Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 1/Le Pâaushya-parva

Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 1p. 68-91).


LE PAAUSHYA-PARVA.




Le rejeton de Soûta dit :

« Djanamédjaya, fils de Parikshit, célébrait avec ses frères le grand sacrifice dans le Kouroukshétra. 657.

Ces trois frères étaient Çroutaséna, Ougraséna et Bhîmaséna. Tandis qu’ils accomplissaient là cette pieuse cérémonie, Sâraméya vint au sacrifice. 658.

Il fut maltraité par les frères de Djanamédjaya et courut vers sa mère en poussant les hauts cris. 659.

La mère dit à son fils, criant ainsi : « Pourquoi pleures-tu ? Qui t’a frappé ? » 660.

A ces paroles de sa mère : « Ce sont les frères de Djanamédjaya, qui m’ont battu ! » répondit-il. 661.

« Sans aucun doute, reprit sa mère, tu as commis là quelque faute, et c’est pour cela qu’on t’a battu ? » 662.

« Je n’ai fait de mal en rien, repartit l’enfant ; je n’ai pas touché les oblations de ma langue ; je ne les ai pas même regardées. » 663.

À ces mots, peinée du chagrin de son fils, Saramâ de s’en aller au sacrifice, où Djanamédjaya célébrait avec ses frères le long sacrifice. 664.

« Mon fils, lui dit-elle avec colère, n’avait commis nulle offense : il n’a touché vos oblations ni de sa langue, ni de ses regards. Pourquoi l’avez-vous donc frappé ? » 665.

Ils ne répondirent pas un mot. « Puisqu’ils ont maltraité mon fils, reprit-elle, qui ne l’avait pas mérité, un danger invisible fondra sur toi ! » 666.

Profondément troublé à ces paroles de Saramâ, la chienne des Dieux, Djanamédjaya fut saisi d’effroi. 667.

Le sacrifice terminé, il revint à Hastinapoura et s’appliqua avec les plus grands soins à chercher un digne pourohita : » C’est afin qu’il me lave, pensait-il, de cette tache du péché. » 668.

Un jour qu’il s’en était allé à la chasse, Djanamédjaya, le fils de Parikshit, aperçut un hermitage dans un certain lieu de ses domaines. 669.

Là, habitait un saint anachorète, nommé Çroutaçravas, avec un fils, qui trouvait sa joie dans la pénitence et qui avait pour nom Somaçravas. 670.

Djanamédjaya, le Parîkshitide, s’approcha du fils et le choisit pour lui confier l’office de son archi-brahme domestique. 671.

Il rendit ses hommages au brahme et lui dit : « Vénérable, que ce fils de ta sainteté soit mon pourohita ! »

À ces mots : « Écoute, Djanamédjaya, lui répondit l’interpellé ; ce fils de moi, que tu choisis pour ton archi-brahme domestique, doit sa naissance à la vigueur de ma pénitence. Il fut conçu au sein d’une serpente, qui s’est imprégnée de ma semence. 672-673.

» Il est capable d’effacer tous les péchés de toi, excepté le péché contre Mahâdéva. 674.

» Mais il est un vœu, qu’il a formé dans le secret de sa prière, c’est que le grand Dieu lui accorde toute chose, que tout brahme lui demandera. Si tu peux accepter cette condition, emmène-le. » 675.

A ces paroles, Djanamédjaya fit cette réponse : « Vénérable, il en sera ainsi ! » 676.

Quand il a reçu le pourohita, il s’en revient et dit à ses frères : « Voici l’archi-brahme domestique, que j’ai choisi ! Faites, sans balancer, tout ce qu’il dira. » 677.

Ses frères de répondre à ces mots : « Oui ! » Ensuite, il se rendit avec eux à Takshaçila. 678.

À peine arrivé, il rangea le pays sous sa puissance.

Dans ce temps vivait un saint hermite, appelé Dhâaumya-Ayauda. Il avait trois disciples, nommés Oupamanyou, Arouni et Véda. 679-680.

Il envoya un d’eux, Arouni de Pântchâli, avec cet ordre : « Va ! et bouche la digue de l’étang ! » 681.

Ainsi commandé par son maître spirituel, Arouni le Pântchâlien s’en alla ; mais il ne put fermer cette digue de l’étang. 682.

Après beaucoup de peines inutiles, une idée lui vint : « Soit ! dit-il ; je ferai de cette manière ! » 683.

Il entra dans la digue, il s’y coucha, et cette bonde nouvelle força l’eau de s’arrêter. 684.

Par la suite, le maître Ayauda-Dhâaumya dit un jour à ses disciples : « Où donc est allé Arouni de Pântchâli ? » 685.

A sa demande, ceux-ci de répondre : « Vénérable, tu l’as envoyé avec cet ordre ; « Va ! et bouche la digue de l’étang ! » Il reprit à ces mots de ses disciples : « Allons donc tous là, où il est allé. » 686.

Arrivé là, il se mit à crier pour le faire venir ; « Oh ! Arouni de Pântchâli, où es-tu ? Viens, mon fils ! » 687.

