Le Malheur d’Henriette Gérard/Chapitre 13

Poulet-Malassis et De Broise (p. 245-271).


CHAPITRE XIII


amour maternel


Émile venait enfin de guérir, et le médecin lui permit de faire sa première sortie. Il était jaune et amaigri ; ses yeux enfoncés et agrandis regardaient avec une douceur triste ; ses genoux et ses mains restaient encore tremblants, et quoiqu’il fît chaud on avait dû l’envelopper d’un grand paletot un peu usé, que son corps maigre et chétif ne remplissait pas.

Madame Germain se sentait forte de haine contre la famille Gérard et contre Henriette, en contemplant ces ravages de la maladie.

Émile parlait doucement et lentement, reprenant haleine au bout de peu de mots avec cet air résigné et un peu hagard de tous les convalescents.

Sa mère ne lui avait pas parlé une seule fois d’Henriette, et lui n’en avait pas ouvert la bouche non plus ; mais depuis huit jours qu’il avait senti les ongles du mal se desserrer un peu, sa tête fatiguée, vide, n’agitait qu’une seule pensée : retourner aux Tournelles ! comme ces petits tambours d’enfants où l’on secoue deux ou trois grains de sable, et il dissimulait avec la ruse des malades, afin qu’on ne le contrariât pas par la suite.

Le jour de sa sortie, Émile, appuyé sur le bras de sa mère, tourna nonchalamment vers le chemin des Tournelles, ayant l’air de considérer la campagne.

« Non, pas par là, dit madame Germain, le chemin n’est pas en bon état. »

Elle le ramena du côté opposé. Le jeune homme ne montrait sa contrariété que par son silence.

« Ah ! si tu pouvais être doublement guéri ! » reprit sa mère, qui ne se méprenait pas sur les sensations d’Émile.

Il ne voulait pas s’expliquer ; il dit, feignant de n’avoir pas entendu : « Comme il fait beau ! » Il coupait de longues herbes et les mâchonnait entre ses dents !

« Je sais que tu fuis la conversation, continua madame Germain, mais, vois-tu, c’est que je ne veux plus qu’on te rapporte chez moi tout en sang et à moitié mort. À cause d’une petite… créature que je ne connais pas, qui se montre un jour, je ne te vois plus, je tremble jour et nuit, tu es soucieux, malade, car, si ce n’est une chose c’est une autre ! Il y a trois mois, tu n’a pas voulu m’écouter ; tout ce que j’ai prédit est arrivé, et même pis. »

Ces paroles étaient pour Émile comme des gens qu’on laisse frapper à la porte sans leur ouvrir.

« N’avais-je pas eu toujours l’instinct que ta folie, mon pauvre ami, n’amènerait qu’un malheur ? Auras-tu cette fois plus de confiance en moi ? ajouta madame Germain, mauvais médecin plein de bonne volonté qui déchirait trop tôt l’appareil des blessures.

— Je suis tourmenté par elle et par toi, répondit Émile, qui désirait vaguement le repos.

— Tourmenté par moi ! s’écria madame Germain.

— De quelque façon que j’agisse, reprit le jeune homme, je ne puis remuer un doigt sans faire souffrir les gens que j’aime, et moi-même je ne suis pas plus heureux qu’eux.

— C’est bien pour cela que je voudrais t’emmener avec moi loin d’ici pendant un mois, » dit sa mère.

La pauvre femme mettait un acharnement désespéré à ce moyen de salut. Elle avait songé à enlever son fils malgré lui.

« Non ! non ! cria Émile, je ne veux pas m’en aller ! » Il s’arrêta, se cramponnant des pieds à la terre comme un enfant effrayé. Madame Germain sourit tristement, se sentant sans force contre cette faiblesse, et elle murmura en elle-même :

« Dieu sait ce qui arrivera ! »

Émile retrouvait quelques idées mieux ordonnées.

« Tout ce qui se passe me fait voir qu’il faut accomplir son sort, continua-t-il ; on ne peut pas échapper à la force des choses. Qu’est-ce que je ferai à vingt lieues d’ici… D’ailleurs, je n’y resterais pas, je reviendrais plutôt à pied. L’air de Villevieille m’est nécessaire. Il faut que je sache ce qui se passe. Quoi qu’il arrive, j’aime encore mieux en être informé que de ne rien savoir. Je puis surveiller d’ici Henr… empêcher !… » Il se tut.

Parfois madame Germain éprouvait de la colère contre son fils, elle lui répondit vivement :

« Et à quoi cela te servira-t-il ? Est-ce que tu peux revoir ces gens-là ? Est-ce qu’on te laissera encore approcher de ton Henriette ?… Du reste, elle va se marier. »

En sentant le mouvement du bras d’Émile qui était appuyé sur le sien, madame Germain se repentit.

« Comment ! elle va se marier ? s’écria Émile.

— On le dit. »

Mais les malades en voie de guérison sont remplis d’espérances : Émile imagina que sa mère voulait le tromper pour le détourner d’Henriette, et il ne la crut pas, quoique son cœur grondât sourdement contre la jeune fille qui aurait été infidèle, tandis qu’il s’était à moitié tué pour elle.

« Et avec qui se marie-t-elle ? dit-il avec un sourire incrédule.

— Avec un M. Mathéus, quelqu’un de six à huit lieues d’ici.

— Un jeune homme ?

— Non, un homme âgé. »

« Oh ! se dit encore Émile, ce sont les parents ! mais je connais assez Henriette pour être tranquille. »

Malgré lui cependant il tombait dans une sorte de rêverie vague, sinistre ; il voyait passer des calèches contenant une mariée, des gens en grands habits de fête ; la cloche de l’église sonnait ; Henriette mettait sa main dans la main d’un autre homme, on déployait l’étoffe blanche au-dessus de leurs têtes, des voix bourdonnaient sourdement, un cortège confus passait sous le portail, un mouvement de couleurs noires, blanches, bleues, se faisait, les voitures repartaient.

L’étourdissement de l’air, trop fort pour ses organes affaiblis, se mêlait à ses troubles de la tête, et il se promenait comme balancé et suspendu au milieu des champs, des fleurs, des arbres, heureux par la vue et en même temps souffrant.

Si on avait parlé à Émile des Tournelles, de la possibilité d’y retourner ; si on l’avait encouragé, si on lui avait fait espérer de revoir Henriette, de recommencer sa vie des deux derniers mois, il aurait pu écouter et comprendre ; mais il n’écoutait ni ne comprenait ce que disait sa mère ; elle promenait à son bras un corps affaibli et lourd, et le véritable Émile était dans le parc de madame Gérard.

Cependant la mère et le fils rencontrèrent quelques personnes qui s’arrêtèrent avec eux ; les premiers bonheurs du retour de la santé rendirent Émile plus sensible aux petites choses, et des gens qui, dans son état ordinaire, lui étaient insupportables, lui parurent gais à voir ; il fut détourné des pensées fatigantes, et de toute la journée n’inquiéta plus sa mère. Il s’intéressait au dîner, aux plats, à la lampe du soir, avec l’attention d’un sauvage. Madame Germain ne désespéra plus autant. Elle ne savait pas qu’en se couchant, et pouvant à peine se tenir seul, il se disait « Demain j’irai dans le parc ! »

De tous, il n’y avait qu’un être heureux : Aristide ! Il ne s’inquiétait plus de Perrin, que cet abandon désolait. Perrin passait tristement ses journées, assis sur une marche devant la maison de son père, remuant des petits cailloux et pensant stupidement à son malheur. Plusieurs coups de pied donnés par son père l’épicier ne l’avaient pu tirer de son abattement, et les criailleries de sa mère ne lui causaient pas d’émotion.

