pas l’homme des moyens détournés ; son caractère impétueux et franc s’accommodait mal des réticences : il brusqua l’explication et somma Chévetel de se disculper. Celui-ci ne se troubla point : loin de nier ses rapports avec Danton, il se vanta de l’avoir gagné à l’association : — « Le ministre, disait-il, n’ignore pas que la cause de la Révolution est perdue ; lui-même est attaché de cœur à la monarchie et souhaite le retour de l’ancien ordre de choses ; il partage les désirs des royalistes et veut, sans toutefois compromettre son influence sur le parti avancé, seconder les projets de la coalition en rappelant le roi au pouvoir. En ce qui concerne la conjuration bretonne, il en connaît les ressources et en approuve le but. » Et, comme preuve de ce qu’il avance, Chévetel met sous les yeux du marquis la commission qui le fait maître de toute la force armée de l’Ouest, et aussi une lettre autographe où Danton protestait de son dévouement à Louis XVI. Si grande était la loyauté du marquis, si insidieuse l’hypocrisie de Chévetel, que cette étrange confidence ne fit naître aucun soupçon. Bien au contraire, la Rouerie se félicita de cet appui inespéré : la duplicité du ministre ne lui inspira pas peut-être pleine confiance ; mais de cela il se souciait peu : ce gentilhomme pouvait-il croire à l’importance d’un Danton ? Le point capital à ses yeux était la mission de Chévetel qui lui donnait la haute main sur les troupes régulières de la contrée, en lui permettant de les déplacer à son gré et d’écarter ainsi toute résistance à sa marche sur Paris.
Ce qui prouve avec quel aveuglement le crédule chef de la conjuration bretonne tomba dans le piège qui lui était tendu, c’est qu’aussitôt, comme si ce qu’il venait d’entendre eût redoublé sa funeste confiance en Chévetel, il admit celui-ci au conseil de l’association, et le dépêcha à Jersey, pour hâter l’envoi des fusils et des munitions nécessaires à l’entrée en campagne et que Botherel retenait dans l’attente d’une occasion sûre de débarquement clandestin. Chévetel prit la mer à Saint-Malo, trouva l’île remplie d’émigrés prêts à rallier au premier signal l’insurrection bretonne : il joua si habilement son double rôle que, sans éveiller la méfiance des nombreux amis de la Rouerie cantonnés à Jersey, flattant Botherel, se faisant bien voir des Anglais, il parvint à obtenir du sous-gouverneur de l’île l’embargo sur le navire chargé d’armes dont il avait mission d’accélérer le départ.
Comment, à son retour en Bretagne, fit-il accepter le piteux résultat de sa mission ? Quel mensonge servit d’excuse à l’échec volontaire de sa diplomatie ? On ne le sait pas : peut-être le mauvais effet de son ambassade se perdit-il dans la consternation que causaient aux affiliés les nouvelles de l’Est. La coalition venait d’être battue en Argonne et les bruits les plus pessimistes commençaient à circuler sur le désastre et la misère des émigrés.
La singularité des événemens qui se passaient alors en Champagne en a fait longtemps un problème historique, même pour ceux qui y ont coopéré. L’armée prussienne, victorieuse, maîtresse de nos places fortes, s’arrêtant tout à coup comme effarée et reculant lorsqu’elle est sûre de vaincre ; nos généraux prenant l’engagement de ne pas inquiéter sa retraite, voilà des faits si étranges qu’ils ont donné lieu aux plus invraisemblables suppositions. Peut-être ce que nous savons des préparatifs de la Bretagne éclaire-t-il un petit coin de l’intrigue à laquelle la Révolution dut son salut.
De l’avis unanime, c’est Danton qui a tout conduit : or, parmi les membres du gouvernement, lui seul connaissait, dès les premiers jours de septembre, l’imminence du danger qui menaçait Paris du côté de l’Ouest. Il avait appris, par Chévetel, que l’entrée de l’armée coalisée à Châlons était le signal attendu du soulèvement général de la Bretagne ; il savait que les royalistes de Paris étaient enrégimentés et prêts à une suprême tentative ; et il semble évident que tous ses efforts n’eurent qu’un but, empêcher l’ennemi d’arriver jusqu’à Châlons. C’est sur ce point qu’il concentre toutes les forces dont dispose la France ; c’est là que sont dirigées à la hâte les bandes de volontaires. La ville « n’offre plus qu’un vaste chaos où s’agite une multitude rebelle à toute discipline, et inapte à combattre » ; mais ceci importe peu ; il faut en imposer aux Prussiens, et les rapports qui leur parviennent « s’accordent tous pour annoncer la formation d’un corps considérable de nouvelles levées destinées à fermer la route de Paris ». La situation pourtant est si désespérée que les autorités de Châlons pensent à quitter la ville ; l’ordre est déjà donné d’évacuer les magasins militaires, de couper le pont de la Marne ; bien plus, on propose d’abandonner Paris, d’emmener le Roi et le trésor à Chartres, à Blois, à Tours… Danton s’irrite, tonne, résiste ; s’il dit un mot du secret qu’il possède, tous les courages vont s’effondrer, ce sera un sauve-qui-peut général ; il se garde d’en parler ; il expédie à Dumouriez Fabre d’Eglantine, qui, lui aussi, a entendu les confidences de Chévetel : et Dumouriez, docile, s’obstine à barrer la route de Châlons, sans prendre l’offensive, tant il redoute qu’un mouvement l’oblige à découvrir la ville menacée.