Aussitôt qu’il eut ouï ces paroles de son maître spirituel, Arouni de se lever avec empressement du bord de l’étang, où il jouait l’office de bonde, et, s’approchant du vénérable : 688.

« Me voici, lui dit-il ! J’étais entré dans la bonde de l’étang pour empêcher l’écoulement de cette eau, que rien ne pouvait arrêter ; mais, aussitôt entendue la voix de ta sainteté, rouvrant cette vanne, que mon corps tenait fermée, je suis accouru vite auprès d’elle. 689.

« Je salue donc ta sainteté ; que ta sainteté me commande la chose, que je dois faire. » 690.

A ces mots : « Parce qu’en te levant tu as rouvert la bonde de l’étang, lui répondit son maître avec bienveillance, tu seras nommé à l’avenir Ouddâlaka. 601.

» Et, parce que tu as obéi à ma parole, tu obtiendras le bien suprême : tous les Védas et tous les Traités de morale éclateront de lumière à tes yeux. » 692.

Après que le maître eut achevé de parler, le disciple s’en alla où il voulut. Ayauda-Dhâaumya avait un autre élève, nommé Oupamanyou. 693.

Le vénérable instituteur l’envoya avec cet ordre : « Mon fils Oupamanyou, va garder mes vaches. » 694.

Suivant la parole du maître, celui-ci garda les vaches tout le jour ; il revint sur la fin du jour à la chaumière de son gourou, et, debout devant lui, rendit ses hommages au maître. 695.

Son gourou, le voyant gras : « Mon fils Oupamanyou, de quoi fais-tu ta nourriture ? lui dit-il ; car te voici bien gras. » 696.

« Oh ! répondit le disciple, je vis des aliments, que me procure l’aumône. » Et son maître lui fit cette réponse : 697.

« Tu ne dois pas manger une aumône, que tu ne m’as pas remise. » — « C’est vrai ! » dit l’autre ; et, continuant à mendier, il rapportait la nourriture à son maître. 698.

Celui-ci recevait donc toute la nourriture obtenue par l’aumône, et le disciple, obéissant à sa voix, gardait les vaches tout le jour : il revenait vers le commencement de la nuit à la chaumière de son gourou et, debout devant lui, rendait son hommage au maître. 699.

Dans cet état même des choses, son guide le voyant gras encore : « Mon fils Oupamanyou, lui dit-il, je reçois toute la nourriture mendiée, sans aucune réserve : de quoi fais-tu la tienne ? » 700.

A ces mots : « Vénérable, après que je t’ai donné la première aumône, répondit le disciple, j’en vais mendier une seconde et je fais d’elle ma nourriture. » Le maître dit à son tour : 701.

« C’est une vie de gourou, qui ne te sied pas. En agissant ainsi, tu nuis à l’existence des autres, qui se nourrissent d’aumône, et tu fais acte de gourmandise. » 702.

« C’est vrai ! » lui répondit son disciple. Il gardait toujours les vaches ; il revenait, sa garde faite, à la chaumière de son gourou, et, debout devant lui, rendait son hommage au maître. 703.

Dans cet état même des choses, le voyant gras encore : « Mon fils Oupamanyou, dit celui-ci, tu me donnes toute la nourriture, que tu obtiens pour aumône : tu n’en vas pas mendier une seconde, et tu es encore bien gras ! De quoi fais-tu donc ta nourriture ? » 704.

« Oh ! répondit le disciple, je fais ma nourriture du lait de ces vaches. » — « Il ne te sied pas, reprit le maître de manger ce lait ; je ne t’en ai pas donné la permission. »

« C’est vrai ! » dit son disciple soumis. Il gardait toujours les vaches, et, revenant, sa garde faite, à la chaumière de son gourou, il restait debout devant lui et rendait son hommage au maître. 705-706.

Le voyant gras encore : « Mon fils Oupamanyou, lui dit son gourou, tu ne manges pas de la première aumône, tu n’en vas pas mendier une seconde, tu ne bois pas du lait des vaches : de quoi fais-tu maintenant ta nourriture ? »

« Oh ! répondit à ces mots son disciple, je lèche cette écume, que bavent les veaux, quand ils tettent au pis de leurs mères. » 707-708.

« Ces honnêtes veaux rejettent par compassion une écume plus abondante, lui répondit son maître. En agissant ainsi, tu nuis donc à l’accroissement de ces veaux : par conséquent ta sainteté ne doit pas même boire ce lait. » — « C’est vrai ! » lui répondit son disciple ; et il continua de garder les vaches. 709-710.

Arrêté ainsi de tous les côtés, il ne mange plus de la première aumône, il n’en va plus mendier une seconde, il ne boit plus du lait, il ne goûte plus même à l’écume bavée ; et, tourmenté de la faim, il arriva qu’un jour, il mangea des feuilles de la calotropis. 711.

Le suc d’un goût amer, acre, corrosif, piquant comme le verre, de ces feuilles mangées attaqua ses yeux ; il perdit la vue, et, tandis qu’il errait aveugle çà et là, il tomba dans un puits. 712.

Ensuite, comme il ne revenait pas, quoique le soleil fût déjà descendu sur la montagne du couchant, le gourou dit à ses disciples : « Oupamanyou ne revient pas ! » — « Il est allé garder les vaches, » répondirent ceux-ci, à qui le maître dit ; 713.

