Le Magasin d’antiquités/Tome 2/72

Traduction par Alfred Des Essarts.
Hachette (2p. 291-299).



CHAPITRE XXXV.


Quand le matin fut arrivé, et que les voyageurs purent s’entretenir avec plus de calme du sujet de leur tristesse, ils apprirent les détails suivants sur la mort de Nelly.

Il y avait deux jours qu’elle était morte. Ses amis du village étaient auprès d’elle au moment suprême, sachant bien qu’elle tirait à sa fin. Elle mourut peu après le lever de l’aurore. Tour à tour on lui avait fait la lecture, on lui avait parlé jusqu’à une heure assez avancée ; mais vers la dernière partie de la nuit, elle s’endormit. On put comprendre, aux paroles qu’elle prononçait en rêvant, que ses rêves lui retraçaient les excursions faites avec le vieillard ; les scènes pénibles en avaient disparu pour faire place à l’image des êtres généreux qui avaient assisté et traité avec bienveillance le grand-père et sa petite-fille ; car souvent elle disait d’un ton de vive reconnaissance : « Que Dieu vous bénisse ! » Quand elle s’éveilla, elle n’eut pas de délire, si ce n’est qu’elle parla d’une admirable musique qu’elle entendait dans les airs. Qui sait ? c’était peut-être vrai.

Ouvrant les yeux à la fin, après un sommeil très-paisible, elle les pria de l’embrasser encore une fois. Lorsqu’ils l’eurent embrassée, elle se tourna vers le vieillard avec un sourire plein de tendresse, un sourire, dirent les témoins, comme ils n’en avaient jamais vu, et tel qu’ils ne pourraient jamais l’oublier ; et de ses deux bras elle entoura le cou de son grand-père. D’abord, on ne s’aperçut pas qu’elle était morte.

Souvent elle avait parlé des deux sœurs qu’elle aimait, disait-elle, comme de vraies amies. Elle souhaitait qu’on pût leur apprendre un jour combien leur pensée l’avait occupée et combien de fois elle les avait suivies de loin, tandis qu’elles se promenaient ensemble le soir, au bord de la rivière. Elle eût voulu revoir le pauvre Kit, dont elle prononça fréquemment le nom. Elle formait le vœu que quelqu’un lui portât son souvenir ; et même alors elle ne songeait à lui ou ne parlait de lui qu’avec une gaieté franche et vive, comme autrefois.

Au reste, jamais elle n’avait fait entendre ni un murmure ni une plainte. Toujours calme au contraire, toujours la même aux yeux de ceux qui l’entouraient, si ce n’est qu’elle leur montrait chaque jour plus d’attachement et de reconnaissance, elle s’éteignit comme la lumière du soleil dans un beau soir d’été.

L’enfant qui avait été son petit ami se présenta aussitôt qu’il fit jour, avec des fleurs desséchées qu’il demanda la permission de poser sur la poitrine de Nelly. C’était lui qui dans la nuit s’était mis à la fenêtre et avait parlé au fossoyeur. Aux traces de ses petits pieds sur la neige, on reconnut qu’avant d’aller se coucher il avait erré près de la chambre où Nelly reposait. Sans doute il avait craint qu’on ne la laissât seule, et n’avait pu supporter cette idée.

Il leur parla encore de son rêve où il avait vu qu’elle leur serait rendue dans son état habituel. Il sollicita instamment la faveur de voir Nelly ; il promit de se tenir bien tranquille : on n’avait pas à craindre qu’il eût peur, disait-il, car il avait gardé tout seul durant une journée entière son jeune frère défunt, content de se trouver jusqu’à la fin si près de lui. On exauça son désir ; et vraiment il tint parole, son courage enfantin dans un âge si tendre avait été pour tous une édifiante leçon.

Jusque-là, le vieillard n’avait pas prononcé une parole, sinon pour s’adresser à Nelly ; il n’avait pas bougé d’auprès du lit. Mais quand il aperçut le petit favori de son enfant, il fut plus ému que jamais, et lui fit signe de s’approcher de lui. Alors lui montrant le lit, il fondit en larmes pour la première fois ; et les assistants, comprenant que la présence de cet enfant faisait du bien au vieillard, les laissèrent seuls ensemble.

