Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap29

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 184-190).


CHAPITRE XIX


MORT D’OULOÛKA ET DE ÇAKOUNI


Argument : Combat de Bhîma et de Sahadeva contre Çakouni et Ouloûka. Description du champ de bataille. Fuite des soldats de Çakouni. Douryodhana les rallie. Le combat se généralise. Mort d’Ouloûka. Discours de Sahadeva. Mort de Çakouni. Fuite des Kourouides. Joie des Pândouides.


1501. Sañjaya dit : Pendant qu’avait lieu le combat, dans lequel les éléphants, les chevaux et les hommes étaient détruits, Çakouni, fils de Soubala, se dirigea vers Sahadeva, ô roi.

1502. Alors le majestueux Sahadeva envoya rapidement à ce (guerrier), qui se précipitait (sur lui), une multitude de flèches, comparable à des oiseaux au vol rapide.

1503. Ouloûka atteignit, dans la bataille, Bhîma de dix traits et Sahadeva de quatre-vingt-dix.

1504. Ô roi, ces héros, s’étant attaqués réciproquement, s’atteignirent de flèches aiguës, garnies de plumes de paon et de vautour,

1505. À l’extrémité postérieure dorée, aiguisées sur une pierre, lancées (en bandant l’arc de manière à amener la corde) contre l’oreille, ô maître des hommes. La pluie des traits (envoyés) par leurs arcs et leurs mains

1506, 1507. Couvrait toutes les directions de l’horizon, comme (l'eussent fait) les gouttes d’eau d’un nuage. Alors, ô Bharatide, les deux très forts (héros) Bhîma et Sahadeva, remplis de rage dans la lutte, parcoururent (le champ de) bataille, en y détruisant tes soldats. Ils couvrirent cette armée de centaines de flèches.

1508, 1509. L’air en était comme obscurci par places. La voie était obstruée, çà et là, par les chevaux couverts de traits, traînant de nombreux (guerriers) tués et aussi par des cavaliers dont les chevaux avaient péri, ô maître des hommes.

1510, 1511. Ô vénérable, la terre, couverte de boucliers brisés, de javelots coupés, de lances, de piques, d’épées, de dards et de haches, parut comme bigarrée par des fleurs, ô grand roi, les guerriers s’étant attaqués les uns les autres en cet endroit,

1512-1514. Avec des yeux saillants de colère et des bouches dont le creux des lèvres était serré. Couverte de bras coupés ornés d’anneaux pareils à des filaments de lotus, (bras) semblables à la trompe du roi des éléphants, garnis d’angadas (bracelets) (couverte aussi) de corps sans tête dressés, revêtus de leurs armures, (tenant encore) leurs épées, leurs javelots et leurs haches, et d’autres (corps) en pièces, dansant, la terre, qui se remplit d’une multitude d’animaux carnassiers, devint terrible à voir, ô maître de la terre.

1515. Cependant, l’armée étant réduite à un petit nombre (de tes soldats encore vivants), les Pândouides eurent la joie d’expédier les Kourouides au séjour d’Yama.

1516. Pendant ce temps, le majestueux héros, fils de Soubala, frappa fortement, d’un javelot, à la tête, Sahadeva

1517. (Qui), troublé, s’assit sur le siège de devant de son char, et Bhîmasena, ayant vu Sahadeva (dans cet état),

1518. Arrêta dans sa colère toutes les armées et, avec ses nârâcas, détruisit (tes guerriers) par centaines et par milliers, ô Bharatide,

1519-1520. Et les ayant transpercés, le dompteur des ennemis poussa un rugissement. Tous les suivants de Çakouni, effrayés et rendus tremblants par ce cri, s’enfuirent avec leurs chevaux et leurs armes. Mais le roi Douryodhana, les ayant vus en déroute, dit :

1521. Retournez-vous. Vous ne connaissez pas votre devoir. À quoi bon fuir ? Établissez votre gloire ici-bas et obtenez, après cette vie, les mondes (supérieurs).