« J’ai mis des empêchements à Oupamanyou de tous les côtés : irrité de cela nécessairement, il s’en est allé. » Après qu’il eut parlé de cette manière et l’eut cherché long-temps, il se rendit au bois avec ses disciples, et poussant un cri pour le faire venir : « Oh ! Oupamanyou, dit-il, où es-tu ? Arrive ici, mon fils. » 714.

Lui, ayant ouï la voix de son gourou : « Me voici ! répondit-il à haute voix ; je suis tombé dans ce puits. » — « Comment, reprit le maître, as-tu fait une chute dans ce puits ? » 715.

« J’ai mangé des feuilles de la calotropis, répondit l’autre à son gourou ; j’en suis devenu aveugle ; ce qui a causé ma chute dans un puits. » 716.

Le saint anachorète lui fit cette réponse : « Chante les deux Açwins, qui sont les médecins des Dieux ; ils te rendront la vue. » A ces mots de son maître, Oupamanyou se mit à célébrer les frères jumeaux Açwins dans ces paroles, que le Rig-Véda adresse aux Dieux Açwins : 717.

« Ô vous, qui vous avancez de l’orient, qui êtes nés de l’orient, qui brillez de rayons admirables, je vous loue de ma voix, je vous honore de ma pénitence ; car vous êtes sans fin, vous êtes Dieux, sans passion, sans orgueil, vous êtes soutenus sur de charmantes ailes et vous planez au-dessus de tous les êtres ! 718.

» Açwins, qui êtes faits d’or, qui habitez l’air, comme des oiseaux, à deux points opposés, êtres victorieux, véridiques, aux traits charmants, vous ourdissez, agiles tisserands au riche métier, le blanc du jour, et vous tissez le noir de la nuit, que vous étendez comme un voile au-dessus du soleil ! 719.

» Vous avez sauvé pour le bonheur, Açwins, la caille[1], que dévorait la puissance de Souparna[1] ; maintenant les nuées, ces vaches rouges, s’inclinent devant ces Dieux bienfaisants, et, pleines de compassion, elles voiturent les eaux ! 720.

» Il est trois cent soixante vaches[2], mères d’un seul veau[2], comme si elles n’étaient qu’une vache ; elles allaitent chacune ce fils de toutes. Distribuées en différentes étables, elles n’ont qu’un seul vase à traire, où les deux Açwins matin et soir traient l’hymne chaud. 721.

Sept cents rais[3] sont attachées à une seule roue, vingt autres[3] sont placées entre les deux orbes. La roue tourne sans fin dans l’espace, que n’enferme aucune circonférence ; et sa magique révolution manifeste tour à tour les Açvins, ces êtres virils. 722.

» Il est une roue, qui se meut avec douze rais[4], six moyeux[4], un seul œil[4], apportant les cérémonies des saisons. Les Dieux, qu’on appelle Viçvas sont suspendus à cette roue, que les Açwins font rouler : puissent-ils ne jamais se lasser ! 723.

» Les Açwins, qui ont maintes façons d’agir, cachent eux-mêmes la lune et son ambroisie ; les Açwins sont comme les épouses des serviteurs. Abandonnant le mont Oudaya, ils conduisent avec joie le troupeau des nuées, et, partis avec le jour, ils répandent la pluie, mère de la fécondité.

» Vous faites reconnaître de nos yeux les dix points de l’espace éclairés devant vous ! Les rishis parcourent cette route unie, que vos chars foulent sur nos têtes ; ils y sont suivis par les Dieux ; mais les hommes ne marchent que sur la terre ! 724-725.

» Vous rendez la variété aux couleurs ; vous faites reprendre aux choses leurs diverses formes. Les Açwins excellent par-dessus tous les différents êtres ; ils sont eux-mêmes des soleils ; ils s’avancent avec les Dieux pour cortège ; mais les hommes ne marchent que sur la terre !

» Les Açwins n’ont pas une bouche menteuse. Açwins, je vous honore, vous et la guirlande de lotus, que vous portez. Les Açwins sont véridiques, ils sont immortels, ils sont droits ; ils viennent, ces Dieux, vers le soma, ruisselant sur l’autel comme sur une colline. 726-727.

» Qu’ils goûtent de leur bouche, ces Dieux brillants de jeunesse, le premier fruit du jour, maintenant que, la nuit étant expirée, le soma ruisselle sur l’autel comme sur une colline. À peine éclos, le jour nouveau-né dévore la nuit sa mère ; tandis que les Açwins conduisent le troupeau des nuages dans les routes de la vie ! » 728.

Les deux Açwins, ainsi loués par lui, se manifestent et lui disent : » Nous sommes contents ; ce gâteau est pour toi ; mange-le ! » 729.

À ce langage, il répondit : « Vos Déités ne m’ont jamais trompé ; mais je ne puis manger ce gâteau, que je n’ai pas donné à mon gourou. » 730.

« Ton maître nous a loués de cette manière avant toi, reprirent les Açwins, et nous lui avons donné un gâteau : mange donc celui-ci et ne le donne pas à ton maître ; fais toi-même comme a fait ton gourou. » 731.