« De quoi a-t-il l’air, je vous demande un peu, ce grand oie-là ? disait-elle à son mari. Voyons, bougeras-tu, espèce d’idiot ? reprenait-elle en s’adressant à Perrin. Le voilà-t-il pas affolé avec son air bête ? Il est bon à grand’chose, votre fils ! C’est un fameux cadeau que nous avons eu là ! Il est toujours battu par les polissons. Il n’a pas de défense contre leurs tas de farces. Quel innocent ! On ne peut rien lui faire faire. Ah ! si : il est fort pour aller avec ce grand dadais de fils Gérard, qui l’hébète encore plus. Allons, sans cœur, va me faire une commission au bout de la rue. Auras-tu assez d’esprit pour ça ? »

On avait essayé d’utiliser Perrin pour la vente dans le magasin de son père. Sa bêtise ne prouvait point l’absence de talents commerciaux, et, en effet, il ne s’en tira d’abord pas trop mal ; mais on avait compté sans sa facilité débonnaire en fait d’achats. Le fils du maire, farceur subtil, lui apporta un jour des crottes de biche dans un cornet, comme une denrée coloniale précieuse. Perrin se laissa persuader de les acheter pour les piler avec de la cassonade et des raisins secs. Depuis ce jour-là le commerce lui fut interdit. Le fils du maire tourmentait éternellement Perrin père, en lui rappelant cette bonne histoire.

À Villevieille, le procès Gérard, le mariage Gérard, continuaient à faire remuer toutes les langues. La curiosité était tellement excitée, qu’on inventait des prétextes pour aller en visite aux Tournelles. On regardait pour ainsi dire par les fentes des portes pour dénicher quelque nouvelle découverte. Parfois Henriette se trouvait au salon, et les femmes la considéraient à la dérobée pour voir si elle n’était pas enceinte ; à ce point que deux partis se formèrent dans la ville, l’un prétendant que oui, les autres soutenant que non. On avait appris que le jeune homme qui passait par-dessus le mur était Émile Germain. Ce renseignement venait du curé, de qui le tenaient les dévotes, et elles l’avaient colporté partout. À propos d’Henriette, on épluchait aussi la vie de sa mère ; on disait qu’Aristide n’était point le fils de Pierre, et on se moquait de Mathéus, qui serait le père d’un petit Germain. Le bourdonnement des mouches dans un bois, quand il fait soleil, n’est pas comparable à ce brou-brou de commérages. Un M. de Gontrand, le méchant de la ville, appelait Émile le coucou, et Mathéus le couvercle de la marmite.

Madame Baudouin protestait contre tous ces bruits, et elle vint une fois les rapporter en partie à madame Gérard, qui fit une grande grimace, mais répondit :

Laissez-les dire ; lorsque Henriette passera à quatre chevaux dans les rues de Villevieille, ils ne s’occuperont plus que de la couleur de sa robe et de la livrée de ses domestiques. D’ailleurs nos voisins de campagne, le marquis de Buchey, la baronne de Grandchamp, le comte Péligeard et M. Darson valent bien les gens de Villevieille !

— Ils sont méchants dans cette petite ville, dit madame Baudouin ; il faut se hâter, chère Madame.

— Oh ! répliqua madame Gérard, tout sera terminé avant un mois. »

Mathéus recevait des lettres anonymes écrites par des femmes désœuvrées et de mauvais caractère. Il lut la première et la déchira, et il déchira ensuite sans les lire toutes celles dont il fut assailli pendant quinze jours, et dont quelques-unes étaient très grossières.

Madame Gérard pria madame Baudouin, le lendemain de la dernière visite du vieux amoureux, de commander le trousseau au chef-lieu du département, où se trouvaient quelques bons magasins. On n’avait pas le temps de donner des ordres à Paris. Le trousseau était magnifique en linge, robes, argenterie, mais grossement magnifique. Mathéus fit le voyage de Villevieille tout exprès pour s’entendre avec madame Baudouin sur la corbeille de mariage. Il lui dit :

« Je veux, chère Madame, quantité et qualité. J’y mets 100,000 francs de diamants : tout doit être en proportion !

— Mais, répondit madame Baudouin, à ce compte, nous irons bien vite à 70 ou 80,000 francs.

— Eh bien ! ce n’est pas trop ! » répliqua Mathéus.

Madame Baudouin fit une figure admirative et ébahie.

« Arrangez cela avec madame Gérard, dit le vieillard, n’épargnez rien ; je veux qu’Henriette soit contente. »

Quant à madame Gérard, celle qui tenait en main l’aiguillon qui poussait tant de gens, elle eut, parmi toutes les excitations de cette activité, une entrevue curieuse avec son avocat, entrevue où elle traita le procès comme si elle n’avait jamais eu autre chose en tête.

M. Vieuxnoir entra un matin chez elle avec de gros papiers jaunis qui laissaient pendiller des bouts de ficelles rouges.

« Nous sommes prêts ? dit-elle.

— Oui, Madame, je vous apporte le plaidoyer. »

Elle continua sans l’écouter :

« Le tribunal est une institution humaine sujette à erreurs, et il faut donner le moins de prétextes possible à ces erreurs.

— C’est justement dans ce sens que j’aurai l’honneur de m’adresser à messieurs les juges, et je crois que vous trouverez mon plaidoyer…

— Je tiens beaucoup, dit madame Gérard, à ce que certaines intentions personnelles soient exprimées. »

L’avocat leva en l’air son nez chargé de grosses lunettes d’or ; il pressentait des explications qu’il ne comprendrait pas.

« On ne plaide bien sa cause que soi-même, » reprit madame Gérard.

« Ce n’est pas vrai ! » répondit dans le fond de son cœur M. Vieuxnoir, mécontent de ces mauvais traitements envers la profession d’avocat.

« Soyez bien pénétré des sentiments d’un propriétaire, continua la femme touche à tout, comme la nommait, dans la sévérité de ses froissements, M. Vieuxnoir. Puisez-y la logique, l’élan, qui entraînent les esprits. Le droit est pour nous ; les notions de justice, de vérité, sont autant d’armes contre notre adversaire. Les plans, les actes de vente, les témoins, sont en nombre suffisant pour détruire toutes les arguties et prétentions de ce vieux coquin de Seurot. On pourrait peut-être aborder la question des ambitions du parvenu, mais il faudrait alors un tact, une mesure, difficiles à garder. Flétrissez seulement l’avidité sournoise de ce boulanger !… »

« Je ne suis pourtant pas un imbécile » se disait l’avocat, étonné de cette rapidité à dire et de ces façons lestes de le conseiller.