Et quand Brunswick se décide à la retraite, Dumouriez le suit « pour la forme », — le mot est de Dillon, — car il craint, en le harcelant, de lui rendre le courage du désespoir. En vain, les Princes français qui, eux aussi, savent qu’un seul pas en avant doit changer la face des événemens, supplient Frédéric-Guillaume de soutenir au moins un dernier et facile effort ! En vain le Comte d’Artois se fait fort d’emporter à la tête de la noblesse l’artillerie de Kellermann. Le roi de Prusse, sourd à ces objurgations, reprend la route du Rhin ; et les émigrés, cantonnés à Saint-Remy, à Suippes, à la Croix-en-Champagne, apercevaient dans la plaine les clochers de Châlons, cette terre promise, où leur entrée devait être le signal du soulèvement tant escompté ! Ils durent suivre leur allié et se retirer, la rage au cœur. Pour la seconde fois, un fatal enchaînement de hasards accablait la cause royale. Déjà, dans ce même pays d’Argonne, Louis XVI, fuyant vers la frontière, avait été reconnu à cinquante mètres du pont de Varennes, au-delà duquel il eût été sauvé. Aujourd’hui l’armée des Princes s’arrêtait à deux heures de marche du but où elle devait trouver lu victoire ; car, dans l’affolement où vivait Paris, l’annonce simultanée de la prise de Châlons et de la rébellion des provinces de l’Ouest, aurait à coup sûr occasionné une panique qui pouvait être la fin de la Révolution. Lorsqu’il endigua l’invasion, Danton ne vainquit pas seulement la Prusse, il abattit du même coup la coalition bretonne.
La retraite des émigrés fut un désastre ; tous, maintenant, maudissaient cette guerre si gaiement engagée et si tristement finie. Tous s’inquiétaient de ce qu’ils allaient devenir. Les neuf dixièmes d’entre eux étaient réduits à demander l’aumône ; dès le départ de Verdun, quelques-uns implorèrent le secours des plus riches. Chateaubriand, qui faisait partie de ces bandes désolées, affaibli par la dysenterie, en proie au plus violent désespoir, voulut rester dans la terre labourée où il enfonçait jusqu’aux genoux et y mourir : on dut l’arracher de cette boue et l’entraîner. Quelques-uns de ses malheureux compagnons rentrèrent en France, disant qu’ils aimaient mieux être massacrés que de mourir de faim ; les autres jetèrent leur uniforme, et, couverts de la blouse des paysans, tentèrent de gagner la Bretagne ; plusieurs se brûlèrent la cervelle. Le reste reflua sur Liège où, suivant l’ordre de la Cour de Vienne, les débris de l’armée des Princes devaient prendre leurs quartiers d’hiver.
Les récits de cette catastrophe commençaient à circuler en Bretagne et y causaient un indicible effarement. Le marquis de la Rouerie, avisé l’un des premiers, avait reçu dès la fin de septembre une lettre de Calonne l’avertissant de différer de se montrer et qu’on « agirait en grand dans le mois de mars ». Il essaya de se faire illusion ; il ne voulait pas s’avouer vaincu sans combat ; il cherchait à se persuader que ses chances restaient entières et qu’il était assez fort pour agir avec le seul concours de ses affiliés. Il tenta de faire partager cet espoir insensé aux chefs de l’association qu’il convoqua secrètement à la Fosse-Ingant.
Combien cette réunion différait de celle tenue au mois de mai précédent, alors que la certitude de la victoire prochaine enflammait tous les courages ! Aujourd’hui, quelques commissaires seulement furent exacts au rendez-vous : l’accueil fut silencieux et triste. Les plus fidèles cependant étaient là, Desilles, Dubuat de Saint-Gilles, Fontevieux, Thérèse de Moëlien… Chévetel. Quand ses amis eurent pris place autour de la table, la Rouerie parla d’un projet de prise d’armes qui serait indubitablement secondé par les agens royalistes de Paris et par une descente sur les côtes des émigrés de Jersey : il proposa la date du 10 octobre ; mais un silence accueillit ses paroles. Le marquis, agité, fiévreux, interrogeait les assistans du regard : l’un d’eux émit enfin la crainte qu’une tentative si peu préparée n’eût d’autre effet que de hâter la perte du Roi. Les autres, alors, encouragés par cet argument, se montrèrent unanimement d’avis « de remettre la levée de drapeaux à une date indéterminée » ; les chefs resteraient à leurs postes et se tiendraient prêts au premier signal ; mais les circonstances actuelles imposaient une extrême prudence, et la Rouerie devait comprendre qu’un seul parti lui restait : gagner Jersey et attendre à l’abri des poursuites engagées contre lui l’heure favorable à un soulèvement général.
Thérèse de Moëlien, seule femme admise à ce conseil, prit à son tour la parole et protesta avec énergie contre cette proposition : la fuite de celui qui avait entraîné tant de braves gentilshommes dans un complot périlleux ressemblerait à une lâcheté. Tous se récrièrent contre l’ingérence de Thérèse : une scène très vive suivit ; l’un des affiliés observa que la présence de la Rouerie exposait ses amis au danger d’être arrêtés ; qu’en ce moment même, la municipalité de Saint-Malo « le faisait chercher partout dans la ville, où le bruit public le disait caché ». Lui, grave, impassible, le front dans les mains, écoutait en silence ; mais sa résolution était prise : il était de cette race d’hommes qu’on pouvait croire éteinte depuis les temps féodaux, et qui, tout à l’action, ne faisaient aucune dépense superflue de sensibilité.
