Le Marquis de Pomenars

chez Ladvocat, libraire — Barba (p. 9-57).


À MADAME
LA COMTESSE Ô’DONNELL.


C’est toi, chère Élisa, qui m’as commandé cet ouvrage ; je n’osais mettre en scène madame de Sévigné ; je savais à quel point son esprit et sa grâce sont inimitables. Mais tu as pensé qu’en aimant autant qu’elle on pouvait écrire aussi bien ; et sans partager cette erreur, j’ai cédé à tes instances. Madame de Sévigné m’aurait pardonné cette faiblesse pour ma fille : le public ne s’est pas montré moins indulgent. Ainsi, chère Élisa, je te dois mon succès, et je t’en fais hommage.

Sophie GAY.


PERSONNAGES.


Personnages.
Acteurs
 
MM.
Le marquis de POMENARS.
Michelot.
Le marquis de SÉVIGNÉ.
Firmin
M. MÉRIDEC, sénéchal.
Baptiste, aîné.
SAINT-CLAIR, son fils.
Menjaud.
GERMAIN, valet de M. de Pomenars.
Monrose.
FRANÇOIS, domestique du sénéchal.
Faure.
 
Mesdames.
Madame de SÉVIGNÉ.
Leverd.
Madame d’ANGERVAL, jeune veuve, nièce du sénéchal.
Mars.


La scène se passe à Laval, chez le sénéchal Méridec.
Les costumes sont ceux du règne de Louis XIV.




Extrait d’une lettre de madame de Sévigné.
(Du 11 novembre 1673, Ier. volume.)

« L’autre jour Pomenars passa par ici ; il venait de Laval, où il trouva une grande assemblée de peuple. Il demanda ce que c’était : c’est, dit-on, que l’on pend en effigie un gentilhomme qui avait enlevé la fille de M. le comte de Créance ; cet homme-là, sire, c’était lui-même. Il approcha ; il trouva que le peintre l’avait mal habillé ; il s’en plaignit ; il alla souper et coucher chez le juge qui l’avait condamné. Le lendemain il vint ici pâmant de rire. »

Cette anecdote a fourni le sujet de la pièce.

LE MARQUIS
DE POMENARS,
COMÉDIE.


SCÈNE PREMIÈRE.


Le marquis de SÉVIGNÉ, FRANÇOIS.
FRANÇOIS.

Si M. le marquis veut se donner la peine d’attendre un instant dans ce salon, je cours avertir madame d’Angerval.

LE MARQUIS.

Avant de m’annoncer, dis-moi un peu, mon cher François, où en sont les amours de ton jeune maître ?

FRANÇOIS.

Ah ! monsieur, c’est pis que jamais ; et pourtant madame d’Angerval ne paraît pas disposée à conclure ce mariage aussi vite que le désirerait M. Saint-Clair.

LE MARQUIS, en souriant.

Elle le traite donc bien mal ?

FRANÇOIS.

Monsieur, cela dépend des jours.

LE MARQUIS.

Comment, des jours ?

FRANÇOIS.

Oui, vraiment. Par exemple, ceux où M. le marquis nous fait l’honneur de venir ici, madame d’Angerval a toujours une petite querelle avec M. Saint-Clair.

LE MARQUIS.

Bah ! tu plaisantes ?

FRANÇOIS.

Non. Dernièrement encore je les ai entendus, ici même, se disputer, mais très-vivement.

LE MARQUIS.

Et que se disaient-ils ?

FRANÇOIS.

Ah ! je n’oserai jamais le répéter à M. le marquis.

LE MARQUIS.

J’entends ; ils disaient du mal de moi !

FRANÇOIS.

Pas tous les deux ; mais……

LE MARQUIS.

Saint-Clair, n’est-ce pas ? J’en suis ravi : rien ne me plaît autant que les injures d’un rival. Allons, dis-moi tout. (En lui donnant une bourse.) Tiens, je veux, dès à présent, récompenser ta confiance.

FRANÇOIS, serrant la bourse.

Ah ! M. le marquis, en conscience, je ne saurais accepter…… On n’a pas coutume de payer ces choses-là : si c’était des flatteries, à la bonne heure.

LE MARQUIS, à part.

Le coquin me prend pour un prince. (Haut.) N’importe, mon ami, dis-moi la vérité ; si désagréable qu’elle puisse être, c’est une rareté qu’on ne saurait trop payer.

FRANÇOIS.

Eh bien donc, vous saurez que M. Saint-Clair…… disait…… Mais songez bien qu’il était en colère.

LE MARQUIS, avec impatience.

Sans doute ; et il disait à sa cousine ?

FRANÇOIS, contrefaisant Saint-Clair.

Ce marquis de Sévigné, dont vous raffolez aujourd’hui, a-t-il pour vous le moindre des sentimens que vous m’inspirez ? Il vous trouve belle ; il vous le dit avec esprit : le grand mérite ! Mais ces airs sémillans, ce ton léger vous charment. Vous croyez de bonne foi que ce coureur d’aventures galantes va quitter la cour et toutes ses grandes dames pour venir se fixer dans la petite ville de Laval, chez le juge Méridec ; et cela, dans la seule intention de faire la cour à sa nièce, et de l’épouser même, si elle le veut bien. N’est-ce pas une honte, de préférer l’honneur d’être la centième dupe d’un perfide séducteur au plaisir de récompenser l’amour d’un homme qui vous sacrifierait tout au monde ?

LE MARQUIS, gaiement.

Bravo ! Saint-Clair : c’est plaider à merveille ; et ma cause ne pouvait tomber entre les mains d’un meilleur avocat.

FRANÇOIS.

Quoi ! ce discours vous plaît ?

LE MARQUIS.

On ne saurait davantage ; et je devine sans peine comment a répondu madame d’Angerval : n’est-ce pas en contrariant un caprice qu’on en fait une grande passion ? Ah ! je connais les femmes ; et celle-là a bien trop d’esprit vraiment pour se laisser conduire par les conseils d’un jaloux.

FRANÇOIS.

Il est vrai qu’en faisant élever sa nièce à Paris, M. Méridec n’a pas perdu ses frais ; car madame d’Angerval peut se vanter de valoir autant que vos plus charmantes Parisiennes.

LE MARQUIS, à part.

En effet, elle est presque aussi coquette.

FRANÇOIS.

C’est qu’elle a un ton, des manières, une élégance ; et puis, tant de générosité pour nous autres, et tant de mépris pour les dames de la province ! Ah ! vraiment, c’est un ange ! et j’ai presque pleuré le jour où j’ai vu tant de gentillesse au pouvoir d’un vieux mari.

LE MARQUIS.

Mais on n’a plus rien à reprocher à ce vieux mari : il me semble qu’il s’est très-bien conduit, puisqu’il est mort deux mois après sa noce.

FRANÇOIS.

Hélas ! oui ; le ciel a pris pitié de cette pauvre femme ! Mais la voici qui vient ; je vous en conjure, M. le marquis, n’allez pas me compromettre !

LE MARQUIS.

Sois tranquille.


SCÈNE II.


Mme  d’ANGERVAL, le marquis de SÉVIGNÉ.
Mme  D’ANGERVAL, avec surprise.

Quoi ! c’est vous, monsieur ? Je ne m’attendais pas sitôt au plaisir de vous revoir.

LE MARQUIS.