« C’est ce que j’ai fait, Madame, répliqua-t-il, et ce que je vous démontrerai, si vous voulez bien me permettre de vous lire mon plaidoyer. J’ai divisé l’affaire en trois points : 1° la situation antérieurement à l’acquisition des Tournelles par M. Gérard ; 2° la conduite du voisin pendant la possession de M. Gérard et la reprise du terrain ; 3° la marche de la procédure, et enfin la conclusion. Je me suis entouré de tous les textes, j’ai relevé les inexactitudes de l’avoué de la partie adverse. »

L’avocat se vit encore enlever le plaisir de parler ; madame Gérard l’interrompit : « Voici ce qu’il faut dire au tribunal. »

M. Vieuxnoir prit le parti de ne pas écouter, et il lisait ses pages, en guise de refuge et de consolation, tandis que madame Gérard continuait à faire résonner sa voix et ses phrases agiles, pour elle seule ; mais ses accentuations variées forçaient bientôt l’oreille de l’avocat, qui entendait malgré lui et ne pouvait suivre sur ses papiers le fil de ses propres idées.

« Pardon, Madame s’écria-t-il enfin voulez-vous me permettre deux mots ? »

Il y avait de l’amertume dans ce deux mots.

« J’aborde, ajouta-t-il, concurremment avec les faits, l’appréciation morale du rôle de M. Gérard parmi nos populations agricoles ; du vôtre, Madame, en créant des institutions de charité ; j’examine la vie et la conduite usurière de la partie adverse, et les grands principes de la morale décident la question. Vous voyez quelle force nous donne ce parallèle : car mon plaidoyer fait ressortir la modération avec laquelle, pendant plusieurs années, vous attendez qu’un remords, un bon sentiment amène la partie adverse à une restitution dictée par la probité, ne faisant appel à vos droits qu’à la dernière extrémité, guidée dans cette démarche pénible mais nécessaire par le soin de l’avenir de vos enfants, auxquels vous devez compte de l’administration de vos biens comme tous parents prévoyants et tendres. »

M. Vieuxnoir s’animait ; son nez, dans lequel semblait se résumer toute sa figure, se levait et se baissait, secouant les lunettes d’or avec force, lorsque tout à coup le discours de madame Gérard partit comme ces têtes de diable qui sautent d’une boîte à surprise. M. Vieuxnoir s’en trouva bâillonné net.

« Voici, selon moi, reprit-elle, comment la question doit être amenée. Le sentiment de la propriété est un des plus profonds au cœur de l’homme ; il est donc simple qu’il revendique énergiquement ses droits, ce qui est pour lui, en principe, affaire de vie ou de mort. Cette propriété, si utile à l’individu lui est garantie par la société au moyen de la loi : donc toute revendication d’un homme lésé dans ses droits, dans sa propriété, est par cela même une sanction, une consolidation de la loi, de la société, puisque c’est un appel, un cri de veille, devant les dangers de destruction que laissent planer sur le monde la passion aveugle, l’avidité haineuse, on peut ajouter des basses classes ! Il ne faut pas épargner le boulanger ; au tribunal, on a le droit d’écraser son adversaire ; qu’il ait la tête courbée tout le temps que vous parlerez.

— Oui, répliqua M. Vieuxnoir, je vais vous lire un passage de mon plaidoyer, qui est juste dans le même sens ; le voici :

« Messieurs les juges, nous avons confiance en vos lumières : la magistrature française s’est de tout temps rendue glorieuse en terrassant l’iniquité, et la cause que nous vous soumettons est digne d’intérêt. D’une part, une famille honorable, dont tous les membres s’emploient noblement pour le bien de leurs concitoyens, une famille entourée de l’estime publique ; de l’autre, un homme parvenu à une fortune dont toutes les sources se perdent dans les sentiers de l’accaparement des manœuvres insidieuses, d’une finesse presque coupable, oserai-je dire ! Or, que s’est-il passé entre cet enrichi du hasard servi par l’intrigue et cette famille dont la fortune patrimoniale s’est accrue par le travail le plus élevé, le plus méritant, le travail agricole ! C’est celui-là même qui devrait faire oublier le passé par des scrupules de loyauté, seuls propres à le laver de soupçons auxquels je n’ai ni la volonté ni le droit de m’arrêter ; c’est celui-là qui, imprudemment, et peut-être devrais-je dire un mot plus fort, vient prêter le flanc à une accusation fondée et justifiée. Oui, serait-il trop sévère de qualifier une pareille conduite d’impudeur !… » Vous voyez, Madame, ajouta l’avocat, que je suis entré dans votre pensée.

— À peu près, dit madame Gérard d’un air négatif ; mais il faut surtout leur faire comprendre ceci ; j’ai écrit la phrase hier au soir, tenez : les esprits envahisseurs sont heureusement en petit nombre, mais ils sont audacieux ; il importe de rassurer les esprits droits et paisibles, et c’est en cela que le procès de M. Gérard a une haute portée. C’est plus qu’une affaire individuelle, c’est une affaire sociale qui intéresse tous les voisins de M. Gérard, tout le pays. Il s’agit de savoir si la droiture triomphera de la malhonnêteté.

— Voyez, Madame, reprit l’avocat, qui n’approuvait pas le point de vue de madame Gérard, parce qu’il n’y avait pas songé, ne vous ai-je pas devinée ? Veuillez écouter encore ce passage de mon plaidoyer : « S’adresser à la loi, cette grande protectrice de l’humanité, pareille à un chêne à l’ombre bienfaisante duquel s’épanouit la société, voilà le devoir de l’honnête homme injustement frustré. M. Gérard n’a pas faibli une seule fois dans l’épreuve qui lui était imposée !… »

— Oh ! répondit madame Gérard un peu dédaigneusement, tout cela est bon, mais il faut parler au tribunal comme je vous dis ; c’est plus net, et cela place la cause sur un terrain plus large.

— C’est bien ce qui ressort de mon plaidoyer, dit M. Vieuxnoir en tapant sur les feuillets jaunes.

— Pas assez encore, reprit madame Gérard : les juges perdent souvent contenance devant les mots inutiles. »

L’avocat se leva et s’écria d’une voix glapissante qui indiquait toute son émotion : « Des mots inutiles ! Veuillez m’en citer un seul dans mon plaidoyer ; il y a vingt ans que plaide, et je ne mets pas un mot dans mes plaidoyers qui n’ait sa raison d’être.

— C’est égal, dit madame Gérard, il faudrait pouvoir plaider sa cause soi-même. »

Le nez à lunettes d’or se mit à rire ironiquement : « Voilà bien les clients ! s’écria-t-il de nouveau, tandis qu’il faut une longue expérience des juges, de leur esprit, des habitudes légales ; il y a des choses qui ne s’acceptent pas ; voilà ce que vous ne savez pas, Madame. Croyez-moi, je n’ai jamais traité une cause avec tant de soin ; je connais mon tribunal et j’ai fait mon…

— Enfin, répliqua madame Gérard, le bon sens me prouve que j’ai saisi le nœud de cette affaire ; il est indispensable de reproduire les arguments que je vous ai indiqués ; j’y tiens essentiellement.

— Eh bien ! Madame, reprit M. Vieuxnoir, se rebiffant comme un coq, on les intercalera ; ils ne peuvent nuire, s’ils ne servent beaucoup, bien que l’avocat soit l’être le plus indépendant !… grogna-t-il.