— Messieurs, dit-il enfin, je suis très touché de vos efforts et surtout du motif qui les dicte ; mais la pensée de Mlle de Moëlien peut être aussi celle de quelques autres qui, seulement, n’auraient pas sa franchise. Mon parti est donc irrévocable : je resterai ; il ne sera pas dit que j’ai imposé à personne un fardeau dont je n’aurais pas pris la plus large part.
Sur ces mots, il congédia les conjurés et resta seul avec Fonte-vieux et Chévetel qu’il projetait d’envoyer vers Calonne et les Princes ; il prit quelques dispositions en vue de leur départ et, le soir même, il quitta la Fosse-Ingant.
Thérèse s’était occupée à lui trouver une nouvelle retraite : son choix était tombé sur la Mancellière, ce château du comte de Noyan où la conjuration bretonne avait pris naissance. Le petit-fils de M. de Noyan, alors de séjour à la Mancellière, a tracé un croquis très vivant de l’entrevue de Thérèse et du comte :
J’étais alors, dit-il, dans ma quinzième année. Je remarquais bien qu’il se passait dans le château quelque chose d’extraordinaire. On y arrivait à toute heure de jour et de nuit ; on parlait bas en ma présence ; les hommes se réunissaient dans des chambres écartées et y restaient enfermés longtemps. Mon grand-père me regardait comme un enfant et se méfiait de mon imprudence. Mais ma mère, sûre de ma discrétion, n’avait rien de caché pour moi. Ma curiosité fut un jour vivement excitée par l’arrivée d’une grande et belle personne dont la présence me sembla causer une émotion extraordinaire. Sa visite fut courte et solennelle. Après avoir conféré avec mon grand-père en grand secret, elle remonta à cheval et partit au milieu de la nuit.
Ma mère me conta que ce mystérieux personnage était Mlle de M…, cousine et intime amie du marquis de la Rouerie. Elle venait prévenir mon grand-père que la Rouerie, caché dans les environs, arriverait le lendemain au château et se proposait d’y passer quelques semaines. Mon grand-père répondit que M. de la Rouerie serait chez lui le bienvenu. Mais il ajouta que sa maison était suspecte et fort surveillée ; un grand nombre de gens dont il ne pouvait répondre y affluaient ; la présence du chef de l’association serait immanquablement signalée aux autorités de Dol et de Saint-Malo qui enverraient de forts détachemens de troupes pour le saisir. M. de Noyan était bien décidé à ne pas laisser exécuter chez lui une arrestation dont il prévoyait les conséquences, mais à résister et à périr dans les murs de son château plutôt que de se rendre ; M. de la Rouerie ne devait donc y venir que s’il voulait partager cette chance…
Soit que la Rouerie ne consentît pas à compromettre son vieil ami, soit, plutôt, que le comte de Noyan, dont la franchise était sans détours, n’eût pas caché à Thérèse de Moëlien que la retraite du marquis à Jersey pouvait seule sauver la vie de ses affiliés, elle détourna son cousin de venir se réfugier à la Mancellière. Accompagné seulement de Fricandeau et de Saint-Pierre, le proscrit passa la Rance et s’enfonça dans le cœur de la Bretagne.
Trois jours après la réunion de la Fosse-Ingant, nous retrouvons Chévetel à Paris.
Il était en mesure de rendre à Danton, ainsi qu’il le dit lui-même, « un compte détaillé » ; mais, toujours prudent, s’il voulait bien parler, il se refusait à écrire sa délation et s’obstina à ne point paraître devant le Comité de sûreté générale. Comme son concours était indispensable et que lui seul, connaissant individuellement les conjurés, pouvait découvrir leur retraite et assurer leur châtiment, on subit ses conditions.
Danton se chargea d’instruire le Comité qui, le 5 octobre, rédigea lui-même la déclaration de Chévetel et l’adressa à Roland, ministre de l’Intérieur, en l’engageant à « ordonner très incessamment tous les ordres et tous les pouvoirs pour déconcerter le complot ». Ici encore, Chévetel souleva une difficulté : c’était de Danton seul qu’il consentait à tenir sa mission ; il ne voulait pas que sa trahison fût ébruitée, et, prétendant se compromettre le moins possible auprès des Bretons, il offrait de jouer, — sous un faux nom, celui de Latouche, — le rôle d’indicateur, exigeant la coopération d’un agent d’exécution chargé d’arrêter les victimes qu’il désignerait. On passa par où il voulut, et, sur la recommandation de Fabre d’Églantine, on lui adjoignit Lalligand, dit Morillon, qui déjà avait rendu, en Provence, d’importans services du même genre : son principal titre de gloire était d’avoir livré Monnier de la Carré et ses nombreux complices.
Jamais l’imagination d’un romancier n’est parvenue à créer figures aussi répugnantes que celle des deux personnages qui vont, désormais, occuper tant de place dans notre récit. Chévetel et Lalligand, égaux dans l’abjection, avaient de la trahison une conception toute différente : le premier mettant un masque et des gants pour se vautrer dans la boue, travaillant sous un nom supposé, sournois, mielleux, poltron, n’ayant que le courage du baiser de Judas, cachant, même à ceux qui le paient, ses moyens d’action et son but ; le second, cynique et vantard, fier de son rôle, exaltant les services qu’il rend, recevant l’argent de toutes les mains, vendant aux gens leur propre tête, jouant au diplomate, au général, au philanthrope avec une verve déconcertante, traitant le ministre de mon cher ami, et ne voyant dans l’aventure qu’un commerce lucratif qu’il gère, d’ailleurs, avec une habileté consommée. Entre ces deux hommes, il n’y a qu’un point commun, c’est le mépris que, dès la première heure, ils éprouvent l’un pour l’autre.