L’enfant sut calmer le vieillard en lui parlant de Nell dans son langage naïf, et lui persuader qu’il devait sortir un peu pour prendre quelque repos… il lui fit faire enfin tout ce qu’il voulait.

Lorsque vint la lumière du jour, de ce jour où Nell devait, sous sa forme terrestre, disparaître à jamais des yeux mortels, l’enfant emmena le vieillard afin qu’il ne sût pas le moment où elle allait lui être ravie.

Ils allèrent cueillir des feuilles fraîches et des baies pour en décorer le lit funèbre. C’était le dimanche, par une brillante et claire après-midi d’hiver. Comme ils suivaient la rue du village, ceux qui se trouvaient sur leur chemin se détournaient en leur faisant place et leur adressaient un salut amical. Quelques-uns secouaient cordialement la main du vieillard, d’autres se découvraient la tête en le voyant avancer d’un pas chancelant, et s’écriaient lorsqu’il passait près d’eux : « Que Dieu l’assiste ! »

« Voisine, dit le vieillard, s’arrêtant à la porte de la chaumière qu’habitait la mère de son jeune guide, depuis quand les gens d’ici sont-ils presque tous en noir le dimanche ? J’ai vu à la plupart d’entre eux un ruban de deuil ou un morceau de crêpe. »

La femme répondit qu’elle ne savait pas pourquoi.

« Vous-même, s’écria-t-il, vous portez aussi cette couleur. Les croisées sont fermées partout, comme jamais elles ne le sont dans la journée. Qu’est-ce que cela signifie ? »

La femme répondit encore qu’elle ne savait pas pourquoi.

« Retournons-nous-en, dit impétueusement le vieillard ; il faut voir ce que c’est.

— Non, non ! cria l’enfant qui le retint. Rappelez-vous ce que vous m’avez promis. Nous avons à aller jusqu’à cette pelouse du sentier où elle me menait si souvent et où vous nous avez trouvés plus d’une fois faisant des guirlandes pour son jardin. Ne nous en retournons pas !

— Où est-elle maintenant ? demanda le vieillard. Dites-le-moi.

— Ne le savez-vous pas ? répondit l’enfant. Ne l’avons-nous pas quittée tout à l’heure.

— C’est vrai, c’est vrai. C’était elle… que nous avons quittée. »

Le vieillard appuya la main sur son front, tourna autour de lui des yeux hagards ; et, comme poussé par une pensée subite, il traversa la route et entra dans la maison du fossoyeur. Celui-ci, avec le sourd qui l’aidait dans ses travaux, était assis devant le feu. Tous deux se levèrent à la vue du vieillard.

Le jeune garçon leur fit un signe rapide de la main. Ce fut l’affaire d’un moment ; mais ce geste, et mieux encore l’expression des traits de son compagnon malheureux suffirent bien.

« Est-ce que… est-ce que vous enterrez quelqu’un, aujourd’hui ?… dit le vieillard avec anxiété.

— Non, non ! répondit le fossoyeur. Qui donc voulez-vous que nous ayons à enterrer.

— Oui, qui donc en effet ? c’est ce que je me demande.

— C’est jour férié, mon bon monsieur, répliqua doucement le fossoyeur. Nous n’avons pas à travailler aujourd’hui.

— En ce cas, j’irai où vous voudrez, dit le vieillard se tournant vers l’enfant. Vous êtes bien sûr de ce que vous me dites ? Vous n’êtes pas capable de me tromper ? … Je suis bien changé, allez ! même depuis la dernière fois que vous m’avez vu.

— Allez en paix avec lui, monsieur, cria le fossoyeur, et que le ciel vous conduise.

— Je suis prêt, dit le vieillard d’un ton de soumission. Allons, mon enfant, allons. »

Et alors il se laissa emmener.