Je conviens, madame, qu’après la promesse que je m’étais faite de ne plus vous importuner, vous pouviez raisonnablement vous flatter d’être, pour quelque temps, à l’abri de ma visite.

Mme  D’ANGERVAL.

Ah ! monsieur, pouvez-vous penser……

LE MARQUIS.

Je sais tout ce que votre politesse peut vous dicter là-dessus ; et, si j’avais autant de fierté que vous mettez de grâce à désoler les gens, certes je ne serais point ici ; mais que vous dirai-je ? En amour, je n’ai pas la moindre dignité : et si je n’avais jamais eu à combattre d’autres ennemis que de jolis yeux, ma foi ! je n’aurais pas grande idée de mon courage.

Mme  D’ANGERVAL.

Je vous croyais plus brave ; mais parlons sérieusement. Comment voulez-vous que l’amour-propre m’aveugle au point de supposer que M. de Sévigné, dont les hommages excitent l’envie de toutes les femmes de la cour, renonce, pour moi seule, au bonheur de leur plaire ?

LE MARQUIS.

Beau sacrifice ! vraiment ! On voit bien que vous ne connaissez pas ces beautés minaudières.

Mme  D’ANGERVAL.

Mais il en est de naturellement séduisantes.

LE MARQUIS.

Non, leur esprit est aussi fardé que leur visage, et dans ce prétendu séjour de délices on n’a presque jamais le choix qu’entre une coquette ou bien une pédante. Mais, pour être juste, je suis forcé de convenir qu’elles sont moins inhumaines que les femmes de ce pays-ci.

Mme  D’ANGERVAL.

Eh bien ! c’est une raison de plus pour leur rester fidèle.

LE MARQUIS.

Je vous rends grâce du conseil, mais je n’en saurais profiter ; mon parti est pris, je me consacre à la retraite.

Mme  D’ANGERVAL.

Vous ?

LE MARQUIS.

Cela vous étonne, et pourtant j’ai décidé que je passerais tout l’hiver aux Rochers.

Mme  D’ANGERVAL.

Et madame de Sévigné approuve-t-elle ce beau plan de retraite.

LE MARQUIS.

Je n’en doute pas. Ma mère trouvera tout simple qu’étant contrarié, malheureux, je n’aille point porter dans le grand monde une figure maussade, un air préoccupé, dont chacun voudrait deviner la cause, et qui m’attireraient mille questions auxquelles je serais très-embarrassé de répondre ; à moins de dire, tout naïvement : « Oui, je suis amoureux comme un sot, d’une femme qui me dédaigne ; je devrais imiter sa froideur, la chasser de mon souvenir ; eh bien, j’y pense sans cesse ; et mes efforts pour l’oublier ne servent qu’à me rappeler plus vivement tout ce qui la rend adorable. »

Mme  D’ANGERVAL.

Ah ! marquis, si l’on pouvait vous croire !

LE MARQUIS.

Pourquoi douter ainsi ?

Mme  D’ANGERVAL.

Je ne sais ; mais votre mère elle-même m’a donné de fortes préventions contre vous ; et cependant, on connaît sa faiblesse pour les extravagances de son fils.

LE MARQUIS.

Oui, mais quand sa bonté les excuse, son esprit s’en venge bien par le plaisir de les raconter.

Mme  D’ANGERVAL.

Je me souviens encore du jour où je lui ai entendu dire à mon oncle : « Mon fils est un trésor de folie ; ses sentimens sont tous vrais, sont tous faux, sont tous froids, sont tous brûlans, sont tous fripons, sont tous sincères ; enfin, son cœur n’a pas le sens commun. »

LE MARQUIS.

Ah ! si vous écoutez ma mère, je n’ai plus rien à espérer ; car, si cette mère excellente a partagé sa tendresse entre ma sœur et moi, il n’en est pas de même de son admiration. Ma sœur l’a toute entière. Moi, je suis, à son avis, le mauvais sujet de la famille. Je ne lui en veux pas de cette injustice, elle ne m’a jamais vu sérieusement épris… Mais, en parlant de ma mère, vous me rappelez que je l’ai laissée bien inquiète de l’affaire du marquis de Pomenars. Est-elle enfin jugée ?

Mme  D’ANGERVAL.

Vous voulez parler du procès de ce monsieur qui a enlevé la fille du comte de Créance ?

LE MARQUIS.

Précisément.

Mme  D’ANGERVAL.

Ah ! mon Dieu, si vous prenez quelque intérêt à ce pauvre homme, dites-lui de se bien cacher.

LE MARQUIS.

Comment, s’il m’intéresse ! c’est un de nos meilleurs amis, l’homme le plus gai, le plus spirituel… Et vous croyez qu’il est condamné ?

Mme  D’ANGERVAL.

Hélas ! oui, ils disent que la loi est positive ; et vous savez comment elle punit un ravisseur.

LE MARQUIS, vivement.

Vraiment, ce serait une infamie de laisser pendre un si bon gentilhomme pour une petite personne, qui l’a peut-être suivi de la meilleure grâce du monde. Cette affaire me force à vous quitter, madame. Il faut que, sans délai, j’aille trouver le duc de Chaulnes à Cossé ; il doit avoir reçu un courrier de Versailles, chargé de papiers que ma mère attend avec impatience. Dès qu’il me les aura confiés, je reviens près de vous pour y chercher aussi mon arrêt définitif ; tâchez qu’il ne soit pas trop sévère !

Mme  D’ANGERVAL.

Vraiment, vous m’embarrassez…

LE MARQUIS, à part.

Elle se trouble, ce soir j’obtiendrai l’aveu.

Mme  D’ANGERVAL.

Mais, si l’on vous revoit encore ici…

LE MARQUIS.

Eh bien ! l’on croira que je ne puis vivre loin de vous, et que vous supportez sans ennui ma présence ; le grand mal !

Mme  D’ANGERVAL.

C’est déjà trop prouvé peut-être.

LE MARQUIS, en lui baisant la main.

Que vous êtes divine ! et qu’on serait heureux de vous consacrer sa vie.

(Il sort.)


SCÈNE III.


Mme  D’ANGERVAL, seule.

Il est vraiment aimable ; s’il persuadait aussi bien qu’il sait plaire, il serait difficile… Mais le pauvre Saint-Clair en mourrait de chagrin ; aussi pourquoi est-il si jaloux ? Lorsqu’il me parle c’est toujours pour m’adresser quelques reproches, et puis il s’étonne de me voir préférer la conversation du marquis à la sienne… En vérité, les femmes sont bien à plaindre de n’avoir si souvent à choisir qu’entre le supplice d’être tourmentées passionnément, ou le plaisir d’être trompées avec grâce… Oh ciel ! j’entends la voix de Saint-Clair ; il vient pour me gronder encore : mais il n’en aura pas la satisfaction.

(Elle rentre dans son appartement.)


SCÈNE IV.


FRANÇOIS, SAINT-CLAIR, Le marquis de POMENARS.
SAINT-CLAIR, à François.

François, indiquez le meilleur sellier de la ville aux gens de monsieur, et venez l’avertir dès que sa voiture sera raccommodée.

(François sort.)
POMENARS.

Monsieur, c’est trop de soin, et j’aurais pu, sans vous importuner, attendre…

SAINT-CLAIR, l’interrompant.