Il répondit encore à ces mots : « Je ne saurais l’accepter, vénérables Açwins ; je ne puis manger un gâteau, que je n’ai pas donné à mon gourou. » 732.

« Nous sommes contents, reprirent les Açwins, de cette généreuse piété envers ton gourou. Les dents de ton maître sont de fer, mais les tiennes seront d’or. La vue te sera rendue, et tu obtiendras le bien suprême. » 733.

A ces paroles des Açwins, le disciple, ayant recouvré la vue, se rendit vers son maître, qu’il salua. Celui-ci demanda ce qui s’était passé, il en fut satisfait et lui tint ce langage : « Comme les Açwins te l’ont dit, tu obtiendras le bien suprême. 734.

» Tous les Védas et tous les Traités de morale éclateront de lumière à tes yeux. » Telle fut l’épreuve d’Oupamanyou. 735.

Cet Ayauda-Dhâaumya avait un autre disciple, nommé Véda. Son maître lui imposa ces conditions : « Mon fils Véda, reste ici maintenant seul dans mon hermitage ; et, quand un certain laps de temps aura coulé pour toi dans l’obéissance, tu obtiendras le bien suprême. » 736.

« Je le veux bien ! » dit celui-ci. Il habita donc chez lui un long temps, dévoué au service de son maître, supportant les misères de la faim et de la soif, du chaud et du froid, tenu par son gourou continuellement attelé comme un bœuf au chariot des fatigues. Son obéissance à toutes heures et en tous lieux obtint après un long temps la satisfaction du maître. 737.

Il dut à ce contentement le bien suprême et la science de tout. Ce fut là toute l’épreuve de Véda. 738.

Ayant donc achevé son noviciat, il reçut congé du maître et passa de chez lui dans un hermitage, son domaine personnel. 739.

Il habitait ce logis avec trois disciples ; mais il ne leur disait jamais rien : ou cette chose est à faire, ou ceci tient à l’obéissance, que l’on doit au maître. 740.

Car, ayant connu les souffrances d’habiter la maison d’un maître, il n’avait pas envie d’enchaîner ses disciples aux mêmes peines. 741.

Un certain jour Djanamédjaya et Pâaushya, deux kshatryas, vinrent chez le brahme Véda ; et, choisi par eux, il reçut l’archi-brahmanat de leur palais. 742.

Invité une fois pour vaquer aux fonctions de sacrificateur, il donna cette commission en partant à l’un de ses disciples, nommé Outanka : 743.

« Écoute ! Toute chose, que je laisse en train de se faire dans mon hermitage, je désire qu’elle ne soit point abandonnée par ta sainteté. » Véda, ces mots dits à Outanka, de porter ses pas vers le pays étranger. 744.

Outanka demeura donc en la maison du maître, exécutant son ordre avec docilité. Tandis qu’il habitait là, les femmes du maître l’appellent et lui disent, chacune à part : 745.

« La femme de ton gourou est dans les jours de son mois et le gourou est absent : fais en sorte que ce moment favorable ne soit pas stérile ; elle se meurt d’amour. » 746.

À ces mots, il répondit aux femmes : « C’est une chose, qui n’est point à faire, et je ne dois pas la faire sur la parole de ses épouses ; car le maître ne m’a pas donné son ordre ainsi : « Tu feras même ce qu’on ne doit pas faire. »

Sur ces entrefaites, le maître, revenu du pays étranger, rentra dans son hermitage ; il apprit toute la conduite de son disciple ; il en fut satisfait. 747-748.

« Mon fils Outanka, lui dit-il, que ferai-je d’agréable pour toi ? En effet, tu m’as servi loyalement ; notre amitié l’un pour l’autre en est augmentée. Ainsi, je te donne congé ; tu verras tes vœux se réaliser tous. Va-t-en ! » 749.

« Que ferai-je moi-même, lui répondit Outanka, d’agréable pour toi ? car, disent les sages : 750.

» L’homme, qui donne, et l’homme, qui reçoit d’une manière opposée à la loi, encourrent, le premier la haine, le second la mort. 751.

» Aussi, en ce moment, où je reçois le congé de ta sainteté, voudrais-je lui offrir la chose, qu’elle désire, en reconnaissance de ses leçons. » — « Alors, mon fils Outanka, répondit le maître à ces mots, habite encore aussi long-temps chez moi. » 752.

Un jour, Outanka dit à son maître de nouveau : « Que ta sainteté commande ! Que lui offrirai-je en récompense de ses leçons ? » 753.

« Mon fils Outanka, lui répondit son gourou : « Voilà plusieurs fois que tu me presses de cette demande : « Que t’offrirai-je en récompense de tes leçons ? » Va donc trouver la maîtresse, demande-lui : « Qu’offrirai-je ? » et donne-moi le présent, qu’elle te dira. » À ces mots de son maître : « Ma dame, dit-il à sa maîtresse, le maître m’a donné permission de m’en aller habiter un chez moi : « J’irai, lui ai-je répondu, mais libre de ma dette, quand je t’aurai offert en récompense de tes leçons la chose, que tu désires. » 764.