— Mais je n’attaque pas votre indépendance, dit madame Gérard.

— Je le sais bien, Madame. Je vais aller refondre mon plaidoyer de ce pas, et changer un travail d’un mois ; mais…, puisque vous le désirez, je suis à vos ordres. »

Il salua et partit, ayant d’abord envie, dans la fraîcheur de sa colère, d’envoyer promener le procès ; puis il réfléchit qu’il prononcerait tout simplement son plaidoyer sans y mêler les observations de la femme touche à tout.

Ainsi il y a autour de la chicane un tel ensorcellement, que la dispute surgit toute seule auprès d’un avocat !

Madame Gérard se plaignit de M. Vieuxnoir au président.

« Il est entêté, dit-elle.

— Que voulez-vous ? répondit-il ; en province, on n’a pas des aigles, mais tout bonnement des corbeaux. »

Pour l’esprit, le président était le seul rival sérieux de M. de Gontrand.

Quant à l’avocat, sa femme lui demanda :

« Où en est le mariage ?

— Eh ! je m’occupe bien du mariage ! s’écria M. Vieuxnoir, dont les lunettes d’or sautaient avec courroux sur son nez, cette femme ne m’a pas laissé placer un mot !

— As-tu rendu au moins sa politesse à M. Aristide ?

— Je te dis que je n’ai rien pu faire ; cette femme a toujours parlé !

— Ah ! mon Dieu ! tu en étais si enthousiasmé.

— Je ne la savais pas si bavarde !… »

Le même jour, madame Gérard dit au président :

« Charles, allez donc trouver Henriette ; elle a confiance en vous, je crois. Montrez-lui qu’elle doit redevenir simple, naturelle…

— Je comptais vous le proposer, répondit M. de Neuville.

— Tâchez de la presser ; je voudrais au besoin l’étourdir, en finir, avant qu’elle eût eu le temps de respirer. Dites-lui combien je suis malade…

— J’y vais sur-le-champ.

— Demandez-lui une petite promenade dans le parc. »

Henriette ne put refuser. Elle descendit avec M. de Neuville, qui employa des manières tendres, câlines. Elle était d’ailleurs dans une de ses périodes de tranquillité relative. Après quelques propos insignifiants :

« Comment trouvez-vous M. Mathéus, ma chère Henriette ? dit le président.

— Pourquoi cette question ? demanda la jeune fille, dont la figure sembla aussitôt noircir.

— Comme vous lui témoignez beaucoup d’antipathie, il y a donc quelque chose en lui qui vous déplaît souverainement ?

— Je me suis expliquée là-dessus avec lui, on le sait bien, répliqua Henriette en quittant machinalement le bras de M. de Neuville, comme d’un être qui lui devenait désagréable.

— Ma chère enfant, vous êtes très troublée et votre mère est malade ; tout le monde souffre, à commencer par vous. Je voudrais bien pouvoir porter la lumière dans votre esprit, et vous décider à renoncer à une fâcheuse résistance.

— Quelle résistance ? dit Henriette jouant l’étonnée et déjà torturée par le bistouri de cet autre chirurgien.

— Oh ! dit-il en souriant, vous avez trop d’esprit pour feindre…

— Je n’y puis rien, reprit la jeune fille avec humeur ; je vois l’obstination et l’acharnement du côté des autres et non du mien.

– Ceci, continua M. de Neuville, est encore l’histoire de la paille et de la poutre. Vous avez votre petit amour en guise de poutre dans les yeux, et vous ne vous doutez pas que vos amusements sont la source de chagrins domestiques très douloureux.

— Mes amusements ! » répéta Henriette indignée du mot.

Il sourit ; puis, d’un air bienveillant, presque paternel, et doucement moqueur, il ajouta :

« Oui, cette petite mise en scène de rendez-vous, ces murailles franchies, ce mystère romanesque, étaient amusants, charmants… »

L’esprit sérieux et vigoureux d’Henriette s’irritait sourdement de cette fausse note du président, qui lui parlait comme à une petite fille ordinaire.

« Dans le monde, reprit le président, il y a une autre manière de voir. Je ne vous parlerai pas comme les prêtres, mais je veux vous faire toucher du doigt la vérité.

— Je ne demande pas mieux, dit Henriette à qui la patience revint, en pensant que peut-être, par hasard, elle entendrait un bon conseil.

— Ce jeune homme, continua M. de Neuville, celui que vous admirez, n’est qu’un petit roué ! Ah ! vous n’aimez pas une telle qualification, n’est-ce pas ? »

Henriette fit une moue dédaigneuse. Elle changeait de disposition, selon que les discours de M. de Neuville étaient maladroits, sensés ou cruels.

« Oui, un petit roué, qui a abusé de votre bonté et comptait faire une excellente affaire en vous épousant.

— On m’a déjà dit cela, répondit froidement Henriette.

— Oui, mais moi je puis vous débrouiller les incidents avec mon expérience d’ancien juge d’instruction.

— Eh bien ! reprit Henriette avec une tranquillité un peu méprisante, vous vous trompez complétement. Je connais Émile et vous ne le connaissez pas. Je vous en prie, n’en parlez plus ou parlez-en différemment.

— Ainsi, dit vivement le président piqué, vous êtes décidée à sacrifier à une chimère l’avenir et le bonheur de votre famille. Est-ce du bon sens ? Est ce… de la vertu ? se risqua-t-il à ajouter.

— Je mets ma vertu à attendre Émile, répliqua Henriette qui se raidissait.

— C’est une vertu qui ressemble singulièrement à une faute, à une grande faute ! Pourtant il est si facile d’oublier un être qu’on a à peine vu, lorsqu’il y a de si graves intérêts en balance !

— Ah ! s’écria Henriette laissant voir toute sa plaie, je suis bien assez malade et dévorée d’inquiétude, moi aussi. Si je ne m’attache fermement à une conduite fidèle et loyale, quelle femme serai-je donc ? que deviendrai-je plus tard ?

— Vous voyez bien vous-même, s’écria le président, que votre conscience est bien ébranlée. Allez, chère enfant, aux yeux du monde et au nom du devoir, il faut épouser M. Mathéus, d’autant mieux que vous ne serez pas malheureuse avec lui. C’est le meilleur homme de la terre. Et, continua-t-il avec une gaieté aimable, ce genre de sacrifice est fort honorable et laisse après lui la satisfaction ! Vous aurez dans le monde le rang qui vous convient. Vous êtes digne de la plus grande fortune. La vie vous sera rendue douce et très brillante.

