Le Mari de la veuve


Le mari de la veuve


1832
M. de Vertpré, mari de Mme de Vertpré

mme de vertpré


ACTE I


Scène I

madame de vertpré, hélène

Madame de Vertpré entre d’un côté, tandis qu’Hélène entre de l’autre. Madame de Vertpré est en costume du matin ; elle jette sur un fauteuil une écharpe qu’elle tient à la main.

madame de verpré Eh bien, mademoiselle, je sonne, j’appelle, et vous ne venez pas. Que faisiez-vous donc, s’il vous plaît ?

héléne J’habillais mademoiselle Pauline.

madame de vertpré Descendez chercher mes lettres ; j’en attends une avec impatience, et je viens de voir entrer le facteur.


héléne, ouvrant la porte pour descendre Voici Joseph qui les monte, les lettres.

madame de vertpré madame de vertpré Prenez-les et donnez-les-moi. C’est bien.


héléne Puis-je retourner auprès de mademoiselle Pauline ?

madame de vertpré, lisant les adresses Non, restez. « Madame de vertpré » elle jette la lettre « madame adèle de Vertpré » C’est son écriture. elle l’ouvre Aujourd’hui !… il arrive aujourd’hui ! Cher Paul !… Venez, Hélène, et écoutez bien ce que je vais vous dire ; ce matin, un monsieur de trente-cinq à trente-six ans se présentera pour me parler ; si je suis avec quelqu’un, vous me préviendrez ; si je suis seule, vous le ferez entrer.


héléne Madame veut-elle me dire son nom ?

madame de vertpré C’est inutile, vous le reconnaîtrez sans qu’il se nomme. Excepté M. Léon Auvray, fiancé de Pauline, qui vient nous voir tous les jours à cette campagne, je ne reçois personne ; ainsi…

héléne Si je me trompais, alors madame ne m’en voudrait pas ?

madame de vertpré Des cheveux bruns, des yeux noirs, taille moyenne ; voilà son signalement, retenez-le.

héléne Si M. Léon était avec madame, cela ne ferait rien ?

madame de vertpré Non, sans doute.

héléne Mais si madame était à sa toilette ?

madame-de-vertpré Vous le conduiriez près de moi.

héléne Sans prévenir madame ?

madame-de-vertpré Sans me prévenir.

héléne Je demande pardon à madame de toutes mes questions, mais madame n’a pas l’habitude de recevoir tout le monde.

madame-de-vertpré La personne que j’attends n’est pas tout le monde. héléne Je voulais dire les étrangers.

madame-de-vertpré Ce monsieur n’est point un étranger.

héléne Madame peut être tranquille, aussitôt que son parent sera arrivé…

madame-de-vertpré Je n’attends pas de parents.

héléne Alors, je devine.

madame-de-vertpré Vous devinez fort mal

héléne C’est… madame-de-vertpré Mon mari, mademoiselle. héléne Le mari de madame ? Mais tout le monde la croit veuve.

madame-de-vertpré Mais tout le monde se trompe. Maintenant, écoutez : comme vos questions indiscrètes, vos suppositions plus indiscrètes encore m’ont forcée envers vous à une confidence que je ne comptais pas vous faire, vous aurez la bonté de garder le silence, ou, à la moindre indiscrétion, vous entendez, à la moindre, je serais obligée de vous renvoyer, Hélène, et cela malgré l’affection que je vous porte ; car ce secret n’est point à moi seule, et il pourrait compromettre une personne qui m’est plus chère que moi-même.

héléne Oh ! madame, soyez sûre !…

madame-de-vertpré C’est bien. Vous voilà prévenue, ainsi soyez discrète. On monte. Elle-entre-à-moitié-dans-sa-chambre. Voyez qui c’est.

héléne, regardant M. Léon ! Faut-il dire que madame n’y est pas ?

madame-de-vertpré Non, dites-lui de m’attendre ; puis vous viendrez me donner mon chapeau. Elle-rentre-chez-elle




Scène II


Léon, hélène

Léon, Frappant à la porte qui est dans l’angle à droite

Hélène Oui.

Léon, entr’ouvrant la porte Seule ?

Hélène Seule.

Léon Il me semblait avoir entendu la voix de madame de Vertpré.

Hélène Elle était là tout à l’heure, et, en vous entendant…

Léon Elle est rentrée dans sa chambre ; ce qui veut dire qu’elle ne me recevra pas ce matin.

Hélène Eh bien, au contraire, elle vous prie d’attendre que sa toilette soit achevée.

Léon Elle t’a dit cela ?

{{personnage| Hélène Oui, monsieur. Elle se dispose à entrer chez madame de Vertpré

Léon Écoute, Hélène.

Hélène Quoi ?

Léon Madame de Vertpré t’a parlé de moi ? – Écoute donc !

Hélène A l’instant.

Léon, Jouant avec l’écharpe, et la baisant Et elle te disait ?…

Hélène Qu’est-ce que vous faites donc ?

Léon À qui cette écharpe ?

Hélène À ma maîtresse.

Léon Et elle a touché son cou, ses épaules ! Je l’envie et je la baise.

Hélène Mais, monsieur, ce n’est pas l’écharpe que vous baisez ; ce sont mes mains !

Léon, Se levant C’est que tes mains sont jolies, Hélène.

Hélène Vous êtes fou.

Léon Je suis amoureux.

Hélène De mes mains ?

Léon Un peu ; de ta maîtresse beaucoup.

Hélène, à part Pauvre jeune homme ! haut Et mademoiselle Pauline, votre fiancée ?

Léon C’est une charmante personne.

Hélène Que vous aimez aussi ?