» Que ta grâce donc me commande ce que je dois lui offrir. » A ces paroles d’Outanka : « Va, lui dit sa maîtresse, chez le roi Pâaushya, et demande-lui pour aumône les boucles-d’oreille, que porte la kshatryâ, son épouse. 755.

» Apporte-les-moi dans quatre jours ; il y aura fête, et je désire, embellie de cette parure, y servir les brahmanes. Fais ce présent au maître ! Si tu agis de cette manière, tu obtiendras le bien suprême : autrement, d’où veux-tu qu’il te vienne ? » 756.

Cela dit, il se mit en route. Il vit, chemin faisant, un taureau colossal, sur lequel était monté un homme à la taille de géant. Celui-ci dit à Outanka : 757.

« Oh ! Outanka, mange cette fiente de mon taureau ! » L’anachorète, auquel on parlait ainsi, n’en eut aucune envie. 758.

« Mange, Outanka, lui répéta cet homme ; et n’hésite pas : ton maître en a mangé déjà. » 759.

« Bien ! » répondit à ces mots Outanka. Ensuite, après qu’il eut mangé la fiente et bu l’urine du taureau, il se leva à la hâte, lava sa bouche et reprit son voyage. 760.

Il arrive. Le kshatrya Pâaushya se présente ; il voit l’anachorète assis. Outtanka s’approche, le comble de ses bénédictions et lui dit : 761.

« Une chose, dont j’ai besoin, m’a conduit vers ta majesté. » — C’est moi en effet, qui suis Pâaushya, répondit celui-ci, après l’avoir salué. Révérend, que dois-je faire ? »

« Je suis venu pour des pendeloques, qu’il me faut donner à mon gourou en reconnaissance de ses leçons, reprit Outanka. Que ta majesté veuille donc bien me donner les pendants-d’oreille, que porte la kshatryâ, son épouse. » 762-763.

Pâaushya lui répondit : « Entre dans le gynœcée et demande-les à la reine. » À ces mots du roi, il entre dans le gynœcée, mais il n’y voit pas la kshatryâ. 764.

Outanka lui dit ensuite : « Il ne sied pas que ta majesté se joue de moi avec de fausses paroles ; en effet, la kshatryâ ne se trouve pas dans ton gynœcée et je ne l’ai pas vue. » 765.

Pâaushya lui répondit après un instant de réflexion :

« Tu portes indubitablement sur toi, rappelle-toi un peu, quelque reste de viande ; en effet, un homme, que rend impur un reste de chair mangé, ne peut voir la kshatryâ : sa pureté conjugale lui interdit la Vue d’un homme impur. »

À ces mots, Outanka s’étant rappelé dit : « Il est vrai que j’étais debout et que je marchais vite, quand je me suis rincé la bouche. » — « Voilà précisément la faute ! répartit Pâaushya. On ne doit pas se rincer la bouche, étant levé, dit la règle ; ni quand on marche vite, ajoute une autre. » 766—767.

« C’est juste ! » répondit Outanka. Il s’assit donc, la face tournée à l’orient, et lava bien sa bouche, ses pieds, ses mains ; il but trois fois en des eaux délicieuses, fraîches, sans écume, sans murmure ; il purifia deux fois ses organes creux, il toucha l’eau une dernière fois de sa bouche, et entra dans le gynœcée. 768.

Alors, il vit la reine. Celle-ci, à la vue d’Outanka, se lève et le salue : « Sois le bien venu, dit-elle. Commande, révérend ! Que dois-je faire ? » 769.

« Veuille bien, reprit-il, me donner tes pendeloques, dont je veux faire un cadeau à mon gourou.» Elle, enchantée de sa bonne nature : « C’est une personne digne, pensa-t-elle ; il ne faut pas le désobliger. » Elle ôta donc elle-même ses pendeloques, les remit au solitaire et lui dit : « Takshaka, le roi des serpents, a la plus grande envie d’avoir ces girandoles ; veuille donc les porter avec une grande attention. » 770.

Il répondit à ce langage de la kshatryâ : « Reine, sois bien tranquille ! Takshaka, le roi des serpents, ne peut triompher de moi ! » 771.

Cela dit, il salua la reine et vint se présenter devant son époux : « Oh ! lui dit-il, Pâaushya, je suis content ! » Et Pâaushya de répondre à Outanka : 772.

« Vénérable, maintenant que j’ai trouvé en toi la personne digne, que j’ai cherchée long-temps (car tu es un hôte rempli de vertus), j’ai envie de faire un çrâddha ; célèbre-le et reste un instant. » 773.

« J’ai encore un instant à moi, reprit Outanka : je désire que ta majesté fasse préparer vite les mets d’une manière conforme aux rites. » — « Bien ! » répondit le roi, qui fit servir à l’anachorète des aliments préparés suivant les règles. 774.

Ensuite Outanka, voyant un aliment froid, où se trouvait un cheveu : « C’est impur ! » pensa-t-il. « À cause que tu m’as donné un mets impur, dit-il au roi, tu deviendras aveugle ! » 775.