Lalligand est le type achevé de ces personnages louches, pour qui la révolution fut une carrière : chassé de la gendarmerie après un an de service pour avoir mis en circulation de fausses lettres de change, il fit peu à peu tous les métiers, s’établit marchand de bois, joua du violon dans un théâtre, — c’est là sans doute qu’il se lia avec Fabre, — fut condamné à quinze ans de fers comme faux monnayeur, s’évada de la prison d’Autun, passa en Savoie d’où il fut expulsé pour crime de rapt, rentra en France dès le début de la Révolution, et, pensant faire oublier son passé, se prononça hautement pour la Cour ; il se donna le luxe d’émigrer, reparut à Paris pour offrir au Comité de Défense générale d’enlever les deux fils du Comte d’Artois, fut agréé dès le 10 août, servit d’espion à tout le monde et se trouva juste à point pour profiter de l’aubaine que lui valaient l’intimité et l’estime de Fabre d’Églantine. Il accepta avec reconnaissance, jugeant qu’il y aurait en Bretagne de l’argent à gagner. D’ailleurs il était bien vu du nouveau régime, étant le cousin du conventionnel Bazire, parenté dont il se montrait fier.
Chévetel et Lalligand quittèrent Paris le 7 octobre, voyageant isolément : ce dernier faisait route avec un camarade, nommé Burthe, homme à tout faire, qu’il emmenait comme officieux. Il n’y avait pas une heure à perdre, car, bien que la date du 10, proposée par la Rouerie pour un soulèvement général, eût été repoussée par les commissaires de l’association, il était à craindre que le marquis, se passant du consentement de ses amis, ne donnât le signal de l’insurrection, et ne prît seul le commandement de ses légions.
Le 9, Chévetel arrivait à Saint-Malo et se faisait immédiatement conduire chez ses amis Desilles à la Fosse-Ingant. Ce même jour, Lalligand, dont la voiture suivait de près celle de son compère, descendait à Saint-Servan, à l’hôtel du Pélican, où, avec Burthe, il s’installa confortablement, chose si rare en ce temps de misère, que, dès le premier soir, l’hôtelier Henry conçut des soupçons : des voyageurs faisant tant d’embarras et se donnant de si grands airs, ne pouvaient être que des ci-devant ; le brave homme prévint la municipalité. La gendarmerie de Saint-Servan était alors commandée par ce lieutenant Gadenne que nous avons vu déjà, accompagnant Hévin et Varin, lors des perquisitions opérées au château de la Rouerie. C’était un officier honnête, esclave de la discipline : il se présenta au Pélican, requit la présentation des passeports, et Lalligand, après les lui avoir montrés, ne put se tenir de lui apprendre, sous le sceau du secret, qu’il était commissaire extraordinaire de la Convention nationale, et qu’ils auraient à travailler ensemble. Cadenne alla porter la nouvelle aux municipaux, qui promirent d’être discrets et qui tinrent parole pendant quelques heures.
Cependant Chévetel, confiné à la Fosse-Ingant, ne donnait pas signe de vie, et Lalligand perdait patience. Pour s’entretenir la main, il imagina d’approfondir le patriotisme de son hôte : il manda Henry à sa chambre, et, d’un air de grand mystère, lui confia qu’il était, lui Lalligand, compromis dans diverses intrigues contre-révolutionnaires, et qu’il avait grande hâte de passer à l’étranger. Le pauvre aubergiste, sans méfiance, ne fit aucune difficulté d’avouer qu’il s’était déjà employé à faciliter l’émigration de bien des ci-devant dans l’embarras, qu’il s’engageait à lui procurer le passage pour l’île de Jersey avec laquelle il était en relations constantes, se chargeant des commissions des réfugiés, de l’expédition de leur correspondance et de leurs envois d’argent. L’espion « feignit d’accepter l’offre, fit signer à Henry la promesse de la réaliser » et envoya l’écrit au comité de Sûreté générale, en se vantant d’avoir, dès son début, « découvert un des principaux agens des rebelles ». L’aubergiste fut arrêté et expédié sous bonne garde à Paris. Lalligand ne cachait pas, du reste, que, dans cette affaire, il avait couru « plusieurs dangers ».
Il parvint enfin à joindre Chévetel : celui-ci avait passé quatre jours entiers à la Fosse-Ingant, au milieu des chefs de la conjuration : il avait assisté à leurs entretiens ; lui présent, un envoyé de la municipalité de Saint-Servan s’était présenté chez Desilles, annonçant que deux commissaires du pouvoir exécutif étaient arrivés de Paris. Cette nouvelle avait été reçue froidement ; tout projet d’insurrection étant définitivement renvoyé au mois de mars prochain, rien jusqu’à cette époque ne pouvait prêter au soupçon dans la conduite des conjurés. Il y avait eu, il est vrai, quelques mouvemens locaux : certains villages de la lisière du Maine avaient pris les armes ; mais la garde nationale de Laval s’était employée avec zèle à repousser les paysans et avait fait un nombre considérable de prisonniers. L’ordre formel du marquis était d’attendre une occasion plus favorable et il avait décidé d’envoyer aux Princes deux de ses amis les plus sûrs pour réclamer de nouveaux subsides. Fonte vieux et Chévetel étaient désignés pour cette mission de confiance.
