Le Médecin malgré lui
Œuvres complètes de Molière, Texte établi par Charles LouandreCharpentiertome II (p. 240-241).


NOTICE


Cette comédie, que Molière appelait aussi le Fayetier, et qui se trouve quelquefois désignée sous ce nom, fut mise au théâtre, comme nous l’avons vu plus haut, pendant les premières représentations du Misanthrope, le 9 août 1666. Elle obtint le plus grand succès. Molière la traitait comme une farce sans conséquence ; mais le public, dont elle excitait au dernier point l’hilarité, en faisait beaucoup plus de cas que l’auteur lui-même ; c’est ce que Subligny nous apprend dans ces vers de la Muse dauphine :

Molière, dit-on, ne l’appelle
Qu’une petite bagatelle :
Mais cette bagatelle est d’un esprit si fin,
Que, s’il faut que je vous le die,
L’estime qu’on en fait est une maladie
Qui fait que, dans Paris, tout court au Médecin.

Le sujet du Médecin malgré lui se trouve dans un fabliau du douzième siècle, intitulé le Vilain mire. Mais évidemment ce n’est point dans le texte même de ce vieux conte que notre auteur aura été puiser ses inspirations. Anguilbert, dans le livre intitulé Mensa philosophica, rapporte une anecdote qui reproduit sommairement la donnée du Vilain mire. « Quædam mulier, dit Anguilbert, percussa a viro suo ivit ad castellanum infirmum, dicens virum suum esse medicum, sed non mederi cuique nisi forte percuteretur : et sic eum fortissime percuti procuravit. » (Cap. XVIII, de Mulieribus, in fine, fol. 58.) — Une femme maltraitée par son mari alla trouver le châtelain malade, et lui dit que son mari était médecin, mais qu’il ne guérissait personne s’il n’était battu. C’est ainsi qu’elle trouva le moyen de faire rendre à son mari les coups qu’elle en avait reçus.

L’auteur d’une vie de Molière, écrite en 1724, raconte « qu’il tenait d’une personne fort avancée en âge que Molière avait pris l’idée de cette pièce dans une histoire qui réjouit beaucoup Louis XIV, et qu’on disait arrivée du temps de François Ier, qui lui-même y avait joué un rôle. » On peut croire, d’après ces indications, que si le texte original du Vilain mire était oublié au dix-septième siècle, le sujet de ce fabliau, traditionnellement recueilli et propagé, circulait comme une anecdote tout à fait populaire, et que Molière, qui prenait, on le sait, son bien partout, s’en est emparé sans en connaître l’origine directe.

La seule critique qu’on ait faite du Médecin malgré lui, a été de dire que c’était une farce. Qu’importe si la farce atteint son but, sans blesser la morale ? La gloire de Molière n’a point à souffrir de cette définition ; car dans ce genre encore, il reste le maître de tous ceux qui l’ont précédé, comme de tous ceux qui l’ont suivi.