« Et toi, parce que tu incrimines cet aliment, qui est sans défaut, reprit alors Pâaushya, tu seras sans postérité ! » Et Outanka de lui répondre ; 776.

« Il ne te convient pas, quand tu m’as donné un aliment impur, d’opposer une imprécation à la mienne : fais donc apporter cet aliment sous tes yeux ! » Et le monarque, ayant vu que le mets était impur, en fit disparaître ce qui causait l’impureté. 777.

Ensuite, lui étant venue cette pensée : « Une femme l’a préparé sans doute, ayant ses cheveux déliés ; c’est pour cela qu’un cheveu tombé rendit impur cet aliment froid ; » il se mit à supplier l’anachorète Outanka. 778.

« Révérend, c’est par ignorance que ce mets te fut présenté froid avec un cheveu ; agrées-en mes excuses : fais que je ne devienne pas aveugle. » Outanka lui répondit : « Ma parole n’est jamais vaine : tu seras aveugle ; mais, peu de temps après, tu recouvreras la vue. Révoque aussi la malédiction, que ta majesté a lancée contre moi.» 779-780.

« Et moi, non plus, reprit Pâaushya, je ne puis révoquer mon imprécation. Ma colère n’est pas encore éteinte à cet instant même. Est-ce que ta sainteté ignore cet adage : « Le cœur du brahme est tendre comme le beurre frais ; et, dans sa parole, est un poignard aigu au tranchant acéré ; mais, dans le kshatrya, ces deux choses sont à l’inverse ; sa parole est comme le beurre frais et son cœur est une lame acérée. » 781-782.

» Puisque les caractères sont ainsi, je ne puis changer mon imprécation ; va-t-en ! » Outanka lui répondit : « Quand j’eus remarqué la condition impure du mets, tu m’as jeté un démenti, et tu m’as dit : 783.

« Parce que tu incrimines ce mets, qui est sans défaut, tu deviendras aveugle ! » Cependant il était impur, ce mets : donc, ta malédiction contre moi n’obtiendra pas son effet. 784.

« Restons-en là ! » Ces mots dits, Outanka partit, emportant les girandoles. Chemin faisant, il vit s’approcherun mendiant nu, qui tantôt se montrait et tantôt disparaissait à la vue. 785.

Un moment Outanka déposa les pendeloques sur la terre et s’avança vers un lac pour y faire ses ablutions. Aussitôt le mendiant se glissa lestement vers les joyaux, mit la main dessus et prit la fuite. 786.

La cérémonie de l’eau terminée, quand il eut offert dévotement et pur son adoration aux Dieux et son hommage à ses ancêtres, Outanka de s’en aller vers le ravisseur et de le poursuivre avec une grande vitesse. 787.

Déjà il était arrivé tout près de Takshaka, il mettait la main sur lui ; mais, à peine saisi, celui-ci de quitter son apparence empruntée, de reprendre ses formes de serpent et vite de s’élancer dans une grande fente ouverte au sein de la terre. 788.

Entré dans le monde des serpents, il se réfugia dans son palais. Alors Outanka se souvint de ce que lui avait dit la reine et voulut suivre Takshaka. 789.

Il se mit donc à fouiller ce trou avec le bout de son bâton, mais sans aucun succès. Indra, qui le vit accablé de chagrin, lui envoya son tonnerre. 790.

« Va, dit-il, et prête ton secours à ce brahmane ! » Le tonnerre descendit ; il entra dans cette fente, en suivant le bois du bâton, et fit éclater le trou. 791.

Outanka y pénétra sur ses traces. Entré par ce trou dans le monde sans limite des serpents, il le trouva plein d’établissements admirables, grands et petits, consacrés aux jeux, et comme encombré même par des centaines de portiques, de tourelles, de palais et de temples, variés dans leur architecture. 792.

Là, il déclama ces vers à la louange des Nâgas :

« Les serpents, brillants dans les combats, les serpents, de qui Aîrâvaia est le roi, se répandent comme des nuages envoyés avec les vents et les éclairs. 793.

« Beaux et variés dans les formes, semblables à des colliers de mainte couleur, ces fils d’Aîrâvata resplendissent comme des Adityas sur le sein du ciel. 794.

» Il est plusieurs habitations des serpents sur la rive septentrionale du Gange : j’adresse également cet hommage aux puissants reptiles, qui ont mis leur demeure en ces lieux. 795.

» Qui voudrait marcher, si ce n’est Aîrâvata dans l’armée des rayons du soleil ? Quatre-vingts centaines, plus huit milliers et une vingtaine de serpents s’avancent devant lui comme les rênes de son char. Voyez resplendir à ses côtés Dhritarâshtra ! 796.

» J’ai coutume de rendre mes hommages aux frères aînés d’Aîrâvata, et à ceux, qui rampent auprès de lui, et à ceux, qui vont dans les routes éloignées. 797.

» J’ai adressé à Takshaka cet éloge afin qu’il me rende les pendeloques ; à Takshaka, le roi des serpents, qui jadis eut sa demeure au pays des Kourous et dans le Khândava. 798.

» Takshaka et Açvaséna vont toujours de compagnie : tous deux ils habitent un palais dans le Kouroukshétra, sur les bords de la rivière Ikshoumatî. 799.

