Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 7/Avant-propos

Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 7p. 11-14).

AVANT-PROPOS.


Nous avons l’honneur d’offrir au public savant ce volume septième, qui est plus correct, nous le croyons, du moins, que les tomes précédents ; avantage, que nous devons à notre édition de Bombay. Elle nous a permis de comparer ensemble deux textes, de rectifier l’un par l’autre, et d’apercevoir, du plus simple coup-d’œil, les fautes, qui s’étaient glissées dans l’impression de Calcutta.

Tandis que nous prenions si gratuitement tant de peines, il a paru dans la Revue de la Société asiatique, ou il va paraître, quelques pages écrites, nous a-t-on dit, hostilement contre cette traduction.

Hostilement ! Nous avons donc un ennemi, nous, qui ne pensions pas en avoir ?

Quel mal ce livre a-t-il fait, soit à la société, soit à la patrie, soit à l’avancement des lettres, soit à vous-même ? Il y a des fautes ! direz-vous. Mais qui n’en a point ? Quand vous aurez feuilleté aussi longtemps que nous les patriarches de notre science, vous trouverez qu’on peut reprocher des oublis, des inadvertances, des imperfections à Wilson, à Bopp, à Westergnard, à Bohtlingk et Roth eux-mêmes.


Vous n’avez donc pas cette indulgence littéraire du bon Horace, qui avait l’ingénuité d’écrire :

……………… Non ego paucis
Offendar maculis, quas aut incuria fudit
Aut humana parum cavit natura……… ?

Quoi ! je traduis et j’imprime annuellement près de vingt-quatre mille vers sanscrits, et vous ne passez pas quelque chose à une telle promptitude !

Qui vous oblige, direz-vous, à cette folle vitesse ? Le temps, la vieillesse, soixante-dix années au moment, où j’écris cette ligne !

Si la mort permet que je m’assoie un instant sur le bord de ma tombe entr’ouverte, et que je vous chante, avant qu’elle ne se ferme à jamais, d’une voix, où l’on ne sent pas encore les grelottements de la vieillesse, cette longue et belliqueuse complainte, je dois en ressentir de la reconnaissance ; mais ne pas compter follement sur un plus grand nombre d’années, qu’il n’est peut-être pas dans les desseins adorables de l’Être absolu de vouloir bien nous accorder.

Nous avons remarqué aussi, avec moins d’indifférence, que, à l’exception de Strasbourg et de Messine, aucun souscripteur des autres villes n’avait répondu par le moindre mot de sympathie à notre appel en détresse.

Il faut donc nous résigner à plier les voiles de nos espérances, et à voguer durement, toujours la rame à notre main, sur cette mer trop calme, où la traversée n’est plus qu’un devoir de loyauté, d’honneur et de fidélité à nos engagements.

Ce qui distingue ce présent volume, ce sont :

Une description de la terre, suivant les erreurs et les fables, que l’ignorance avait mises alors en circulation ;

Un récit épisodique sur l’essence de Dieu, la nature, l’immortalité de l’âme et ses transmigrations éternelles d’une existence dans une autre vie ;

Et, vers la fin du chant, l’entretien de Bhîshma et de Karna, où respire, dans un langage simple et touchant, le mutuel oubli des offenses et l’acceptation du sort, que le Destin a fixé pour chacun d’eux.

Le milieu de cette partie du poème est flamboyant de ces combats trop nombreux, où l’on voit, malheureusement, sans aucune émotion du cœur, s’entrégorger ces guerriers aux guirlandes de fleurs, aux armures d’or, voiturés dans les combats sur des palanquins aux épaules de leurs fidèles serviteurs, ou montés sur des coursiers aux cuirasses d’or, des éléphants, revêtus de filets d’or, des chars, dont l’or a changé la matière, où flottent des drapeaux d’or et des étendards, qui portent, brodés en pierreries, l’éléphant, le lion, le sanglier, le tigre, emblème varié de chacun d’eux.

Parmi ces splendides guerriers, nous remarquons, à l’étrangeté du costume, ces soldats de pied entièrement couverts d’épines, en guise d’armures. Mais qu’étaient donc ces instruments de musique militaire, appelés des tonnerres et des scies ?

Comment se servait-on de ces arcs, qui lançaient des traits en faisceaux, des flèches associées, des dards, qui partaient ensemble, comme un vol d’oiseaux, en troupe de cinq, de dix, de vingt-cinq, de cinquante, de soixante, de soixante-treize ou dix-sept, de quatre-vingt, de cent et même de cinq cents à la fois ?

Qu’était-ce que ces armes à feu, rudimentaires, sans doute, qu’on nommait des bhouçoundîs.

Qu’était-ce que ces çataghnîs ou tueusses de cent hommes ? Était-ce une sorte d’essai primitif du canon européen ?

Difficiles questions, qui exerceront bientôt l’érudition des savants de notre continent, lorsque l’histoire et la littérature sanscrite seront parvenues à toute l’extension de culture, où sont arrivées depuis long-temps les histoires et les littératures de la Grèce et de l’Italie.

Parc du collège de Juilly, 29 juin 1867.

Hippolyte Fauche.