Quoi, attendre au milieu d’une place publique, entouré de cette foule de gens qui se rassemblent déjà pour voir exécuter un supplice en peinture ; ah ! je ne saurais y consentir ; et si mes instances ne suffisent pas à un ami de madame de Sévigné pour l’engager à rester près de nous, je vais prier mon père d’y joindre les siennes.

POMENARS.

C’est bien assez, monsieur, de l’embarras que je vous cause : je vous prie, ne dérangez pas monsieur votre père.

SAINT-CLAIR.

Vraiment, il m’en voudrait toute sa vie, si je ne l’avertissais pas du bonheur qu’il a de posséder chez lui M. d’Hacqueville.

POMENARS, avec embarras.

Mais je n’ai pas l’honneur d’être connu de lui, je pense ?

SAINT-CLAIR.

N’importe, monsieur, tous les amis de madame de Sévigné ont des droits à notre prévenance, et mon père va bientôt vous le prouver ; il est encore au tribunal, mais je vous l’amène à l’instant.

(Pendant que Saint-Clair parle, Germain entre, et dépose le porte-manteau de son maître sur un siège dans le fond du théâtre.)


SCÈNE V.


POMENARS, GERMAIN.
POMENARS, riant.

Eh bien ! Germain, que dis-tu de l’aventure ?

GERMAIN.

Oui, riez-en, je vous le conseille ; elle est divertissante.

POMENARS.

Quoi ! tu n’es pas charmé de tant de politesses ?

GERMAIN.

Maudites politesses ! Dieu sait ce qu’elles nous coûteront !

POMENARS.

Que veux-tu ? Je ne pouvais pas prévoir que cet imbécille de postillon me verserait au milieu de Laval, en faisant passer ma voiture sur le perron de l’hôtel-de-ville ; et cela pour se donner le plaisir de contempler les préparatifs que l’on fait pour je ne sais quelle fête.

GERMAIN.

Belle fête vraiment ! et dans laquelle M. le marquis de Pomenars peut se vanter de jouer un joli rôle.

POMENARS.

Ah ! je devine, c’est encore quelque mauvaise plaisanterie du comte de Créance ; cet homme-là devrait bien reprendre sa fille et me laisser tranquille.

GERMAIN.

Mais c’est probablement ce qu’il fera dès que vous serez…

POMENARS, l’interrompant.

Tu as donc entendu dire quelque chose du jugement de cette ridicule affaire ?

GERMAIN.

Parbleu, chacun en parle ; et vous êtes peut-être le seul ici qui ne s’en inquiète pas davantage ; mais vous ne sortirez que trop tôt de cette belle insouciance, car le diable m’emporte, si je devine comment nous nous tirerons de ce dernier pas.

POMENARS.

Tu prends tout au sérieux toi.

GERMAIN.

Il est certain que si j’avais un ennemi, qui voulût à toute force me faire pendre, je ne m’amuserais pas à venir, dans l’endroit même où il plaiderait pour obtenir de la justice cette petite satisfaction.

POMENARS.

C’est fort bien ; mais si le hasard ou quelque accident t’y retenait, il faudrait bien en prendre ton parti.

GERMAIN.

Sans doute, mais je ne rirais pas.

POMENARS.

Et ton air consterné te ferait reconnaître ; ne serait-ce pas là de la tristesse bien placée ? Va, mon pauvre garçon, le ciel a bien fait de ne pas te destiner à l’état de séducteur, tu serais mort de frayeur à ton premier succès.

GERMAIN.

J’enrage de vous voir ainsi vous amuser d’une existence insupportable, changer de nom, de cachettes tous les mois.

POMENARS.

Ah ! cette vie a bien ses agrémens, surtout en France où les femmes aiment tant à protéger ceux que l’injustice persécute. Par exemple, dans toute autre circonstance, je n’aurais pas osé aller passer quinze jours chez madame de Sévigné, sans la prévenir au moins de ma visite. Eh bien, aujourd’hui je m’y rends en toute confiance, sûr d’un accueil enchanteur et de ces petits soins mystérieux, qui font quelquefois ressembler le malheur à l’amour.

GERMAIN.

Mais dites-moi, monsieur, comment il faut vous appeler ici ?

POMENARS.

Ce maudit postillon ayant dit que j’allais aux Rochers, je me suis vu forcé de prendre le nom d’un habitué du château ; et c’est celui de M. d’Hacqueville qui m’est venu le premier à l’idée, ne va pas l’oublier.

GERMAIN.

Vraiment, je n’ai garde ; mais savez-vous bien chez qui vous êtes ici ?

POMENARS.

Non certes ; j’ai si peu l’habitude de dire mon nom que je ne demande jamais celui de personne.

GERMAIN.

Eh bien ! vous êtes chez M. Méridec, le grand sénéchal, le président du tribunal criminel de cette ville.

POMENARS.

Bah ! vraiment ?

GERMAIN.

Enfin, chez le propre juge, dont l’arrêt vient de vous condamner à mort.

POMENARS, en riant.

Ah ! la bonne découverte, et que nous en rirons ce soir avec la marquise !

GERMAIN.

Contenez-vous, monsieur, voilà le grand juge.

(Germain sort.)


SCÈNE VI.


SAINT-CLAIR, Mme  D’ANGERVAL, MÉRIDEC, POMENARS.
SAINT-CLAIR.

Voici mon père.

MÉRIDEC, à Pomenars.

Je serais presque tenté de me féliciter, monsieur, du petit accident qui me procure l’honneur de vous recevoir.

POMENARS salue Méridec, et lui répond en regardant Mme  d’Angerval.

Monsieur, c’est moi… (à part.) Ma foi, voilà une bien jolie femme.

MÉRIDEC, à Pomenars en lui présentant sa nièce.

C’est madame d’Angerval, ma nièce, qui veut partager avec nous le plaisir de vous faire les honneurs de la maison ; elle parle mieux que moi le langage du monde, aussi c’est elle que je charge ordinairement d’exprimer ce que je pense.

Mme  D’ANGERVAL.

Il ne me sera pas difficile, mon oncle, de convaincre monsieur, du désir que nous avons de lui faire supporter patiemment la contrariété qu’il éprouve ; son titre d’ami de madame de Sévigné lui répond en tous lieux d’un accueil empressé ; elle s’entend si bien à choisir ses amis !

POMENARS.

Pas mieux, que M. votre oncle, madame, à se choisir un interprète.

Mme  D’ANGERVAL, à Saint-Clair.

Il est aimable.

SAINT-CLAIR, bas à Mme  d’Angerval avec dépit.

Le marquis ne dirait pas mieux, n’est-ce pas ?

Mme  D’ANGERVAL, de même.

J’en conviens.

MÉRIDEC.

Je vous le disais bien, nous autres gens de robe, nous n’entendons rien à ces petites phrases là. Les affaires nous prennent tant de momens, qu’il ne nous en reste plus pour apprendre à être agréables.

POMENARS.

Les devoirs d’un magistrat sont parfois fatigans à remplir !

MÉRIDEC.

Ah ! j’en connais plusieurs, qui n’en prennent qu’à leur aise, mais ce n’est point mon usage, et, pour moi, je ne crois un procès bien jugé qu’autant qu’il l’est promptement ; enfin, je suis tellement connu dans le pays pour un homme expéditif, que c’est à qui me renverra son affaire pour la voir terminée ; et l’on se trouve bien de cette confiance. Tenez, le comte de Créance en est une nouvelle preuve ; depuis plus de deux ans il poursuivait le ravisseur de sa fille, sans avoir pu obtenir du parlement au-delà d’une misérable prise de corps. L’affaire a été renvoyée à notre tribunal ; eh bien, en moins de quatre jours elle a été expédiée.