Tel fut le récit de Chévetel : Lalligand était d’avis de frapper un grand coup et d’arrêter sur-le-champ les principaux conjurés ; mais l’autre lui représenta qu’un tel esclandre le « découvrirait » et aurait tout au moins pour résultat de rompre ses relations avec les agens de la Rouerie ; qu’il était préférable de temporiser, la mission qu’il allait remplir auprès des Princes lui donnant plus sûrement l’occasion « de servir la République » ; qu’au surplus il se faisait fort de décider le Comte d’Artois et Calonne à débarquer en Bretagne et qu’une fois ceux-ci tombés dans le piège, il serait facile de s’emparer d’eux. Lalligand, quoique à regret, se rendit à ces bonnes raisons ; il fit ses adieux à Chévetel qui, le 13 octobre, s’embarqua pour l’Angleterre sans difficultés, tous les pêcheurs de la côte s’offrant à passer à Jersey ceux qui voulaient émigrer.
Lalligand n’avait plus qu’à rentrer à Paris ; mais son retour eût ressemblé à un échec et il tenait à se rendre important. Que faire cependant à Saint-Servan ? Chévetel lui avait bien recommandé de se tenir coi, dans la crainte de le compromettre, et l’ancien faux monnayeur se désolait de ne pouvoir mettre à profit les confidences de son associé : celle qui l’avait plus particulièrement alléché concernait une « fille du pays, agente zélée de la Rouerie » chez qui était déposée une forte somme en faux assignats. Lalligand désirait vivement s’assurer par lui-même de la valeur de ces papiers ; il fit même une tentative dans ce sens, mais il lui fallut agir avec trop de ménagemens et l’entreprise échoua. Il reprit donc à petites journées, accompagné de Burthe, le chemin de Paris, cherchant quelque bon coup à faire en route. Tous deux, arrivés à Laval, « furent arrêtés par la garde et conduits à la municipalité ». L’espion, obligé de se faire connaître, se confia « à un excellent patriote, G… S…, qui lui témoigna une crainte extrême des aristocrates » dont les bandes parcouraient le pays, et se lamenta « de n’avoir aucun officier de mérite à mettre à la tête des soldats patriotes ». Lalligand, flairant une affaire, lui offrit immédiatement son compagnon Burthe dont il vanta « les talens militaires connus et éprouvés », et celui-ci se voyait déjà commandant en chef l’armée républicaine ; mais « l’excellent patriote G… S… » éprouva peut-être quelque doute touchant le savoir stratégique du personnage et détourna adroitement la conversation. Lalligand ne se décourageait pas pour si peu : il trouva instantanément un autre moyen d’exercer les facultés de son officieux : il le fit mettre en prison en lui recommandant de se donner, aux détenus dont regorgeaient les cachots de Laval, pour un des brigands pris les armes à la main et d’exciter les confidences de ses compagnons de captivité. Burthe se prêta de bonne grâce à ce nouveau rôle, et Lalligand-Morillon, persuadé qu’il devrait à ce stratagème la révélation d’importans secrets, se dirigea vers Rennes, cherchant aventure.
Nous ne le suivrons pas dans toutes ses intrigues ; les comptes rendus qu’il adressait à Lebrun, ministre des affaires étrangères, à qui était échue, après la démission de Danton, la conduite des événemens de Bretagne, ne sont que mensonges, hâbleries, fausses nouvelles : il suffit de noter ses déplacemens et de résumer les rapports prolixes qu’il envoyait à Paris à seule fin de se faire valoir.
Il n’y réunissait pas complètement, à en juger par une note conservée aux archives des Affaires étrangères et qui est ainsi conçue :
Laisser aller Burthe à Jersey puisque son voyage a un but utile ; amuser Morillon. Et envoyer Sicard avec des instructions sur Saint-Malo et Laval. Seul moyen de s’assurer de la confiance qu’on doit à Morillon, car :
Ou l’affaire existe : il lui faut de grands moyens et une grande confiance ;
Ou elle n’existe pas, et alors…
Ce qui signifie, si nous comprenons bien ces trop succinctes recommandations, qu’il faut amuser Lalligand-Morillon jusqu’au retour de Chévetel : ils inspirent, l’un et l’autre, si peu de confiance à ceux qui les emploient qu’on en arrive à se demander si l’affaire de Bretagne existe autrement que dans l’imagination des deux compères ; en attendant qu’on soit fixé sur ce point délicat, on expédiera en Bretagne Sicard, espion de profession, pour surveiller Lalligand, espion amateur.
Sicard n’était pas le premier venu ; originaire de Toulouse, soldat pendant cinq ans au régiment de royal-dragons, puis employé au comité d’aliénation de l’Assemblée nationale, il fut attaché au ministère des affaires étrangères en mars 1792. D’abord secrétaire de la légation de Mayence, il venait d’être chargé d’une mission secrète à Genève, lorsqu’on le proposa pour suivre les menées louches de Lalligand-Morillon. Il ne nous semble pas qu’il accepta ces fonctions, car les dossiers ne contiennent aucune lettre de lui datée de cette époque et, dès novembre, on le voit en Pologne et en Bohême, espionnant la marche de l’armée russe : arrêté à Prague, il fut emprisonné au Spielberg, et reconduit à la frontière : nous le retrouverons dans d’autres circonstances.