« Est-ce un vieux que vous redoutez ? Ils sont bien plus aimables, plus complaisants que les jeunes. Du reste vous avez trop d’intelligence pour qu’on insiste là-dessus. Comprenez seulement une chose : ces devoirs, ces lois, ces raisonnements, n’ont point été inventés exprès pour vous. Ils ont existé de tout temps pour des cas analogues au vôtre. Ils sont le fruit d’une sagesse très mûrie par toutes les sortes d’expériences, la sagesse du monde. Convenez-en au moins ! Pour ce qui concerne Émile, remarquez donc bien que les juges ont l’habitude et la mission de rechercher et découvrir les mobiles cachés. Vous êtes encore bien jeune, la vie s’ouvre admirable devant vous. Il ne faut pas vous perdre dans une fausse route, quand la vraie, la belle, vous est ouverte par ce mariage avec ce vieillard si antipathique ! Votre mère, qui est excellente et vous adore, ne persiste à lutter contre vos obstinations, passez-moi le mot, que parce qu’elle voudrait vous amener à concevoir qu’on ne se rétrécit pas, qu’on ne se parque pas étroitement, dans l’idée de passer ses journées avec un petit garçon plus ou moins gentil. Il y a des femmes qui ont su tout concilier dans la vie. Quelle existence plus active, plus utile, mieux remplie, que celle de votre mère, et vous aurez un plus vaste horizon ! »

Ici le président s’arrêta, n’ayant pas trop le courage de vanter lui-même madame Gérard à sa fille.

Puis il reprit : « Savez-vous que je suis très heureux que vous m’ayez écouté si patiemment ? Ceux qui portent des paroles de raison sont généralement mal venus ; la folie est un peu la maladie du monde, la pazzia regina del mondo ! Que dois-je dire à votre mère ? que vous n’avez plus qu’à vous embrasser… »

Le président venait de se tromper étrangement, en présentant à Henriette, comme bouquet du discours, les qualités de sa mère. Outre que cela déplaît généralement aux filles, celle-ci connaissait trop les mystères de la maison, et elle eut un moment cette réponse sur les lèvres : « Dites à ma mère qu’elle aurait dû choisir tout autre que son amant pour m’engager à renoncer au mien ! »

Henriette avec la même froideur répliqua : « Dites-lui que vous m’avez dit tout ceci.

— Ce serait une mauvaise plaisanterie et une inconvenance, s’écria le président fort mécontent de l’effet de son éloquence. Mais enfin quelle impression avez-vous donc ressentie ?

– Ah ! le résumé des débats ! reprit Henriette, eh bien ! dites que j’attendrai encore longtemps ! »

Comme elle sentait que le président avait quelque raison, elle était piquée de ne pouvoir répondre par la raison, et elle se laissait entraîner à une impertinence qui marquait l’impuissance.

Le président montra sur son visage aigu tant de mécontentent, que la jeune fille chercha à adoucir ses dernières paroles.

« Je ne conçois pas, ajouta-t-elle, que chaque jour on revienne à la charge. C’est bien inutile. J’ai déclaré mes intentions, je n’ai pas changé. Je vous remercie beaucoup de votre bienveillance.

— Et moi, dit le président, qui voyait en elle un mystificateur, je vous conseille de réfléchir sérieusement quand vous serez seule, et de faire un examen impartial des faits, pour parler le langage de tribunal que vous me reprochez !

— Ah ! reprit Henriette plus doucement, c’est ce que je fais chaque heure de la journée, et ma conviction est bien arrêtée : je ne crois agir ni follement, ni sottement. Mais ce que je nee comprends pas, c’est que personne autour de moi n’ait voulu reconnaître ma sincérité, combien j’aime Émile et quelle douleur on me cause en m’en séparant. Vous surtout, monsieur de Neuville, qui…

— Oh ! dit M. de Neuville regagné, du tout, ma chère Henriette. Voilà votre fatale méprise. Nous n’avons pas à discuter avec vous. Vous êtes un malade qui voudrait en remontrer à son médecin.

– Mais, dit Henriette avec un demi-sourire triste, je ne prendrai pas votre remède.

— Ne plaisantons pas, reprit le président. Nous savons ce que vous ne savez pas, nous voyons ce que vous ne voyez pas. Ce jeune homme ne devait-il pas s’adresser d’abord à vos parents et non à vous ? Non, non, soyez ce que vous êtes, une personne remarquable et non une enfant. »

« Ah ! pensa Henriette, si Émile était revenu, jamais je n’en aurais laissé dire autant. »

« Que voulez-vous ? ajouta-t-elle, je répéterai toujours ma déclaration de l’autre soir.

— Alors je vous quitte, très peiné de vous voir dans ces sentiments égoïstes, » répliqua-t-il, empruntant les armes de madame Gérard.

Henriette sentit battre son cœur et elle remonta, puis se jeta à genoux, demandant à Dieu la vérité, bien qu’elle ne fût pas pieuse. Quelqu’un qui eût assisté à son entretien avec le président n’eût jamais soupçonné quelle incertitude secrète se voilait sous son affectation d’inflexible fermeté.

Et pourtant, avec quelle patience de savant elle étudiait les moindres paroles qu’on lui disait ! les tournant, retournant, luttant, s’y laissant entraîner, revenant, et toujours accrochée à ce silence d’Émile qui l’épouvantait, l’irritait et l’affligeait. Aussi depuis peu se présentait à son esprit, mais timide et fuyarde comme un lézard, cette pensée, terrible pour elle : « Enfin, si Émile m’a abandonnée, pourquoi ne me marierais-je pas ? » Mais alors elle s’indignait de sa faiblesse et se retenait aux séductions que lui présentait l’idée de se sacrifier et dévouer pour Émile.

Madame Gérard haussa les épaules lorsque le président revint, et elle répéta, comme à l’ordinaire : « Nous verrons bien !

— Oh ! dit le président, cela a été pour moi une étude de dextérité. Je serai bien étonné si je ne lui ai point déposé dans la tête des germes qui grandiront ; mais l’entêtement est, sur le moment, en raison directe des efforts qu’on fait pour le vaincre

— Ah ! que d’embarras ! et il ne faut pas que j’aie la réputation d’une madame Barbebleue

— Il est fâcheux, reprit M. de Neuville, que Mathéus soit si passif !

— Henriette finira par être ravie de tourner la tête à ce pauvre homme, j’en suis sûre, j’y arriverai !

— Oui, mais le temps ! le temps !

— Nous avons là une forte corvée, cher ami.

— Je me chargerais bien de la réduire en trois mois.

— Il faudra bien qu’elle cède avant la fin de celui-ci ! » dit madame Gérard.

Le soir, le curé apprit à madame Gérard qu’on avait rencontré Émile et qu’il était guéri. Elle se mordit les lèvres.

« Alors, monsieur le curé, dit-elle, nous passerons un ou deux dimanches sans aller à la messe : ce jeune homme n’aurait qu’à se mettre sur le chemin pour se faire voir de ma fille. »

Le lendemain, qui était le dimanche, Henriette fut très surprise en voyant qu’on restait aux Tournelles ; déjà elle ne comprenait pas pourquoi les dimanches précédents elle n’avait pas rencontré Émile en allant à l’église. Vers midi, madame Baudouin arriva avec des cartons de toute espèce, et accompagnée de deux femmes qui étaient des marchandes du chef-lieu. Elles étalèrent, avec madame Gérard, sur la table du salon, des étoffes, des dentelles, des boîtes, et la grosse Baudouin alla chercher Henriette en lui disant : « Venez donc, ma petite belle, venez voir les commencements de la corbeille ! »

La jeune fille fut frappée de cette annonce inexorable dans sa simplicité, et qui attestait qu’on ne s’arrêtait pas aux protestations d’Henriette. Ce mariage devenait effrayant, en se formant ainsi peu à peu et s’avançant irrésistiblement sans secousse, sans violence.