Voilà que la cloche retentit, la cloche que Nelly avait entendue si souvent la nuit et le jour et qu’elle écoutait avec un plaisir grave, absolument comme une voix vivante. Voilà que la cloche sonna son implacable glas pour elle, si jeune, si jolie et si bonne. La vieillesse décrépite, les hommes dans la vigueur de l’âge, la jeunesse florissante, la faible enfance, tous se précipitèrent, tous se rassemblèrent autour de la tombe de Nelly, les uns sur des béquilles, les autres dans l’orgueil de la force et de la santé, ceux-ci dans l’épanouissement des promesses de l’avenir encore à l’aube de la vie. Il y avait là des vieillards avec leurs yeux émoussés, leurs membres insensibles ; des aïeules qui eussent dû être mortes depuis dix ans, tant elles étaient déjà vieilles alors ; il y avait les sourds, les aveugles, les boiteux, les paralytiques, les morts vivants de toute taille et de toute forme, tous accourus pour voir se fermer cette tombe prématurée. Qu’était-ce que cette mort anticipée qu’on allait y ensevelir, en comparaison de cette autre mort infirme et tardive qui se traînait à peine vivante encore autour de la fosse !

On la porta le long d’un sentier encombré par la foule ; pure comme la neige nouvelle qui couvrait le sol, elle n’avait fait comme elle qu’apparaître un jour sur la terre.

Elle passa de nouveau sous ce porche où elle s’était assise quand le ciel, dans sa miséricorde, l’avait conduite vers cette retraite paisible ; la vieille église la reçut au sein de son ombre maternelle.

On la porta dans un coin où bien souvent elle s’était assise toute rêveuse, et l’on déposa soigneusement sur les dalles le précieux fardeau. La lumière s’y projetait à travers les vitraux d’une fenêtre coloriée, une fenêtre que les rameaux des arbres effleuraient constamment pendant l’été et où les oiseaux venaient chanter doucement tout le long du jour. À chaque souffle d’air qui agiterait ces branches, un reflet tremblant, une clarté changeante tomberait sur le tombeau de Nelly.

La terre retourne à la terre, la cendre à la cendre, la poussière à la poussière. Plus d’une jeune main déposa sur le cercueil sa petite couronne ; on entendit plus d’un sanglot étouffé. Plusieurs, et ce fut le plus grand nombre, s’agenouillèrent. Tous étaient sincères dans leurs regrets.

Le service étant achevé, les personnes qui menaient le deuil se rangèrent de côté, et les villageois se réunirent en cercle pour regarder la tombe avant que les dalles eussent été replacées. Un d’eux rappela combien de fois on avait vu Nelly assise en ce même endroit ; combien de fois, son livre de prières sur ses genoux, elle contemplait le ciel avec des yeux pensifs. Un autre disait qu’il s’était étonné souvent qu’une créature si délicate, fût en même temps si courageuse ; que jamais elle n’avait craint d’entrer seule la nuit dans l’église, qu’au contraire elle aimait à y errer quand tout était tranquille, et même à gravir l’escalier de la tour sans autre lumière que les rayons de la lune pénétrant à travers les meurtrières percées dans l’épaisseur du vieux mur. Les plus anciens du pays murmurèrent entre eux que c’était pour voir les anges et converser avec eux ; et on n’avait pas de peine à le croire, en se rappelant ses traits, ses discours, sa mort prématurée. On s’approchait de la tombe par petits groupes, on y jetait un regard, puis on faisait place à d’autres et l’on sortait à trois ou quatre en chuchotant. Bientôt il ne resta dans l’église que le vieux fossoyeur et les amis de Nelly.

Ils virent refermer le caveau et fixer dessus la pierre. Quand l’obscurité du soir fut descendue, quand le calme sacré du lieu saint ne fut plus troublé par le moindre bruit, quand la brillante clarté de la lune se projeta sur la tombe et sur l’église, sur les piliers, les murailles, les arceaux, et principalement, on eût pu le croire du moins, sur la paisible sépulture de Nelly, à cette heure du repos où tous les objets extérieurs et les pensées de l’âme s’accordent pour témoigner de l’éternité devant laquelle les espérances muettes et les craintes s’humilient dans la poussière, alors les amis de l’enfant se retirèrent pieusement résignés, et la laissèrent avec Dieu.