Lalligand-Morillon, persuadé qu’il passait pour indispensable, courait de Bennes à Laval, de Laval à Saint-Malo.
Il vient un jour sonner à la porte du château de la Fosse-Ingant et se présente à Desilles, dans l’espoir de surprendre quelque secret : il se fait passer pour un ancien officier royaliste blessé en défendant les Tuileries au 10 août. Desilles resta froid et ne se livra point ; mais il indiqua au faux proscrit un moyen sûr de gagner les îles anglaises, facilité dont l’espion profita, non point pour lui-même, mais pour Burthe qu’il retira des prisons de Laval et qu’il envoya à Jersey. L’expédition ne donna d’ailleurs aucun résultat : Burthe, dont la nullité était parfaite, ne rapporta de Saint-Hélier qu’un renseignement : il y avait appris que les royalistes de Paris achetaient chaque jour cent livres de pain pour les jeter dans les latrines et, de cette façon, faire naître la famine ! Ainsi prit fin la première mission de Lalligand-Morillon. Il était à Paris le 12 décembre et adressait, à cette date, au ministre Lebrun, un rapport insignifiant sur l’esprit contre-révolutionnaire de la Bretagne. La poursuite des chefs de la conjuration semblait alors une affaire enterrée : le marquis de la Rouerie n’avait pas reparu ; beaucoup croyaient qu’il était émigré, ou qu’il avait, tout au moins, renoncé à ses projets.
Tandis que son confrère jouait en Bretagne le rôle de la mouche du coche, Chévetel ne perdait pas son temps. En compagnie de Fontevieux, il s’embarqua pour Jersey où il s’aboucha avec Botherel, et de là gagna Douvres. Cette petite ville était encombrée d’émigrés bretons qui, après la désastreuse retraite de l’armée des Princes en Champagne, avaient pris la mer, espérant aborder en Bretagne et s’engager dans les troupes de la Rouerie, mais que le manque d’argent, la misère, les maladies retenaient en Angleterre.
La mission qu’entreprenait Chévetel exigeait une force de caractère peu commune : pendant près de trois mois, il vécut côte à côte avec l’un des plus intimes amis de celui qu’il trahissait ; il ne fréquenta, à Jersey, à Douvres, à Londres, à Liège, que chez des royalistes fanatiques ; il se ménagea plusieurs entrevues avec Calonne, il fut, à deux reprises, admis en présence du Comte d’Artois… et jamais il n’éveilla l’ombre d’un soupçon. Si l’on réfléchit combien il fut astreint, dans les circonstances douloureuses où se trouvaient les émigrés, à des lamentations feintes, à des protestations hypocrites, à des imprécations contre le parti qu’il servait ; si l’on songe que, pendant ces trois mois, il ne put être lui un seul instant ; qu’il dut surveiller ses paroles, sa démarche, l’expression de son visage ; qu’il lui fallut mentir sans trêve, jouer, sans faillir un moment, la plus odieuse comédie, on en arrive à penser que cet homme incarnait vraiment le génie de la trahison, car on ne voit guère d’autre exemple d’un rôle aussi répugnant soutenu avec autant de persévérance et d’habileté. Et que Rapprend rions-nous pas si, au lieu de n’avoir pour le juger que son propre témoignage, ses dupes avaient parlé ?
A Douvres, les émigrés bretons firent fête aux deux envoyés de la Rouerie : la popularité du marquis était grande ; on connaissait ses projets, on les approuvait, et ses amis bénéficièrent de l’estime que son ardeur royaliste inspirait à tous : Chévetel apprit là que Calonne avait quitté, à Verdun même, le Comte d’Artois et qu’il se trouvait à Londres, fort occupé à faire patienter ses créanciers dont l’âpreté lui causait de grands embarras. Parvenu à Londres, Chévetel se logea à l’Ours-Blanc et informa aussitôt de son arrivée le secrétaire de Calonne : les lettres de créance dont l’avait muni le marquis de la Rouerie lui ouvrirent toutes les portes. Calonne s’empressa de le recevoir. Le ministre l’accueillit aimablement ; Chévetel « après les complimens d’usage lui remémora qu’il avait déjà eu l’avantage de se trouver plusieurs fois avec lui chez Mme C… et Calonne parut ou du moins fit semblant de paraître se rappeler les traits de son interlocuteur. » Il lui posa plusieurs questions « avec beaucoup d’adresse », lui demanda « ce qu’il faisait avant la Révolution », et, quand Chévetel eut répondu « qu’il appartenait à Monsieur, il crut remarquer sur la figure de Calonne une impression fâcheuse qui se dissipa promptement. »
S’il faut en croire Chévetel, l’ancien ministre de Louis XVI s’occupait à Londres de la fabrication des faux assignats : il avait déjà fait passer au Comte d’Artois « une somme de 3 millions en billets de cent sols, parfaitement imités, et cette ressource avait permis aux débris de l’armée royale de subsister pendant quinze jours. Il faisait imprimer en outre des bons de 200 livres qu’aussitôt le tirage terminé on devait expédier au marquis de la Rouerie : en somme Calonne espérait se trouver bientôt possesseur d’un milliard et demi en papier-monnaie falsifié : il en inonderait la France, dans le double dessein de solder ainsi ses agens de l’intérieur, — il ne dissimulait pas qu’il en avait soudoyé dans tout le royaume, — et, en second lieu, d’amener, par la propagation de cette masse d’assignats sans valeur, le discrédit sur ceux régulièrement émis par la République.