POMENARS, d’un ton ironique.

Ah ! Ah ! c’est à faire à vous.

MÉRIDEC.

Ah ! mon Dieu, le galant a été condamné tout d’une voix à être pendu,… ou bien décapité s’il fait valoir ses titres ; mais comme il n’est pas si sot que de venir ici se livrer à la justice, et qu’il se cache soigneusement, on ne peut exécuter le jugement qu’en effigie.

POMENARS.

C’est dommage !

MÉRIDEC.

À vous parler franchement, je n’en suis pas très-faché ; car voir mourir un brave gentilhomme pour une folie de jeunesse…

Mme  D’ANGERVAL.

Comment, mon oncle, vous croyez qu’on le pendrait tout de bon ?

MÉRIDEC.

Si je le crois, et n’a-t-il pas été jugé dans les formes ! Ah ! je soutiendrai à la face du ciel que ce jugement est inattaquable, et qu’il doit avoir sa pleine exécution.

SAINT-CLAIR.

Mais, mon père, ne peut-on faire grâce au coupable ?

MÉRIDEC.

Ceci ne me regarde pas, cela dépend de la clémence du prince ; la pitié, l’humanité, tout cela est fort beau en conversation. Mais la loi, le devoir passent avant tout. On ne m’a pas nommé juge pour protéger les voleurs, mais pour les faire pendre, et tant pis pour ceux qui ne volent que des filles de qualité. Mais ce n’est pas assez de parler de ses devoirs, il faut les remplir, et c’est pour veiller à ce que tout se passe suivant la forme, que je vous demande, monsieur, la permission de vous quitter un instant. Saint-Clair, suis-moi ; ma nièce tiendra compagnie à monsieur.

(Ils sortent.)


SCÈNE VII.


Mme  D’ANGERVAL, POMENARS.
POMENARS.

Il paraît, madame, que monsieur votre oncle ne met pas moins de zèle à punir qu’à obliger.

Mme  D’ANGERVAL.

Oui, je dois en convenir ; sur ce qui a rapport à la magistrature, il a toute la sévérité de la justice, et ne croit pas qu’on puisse être indulgent pour un coupable, sans le devenir soi-même envers toute la société : que voulez-vous, c’est une religion…

POMENARS.

Qui a son fanatisme comme toutes les autres : mais je suis bien convaincu que monsieur votre oncle…

Mme  D’ANGERVAL.

Ah ! c’est le plus indulgent des hommes pour sa famille.

POMENARS, à part.

Pourquoi ne suis-je pas seulement son cousin !

Mme  D’ANGERVAL.

Madame de Sévigné pourra vous l’affirmer, et son fils prétend que, dans la personne de mon oncle, le juge et l’ami n’ont pas la moindre ressemblance.

POMENARS, d’un air malin.

Ah ! vous connaissez le marquis !

Mme  D’ANGERVAL

Oui, monsieur, dans les fréquens voyages qu’il fait en Bretagne, il ne manque jamais de s’arrêter ici.

POMENARS.

J’aurais dû m’en douter ; partout où il se trouve une jolie femme, on est bien sûr d’entendre parler de lui.

Mme  D’ANGERVAL.

Ah ! monsieur…

POMENARS.

Puisqu’il a le bonheur d’être connu de vous, madame, oserais-je vous demander quelle est votre opinion sur son compte ; car il est capable de s’être fait, pour la province, un caractère tout différent de celui qu’il nous montre à la cour.

Mme  D’ANGERVAL.

Je ne le connais pas assez intimement pour décider de son mérite ; mais mon oncle, qui l’a vu naître, prétend qu’il a le meilleur cœur possible, et que, sans les mauvais conseils de certaines personnes qui l’entourent…

POMENARS, avec ironie.

Il serait parfait, n’est-ce pas ?… Quel dommage qu’un jeune homme si pur se laisse entraîner par l’exemple de ces étourdis !… Et qui peut-on accuser de ce tort impardonnable ?

Mme  D’ANGERVAL.

Mais on cite le chevalier de Grammont, M. le duc de Lauzun, et plus particulièrement encore ce pauvre marquis dont nous parlions tout à l’heure.

POMENARS.

Quoi ! Pomenars est au rang des coupables ?

Mme  D’ANGERVAL.

On prétend qu’à lui seul il pervertirait un saint.

POMENARS, d’un air flatté.

Vraiment ; je ne lui croyais pas tant de mérite.

Mme  D’ANGERVAL.

C’est un écervelé, qui se moque de tout.

POMENARS.

Même de lui, je gage.

Mme  D’ANGERVAL.

Il faut que sa réputation d’insensé soit bien établie, puisque le marquis de Sévigné lui-même convient que son ami a bien la plus mauvaise tête…

POMENARS, à part.

L’avis est charitable, et je m’en souviendrai.

Mme  D’ANGERVAL.

Mais c’est trop médire d’un homme malheureux, et ce moment le punit assez de ses fautes ; n’en parlons plus.

POMENARS.

Soit, je ne m’y intéresse guère plus que vous. Revenons au marquis de Sévigné. Si vous l’honorez de tant de bienveillance, il a dû vous confier souvent les secrets de son cœur.

Mme  D’ANGERVAL.

Sans posséder toute sa confiance, j’attache un très-grand prix à son amitié.

POMENARS.

À son amitié ? il ne s’était pas encore fait, auprès des femmes, la réputation d’un respectable ami ; c’est un nouveau titre qu’il vous devra, madame ; mais soit dit entre nous, je crois qu’il les trompe beaucoup moins qu’elles ne le prétendent ; car pour peu qu’on le connaisse, on voit bien vite ce que l’on doit attendre de sa légèreté.

Mme  D’ANGERVAL.

Ah ! vraiment il a trop d’esprit pour se montrer aussi frivole aux yeux de la femme qu’il veut captiver. Près d’elle, il feint la langueur, la passion, le désespoir même, et je vous affirme que lorsqu’il veut s’en donner la peine, il parle avec tant de chaleur de son amour que, malgré soi, l’on est tenté d’y croire.

POMENARS, à part.

C’est-à-dire qu’elle y croit… Il faut la désabuser… (Haut.) Puisque vous êtes si indulgente pour les folies du marquis, on peut vous en parler. Savez-vous s’il s’est enfin débarrassé de cette petite Bretonne qui voulait à toute force l’épouser, malgré ses engagemens bien connus avec la Champmêlé, Ninon, et tant d’autres ?

Mme  D’ANGERVAL

Je ne suis pas au courant de ses aventures galantes ; mais je les apprendrai avec plaisir.

POMENARS.

Je ferais peut-être mal de vous les raconter.

Mme  D’ANGERVAL.

Non, vous le pouvez sans crainte ; je serai charmée de savoir pour quelle beauté il soupire aujourd’hui.

POMENARS.

Mais ce serait plutôt à vous de m’en instruire, madame ; car il ne reste jamais si long-temps en province sans y faire quelque victime.

Mme  D’ANGERVAL

Le monstre !

POMENARS.

Et vous connaissez sans doute l’infortunée qui lui sacrifie son repos en ce jour.

Mme  D’ANGERVAL.