» Takshaka est l’ainé de ses frères ; il a un fils, qui porte le nom de Çroutaséna ; il est immortel ; il est d’une éclatante splendeur. À chaque fois que j’invoque la puissance des Nâgas, je ne dois jamais oublier d’adresser mon culte à ce magnanime ! » 800.

Mais, quoiqu’il eût comblé de tels éloges les plus grands des serpents, il n’en avait pas reçu davantage les riches pendeloques. Ensuite, il se plongea dans ses pensées.

Alors que, louant ainsi les Nâgas, il n’obtenait pas ses boucles-d’oreille, il vit deux femmes, qui, ayant placé un voile fin sur un beau métier, entrelaçaient dans une trame des fils blancs et des fils noirs. Il vit aussi une roue à douze rayons, que six jouvenceaux faisaient tourner ; il vit encore là un homme et un cheval admirable à voir. 801-802.

Outanka les célébra tous en ces distiques, dont le langage respire un chant sacré : 803.

« Trois cent soixante rayons tiennent au moyeu de cette roue éternelle, qui tourne sans cesse, à laquelle sont joints les vingt-quatre parvas ou quinzaines lunaires, et dont six jouvenceaux conduisent l’universel mouvement. 804.

» Cette trame, elle est ourdie par deux femmes, qui ont les formes de l’univers : elles tissent sans fin des fils noirs et blancs, et font rouler perpétuellement le cercle des êtres et des mondes. 805.

» Au Dieu, qui tient la foudre, à l’immolateur de Vritra, au meurtrier de Namoutchi, au protecteur du monde, à celui, que revêt une robe bleue, au magnanime, qui sépare dans le monde la vérité du mensonge, 806.

» Qui monte le cheval, enfant des eaux lactées, qui se fait d’Agni un coursier, au maître de l’univers, au seigneur des trois mondes, à Pourandara soit mon adoration ! » 807.

L’homme dit à Outanka : « Je suis content de cet éloge, tombé de ta bouche. Que puis-je faire qui te soit agréable ? » Outanka lui répondit : 808.

« Fais passer les serpents sous ma puissance. » — « Souffle, reprit l’homme, au derrière de mon cheval. » 809.

Il souffla donc à la croupe du cheval ; et soudain le souffle fit sortir des flammes de feu, accompagnées de fumée, par tous les canaux du coursier. 810.

Le monde des serpents fut englouti dans cette fumée ; et, sur le champ, ému, troublé d’épouvante aux lueurs du feu, Takshaka prit à la hâte les pendeloques, sortit de son palais et dit à Outanka : 811.

« Que ta révérence prenne ces boucles-d’oreille ! » Outanka les reçut et, comme il tenait ces joyaux dans sa main, il réfléchit : 812.

« C’est aujourd’hui cette fête, dont la maîtresse m’a parlé, et je me trouve dans un pays bien loin d’elle : comment pourrai-je lui remettre à temps ces parures ? » Tandis qu’il retournait cette pensée en lui-même, l’homme dit à anachorète : 813.

« Monte ce coursier, Outanka ; et, dans un instant, il te portera chez ton maître. » 814.

« Oui ! » répondit l’autre ; il enjamba le cheval et revint à la maison du gourou. Déjà la maîtresse était sortie du bain, elle avait coupé ses cheveux, elle s’était assise : « Outanka ne revient pas ! » disait-elle ; et son esprit inclinait vers la pensée de jeter sur lui une imprécation.

Dans ce même instant, il entrait à l’hermitage de son gourou ; il salua sa maîtresse et lui présenta les pendeloques. Celle-ci dit : 815-816.

« Outanka, tu reviens juste à l’heure et au lieu. Sois le bien venu, mon fils ! Je ne t’ai pas maudit, car tu es pur de faute. Le bien suprême est déjà sous ta main : obtiens la perfection ! » 817.

Ensuite il fut s’incliner devant son gourou : « Mon fils Outanka, lui répondit le maître, sois le bien venu ! Pourquoi as-tu tardé si long-temps ? » 818.

« Oh ! reprit Outanka ; le roi des serpents, Takshaka, m’a jeté un obstacle dans cette affaire ; ce qui m’a forcé à descendre au monde des serpents. 810.

» Là, j’ai vu deux femmes, qui tissaient des fils noirs et des fils blancs dans un voile fin, mis sur leur métier : qu’est-ce que cela signifie ? 820.

» Là, j’ai vu une roue à douze rayons et six jouvenceaux, qui la faisaient tourner : qu’est-ce que cela veut dire ? J’ai vu aussi un homme : qui était-ce ? J’ai vu encore un cheval à la taille démesurée : qu’est-ce donc ? 821.

» Et j’ai vu, chemin faisant, un taureau, sur lequel était monté un homme, qui, d’une voix obligeante, m’a dit cette parole : « Mange la fiente de ce taureau ; ton maître en a mangé. » 822,

» Alors, j’ai mangé la fiente du taureau, comme il m’y invitait. Qu’était-ce que cela ? J’aurais une grande envie d’ouïr ta sainteté m’apprendre ce que tout cela voulait dire. » 823.