1522. Celui qui meurt en combattant, en ne montrant pas le dos, est un héros. Les suivants du Soubalide, ainsi exhortés par le roi,

1523-1524. Ne songeant plus à la mort (qui les menaçait), attaquaient les Pândouides, ô Indra des rois. Ceux qui prenaient part (à ce combat) faisaient un grand bruit, semblable à celui de la mer agitée de toutes parts. Alors, ayant devant (eux) les suivants du fils de Soubala,

1525. Ô grand roi, les Pândouides, prêts pour la victoire, allèrent à leur rencontre, et, ô maître des hommes, Sahadeva ayant repris ses sens,

1526. Ayant atteint Çakouni de dix traits et ses chevaux de trois, coupa, comme en se jouant, l’arc du Soubalide avec ses flèches.

1527. Mais Çakouni, enragé au combat, ayant pris un autre arc, atteignit Nakoula de soixante (traits) et Bhîmasena de sept.

1528. Ouloûka aussi, ô grand roi, atteignit Bhîma de sept flèches, et, pour protéger son père dans le combat, frappa Sahadeva de soixante-dix autres.

1529. Bhîmasena l’atteignit de neuf flèches, (ainsi que) Çakouni de soixante-quatre et ceux qui se tenaient sur les côtés, chacun de trois.

1530. Frappés par Bhîmasena de flèches imbibées d’huile, ceux-là, pleins de colère, couvraient, dans la bataille, Sahadeva d’une pluie de flèches,

1531, 1532. Comme des nuages accompagnés d’éclairs couvrent une montagne de gouttes d’eau. Alors le majestueux Sahadeva enleva, avec une bhalla, la tête d’Ouloûka qui arrivait (sur lui). Abattu par Sahadeva, il tomba de son char à terre,

1533. Tout le corps baigné de sang, remplissant de joie les Pândouides, dans la bataille. Mais alors, à la vue de son fils tué, Çakouni,

1534. La voix pleine de sanglots, soupira, se rappelant les paroles du kshattar (Vidoura). Ayant réfléchi un instant, les yeux pleins de larmes,

1535, 1536. Il attaqua Sahadeva et l’atteignit de trois flèches. Ayant, avec des flots de traits, écarté les flèches (qui lui étaient) lancées, le majestueux Sahadeva coupa l’arc (de son adversaire), ô Indra des rois. Alors Çakouni, fils de Soubala, son arc étant brisé,

1537, 1538. Prit un glaive terrible et en frappa Sahadeva, qui, ô maître des hommes, au moment où il arrivait sur lui avec une force épouvantable, coupa en deux, comme en se jouant, ce glaive à l’aspect terrible du Soubalide. À la vue de son épée coupée ainsi, (Çakouni), ayant pris une grande massue,

1539-1541. La lança à Sahadeva, (mais) elle tomba à terre, inutile. Alors, le fils de Soubala, irrité, brandit et envoya contre le fils de Pândou, une lance aussi terrible que la nuit de la destruction du monde. Avec ses flèches ornées d’or, Sahadeva, comme en se jouant, coupa en trois morceaux cette (lance) dorée, qui volait rapidement (vers lui), et qui, coupée en trois morceaux, tomba à terre,

1542. Brillante comme un éclair (parti) du ciel. À la vue de cette lance brisée et du Soubalide tourmenté par la crainte,

1543. Tous les tiens, avec le fils de Soubala, s’enfuirent pleins d’effroi. Les Pândouides, fiers de leur victoire, poussèrent de grands cris.