Il traita Chévetel en ami et ne lui cacha rien de ses espérances.
— Restez à Londres, lui dit-il, venez quelquefois me voir, et, quand il en sera temps, je vous ferai passer en Bretagne.
Mais il se ravisa et, comme il ne pouvait quitter Londres, où ses créanciers l’avaient mis en surveillance, il dépêcha Chévetel vers le Comte d’Artois, le chargeant de conseiller aux frères de Louis XVI de « tourner désormais toutes leurs vues du côté de la Bretagne et de la Normandie » ; une compagnie de navigation hollandaise s’était engagée à transporter les restes de l’armée royale d’Ostende à Saint-Malo ; on était sûr que cette ville se rendrait aux Princes à la première sommation, et l’on serait également maître de la baie de Cancale, du fort de Châteauneuf, et, par suite, du Clos-Poulet qui devait servir de camp retranché aux troupes de la Rouerie, dans le cas, fort improbable, d’un échec.
Chévetel partit pour Liège, où le Comte d’Artois l’accueillit dès son arrivée ; admis sur le pied de l’intimité, à la cour aussi précaire que turbulente dont s’entourait le prince exilé, il fut traité en héros par tous les royalistes dont le complot breton représentait le dernier espoir ; ses journées se passaient dans les antichambres du palais épiscopal qu’habitait le Comte d’Artois, il était reçu en audience privée, servait de confident à tout le monde ; comment parvint-il, sans se trahir lui-même, à mener une si vaste intrigue ? Par quel moyen arriva-t-il à tromper tant de gens que le malheur avait dû rendre soupçonneux, à entretenir une correspondance suivie avec la Rouerie, avec Danton, avec Calonne ? C’est un problème dont il ne nous a pas livré la solution : toujours est-il qu’il apprit bien des choses. Il assurait plus tard, — et ce fait trouva place dans son rapport au ministre, — avoir vu vivant et bien vivant, chez M. de Vaudreuil, le marquis de Favras, pendu trois ans auparavant sur la place de Grève ! Chévetel se laissa conter « que sous prétexte de rendre le supplice plus apparent, on avait donné à la potence une hauteur extraordinaire ; qu’on mit au cou du condamné un collier de fer, réuni à ses pieds par des lanières de cuir, de sorte que la corde ne serra point » ; et voilà pourquoi les parens du supplicié s’étaient tant hâtés de décrocher le corps et de l’emporter.
Pendant les trois semaines qu’il passa à Liège, Chévetel s’occupa à dresser une liste des émigrés qu’il envoya à Danton « avec quelques renseignemens et quelques détails », note-t-il ingénument : s’il dressait des tables de proscription et de mort, c’était à seule fin de charmer ses loisirs, car le Comte d’Artois l’avait invité à ne point quitter la ville avant le retour de Calonne, en l’absence duquel on ne pouvait rien décider. Mais comme celui-ci ne paraissait pas, comme on apprit bientôt que ses créanciers le gardaient en surveillance à Londres et se refusaient à ce qu’il quittât l’Angleterre, il fallut bien se passer de ses lumières.
Le Comte d’Artois reçut donc, une fois de plus, Chévetel et tous deux tinrent conseil : le Prince approuva pleinement le plan d’insurrection projeté et la date du 10 mars indiquée pour la prise d’armes : il ne refusait pas, en principe, d’aller se joindre aux Bretons quand le moment d’agir serait venu ; mais « il ne savait comment s’y prendre pour se séparer de son frère » ; et puis, il faudrait obtenir des secours en argent de l’Angleterre, en hommes de Brunswick, et la conduite hésitante de celui-ci restait inexplicable ; si l’on était obligé de se passer de son concours, on attendrait, pour envoyer des régimens en Bretagne, que la Suisse fit son entrée dans la coalition, ce qui ne pouvait tarder.
Telles furent les décisions auxquelles s’arrêta le Comte d’Artois ; Chévetel et Fontevieux, qui ne s’étaient point séparés pendant ce voyage de trois mois, n’avaient plus rien à faire à Liège. Fontevieux s’embarqua à Ostende, se chargeant de porter au marquis de la Rouerie la réponse du prince ; Chévetel prit congé à son tour et revint directement à Paris, où il rendit compte à Danton du résultat de son ambassade.
On était aux derniers jours de 1792 ; si l’entreprise de la Rouerie se trouvait retardée, le succès, en somme, n’en était pas compromis. Botherel tenait prêt, à Jersey, un navire chargé de 1 800 fusils, de 6 pièces de canon et de munitions abondantes : il disposait de huit bateaux de débarquement et de deux petits corsaires de deux cents tonneaux ; le Comte d’Artois devait, à l’heure décisive, appuyer de l’autorité de son nom et de sa présence le mouvement projeté : c’était là, réunies, bien des chances de réussite auxquelles venait s’ajouter, comme la plus sérieuse de toutes, l’enthousiaste impatience des paysans de Bretagne qu’on avait peine à contenir et qui, depuis bientôt deux ans, enrégimentés et armés par les soins du marquis de la Rouerie, brûlaient de se lever à sa voix et de le suivre à Paris afin de délivrer le Roi dont les prêtres réfractaires leur contaient les humiliations et le lent martyre.
