Le Malade imaginaire/Prologue
PROLOGUE.
Après les glorieuses fatigues et les exploits victorieux de notre auguste monarque, il est bien juste que tous ceux qui se mêlent d’écrire travaillent ou à ses louanges, ou à son divertissement. C’est ce qu’ici l’on a voulu faire ; et ce prologue est un essai des louanges de ce grand prince, qui donne entrée à la comédie du Malade imaginaire, dont le projet a été fait pour le délasser de ses nobles travaux.
ÉCLOGUE
EN MUSIQUE ET EN DANSE.
Scène I.
Quittez, quittez vos troupeaux ;
Venez, bergers, venez, bergères ;
Accourez, accourez sous ces tendres ormeaux :
Je viens vous annoncer des nouvelles bien chères,
Et réjouir tous ces hameaux.
Quittez, quittez vos troupeaux ;
Venez, bergers, venez, bergères ;
Accourez, accourez sous ces tendres ormeaux.
Scène II.
Berger, laissons là tes feux :
Voilà Flore qui nous appelle.
Mais au moins, dis-moi, cruelle,
Si d’un peu d’amitié tu payeras mes vœux.
Si tu seras sensible à mon ardeur fidèle.
Voilà Flore qui nous appelle.
Ce n’est qu’un mot, un mot, un seul mot que je veux.
Languirai-je toujours dans ma peine mortelle ?
Puis-je espérer qu’un jour tu me rendras heureux ?
Voilà Flore qui nous appelle.
Scène III.
Quelle nouvelle parmi nous,
Déesse, doit jeter tant de réjouissance ?
Nous brûlons d’apprendre de vous
Cette nouvelle d’importance.
D’ardeur nous en soupirons tous.
Nous en mourons d’impatience.
La voici ; silence, silence !
Vos vœux sont exaucés, LOUIS est de retour ;
Il ramène en ces lieux les plaisirs et l’amour,
Et vous voyez finir vos mortelles alarmes.
Par ses vastes exploits son bras voit tout soumis ;
Il quitte les armes,
Faute d’ennemis.
Ah ! quelle douce nouvelle !
Qu’elle est grande ! qu’elle est belle !
Que de plaisirs ! que de ris ! que de jeux !
Que de succès heureux !
Et que le ciel a bien rempli nos vœux !
Ah ! quelle douce nouvelle !
Qu’elle est grande ! qu’elle est belle !
De vos flûtes bocagères
Réveillez les plus beaux sons ;
LOUIS offre à vos chansons
La plus belle des matières.
Après cent combats,
Où cueille son bras
Une ample victoire,
Formez entre vous
Cent combats plus doux,
Pour chanter sa gloire.
Formons, entre nous,
Cent combats plus doux,
Pour chanter sa gloire.
Mon jeune amant, dans ce bois,
Des présents de mon empire
Prépare un prix à la voix
Qui saura le mieux nous dire
Les vertus et les exploits
Du plus auguste des rois.
Si Tircis a l’avantage,
Si Dorilas est vainqueur,
À le chérir je m’engage.
Je me donne à son ardeur.
Ô trop chère espérance !
Ô mot plein de douceur !
Plus beau sujet, plus belle récompense
Peuvent-ils animer un cœur ?
Quand la neige fondue enfle un torrent fameux,
Contre l’effort soudain de ses flots écumeux,
Il n’est rien d’assez solide
Digues, châteaux, villes et bois,
Hommes et troupeaux à la fois,
Tout cède au courant qui le guide :
Tel, et plus fier et plus rapide,
Marche LOUIS dans ses exploits.
Le foudre menaçant qui perce avec fureur
L’affreuse obscurité de la nue enflammée,
Fait, d’épouvante et d’horreur,
Trembler le plus ferme cœur ;
Mais, à la tête d’une armée,
LOUIS jette plus de terreur.
Des fabuleux exploits que la Grèce a chantés
Par un brillant amas de belles vérités
Nous voyons la gloire effacée ;
Et tous ces fameux demi-dieux,
Que vante l’histoire passée,
Ne sont point à notre pensée
Ce que LOUIS est à nos yeux.
LOUIS fait à nos temps, par ses faits inouïs,
Croire tous les beaux faits que nous chante l’histoire
Des siècles évanouis ;
Mais nos neveux, dans leur gloire,
N’auront rien qui fasse croire
Tous les beaux faits de LOUIS.
Scène IV.
Laissez, laissez, bergers, ce dessein téméraire ;
Hé ! que voulez vous faire ?
Chanter sur vos chalumeaux
Ce qu’Apollon sur sa lyre,
Avec ses chants les plus beaux,
N’entreprendroit pas de dire :
C’est donner trop d’essor au feu qui vous inspire ;
C’est monter vers les cieux sur des ailes de cire,
Pour tomber dans le fond des eaux.
Pour chanter de LOUIS l’intrépide courage,
Il n’est point d’assez docte voix,
Point de mots assez grands pour en tracer l’image ;
Le silence est le langage
Qui doit louer ses exploits.
Consacrez d’autres soins à sa pleine victoire ;
Vos louanges n’ont rien qui flatte ses désirs :
Laissez, laissez là sa gloire,
Ne songez qu’à ses plaisirs.
Laissons, laissons là sa gloire,
Ne songeons qu’à ses plaisirs.
Bien que, pour étaler ses vertus immortelles,
La force manque à vos esprits,
Ne laissez pas tous deux de recevoir le prix,
Dans les choses grandes et belles,
Il suffit d’avoir entrepris[1].
Dans les choses grandes et belles,
Il suffit d’avoir entrepris.
Ah ! que d’un doux succès notre audace est suivie !
Ce qu’on fait pour LOUIS, on ne le perd jamais.
Au soin de ses plaisirs donnons-nous désormais.
Heureux, heureux qui peut lui consacrer sa vie !
Joignons tous dans ces bois
Nos flûtes et nos voix :
Ce jour nous y convie ;
Et faisons aux échos redire mille fois :
LOUIS est le plus grand des rois ;
Heureux, heureux qui peut lui consacrer sa vie !
AUTRE PROLOGUE.
Scène I.
Votre plus haut savoir n’est que pure chimère,
Vains et peu sages médecins ;
Vous ne pouvez guérir, par vos grands mots latins
La douleur qui me désespère :
Votre plus haut savoir n’est que pure chimère.
Hélas ! hélas ! je n’ose découvrir
Mon amoureux martyre
Au berger pour qui je soupire,
Et qui seul peut me secourir.
Ne prétendez pas le finir,
Ignorants médecins ; vous ne sauriez faire :
Votre plus haut savoir n’est que pure chimère.
Ces remèdes peu sûrs, dont le simple vulgaire
Croit que vous connoissez l’admirable vertu,
Pour les maux que je sens n’ont rien de salutaire ;
Et tout votre caquet ne peut être reçu
Que d’un malade imaginaire.
Votre plus haut savoir n’est que pure chimère,
Vains et peu sages médecins, etc.
- ↑ C’est la traduction de l’adage latin tiré de Tibulle : In magnis et voluisse sat est. La Fontaine a dit de même, en terminant son Discours à M. le Dauphin :
Et, si de t’agréer je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris. (Auger ).