Non, j’ai bien entendu parler d’une jeune femme à laquelle il rendait, depuis quelque temps, des soins fort assidus, et qui aurait peut-être fini par croire aux assurances de son amour, si un hasard fort heureux ne l’avait éclairée sur le danger qui la menaçait.

POMENARS.

Ces hasards-là ne se rencontrent guère avant le naufrage.

Mme  D’ANGERVAL.

Je puis vous le certifier, cette femme-là a été prévenue à temps.

POMENARS.

Ah ! madame ! contez-moi cette histoire, pour que j’en réjouisse un peu madame de Sévigné ; car vous saurez que son fils, qui nous amuse chaque soir du récit de ses conquêtes provinciales, ne nous parle jamais de ses revers. On l’adore toujours, on lui écrit des lettres brûlantes…

Mme  D’ANGERVAL

Oui, quand on lui écrit.

POMENARS.

Qu’il envoie à Ninon par le même courrier, et toujours en lui recommandant d’en citer les passages les plus burlesques à Boileau, à Molière et à tous ses amis. Mais si nous pouvions à notre tour envoyer à Paris une petite relation de quelque déroute complète ; ah ! ce serait une chose excellente et qui ferait un bruit !

Mme  D’ANGERVAL

Ah ce serait charmant ! Eh bien, je vous la promets. (À part.) Au moins je me vengerai.

POMENARS.

Que vous êtes bonne !

Mme  D’ANGERVAL.

Pour mériter cet éloge, monsieur, je vais à l’instant même recueillir tous les faits de cette romanesque aventure, et je reviendrai bientôt vous en apprendre les détails.

POMENARS.

Combien je vous devrai de remercîmens pour cette charmante histoire.

Mme  D’ANGERVAL.

Je n’y mets d’autre condition que de la raconter le plus souvent possible.

POMENARS.

Reposez-vous sur moi du soin de sa publicité.


SCÈNE VIII.


GERMAIN, FRANÇOIS (portant un tableau représentant un portrait de famille), POMENARS.
POMENARS, sans les apercevoir.

Elle a beau se contraindre, son dépit m’apprend que j’ai deviné juste. Sévigné en sera furieux ; car il m’est bien démontré que, sans ma charitable indiscrétion, cette charmante personne le croirait encore un héros d’amour et de fidélité ; mais je n’en ai pas beaucoup de regrets, je rends peut-être à tous deux un bien grand service.

FRANÇOIS

Grand merci, camarade, ce chien de cadre est si lourd que je n’aurais jamais pu le porter à moi seul.

GERMAIN.

Est-il bien posé comme cela ?

FRANÇOIS.

Très-bien ; pourvu que notre maître puisse juger de la tournure, c’est tout ce qu’il nous faut.

POMENARS.

Ah ! c’est toi, Germain ; que fais-tu là ?

GERMAIN.

Monsieur, j’aide ce brave garçon à porter cette grande figure, qui doit, à ce qu’il dit, servir de modèle à l’effigie de ce monsieur, dont j’ai oublié le nom.

POMENARS, riant.

Quoi ! c’est là la figure qui doit représenter ce malheureux Pomenars ! Ah ! fi donc ! quelle horreur !

GERMAIN, à part.

Allons, il va, je gage, lui donner son portrait.

FRANÇOIS.

Ma foi : monsieur, je ne réponds pas de la ressemblance, car je ne l’ai jamais vu ; mais, en ma qualité d’ancien peintre d’enseigne, je suis connu pour savoir un peu manier le pinceau, et l’on m’a chargé d’enluminer une figure quelconque pour servir à la cérémonie d’aujourd’hui ; comme j’avais un gentilhomme à peindre je me suis rappelé le portrait de ce vieux marquis, et j’ai pensé qu’en le retouchant un peu cela ferait mon affaire.

GERMAIN.

Tu crois donc que tous les marquis se ressemblent ?

FRANÇOIS.

Mais à peu près, mon ami.

POMENARS.

Ah ! je t’affirme bien que Pomenars aimerait mieux cent fois mourir que de passer dans le monde pour avoir cette figure abominable.

FRANÇOIS.

Monsieur connaît peut-être l’original ?

POMENARS.

Oui, je connais un peu l’original… et toi aussi, Germain, tu le connais ?

GERMAIN.

Moi, monsieur, je ne l’ai jamais vu.

POMENARS.

Allons donc, tu plaisantes ?

GERMAIN.

Non vraiment, j’ai bien entendu dire que c’était un grand homme, blond, pâle, d’un air triste et lugubre.

FRANÇOIS.

Eh bien ! cela ne ressemble pas mal à cette figure.

POMENARS.

Ne le crois pas, mon ami ; tu vois bien qu’il s’amuse.

GERMAIN.

Non, non, je ne m’amuse pas du tout.

POMENARS.

Comment ! tu ne te souviens pas de l’avoir vu venir cent fois chez moi, avec son petit valet qui a toujours l’air effaré, et qui te ressemble un peu.

GERMAIN, avec empressement.

Si fait, si fait ; maintenant je me les rappelle. (À part.) Convenons-en bien vite, sans cela il va lui faire ma caricature.

FRANÇOIS.

D’après tout ce que vous dites, me voilà fort embarrassé, moi.

POMENARS.

Ne t’inquiète pas, mon ami ; laisse-moi tout cela. Va-t’en. Dans un quart-d’heure, tu trouveras tout fini, et je te livrerai ma… ta figure.

FRANÇOIS.

Ah ! monsieur, que je vous ai d’obligation.


SCÈNE IX.


POMENARS, GERMAIN.
GERMAIN.

Eh bien ! monsieur, qu’allez-vous faire là ?

POMENARS.

Je vais esquisser mon effigie… encore faut-il qu’on me reconnaisse.

GERMAIN.

Oui, c’est bien nécessaire, pour ce qui vous en reviendra de bon !

POMENARS, en peignant.

Tiens, ne trouves-tu pas que cela prend de la tournure ? Que dis-tu de la pose ?

GERMAIN.

Elle est commode, la pose !

POMENARS.

Tu ne peux pas encore juger de l’effet. (À part.) Faisons-lui peur. (Haut.) Quand on te verra ici, à côté de moi, ce sera bien autre chose, vraiment. Allons, mets-toi là.

GERMAIN.

Qu’est-ce que vous dites donc, monsieur ? je ne dois pas figurer dans cette affaire.

POMENARS.

Ah ! tu vas peut-être dire que tu ne t’en es pas mêlé ?

GERMAIN.

Mêlé… sans doute, mais c’était par votre ordre.

POMENARS.

Oui, mais tu n’en as pas moins été complice.

GERMAIN.

Ô ciel ! complice !…

POMENARS.

Oui, mon ami, tous ceux qui se mêlent d’enlèvement sont complices, et tu dois partager mon sort ; d’ailleurs tu sais bien ce que t’a valu cette affaire-là.

GERMAIN.

Monsieur, je vous jure que c’est par pur attachement.

POMENARS.

Eh bien ! mon ami, cet attachement-là te force à m’accompagner partout ; et je te mets dans le tableau.

GERMAIN.

Monsieur, ne plaisantons pas sur ces choses-là. Je vous ai servi, il est vrai ; mais un pauvre domestique n’est pas responsable des folies de son maître. Et si cela vous est égal de mourir d’une manière si… éclatante… je ne suis pas ambitieux moi, je me contenterai de finir comme tout le monde.