Ah ! elle coûte cher à apprendre la leçon que donnent de telles morts : mais qu’aucun homme ne la repousse ; car c’est une leçon utile à tous, celle qui contient dans toute sa puissance et son universelle sagesse la vérité. Lorsque la mort frappe ces petits innocents, il sort de ces fragiles enveloppes d’où elle dégage l’âme palpitante, des essaims nombreux de vertus qui, sous la forme de la bonté, de la charité, de l’amour, vont par le monde répandre leurs bénédictions. De toute larme versée sur ces tombes verdoyantes par des êtres désolés, il naît quelque bien pour notre âme, quelque progrès pour notre nature. Les traces mêmes du génie destructeur fécondent de brillantes créations qui défient sa puissance, et le chemin sombre par où il a passé devient une traînée lumineuse qui conduit au ciel.

Il était tard quand le vieillard rentra au logis. L’enfant l’avait d’abord conduit chez sa mère, sous quelque prétexte. Assoupi par sa longue promenade et par ses veilles précédentes, le vieillard tomba dans un profond sommeil, au coin du feu. Épuisé de fatigue comme il l’était, on eut soin de ne point le réveiller. Ce repos dura longtemps, et, quand il en sortit, la lune brillait de tout son éclat.

Le plus jeune frère, inquiet de son absence prolongée, attendait son retour à la porte de la maison, quand il vit le vieillard s’avancer sous la conduite de son petit guide. Il alla au-devant d’eux, et pressant avec tendresse son frère de vouloir bien s’appuyer sur son bras, il le mena jusqu’en sa demeure où le vieillard rentra d’un pas lent et tremblant.

Il alla tout droit à la chambre de Nelly. N’y trouvant pas ce qu’il y avait laissé, il revint avec des yeux humides dans la pièce où ses amis étaient réunis. De là il courut à la maison du maître d’école, en appelant : « Nelly ! Nelly ! » On le suivait de près, et quand il eut vainement cherché sa petite fille, on le reconduisit chez lui.

Là, avec les paroles de tendresse et de persuasion que peuvent inspirer la pitié et l’amour, ils l’engagèrent à s’asseoir parmi eux, à écouter ce qu’ils avaient à lui communiquer. Alors, s’efforçant par quelques petits détours de préparer son esprit à une révélation indispensable, et insistant dans les termes les plus tendres sur le partage heureux qui était échu à Nelly, ils lui dirent enfin toute la vérité. À l’instant même où elle sortit de leur bouche, il tomba roide comme un homme assassiné.

Durant plusieurs heures on eut peu d’espoir de le ramener à la vie ; mais la douleur a la vie dure, et le vieillard revint à lui.

S’il existait quelqu’un qui n’eût jamais connu le vide affreux qui suit la mort, ni le sentiment de désolation qui s’appesantit sur les esprits les plus forts, lorsqu’ils sentent à chaque instant qu’il leur manque un être précieux et chéri ; ni le lien étroit qui s’établit entre les choses inanimées, les objets les plus insensibles et l’idole de leurs souvenirs, alors qu’il n’est pas un meuble dans la maison qui ne devienne un monument sacré, pas une chambre qui ne soit un tombeau ; s’il existait quelqu’un qui ne connût pas cela et ne l’eût point éprouvé par sa propre expérience, celui-là aurait peine à comprendre comment, pendant de longs jours, le vieillard languissant usa le temps à errer çà et là comme une âme en peine, cherchant toujours quelque chose sans jamais trouver le repos.

Tout ce qu’il avait conservé de pensée et de mémoire était concentré sur elle. Jamais il ne reconnut ou ne parut reconnaître son frère. La tendresse, les soins le laissaient indifférent. Si on lui parlait de tel sujet ou de tel autre, sauf un seul, il écoutait quelques moments avec patience, puis il se dépêchait d’aller recommencer sa recherche.

Quant au sujet qui était dans sa pensée comme dans celle de tout le monde, il était impossible de l’aborder. Morte ! Il ne pouvait ni entendre ni supporter ce mot. La moindre allusion à cet égard l’eût jeté dans un accès semblable à celui où il était tombé la première fois. Nul ne pourrait dire dans quelle espérance il supportait la vie : mais qu’il eût quelque espérance de retrouver Nelly, une espérance vague et obscure qui chaque jour fuyait devant lui, et qui de jour en jour lui rendait le cœur plus malade et plus accablé, personne n’en pouvait douter.