1544. Presque tous les Dhritarâshtrides avaient pris la fuite. Les voyant sans cœur, le majestueux fils de Mâdrî

1545, 1546. Les arrêta au moyen de plusieurs milliers de flèches et attaqua, dans la bataille, le Soubalide qui (avait l’habitude) d’aller à la victoire, protégé par les Gândhâras et conduit par des chevaux (bien) nourris. Se rappelant que (la victoire sur) Çakouni était la part (de gloire qui lui était réservée),

1547. Sahadeva, sur son char aux parties d’or, s’approcha (de lui). Ayant mis une corde à son grand arc,

1548. Il attaqua le fils de Soubala avec des flèches garnies de plume de vautour et aiguisées sur une pierre. Dans sa colère, il le frappa violemment, comme (on frappe) un grand éléphant avec des aiguillons.

1549. L’ayant saisi, l’intelligent (fils de Pândou) lui dit, comme pour lui rafraîchir la mémoire : Sois ferme dans le devoir des Kshatriyas, combats, sois un homme.

1550. insensé, contemple maintenant le fruit que cette action (a porté). Ô fou, tu t’es réjoui quand tu jouais aux dés dans l’assemblée des rois.

1551. Ces méchants sont tués, qui jadis riaient de nous. Douryodhana, le tison (brûlant) de sa race, est (seul) resté (vivant) avec toi, son oncle maternel.

1552. Aujourd’hui, je te couperai la tête, que j’abattrai avec mon sabre, comme un fruit qu’un bâton lancé fait tomber d’un arbre.

1553. Après avoir ainsi parlé, ô grand roi, le très fort Sahadeva, furieux comme un tigre dans la bataille, le frappa rapidement.

1554. Le maître des guerriers, le très redoutable Sahadeva, étincelant en quelque sorte de courroux, s’étant approché, ayant déchargé son puissant arc,

1555. Ayant atteint Çakouni de dix (traits) et ses chevaux de quatre, et ayant coupé son parasol, son arc et son étendard, rugit comme lion.

1556. Le Soubalide, dont l’arc, le parasol et l’étendard avaient été coupés par Sahadeva, était très grièvement blessé, dans toutes les parties vitales, par de nombreuses flèches.

1557. Alors, ô grand roi, le majestueux Sahadeva envoya encore à Çakouni une épouvantable pluie de flèches.

1558. Mais alors le fils de Soubala, irrité, (essaya) de broyer Sahadeva, fils de Mâdrî, avec un javelot orné d’or. Il se précipita à lui tout seul, (sur lui) en vue de le tuer.

1559. Le fils de Mâdrî coupa en même temps, avec trois bhallas, ce javelot et les deux mains bien faites (qui l’avaient) brandi, et poussa au milieu du champ de bataille des cris rapides et retentissants.

1560. En outre, il enleva rapidement la tête du corps de son adversaire, avec une bhalla bien disposée, à l’extrémité postérieure dorée, fortement ferrée et capable de traverser tous les abris protecteurs.

1561. Le fils de Soubala tomba à terre, la tête coupée par le fils de Pândou, au moyen de (cette) flèche bien envoyée, garnie d’ornements d’or et brillante comme le soleil.

1562. Ce fils de Pândou coupa, avec une flèche rapide, à l’extrémité postérieure dorée, aiguisée sur une pierre, la tête de l’auteur de la faute des Kourouides.

1563. À la vue de Çakouni gisant à terre, la tête coupée, le corps baigné de sang, tes soldats, ayant l’esprit égaré par la peur, s’enfuirent, leurs armes à la main, dans toutes les directions,

1564. Dispersés, ayant la bouche sèche, inconscients, tourmentés par la crainte, ayant leurs chars brisés, poursuivis par le bruit de Gândîva ; les éléphants et les fantassins (s’enfuirent) avec les Dhritarâshtrides.

1565. Alors, après avoir abattu Çakouni de son char, les fils de Pândou, gais, très joyeux, soufflèrent dans leurs conques, remplissant de joie leurs soldats ainsi que Keçava.

1566. Et tous cinq, joyeux, saluèrent Sahadeva avec respect, en lui disant : Grâce au ciel, le méchant (Çakouni ) et son fils ont été tués par toi dans la bataille.