Quelle corbeille ? dit-elle avec stupeur.

— Eh bien ! la vôtre, ma petite.

— Je n’ai point de corbeille, » s’écria Henriette, dont la voix éclata ; et elle s’éloigna brusquement, laissant la grosse femme pétrifiée.

Madame Gérard avait un air de dignité affligée, de tristesse comprimée, que la jeune fille remarqua bien en se retirant.

« Vous voyez ! dit madame Gérard à madame Baudouin, comme si elle contenait quelque grande douleur prête à faire explosion.

— Quelle mauvaise petite tête répondit celle-ci ; ma chère dame, j’admire votre patience.

— Il faut bien souffrir patiemment les épreuves d’en haut, » soupira madame Gérard, qui réservait spécialement le jeu du chagrin pour madame Baudouin.

Puis la triste madame Gérard et la compatissante madame Baudouin passèrent au moins deux heures à examiner les ourlets de ceci, le tissu de cela, les qualités et les façons.

Aristide était allé à la messe à Villevieille, espérant y rencontrer madame Vieuxnoir.

Sa mère l’avait informé de la guérison d’Émile et lui avait demandé : « Où est donc cet idiot avec lequel tu passes ton temps ? Il pourrait servir à suivre le jeune homme et à savoir ce qu’il fait.

— Bon ! j’en parlerai à Perrin, » dit Aristide et, en effet, il passa par Bourgthéroin.

« Tiens te voilà ? s’écria Perrin avec joie ; est-ce que tu viens me chercher ?

— Oui, reprit Aristide. Je suis venu pour te donner de l’occupation.

— À quoi ?

— Mais il faut y mettre de la malice, et tu n’en as guère.

— Oh ! dit Perrin, je le sais bien !

— Voilà : tu sais ce que c’est qu’un renard… dit Aristide, enchanté de ses farces.

— Tiens, parbleu !

— Eh bien ! il faut que tu te fasses renard !

— Que je me fasse renard ! dit Perrin, inquiet de changer de peau.

— Au figuré ! reprit Aristide. Crois-tu pas qu’il faut entrer dans la peau d’une bête ? Tu as déjà bien assez de la tienne. Voyons, tu connais Germain de Villevieille, Émile Germain de la sous-préfecture ? Écoute, c’est important, tout va reposer sur toi. Tu resteras dans le chemin, entends-tu bien ? Tu feras attention si tu ne vois pas un jeune homme rôder autour de la maison ; tu te rappelleras bien tout ce qu’il fera, et s’il voulait passer par-dessus le mur, tu appelleras le jardinier ou tu sonneras de toute ta force. Comprends-tu bien ?

— Oui, oui.

— Tu vas y aller tout de suite ; en revenant de la messe, je viendrai voir comment tu montes ta garde.

— Et si le jeune homme ne vient pas ? Tant mieux ! Tu me le diras. Allons, en route ! »

Perrin, très satisfait, vint prendre son poste avec un zèle tout chaud. Il se promenait gravement dans le chemin, regardant à un quart de lieue alentour, pour ne pas se laisser prendre par l’ennemi, et ne faisant aucune attention aux jeunes paysannes qui passaient de temps en temps.

Émile se remettait cependant rapidement, il pouvait marcher seul, et il combina, ce dimanche-là, de revenir aux Tournelles, pensant à la fête qu’il aurait en revoyant la route, le bois, le mur et la fenêtre de la petite chambre. Il espérait croiser la voiture de madame Gérard, où serait Henriette allant à la ville, et courir derrière pour arriver au moment où elle descendrait.

Il partit, profitant d’un instant où sa mère était occupée. La route franchissait deux ou trois ondulations de terrain, qui masquaient successivement la vue des Tournelles et excitaient une impatience nerveuse chez lui. Il examina le pays avec une sorte d’inquiétude, comme si on avait dû en changer d’aspect, heureux de constater pas à pas que tout était à la même place. Enfin le massif vert du bois des Tournelles apparut toujours le même, triangulaire, sombre ; il s’engagea dans un petit sentier tout couvert par les branches des jeunes arbres et rempli de hautes herbes, accompagné par les bourdonnements des insectes, les cris des grillons qui paraissaient lui souhaiter bonne chance.

Quoique fatigué, Émile ne s’arrêta pas et déboucha dans le chemin de ronde du parc, au delà du point où il accomplissait ses escalades ordinaires… Il découvrait de temps à autre un angle de la fenêtre d’Henriette, se disant : « Pense-t-elle à moi ? » Quand il eut ainsi contourné la muraille, il arriva à une place vide, une espèce de clairière, où restaient cinq ou six souches rasées à quatre ou cinq pouces de la terre, et dont il ne se rappelait pas la physionomie. « Qu’est-ce que c’est donc que cela ? » se demanda-t-il et alors, comme si un rideau se levait brusquement, Émile se souvint de la nuit pendant laquelle il avait senti ces souches sous ses pieds et s’était si cruellement blessé. Il trouvait abattus les arbres qui lui avaient servi si souvent pour entrer dans le parc, et qu’il avait vainement cherchés dans cette nuit malheureuse ! Ce fut un signal, pour ainsi dire, auquel se levèrent à la fois, comme des voleurs couchés à terre, mille idées attristantes et décourageantes. Émile se rappela mot à mot sa visite à madame Gérard, et des larmes vinrent à ses yeux, de même qu’au moment où il était sorti du salon. Il n’eut plus confiance, ni dans ses forces physiques, ni dans le hasard, et il recommença le procès qu’il se faisait éternellement sur sa lâcheté, sa faiblesse et sa niaiserie.

Émile n’allait nulle part sans être imprégné de la tête aux pieds de l’idée qu’il était incapable de réussir en ce qu’il poursuivait. Pour agir, il lui fallait la fièvre, la nuit ; il fallait qu’il n’eût pas conscience de ce qu’il faisait. En projets, le jeune homme était imprudent et audacieux, et lorsqu’il s’élançait pour les exécuter, c’était toujours les yeux fermés, afin d’être contraint à ne pas reculer, une fois engagé, et d’être engrené malgré lui.

Il pensa à entrer dans la maison et à aller droit chez Henriette.

En marchant vers la grille du parc, il s’aperçut que Perrin venait derrière lui. Il ralentit le pas, Perrin le dépassa ; alors Émile continua à avancer, Perrin s’arrêta en travers sur la route. Émile, étonné, retourna un peu plus loin, Perrin le suivit. Émile revint vers la grille, Perrin courut se jeter auprès de la sonnette. Émile, rapprochant ces mouvements de la figure stupide de l’autre, ne comprenait guère un espion pareil, mais il s’inquiétait. Il s’avança néanmoins pour toucher la sonnette ; aussitôt Perrin la saisit dans sa main. Émile eut envie de le prendre à bras-le-corps rapidement et de le faire pirouetter ; la crainte d’être surveillé le retint. S’il avait connu toute la simplicité de Perrin, il aurait pu le tirer de ce coin de porte avec quelques discours artificieux ; mais il resta planté devant l’ami d’Aristide, qui le prenait pour une espèce d’animal dangereux. Enfin il leva les yeux sur la maison, aperçut la fenêtre et résolut d’entrer. Il marcha droit sur Perrin, qui fut troublé et recula un peu, et, mettant sur le fil de fer sa main au-dessus de celle de l’imbécile, Émile sonna en disant :

« Pardon ! »

Perrin le regardait idiotement, en tenant toujours le bouton de la sonnette. La porte s’ouvrit. Émile entra et la referma sur Perrin, qui, ne sachant plus que faire, ne bougea pas. Le jardinier, occupé au fond de sa chambre, prit Émile pour Aristide.