POMENARS.

Allons, prends courage. Tout ce que je peux faire pour toi, c’est de te mettre sur le second plan.

GERMAIN.

Monsieur, vous me faites trop d’honneur.

POMENARS.

Non, je veux que tu sois traité en gentilhomme.


SCÈNE X.


GERMAIN, POMENARS, Mme  de SÉVIGNÉ, MÉRIDEC.
GERMAIN, bas à Pomenars avec effroi.

Ô ciel ! madame de Sévigné ; monsieur, nous sommes perdus.

POMENARS, bas à Germain, et sans se retourner.

Tais-toi, et va-t’en.

(Germain sort.).
Mme  DE SÉVIGNÉ, à Méridec.

Comment, je vais trouver ici ce cher M. d’Hacqueville ?

MÉRIDEC, montrant Pomenars.

Madame, le voilà.

POMENARS, se retournant pour saluer madame de Sévigné.

Eh bonjour, adorable marquise.

Mme  DE SÉVIGNÉ, avec la plus grande surprise.

Ah ! mon Dieu…

POMENARS.

Vous me trouvez un peu changé, n’est-ce pas ? Ah ! j’ai été fort mal depuis que je ne vous ai vue, et je ne suis pas encore tout-à-fait hors de danger ; mais je compte sur vos bons soins pour achever ma guérison.

Mme  DE SÉVIGNÉ, à part.

Quelle imprudence !

MÉRIDEC.

Pourquoi donc ne nous avoir pas dit que vous étiez souffrant, nous nous serions empressés…

POMENARS.

Monsieur, c’est trop de bonté ; je ne me sens plus qu’un peu de malaise.

Mme  DE SÉVIGNÉ

Mais du moins, prévient-on ses amis de ce qu’on souffre.

MÉRIDEC.

C’est que, sur ma foi, l’on ne se douterait pas que monsieur fût malade.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Oh ! que si, vraiment ; vous avez bien vu que, malgré moi, je n’ai pu lui cacher ma surprise de son changement extrême ; mais, c’est qu’il est maigri à faire peur.

POMENARS

Que son cœur a d’esprit !

MÉRIDEC.

Je ne puis juger du changement ; mais je répondrais bien qu’avec ce visage-là et cet air enjoué, on doit se tirer d’affaire quelle que soit la maladie.

POMENARS

Que le ciel vous entende !

Mme  DE SÉVIGNÉ.

M. le sénéchal a raison, et je crois qu’il ne tiendrait qu’à vous de recouvrer le repos et la santé ; mais il faudrait pour cela suivre un régime austère, renoncer à se montrer sans cesse dans le monde, et ne pas commettre imprudence sur imprudence.

MÉRIDEC.

C’est bien dit, cela, car les jeunes gens d’aujourd’hui mènent une vie !…

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Celui-ci ne s’amuse qu’à risquer la sienne.

POMENARS.

Maintenant que je vois l’intérêt qu’elle vous inspire, je vous promets de faire tout ce qui dépendra de moi pour la conserver.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Il est bien temps !

POMENARS.

Puisque M. le sénéchal répond de mon salut, j’aurais tort d’en douter ; on sait que ses jugemens sont irrévocables ; et, sans contredit, de tous ceux qu’il a rendus, cet arrêt est bien celui dont je désire le plus vivement l’exécution. Mais dites-moi donc, madame, quel bon génie vous amène aujourd’hui à Laval ?

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Hélas ! je venais m’informer d’une affaire qui regarde un de nos amis, et j’ai le chagrin d’apprendre que malgré les plus puissantes recommandations, nous n’avons rien pu obtenir en sa faveur.

MÉRIDEC.

C’est avec bien du regret, madame la marquise, que je me suis vu forcé d’user de rigueur en cette circonstance ; mais vous connaissez les devoirs d’un magistrat, et vous savez que je mourrais plutôt que de les trahir.

POMENARS, à la marquise.

Vous veniez peut-être dans l’espérance que votre esprit et vos grâces exerceraient ici, comme à la cour, leur empire ordinaire ? Mais pour cette fois, vous n’aurez pas les honneurs du triomphe, car M. le sénéchal me paraît à l’abri de toute séduction, même de la vôtre.

MÉRIDEC.

Mais s’il n’en était pas ainsi, monsieur, que penserait-on de la justice ? Votre Molière s’en moque déjà bien assez, vraiment, sans lui offrir une occasion de plus de faire rire le public aux dépens des juges : car il ne les traite pas mieux que les médecins.

Mme  DE SÉVIGNÉ, bas à Pomenars.

C’est peut-être bien qu’il leur trouve la même manie. (Haut.) Mais je ne vois pas votre charmante nièce, monsieur le sénéchal, et pourtant je serais désolée de repartir sans avoir eu le plaisir de l’embrasser.

MÉRIDEC.

Quoi, vous voulez déjà nous quitter, madame ?

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Oui, je suis très-pressée de retourner aux Rochers. (À Pomenars.) Vous m’accompagnerez, d’Hacqueville ?

POMENARS.

Je suis à vos ordres.

MÉRIDEC.

Ah ! je vous demande un seul instant pour ma nièce ; elle ignore sûrement que madame la marquise soit ici. Je vais l’en faire prévenir.

(Il sort.)


SCÈNE XI.


POMENARS, Mme  de SÉVIGNÉ.
Mme  DE SÉVIGNÉ.

Êtes-vous assez effronté ?

POMENARS.

Et vous assez parfaite ?

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Mais songez donc qu’un mot pouvait vous perdre.

POMENARS.

Ah ! je savais bien que vous ne le diriez pas.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

C’est aussi trop compter sur la présence d’esprit de ses amis ; et vous avez vu que mon étonnement a pensé vous trahir. Mais comment s’attendre à rencontrer le marquis de Pomenars chez son juge, le jour même où l’on doit exécuter sa sentence.

POMENARS.

Vous conviendrez que je ne saurais être plus en sûreté nulle part ; car ceux qui courent après moi n’auront certes pas l’idée de venir me chercher ici.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Si du moins j’avais été prévenue par le moindre signe ; mais se retirer dans un coin du salon, pour se montrer tout à coup, comme si vous aviez craint de voir manquer l’effet de votre apparition ! et que faisiez-vous là ?

POMENARS.

Je m’achevais de peindre.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Comment ?

POMENARS.

Oui, je retouchais le costume de mon effigie ; car si peu de prétentions qu’on ait, encore faut-il se soigner davantage lorsqu’on doit paraître en public.

Mme  DE SÉVIGNÉ, riant.

Ah ! la bonne extravagance ; je vous promets d’en amuser ma fille, dès que je pourrai lui mander que nous n’avons plus rien à craindre pour une tête aussi folle ; car, en dépit de vous, nous la sauverons, j’espère.

POMENARS.

Je vous la confie de tout mon cœur, mais je vous préviens que le comte de Créance en a bien envie.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Eh bien ! c’est un plaisir qu’il ne faut pas lui donner.

POMENARS.

Je ne demande pas mieux que de lui refuser cette petite satisfaction ; mais que faire ?

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Lui en offrir une autre.

POMENARS.

Bon, je lui ai déjà proposé dix fois de me battre avec toute sa famille.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Mais cela ne rendrait pas l’honneur à sa fille.

POMENARS.

Ah ! je vous entends, vous voulez me la faire épouser.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

À vous parler vrai, je crois que cette réparation serait digne d’un galant homme.