Ses amis décidèrent qu’il conviendrait de l’éloigner du théâtre de ce dernier malheur ; d’essayer si un changement de lieu le tirerait de cet état de stupeur et de chagrin. Son frère consulta sur ce point les maîtres les plus habiles de la science ; Ils vinrent et examinèrent le vieillard. Plusieurs restèrent à causer avec lui quand il voulait bien causer, et à suivre ses mouvements tandis qu’il marchait seul et silencieux.

« En quelque endroit qu’on le conduise, dirent-ils, il cherchera toujours à revenir ici. Son esprit n’en sortira pas. On pourrait le garder à vue, veiller sur lui avec soin, le tenir prisonnier enfin ; mais s’il réussissait à s’échapper, il ne manquerait pas de retourner au même lieu, ou bien c’est qu’il mourrait en route. »

Le petit garçon, à qui il avait obéi d’abord, perdit sur lui son influence. Le vieillard lui permettait parfois de marcher à ses côtés, il paraissait assez sensible à sa présence pour lui donner la main, ou même encore il s’arrêtait de temps en temps pour l’embrasser sur la joue ou pour lui caresser la tête. D’autres fois il lui enjoignait, sans rudesse, cependant, de s’éloigner, et ne supportait pas sa vue près de lui. Mais soit qu’il fût seul ou avec son docile ami, soit qu’il se trouvât avec ceux qui eussent donné tout au monde pour pouvoir lui procurer quelque consolation, quelque repos d’esprit, toujours il restait le même : il n’aimait plus rien, il ne se souciait plus de rien dans la vie. C’était un cœur brisé à tout jamais.

Un jour enfin on s’aperçut qu’il s’était levé de très-bonne heure et qu’il était parti avec son havre-sac sur le dos, son bâton à la main, emportant avec lui le chapeau de paille de Nelly avec son petit panier rempli des objets qu’elle avait coutume d’y mettre. Comme on allait se mettre à sa poursuite, on vit accourir tout effrayé un enfant de l’école qui, un moment auparavant, l’avait aperçu assis dans l’église, sur le tombeau de Nelly, dit-il.

On s’y rendit en toute hâte : et, du seuil de la porte, dont on s’était approché sur la pointe du pied, on le vit là dans l’attitude d’un homme qui attend. On se garda bien de le déranger, on laissa seulement quelqu’un pour le surveiller toute la journée. Quand descendit l’ombre du soir, le vieillard se leva, retourna au logis et se mit au lit en murmurant : « Elle viendra demain ! »

Le lendemain, il se rendit de nouveau dans l’église où il resta depuis le matin jusqu’à la nuit ; et, la nuit venue, il alla se coucher en murmurant comme la veille : « Elle viendra demain ! »

Ce fut ainsi que désormais chaque jour, et durant la journée entière, il attendit Nelly sur son tombeau. Que de fois dans la vieille, sombre et silencieuse église, il vit se dresser devant lui les brillantes visions de ce qu’avait été Nelly, de ce qu’il espérait qu’elle pouvait redevenir encore : ces tableaux d’excursions nouvelles dans de belles campagnes, de haltes pittoresques sous le ciel tout ouvert, d’allées et venues à travers les champs et les bois ; ces accents de la voix toujours vivante dans son souvenir ; ses traits, sa taille, son vêtement flottant, ses cheveux agités gaiement par la brise !

Jamais il ne dit à ses amis ni ce qu’il pensait ni où il allait. Le soir, il était assis parmi eux, méditant avec un secret plaisir, qui n’était un mystère pour personne, de fuir avec Nelly avant la nuit suivante ; et on pouvait l’entendre de nouveau murmurer dans ses prières : « Ô mon Dieu, laissez-la venir demain ! »

Ce fut par une belle journée de printemps que finit ce drame. Le vieillard n’était pas revenu à son heure habituelle. On se mit à sa recherche, et on le trouva couché sur le tombeau de Nelly. Il était mort.

On l’inhuma à côté de celle qu’il avait si tendrement aimée, dans cette église où souvent ils avaient prié, rêvé, en se tenant par la main. L’enfant et le vieillard reposent ensemble.