Le jeune homme s’avança rapidement d’abord, parce que l’allée tournait et n’ouvrait pas droit sur la maison. Il était excessivement agité : il y avait dans sa tête le désordre d’une ruche en mouvement.

Au détour de l’allée, il se trouva en face du perron. Il sembla à Émile qu’il courait plus vite que le chemin de fer. Sa rapidité l’effrayait. Il se mouvait, poussé par la folie des audaces qui saisissent les êtres timides. Il aurait voulu se cacher dans les massifs, et cependant il marchait toujours. Savoir ce qu’il faisait, savoir ce qu’il dirait, non ; mais il allait.

Émile arriva jusqu’à la maison. D’un bond il fut dans le vestibule, sans avoir été vu et voyant à peine lui-même, tant son émotion croissait. Il chercha des yeux l’escalier. Un corridor sombre, terminé par une fenêtre éblouissante, s’enfonçait vers la droite. Du fond de ce corridor s’éleva la voix de madame Gérard, qui causait dans le salon avec quelqu’un. Émile fut pris d’une terreur nerveuse, enfantine, et il se jeta dans un petit réduit où on serrait les balais, les lampes, les arrosoirs. Il en tenait la porte avec ses deux mains, blotti dans un coin où personne n’eût pu se fourrer. Au bout de deux minutes, sa terreur passa comme elle était venue, et il sortit du trou noir. Puis, sur la pointe des pieds, il eut la hardiesse d’aller jusqu’à la porte du salon écouter et regarder à travers la serrure. Il vit madame Gérard et madame Baudouin au milieu des étoffes. S’il avait pu rendre d’un mot à madame Gérard toutes les souffrances qu’elle lui avait causées ! Il revint sur ses pas et trouva l’escalier, guidé à peu près par l’instinct, car il éprouvait une angoisse effroyable, composée de plusieurs terreurs différentes. Émile parvint enfin dans le couloir où se trouvait la chambre d’Henriette. En y mettant le pied, il pâlit, et son cœur battit si fort qu’il croyait que toute la maison devait en entendre le bruit. Sa bouche devint sèche, sa langue se colla à son palais. Un vague et oppressant sentiment de culpabilité, de faute, lui rendait redoutables l’endroit, le bruit, l’heure, tout. Se voyant là, il croyait rêver. Émile touchait à Henriette et il s’attendait qu’en une seconde quelque catastrophe imprévue allait le précipiter du haut de cet escalier. Des siècles s’écoulaient pour lui, il n’osait plus avancer.

Une porte s’ouvrit dans le corridor, une femme de chambre en sortit et s’éloigna vers le fond. Émile, cédant à ses effrois immaîtrisables, redescendit cinq ou six marches pour se cacher, mais il aperçut dans le corridor inférieur le domestique qui traversait également. Ses jambes fléchissaient comme s’il eût bu, et le jeune homme restait sans haleine, pensant que, sans un miracle, il allait être surpris.

Il entendit un coup de sonnette, puis la voix de madame Gérard, et n’eut même plus la force de se pencher sur la rampe pour voir si on venait à lui. En se haussant cependant un peu pour regarder en haut, il aperçut la femme de chambre qui revenait, tournée de son côté. Il ne réfléchit pas et roula plutôt qu’il ne descendit jusqu’au premier étage.

Là, il écouta encore et s’arrêta. Voyant dans la maison tout le monde passer, remuer et parler, tout le monde, excepté Henriette, Émile eut l’idée qu’elle n’y était plus. Alors il partit machinalement, franchit comme un oiseau vestibule, allée, porte, et se retrouva sur la route, plus étourdi que s’il eût fumé de l’opium, et ne discernant pas encore s’il agissait réellement ou se débattait contre un cauchemar.

Perrin, toujours en faction et désolé d’avoir laissé violer la consigne, lui cria :

« Allez-vous-en ! »

Émile était si troublé qu’il obéit pour ainsi dire à cet ordre, qui correspondait à sa propre impulsion. Il s’éloigna d’une cinquantaine de pas et s’assit sur l’herbe. Perrin se mit derrière un arbre et prit des pierres, balançant à les lui jeter pour le faire partir, et épiant tous ses gestes avec l’attention brute d’un ours.

Émile reprit son sang-froid au grand air ; mais, lorsqu’il repassa tous les grains de sable qui l’avaient arrêté, il pleura de rage de n’avoir su voir Henriette, après être allé si loin avec tant de hardiesse.

« À quoi suis-je bon ? s’écria-t-il. Je n’avais cette fois que moi-même à dominer ; il n’y avait pas une madame Gérard pour me garrotter. Ah ! cela doit finir ! »

Perrin, qui le contemplait, imaginait des mystères malfaisants en ce jeune homme pâle, à gestes singuliers. Il en avait peur. Émile se releva, fit quelques pas du côté de Vieilleville, se retourna, regarda les Tournelles auxquelles on eût dit qu’une longue corde l’attachait, et revint de nouveau se jeter sur l’herbe. Il voulait rester là jusqu’au milieu de la nuit, sans manger, sans dormir, avec l’arrière-intention de se punir, de se mortifier par là. Il pensa à se tuer, se fit le tableau de ce que sa vie aurait pu être s’il avait épousé Henriette, s’épuisa en mille puérilités de désespoir intérieur.

Aristide revint tard de la ville, où il avait joué au billard avec Corbie et une autre personne, au lieu d’aller à la messe. Perrin lui conta que le jeune homme avait tourné toute la journée et qu’il était couché près de là.

« Il fallait lui donner une roulée ! dit Aristide, qui possédait l’organe de la combativité.

— Ça doit être un fou ! dit Perrin.

— Mène-moi où il est. »

Aristide et Perrin se dirigèrent vers Émile.

« Qu’est-ce que vous faites là ? lui dit insolemment Aristide.

Émile rougit, devinant que c’était le frère d’Henriette ; mais il fit le hautain, se retournant de l’autre côté sans répondre.

« Vous pouvez bien répondre quand on vous parle, » reprit brutalement Aristide. Celui-ci, comme beaucoup d’imbéciles, n’était pas du tout poltron. Il avait plus de courage qu’Émile pour les batailles. Il aimait les coups de poing, parce qu’il savait les donner et était assez vigoureux.

Émile le regarda par-dessus l’épaule en affectant un air méprisant et dit : « C’est à moi que vous parlez ?

— Il ne faut pas être malin pour s’en apercevoir. Vous ne devez pas rester là.