POMENARS.

Oui, je sais qu’on nous fait une loi d’épouser la femme qui s’est compromise pour nous ; et je me serais peut-être déjà conformé à l’usage, si M. de Créance était moins brutal, et sa fille plus jolie.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Raison de plus pour vous décider ; je vous ai toujours entendu dire qu’il n’y avait pas d’homme plus malheureux que le mari d’une jolie femme.

POMENARS.

Si ce n’est le mari d’une laide ; mais cet inconvénient n’est pas le seul que j’aurais à braver.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

N’êtes-vous point aimé ?

POMENARS.

Bien au contraire, je me plaindrais plutôt de l’avoir été un peu trop vite.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Bah ! qu’importe !

POMENARS.

Écoutez donc, je ne suis pas plus aimable que beaucoup d’autres, et il serait très-possible…

Mme  DE SÉVIGNÉ, riant.

Et quand cela serait, cela vaut toujours mieux que d’être pendu.

POMENARS.

Ah ! vous croyez ?

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Mais, il ne s’agit pas de votre avis sur ce point. J’ai promis au duc de Chaulnes de vous faire consentir à ce mariage ; mon fils lui-même s’est rendu garant de votre soumission ; et c’est pour en donner une nouvelle assurance qu’il est allé ce matin même à Cossé, où se trouve maintenant le gouverneur des états.

POMENARS.

Quoi, Sévigné est aussi du complot ?

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Il sent bien qu’on ne peut obtenir votre grâce qu’à ce prix ; et puis il croit, dans sa conscience, qu’après un tel éclat, la réparation est indispensable.

POMENARS.

De ma part, sans doute ; car s’il fallait en exiger autant de la sienne, vous le trouveriez moins ferme dans ses grands principes ; on n’a jamais tant de morale que pour ses amis.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Cela se peut, mais ce que sa raison ne m’accorderait pas, je l’obtiendrais de son cœur : vous savez qu’il cède toujours à la crainte de m’affliger ; seriez-vous moins docile ?

POMENARS, avec émotion.

Eh ! qui pourrait vous résister ! le charme d’une telle amitié rend tous les sacrifices faciles.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Eh bien, ne perdons pas de temps ; un mot de votre main peut décider du succès, venez l’écrire, et je me charge du reste ; mais ici l’on pourrait nous surprendre, passons dans le cabinet du sénéchal ; car je tremble à tout moment de voir arriver quelqu’un qui vous connaisse.

POMENARS.

Moi je ne crains plus rien, vous êtes ma providence.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

On vient, suivez-moi.

(Ils entrent dans le cabinet du président.)


SCÈNE XII.


SAINT-CLAIR, Mme  D’ANGERVAL.
SAINT-CLAIR.

Comment, serait-il vrai, qu’après tant de tourmens, vous consentiez enfin ?…

Mme  D’ANGERVAL.

Oui, Saint-Clair, un amour si fidèle devait toucher mon cœur, et peut-être en aurais-je dû plutôt apprécier la sincérité.

SAINT-CLAIR.

Ah ! ce moment de bonheur vous acquitte bien de tout ce que j’ai souffert. Il ne faut donc plus que je sois jaloux !

Mme  D’ANGERVAL.

Non, je vous le défends.

SAINT-CLAIR.

Pas même du marquis ?

Mme  D’ANGERVAL, en souriant.

À moins que cela ne vous amuse. Cependant je ne vous le conseille pas ; c’est un plaisir dont il est fort inutile de réjouir sa vanité. Je préfère la confondre ; mais pour que cela soit, il faut que vous paraissiez au devant de lui avec tout le calme d’une personne qui n’a rien à craindre d’un rival.

SAINT-CLAIR.

Vous en demandez beaucoup.

Mme  D’ANGERVAL.

Ce n’est pas tout encore. Il va venir, et vous me laisserez lui parler sans témoin du parti que j’ai pris de vous donner ma main.

SAINT-CLAIR.

Vous croyez qu’il ne pourrait pas l’apprendre de sa mère ?

Mme  D’ANGERVAL.

Non, je ne le veux pas.

SAINT-CLAIR.

Puisque vous l’ordonnez…

Mme  D’ANGERVAL.

Mais je l’entends… Allez, et croyez-moi digne d’une telle confiance.

SAINT-CLAIR, en lui baisant la main.

J’obéis ; mais ne vous vengez pas du marquis trop long-temps.

(Il sort par une porte de côté.)


SCÈNE XIII.


Mme  D’ANGERVAL, le marquis de SÉVIGNÉ, GERMAIN.
LE MARQUIS, à Germain, dans le fond du théâtre.

Quoi ! ton maître est ici ?

GERMAIN.

Oui, monsieur le marquis ; j’accours pour vous en prévenir, et vous dire qu’il y est sous le nom de M. d’Hacqueville.

LE MARQUIS.

Il suffit, sois sans inquiétude.

GERMAIN, à part.

Grâce à Dieu, nous voilà encore une fois sauvés.

(Il sort.)


SCÈNE XIV.


Mme  D’ANGERVAL, le marquis de SÉVIGNÉ.
LE MARQUIS.

En vérité, madame, tout se réunit pour mettre le comble à mon impatience. J’ai eu mille peines à rejoindre le duc de Chaulnes ; et je sens que, malgré son obligeance, je ne lui pardonnerai jamais de m’avoir ravi les momens que je pouvais passer auprès de vous.

Mme  D’ANGERVAL.

Soyez sans nul regret : vous arrivez encore à temps pour rencontrer madame de Sévigné.

LE MARQUIS, à part avec surprise.

Oh ciel ! ma mère ?… (Haut.) Et savez-vous quel motif l’amène ici ?

Mme  D’ANGERVAL.

Je l’ignore. J’étais absente lors de son arrivée, mon oncle m’en a fait prévenir ; et croyant trouver la marquise dans ce salon, je m’y suis rendue pour la recevoir ; mais elle est sans doute chez mon oncle avec M. d’Hacqueville.

LE MARQUIS, à part.

C’est-à-dire, avec Pomenars. (Haut.) Puisque vous n’avez point encore vu ma mère, je n’ai pas à craindre de nouvelles préventions contre moi, n’est-ce pas ?

Mme  D’ANGERVAL, avec ironie.

Qu’avez-vous à redouter de l’indiscrétion de votre meilleure amie ? n’êtes-vous pas à l’abri de tout reproche ?

LE MARQUIS.

Sans doute, en fait de reproche, je ne me fais que celui de ne pas vous plaire assez.

Mme  D’ANGERVAL.

Celui-là ne vous tourmente pas beaucoup, je pense.

LE MARQUIS.

Mais vous n’avez qu’un mot à dire pour que je ne m’en tourmente pas du tout.

Mme  D’ANGERVAL.

Ce mot à dire est parfois embarrassant… J’aimerais mieux vous l’écrire.

LE MARQUIS.

Non, je vous connais, vous ne l’écrirez pas. Vous avez un fonds de méfiance…

Mme  D’ANGERVAL.

Bien injuste, n’est-ce pas ?… Ah ! vous m’en corrigerez…

LE MARQUIS.

Mon amour en triomphera. Mais ne différez point un aveu qui doit faire le destin de ma vie ; daignez répondre…

Mme  D’ANGERVAL.