Léon Comme une sœur.

Hélène Cela ne fera pas son compte ; car je crois qu’elle vous aime autrement qu’un frère.


Léon Tiens, voilà ce qui m’inquiète, et me rend parfois si triste.

Hélène, riant Vous ? Ah ! par exemple !

Léon Mais aussi, comment diable madame de Vertpré ne réfléchit— elle pas que, pour marier sa nièce, c’est un mauvais moyen que de la prendre auprès d’elle ? Certainement, avant d’avoir vu ta maîtresse, j’aimais Pauline de toute mon âme… mais, depuis cette époque, depuis que je les vois toutes deux à côté l’une de l’autre, malgré moi je fais des comparaisons… Elles sont jolies toutes deux ; mais madame de Vertpré a dans sa beauté quelque chose de plus piquant… Toutes deux sont pétillantes d’esprit ; mais l’es— prit de madame de Vertpré est complété par l’usage du monde, qui manque à Pauline… Chacune d’elles a un excellent caractère ; mais, pour un rien, Pauline se fâche et boude ; madame de Vertpré, au contraire, est toute et toujours gracieuse… Pauline m’aime, je le sais ; mais, sans fatuité, madame de Vertpré ne me déteste pas ; elle m’accorde hautement le titre d’ami, et un autre que moi, en récapitulant nos promenades, nos causeries, les petits services qu’à chaque instant elle me demande, et que je suis si heureux de lui rendre, un autre que moi… Eh bien, cela te fait rire ?

Hélène Auriez-vous la prétention d’épouser madame de Vertpré, par hasard ?

Léon Pourquoi pas ?

Hélène Pardon, mais c’est que…

Léon N’est-elle pas veuve ?

Hélène Ah ! C’est vrai ; je l’oubliais. On sonne chez madame de Vertpré. Voyez, voilà qu’on m’appelle ; je bavarde avec vous et je vais être grondée.

Léon Tu diras à ta maîtresse que je t’ai retenue pour te dire qu’elle est charmante, et elle te pardonnera

Hélène Soyez tranquille.

Elle entre chez madame de Vertpré.



Scène III

Léon, pauline

léon Il n’y a pas de mal à conter ses secrets à la femme de chambre, la maîtresse en apprend toujours quelque chose. Ainsi elle avait prévu que je viendrais, et elle avait dit que je restasse ! C’est que c’e st long une toilette de femme ! Si du moins il y avait ici un journal. Ah ! l’album de madame de Vertpré. Une page blanche, un crayon, l’album ouvert… C’est un défi.

pauline, lisant Oh ! N’abrège jamais ces heures que j’envie !

léon, fermant vivement l’album Ah ! c’est vous !

pauline Je vous effraye ?

léon Vous ne le croyez pas.

pauline Qu’écrivez-vous ?

léon Rien.

pauline Des vers ?

léon De souvenir.

pauline Pour qui ?

léon Vous le demandez !

pauline Voyons-les.

léon Mais non.

pauline Mais si, je vous en prie, monsieur Léon ; je me fâche !

léon J’aurais voulu les finir avant de les montrer… à vous surtout, Pauline.

pauline Ce sera votre première pensée, et c’est toujours la meilleure. Elle prend l’album et lit. Oh ! n’abrège jamais ces heures que j’envie ! De me les accorder Dieu te fit le pouvoir : T’entendre est mon bonheur, et te voir est ma vie, Laisse-moi t’entendre et te voir ! répétant. « T’entendre et te voir ! »

léon La poésie a sa langue à elle : on tutoie Dieu, et Dieu ne s’en fâche pas.

pauline C’est vrai elle lui tend la main. et je ne serai pas plus susceptible que lui. elle continue. Si tu veux de mon front écarter le nuage, Comme l’air en passant chasse l’ombre des cieux, Les yeux fixés aux miens, laisse sur mon visage Passer tes longs et noirs cheveux. Comment, monsieur !…

léon Ah ! oui, cieux et cheveux : la rime n’est pas riche, n’est-ce pas ? Je vous disais bien qu’il fallait que ces vers fussent corrigés.

pauline Mais ce n’est pas cela. léon Qu’est-ce donc ?

Pauline Passer tes longs et noirs cheveux. Mes noirs cheveux !

léon Ah ! bénédiction ! elle est blonde ! et d’un blond superbe encore ! Mon Dieu ! mais c’est que…

pauline C’est que ces vers étaient pour une autre, voilà tout.

léon Je vous jure…

pauline Au fait, pourquoi ces vers seraient-ils pour moi ? et pourquoi me feriez-vous des vers ?

léon Mais c’est une distraction inconcevable ; je voulais écrire blonds. Le crayon m’a tourné entre les doigts.

pauline Ah ! oui, longs et blonds. Vous avez raison, monsieur, ces vers ont besoin d’être corrigés, leur harmonie est étrange.

léon Décidément, je m’embrouille. Pauline…

pauline Oh ! faites attention que vous me parlez en prose, monsieur.

léon Mademoiselle… Allons, voilà qu’elle pleure.

pauline Du tout, je ne pleure pas, vous vous trompez.

léon Au diable la poésie ! par exemple, c’est bien la première et la dernière fois… Écoutez-moi. Ces vers…

pauline Mais qui vous parle encore de ces vers ? Mais je n’y pense

léon Je vous en prie, je vous en supplie.

pauline Laissez-moi, vous m’impatientez et je vous déteste ; ne suis-je pas même libre de pleurer si je suis triste ? Mais c’est de la tyrannie. S’élançant dans les bras de madame de Vertpré qui entre. Oh ! ma tante, ma tante !