— Mon cher Monsieur, dit Émile, que la perspective d’une querelle émouvait et qui voulait conserver la supériorité des discours et de la dignité à défaut d’autre, je n’ai pas besoin de consulter des gens que je ne connais pas pour choisir les endroits où je veux m’arrêter : ainsi faites-moi le plaisir de me laisser tranquille, je ne suis pas disposé à faire la conversation avec vous.

— Et moi je vous dis que je veux que vous vous en alliez de là, » cria Aristide menaçant.

Émile commença à être un peu inquiet de la figure irritée d’Aristide. Les visages bouleversés par la colère l’impressionnaient toujours vivement. Il était troublé aussi par les droits de frère d’Aristide. Sa faiblesse de malade était exposée devant deux garçons solidement bâtis. Cependant, il trouvait honteux de perdre son sang-froid vis-à-vis d’un homme de son âge, il aurait voulu lancer quelque mot capable d’écraser Aristide, il répondit d’une voix que l’émotion embrouillait : « Je vais vous apprendre, dans votre intérêt, à avoir plus d’esprit que vous n’en avez : quand vous ne vous plaisez pas là où est votre voisin, quittez la place le premier. »

Aristide se mit à rire grossièrement : « En fait d’esprit, vous en avez, vous, s’écria-t-il, pour courir après les filles qui ont de l’argent. »

Aristide et Perrin tombant tout à coup sur Émile ne l’eussent pas autant brisé, foulé et anéanti qu’il le parut à ces mots !

Mais il se releva et s’écria : « Vous êtes tous des misérables !

— Ma foi ! je vous vaux bien, » dit Aristide, étonné de l’insulte.

Émile hésita, puis il partit.

« Bon voyage ! cria Aristide, et n’y revenez plus, ou on vous en ôtera le goût ! » Et il ajouta : « Tiens, Perrin, si tu vveux connaître la tête d’une franche canaille, rappelle-toi celle-là ! »

Perrin n’osa pas dire qu’il avait laissé entrer Émile, et Aristide se vanta à sa mère de l’avoir chassé.

« Il est bien désagréable que nous ne puissions pas nous débarrasser de cet homme, dit madame Gérard ; je vais écrire au commissaire de police ! »

Cependant, Émile, malade, faible, la tête certainement troublée, marchait vers Villevieille en parlant tout haut :

« Ah ! elle le croit aussi ! On le lui aura fait croire ! »

Cette accusation de cupidité l’épouvantait. Il ne lui manquait plus que cela ! De la part de madame Gérard, un mois auparavant, ce n’était qu’une insinuation à laquelle il ne s’était pas beaucoup attaché. Mais la phrase était si nette, cette fois ! Il aurait dû étrangler Aristide, mais il n’avait ni force physique, ni force morale. Il valait bien mieux qu’il n’épousât pas Henriette, au fait !

Il ne savait seulement pas se conduire lui-même courageusement dans les plus simples circonstances ; que serait-ce quand il aurait la responsabilité d’un autre être ? Saurait-il faire respecter une femme ! Pourquoi s’agiter, d’ailleurs, puisque étant pur on passait pour un coquin ! Il songeait à sa mère qu’il affligeait, à sa place qu’il perdrait s’il n’avait pas plus d’énergie au travail.

Émile, rentré, mangea à peine, en silence.

« Mon Dieu ! mon enfant, que tu m’inquiètes ! » dit madame Germain presque tremblante.

Il se fâcha.

« Eh ! dit-il, je ne puis remuer ni pied ni patte sans que tu sois inquiète. Il ne faudra bientôt plus bouger. C’est une inquisition qui m’obsède. Je veux être comme il me plaît, triste, gai, sans être condamné à subir un interrogatoire.

— Bien, dit madame Germain, je ne veux pas te contrarier ; mais pour toi et pour moi, il vaudrait mieux avouer ce que tu as.

— Ce que j’ai, mon Dieu ! ce que j’ai ! Nous n’avons pas d’autre conversation ! D’ailleurs, je ne puis le dire. Cela se débat avec moi seul. Un jour, je dirai tout ; aujourd’hui, c’est impossible, il ne pourrait me sortir une parole. Je le voudrais, mais tout me reste sur la poitrine !

— Ah ! s’écria madame Germain en soupirant, je prends cette ville en haine : si tu pouvais être comme moi !

— Moi, au contraire, j’y suis soudé maintenant, dit Émile tristement.

— Si tu voulais ouvrir les yeux, pourtant !

— Mais j’ai pensé à tout cela. Je me le suis dit à moi-même. Et il n’en faut pas moins que je reste jusqu’à ce que cela finisse ! »

Émile s’arrêta, accablé.

« Voilà que tu me fais peur encore ! s’écria-t-elle ; quelles sont tes pensées secrètes ? Pourquoi ne pas t’expliquer ? »

Émile vit qu’il effrayait sa mère.

« Oh ! reprit-il avec un sourire destiné à la rassurer, cela finira bien… par l’oubli, comme il arrive à tout le monde.

— Émile, mon cher enfant, nous ferions mieux de partir !

— Mais non, ce n’est pas nécessaire, je guérirai par moi-même.

— Tu penses donc enfin pouvoir devenir plus calme ? Oh ! tant mieux !

— Mais il n’y a point de doute ! dit Émile, qui ne savait s’il mentait ou s’il disait vrai !

— Pourquoi étais-tu si triste tout à l’heure ?

— Pas plus qu’à l’ordinaire, répliqua le jeune homme, à qui cette tendresse de mère faisait un effet adoucissant.

— Voyons ! je te connais, mon ami, tu le sais : Qu’est-ce qui te tourmentait ?

— Pas grand’chose, reprit Émile, cédant à l’influence de cette voix affectueuse qui dissolvait doucement, délicatement, son irritation chagrine.

— Oh ! et puis, continua-t-il, s’il fallait s’inquiéter de ce que disent les gens !

— Ah ! quelque nouvelle aventure, s’écria madame Germain. Eh bien ! que dit-on ? Je verrai si cela doit t’inquiéter ou non.

— C’est absurde, dit Émile. J’ai rencontré le frère d’Henriette ! La voix du jeune homme frémissait… Il paraît que dans la famille… Il s’arrêta, des larmes venaient à ses yeux… On croit que je voulais l’argent des Gérard !… Il éclata en sanglots nerveux comme une femme.

— Calme-toi, calme-toi, dit madame Germain en lui essuyant les joues avec son mouchoir et en l’embrassant. C’était inévitable, mais tu as ta conscience ! Tu leur imposeras silence en marchant la tête droite !

— Oh ! dit Émile toujours en proie à son émotion, c’est odieux ! Je n’en guérirai jamais.

— Oui, reprit madame Germain, mon pauvre enfant, ne pense plus à cette maison. C’est une rude épreuve pour ton orgueil ! Mais ne songe plus qu’à revenir à la santé… pour moi ! »

Madame Germain cherchait à ranimer Émile, mais elle était vivement atteinte par cette injurieuse opinion qui, en se répandant dans la ville, pouvait ternir l’honneur de son fils.

« Enfin, c’est peu de chose, ajouta-t-elle, un bruit sans fondement qui tombe de lui-même. Les mauvaises gens n’ont que des insultes à jeter contre les autres ! »

Émile secoua la tête, et il devint impossible d’en tirer une parole de plus.