Le maître à ces mots répondit : « Ces deux femmes sont Dhatâ et Vidhatâ ; les fils noirs et blancs sont les nuits et les jours ; cette roue à douze rayons, c’est l’année ; et les six jouvenceaux, qui la font tourner, sont les six saisons. 824.

» Cet homme était Indra lui-même ; son cheval, c’était Agni ; et le taureau, que tu as rencontré, chemin faisant, c’était Aîrâvata, le roi des éléphants. 825.

» L’homme, son cavalier, c’était encore Indra ; la fiente du taureau, que tu as mangée, c’était l’ambroisie ; et ce fut grâce à elle sans doute qu’on ne t’a pas ôté la vie dans le monde des serpents. 826.

» En effet, touché de compassion pour toi, l’auguste Indra, mon ami, t’accorda ces faveurs : aussi, as-tu pu revenir de là avec les pendeloques dans tes mains. 827.

» Ta révérence peut s’en aller maintenant où elle voudra ; je lui donne congé. Tu obtiendras, mon ami, le bien suprême. » Ainsi congédié par son gourou, le vénérable Outanka, qui voulait dans sa colère se venger de Takshaka, se rendit à Hastinapoura. 828.

Aussitôt son arrivée dans Hastinapoura, dont il eut bientôt franchi la distance, Outanka, le plus vertueux des brahmes, vint trouver le roi Djanamédjaya. 820.

Il vit, environné de tous les côtés par ses conseillers, ce prince, qui jadis avait habité Takshaçila, ce monarque victorieux partout, jamais vaincu et les yeux toujours appliqués sur lui-même. 830.

Il verse d’abord sur lui ses vœux de victoire suivant l’étiquette et lui tient ce langage d’une voix, dont le timbre s’harmonisait avec la circonstance : 831.

« Ô le plus vertueux des princes, dit l’anachorète, quand une chose est à faire, c’en est une autre, que tu fais par légèreté, ô le plus vertueux des souverains. » 832.

A ces paroles du brahmane, dit le rejeton de Soûta, le roi Djanamédjaya, l’ayant respectueusement salué, répondit au plus grand des brahmes : 833.

« Je protège les créatures et par là je remplis mon devoir de kshatrya, lui dit Djanamédjaya. Mais dis-moi : que dois-je faire pour la chose, qui t’amène en ces lieux ? 834.

«[5] Que ta majesté fasse donc une chose, qui est la sienne ! » répartit d’une âme résolue à ces mots du plus grand des rois le plus grand des brahmes, le premier des hommes, qui portent en eux la vertu. 835.

» Roi des rois, continue Outanka, venge-toi de Takshaka, le serpent à l’âme cruelle, qui a blessé ton père !

» Voici le moment propice, à mon avis, pour le sacrifice enseigné par les canons. Témoigne ainsi ton respect, sire, à la mémoire du prince magnanime, qui fut ton père. 836-837.

» Il fut mordu par le serpent à l’âme impure, sans qu’une offense eût provoqué sa colère, et le roi tomba dans la mort, comme un arbre sous un coup de la foudre ! 838.

» Le coupable du crime, le scélérat, qui a mordu ton père, c’est Takshaka, le plus vil des serpents, tout enivré de l’orgueil, que sa force lui inspire. 830.

» Le malfaiteur a détourné même Kaçyapa, qui voulait porter secours à ce monarque, semblable aux Immortels, en qui les familles des radjarshis avait un protecteur.

» Veuille donc, ô grand roi, immoler ce pervers dans le feu allumé pour le sacrifice des serpents. Il te faut prendre la plus prompte résolution. 840-841.

» Agir de cette façon, c’est honorer, sire, la mémoire de ton père, c’est faire une action bien grande et qui me sera agréable à moi-même. 842.

» En effet, protecteur de la terre, puissant roi, cœur sans péché, cette âme cruelle s’est jetée comme un obstacle devant moi, dans le chemin, où je marchais pour obéir à mon gourou. » 843.

Ce discours entendu, ajouta le rejeton de Soûta, excite la colère du roi contre ce Takshaka, et les paroles d’Outanka, versées dans son âme brûlante, y produisent l’effet du beurre liquide, versé dans le feu du sacrifice. 844.

Rempli de tristesse, le monarque alors d’interroger ses ministres en présence d’Outanka sur l’événement, qui avait envoyé son père dans les palais du Swarga. 845.

Quand il entendit Outanka dire que son père était mort, ce mot seul avait déjà plongé le puissant monarque dans la douleur et le chagrin. 846.






  1. a et b La terre dévorée par la chaleur du Soleil. Les Açvins, personnifications des crépuscules du matin et du soir, l’ont sauvée, parce que les pluies viennent pour l’ordinaire au commencement du jour et de la nuit.
  2. a et b Symbole des jours et de l’année.
  3. a et b Allégories des jours et des nuits.
  4. a, b et c Emblèmes des douze mois et des six saisons de l’année.
  5. Le texte porte ici avant le çloka ; Le rejeton de Soûta dit. Nous avons retranché ces mots, pour donner plus de vigueur à la repartie d’Outanka.