Le marquis, d’ailleurs, parcourait incessamment le pays, de Saint-Brieuc à Laval, entretenant cette agitation, ne séjournant pas plus d’un jour au même lieu, et, chose remarquable, comme s’il eût semé la poudre, partout où il passait, éclatait la guerre des paysans. Jean Chouan, son fanatique séide, avait monté les têtes de ses concitoyens de Saint-Ouen-des-Toits : le jour où le curé constitutionnel fit son entrée dans le village, escorté des commissaires du district de Laval venus pour lever des volontaires, il fut reçu par des huées : la population, tout entière dans la rue, cria : A bas les Patauds, pas d’intrus, pas de volontaires !
Les paysans appelaient Patauds les gardes nationaux de la ville qui accompagnaient en armes leurs magistrats. L’animosité était grande de part et d’autre, lorsqu’un homme sortit de la foule : c’était Jean Chouan.
— Quand le Roi, cria-t-il, demandera que nous prenions les armes, nous marcherons tous, je réponds pour tous ; mais s’il faut partir pour ce que vous appelez la liberté, vous qui la voulez, allez vous battre pour elle ! Quant à nous, nous sommes tous au Roi, rien qu’au Roi.
Cette profession de foi catégorique eut le plus grand succès. « Oui, tous au Roi ! » répondirent d’une seule voix les paysans : en un instant les commissaires, l’intrus, les gendarmes, les Patauds furent poussés, culbutés, roués de coups, chassés du village et reprirent piteusement la route de Laval. Le soir même Jean Chouan rassembla les jeunes gens qui l’avaient soutenu : il leur apprit les projets du marquis de la Rouerie et que la contre-révolution était proche :
— Sous peu de jours, dit-il, la Bretagne aura pris les armes et viendra à notre aide ; montrons aux Bretons que les Mainiaux n’ont pas peur. Déjà nos têtes blanches ont chassé un intrus, c’est à nous à ramener les bons prêtres.
Et, dès ce jour, on vit, courant la contrée, à la brune, des petites bandes de paysans, guettant les patrouilles de bleus, s’embusquant dans les haies, houspillant les patriotes. Ils allaient, vêtus de la bielle, sorte de veste de couleur sombre, la braie de berlinge noire ouverte aux genoux, laissant le jarret nu et libre ; des guêtres de cuir défendaient leurs jambes contre les broussailles et les ajoncs : un épais bonnet de laine ou un chapeau à grands bords couvrait leurs longs cheveux. Tous étaient armés : au-dessus de leur épaule la lame d’une faux ou le canon d’un fusil pointait ; quelques-uns portaient la ferte, long bâton servant d’appui pour franchir les haies et les fossés. Leur agilité tenait du prodige ; ni broussaille, ni barrière n’arrêtait un instant leur course : le premier sobriquet qu’ils reçurent fut celui de bande d’oiseaux. Ils avaient adopté, pour s’appeler, un sifflement particulier qu’on peut orthographier IOU, et qui ressemblait assez au cri du chat-huant.
Au cours de cet automne de 1792, une dénonciation parvenue au directoire de Laval signalait Launay-Villiers comme un repaire de conspirateurs. Les gardes nationales de la Baconnière, d’Andouillé et de la Brullatte se portèrent sur le château qu’elles trouvèrent désert et qu’elles mirent au pillage. Le marquis de la Rouerie qu’on espérait y trouver avait disparu. Mais Jean Chouan et ses hommes, prévenus de l’expédition, rejoignirent les Patauds au Bourgneuf : une bataille en règle s’engagea ; les bleus étaient bien armés, les paysans n’avaient, pour la plupart, que des faux ; ils se battirent cependant avec tant de rage que les gardes nationaux prirent la fuite en désordre, laissant dix-huit des leurs sur le terrain du combat.
« Dans cette première bataille livrée par les royalistes du Bas-Maine, on remarqua, dit un contemporain, un fait qui se renouvela plus d’une fois durant la guerre des Chouans et qui semblait ramener au temps des aventures merveilleuses de la Chevalerie. Un homme, inconnu de tous, parut inopinément au commencement de l’action et se mit à la tête des paysans. Agissant en chef, il prend le commandement, donne les ordres, dirige les mouvemens, se porte partout où le danger l’appelle, anime les combattans de sa voix et de son exemple et, l’affaire terminée, se retire sans se faire connaître.
« Celui qui se montra ainsi dans la journée du Bourgneuf, portait le costume des gens du pays ; mais sa tournure, son langage, son brillant fusil de chasse, ses mains que le travail n’avait point brunies, le faisaient assez remarquer. Jean Chouan, seul, paraissait le connaître : c’en était assez pour que tout le monde s’empressât de lui obéir. »
Ainsi le marquis de la Rouerie se faisait la main en attendant l’heure de l’action générale : il chassait le bleu comme jadis, à son retour d’Amérique, il avait chassé le loup dans les bois de Gatines et de Blanchelande. Les paysans l’aimaient à cause de sa force et de son audace, et aussi pour sa franchise familière, sa gaieté et ses élans de brusque bonté. Il faisait d’eux ce qu’il voulait et, voyant leur dévouement quasi bestial, qu’il comparait mélancoliquement aux prudentes tergiversations de ses amis de l’émigration, il se reprenait à croire au triomphe de sa cause et se voyait déjà, tant son imagination romanesque était prompte aux reviremens, entrant en vainqueur dans Paris, à la tête d’une armée de paysans à longs cheveux, à guêtres de cuir, portant la faux sur l’épaule et chantant les vieux airs bretons.
G. LENOTRE.
- ↑ Voyez la Revue du 15 avril.