Non, jamais je ne pourrai prononcer… Une lettre s’écrit plus facilement ; et puis c’est un souvenir que l’on peut garder… et montrer au besoin…

LE MARQUIS.

Ah ! m’en croiriez-vous capable ?

Mme  D’ANGERVAL.

Non, ce serait vous faire injure. D’ailleurs, comment supposer qu’avec tant de moyens de plaire, sans protester de l’amour que vous n’éprouvez pas, vous vous réduisiez à jouer envers moi le rôle d’amant perfide ! Belle gloire, vraiment, que celle d’ajouter à la liste des plus brillantes conquêtes, le nom d’une femme de province, dont l’aventure n’offrirait guère d’autre plaisir que celui de la raconter à mademoiselle de Lenclos, ou bien à quelque autre.

LE MARQUIS, à part.

Pomenars a parlé… et cela dans le moment où je… L’ingrat !…

Mme  D’ANGERVAL.

Mais qu’avez-vous donc ? ce discours vous offenserait-il ?

LE MARQUIS, d’un air fin.

Vraiment, j’aurais grand tort de m’en offenser, vous le dites dans une si bonne intention.

Mme  D’ANGERVAL.

Ah ! votre intérêt seul m’inspire, et je veux vous le prouver en vous donnant un conseil salutaire. Croyez-moi, réservez pour la cour ce merveilleux talent de feindre et de mener dix intrigues à la fois. En ces lieux un tel mérite ne saurait être apprécié ; et ce serait dommage de perdre tant d’esprit en province.

LE MARQUIS.

Je vous comprends, madame. (À part.) Traître de Pomenars ! Ceci mérite bien une petite vengeance.

Mme  D’ANGERVAL.

L’aventure le surprend ; et je crois qu’il gardera le secret de celle-ci.


SCÈNE XV.


Le marquis de SÉVIGNÉ, SAINT-CLAIR, Mme  D’ANGERVAL, MÉRIDEC, Mme  de SÉVIGNÉ, Le marquis de POMENARS.
(Méridec et Saint-Clair arrivent par la porte du fond du théâtre, au même instant que madame de Sévigné et Pomenars sortent du cabinet.)


LE MARQUIS, à part.

Fort bien, j’aperçois le sénéchal. (Haut, en allant au-devant de Pomenars.) Eh ! bonjour, mon cher Pomenars.

TOUS, avec surprise.

M. de Pomenars !

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Oh ciel ! mon fils…

POMENARS, à Méridec.

Oui, monsieur, c’est lui-même ; c’est lui qui, forcé de s’arrêter ici, et de céder à vos instances, s’est vu dans la nécessité de vous cacher son nom.

MÉRIDEC.

Ah monsieur ! à quelle affreuse alternative me réduit votre imprudence !

POMENARS, avec dignité.

Je sais, monsieur, tout ce que le devoir vous commande, et vous me voyez prêt à vous obéir.

Mme  D’ANGERVAL.

Non, monsieur, vous n’obéirez point : vous n’êtes pas seulement ici chez mon oncle, mais chez moi ; et si son devoir le condamne à vous perdre, le mien est de vous sauver.

POMENARS.

Ah madame ! je suis pénétré…

Mme  SÉVIGNÉ, à son fils.

Malheureux, qu’avez-vous fait ?

LE MARQUIS, en riant.

Une petite malice pour me venger d’une grande ; voilà tout ; mais c’est assez punir un indiscret ami.

Mme  SÉVIGNÉ.

Que voulez-vous dire ?

LE MARQUIS.

Que M. le duc de Chaulnes, en me remettant la grâce que le roi accorde à M. de Pomenars, ne m’a pas défendu de la lui faire acheter par un moment d’inquiétude.

MÉRIDEC.

Serait-il vrai ?

LE MARQUIS, en remettait une lettre au sénéchal.

La voici.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

J’aurais dû le deviner.

POMENARS, à la marquise.

Ah ! mon excellente amie !

Mme  D’ANGERVAL, au marquis.

Vraiment, monsieur le marquis, vous punissez vos amis par d’étranges frayeurs.

LE MARQUIS.

Ah ! je lui devais bien cela, convenez-en ?

MÉRIDEC.

Croyez, monsieur, que ce moment est un des plus heureux de ma vie.

SAINT-CLAIR, à Pomenars.

Et que j’en partage d’autant mieux la joie, que je m’en voulais cruellement de vous avoir retenu.

POMENARS.

Vous aviez tort, vraiment ; car je me consolais de tout, en pensant que, pour la première fois de ma vie, je n’avais pas à me reprocher l’imprudence qui devait me perdre.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

En effet, c’était jouer de bonheur. (Au marquis, en montrant Pomenars.) Mais que va-t-il devenir, sans procès à perdre, sans poursuites à éviter, sans périls à braver ? En vérité, je crains qu’il n’en tombe en langueur ; car il faut lui rendre justice, sa gaieté augmentait en même temps que ses affaires criminelles : une de plus, et il mourait de joie.

LE MARQUIS.

Puisqu’il trouve tant de plaisir à braver le danger, il pourra s’en amuser encore. Je viens de me rendre caution de son prochain mariage.

POMENARS.

Ah ! c’est pousser la vengeance un peu loin !

Mme  SÉVIGNÉ.

N’importe, vous avez promis de souscrire à cette condition.

POMENARS.

Et je tiendrai ma parole ; vous l’exigez :

Je cède, et laisse aux dieux opprimer l’innocence.

Mme  SÉVIGNÉ.

Vous le voyez, malgré sa prise de corps, il était à la pièce nouvelle.

POMENARS, avec enthousiasme.

Que ne risquerait-on pas pour entendre un chef-d’œuvre de Racine !

MÉRIDEC

Pour consacrer à jamais dans ma famille le souvenir de ce beau jour, il faut que madame de Sévigné obtienne de ma nièce le bonheur de mon fils.

Mme  D’ANGEVAL.

Je ne céderai qu’à vos instances, madame. Pour me croire de vos amis, il faut bien que mon bonheur soit aussi votre ouvrage.

LE MARQUIS, bas à madame d’Angerval.

Vous faut-il aussi mon consentement ?

Mme  D’ANGERVAL, au marquis.

Mon amitié l’obtiendra de la vôtre.

Mme  SÉVIGNÉ, à Saint-Clair et à madame d’Angerval.

Eh bien, soit, je vous ordonne d’être heureux.

POMENARS, à la marquise.

Et à moi ?

Mme  SÉVIGNÉ.

D’être sage.


SCÈNE XVI et dernière.


SAINT-CLAIR, Mme  D’ANGERVAL, le marquis de SÉVIGNÉ, MÉRIDEC, Mme  de SÉVIGNÉ, POMENARS, GERMAIN.
GERMAIN.

La voiture de monsieur est prête, les chevaux sont mis à celle de madame la marquise.

Mme  SÉVIGNÉ.

Profitons-en, pour nous rendre tous aux Rochers.

LE MARQUIS.

Moi, je pars en avant ; je veux être le premier à répandre la nouvelle de la grâce de notre cher Pomenars.

GERMAIN, sautant de joie.

Quoi ! mon maître n’est plus condamné.

POMENARS.

Qu’à se marier, mon ami.

Mme  DE SÉVIGNÉ.

Allons suivez-moi tous, venez réjouir mon bon oncle de cette heureuse aventure ; pendant que vous lui en ferez le récit, j’irai l’écrire à ma fille.


FIN.