Le Mécanisme de la Vie moderne
Revue des Deux Mondes4e période, tome 154 (p. 636-659).
LE
MÉCANISME DE LA VIE MODERNE[1]

LES COURSES. — CHEVAUX ET JOCKEYS.

Ce siècle, démocrate pour les hommes, est aristocrate pour les chevaux. A ceux-ci, le peuple souverain pardonne d’avoir des aïeux ; même il les en estime davantage, et leur noblesse, la plus ancienne de toutes, sera bientôt la seule qui survive au naufrage des patriciats de race humaine. Pas de famille royale dans l’univers, dont les parentés les plus lointaines soient aussi bien enregistrées et en si bon ordre que celles de la haute caste chevaline. Pas de dictionnaire généalogique, de Père Anselme ou de Chérin, de Gotha ou de Peerage, qui puisse, sous le rapport de l’intégrité, se comparer aux Stud-Books des divers pays. Dans ces nobiliaires internationaux des grandes familles hippiques, dont la France seule remplit déjà onze volumes, nul ne saurait faire admettre d’autres animaux que ceux à qui leur naissance donne le droit d’y figurer. Ni l’argent, ni l’intrigue, n’auraient pouvoir d’y glisser les intrus qui de tout temps s’introduisent par ruse dans les almanachs princiers.


I

La pureté d’extraction, bien que sévèrement maintenue, n’empêcherait pas toutefois la décadence où tombent rapidement les aristocraties fermées, s’il était permis aux descendans d’étalons illustres de s’endormir sur leurs parchemins. Mais, pour prétendre faire souche à leur tour, quel que soit le sang qui coule dans leurs veines, les fils et les filles des vainqueurs les plus fameux doivent faire preuve de mérite personnel. Ceux à qui des tares précoces, des infirmités ou des accidens ne permettraient pas d’affronter les hippodromes sont éliminés dès l’âge le plus tendre, avant même d’être admis à l’école supérieure des courses, je veux dire à l’ « entraînement. » D’autres, incapables de suivre les « exercices, » ou n’ayant joué sur la piste qu’un rôle honteux, disparaissent aux yeux de la bonne compagnie et tombent, par une vente silencieuse, dans l’humilité et le néant d’un métier vulgaire. Ceux-là seuls qui, poulains ou pouliches, se sont montrés, par une carrière honorablement suivie de deux ans et demi à cinq ans environ, dignes des glorieuses maisons dont ils sont sortis ; ceux surtout qui ont su se faire un nom par des triomphes sur les premières scènes, à Longchamps ou à Newmarket, voient leur alliance, à l’heure de la maturité, recherchée par les écuries les plus endiablés. L’espérance de leur paternité, la faveur de leur accointance, se paient au poids de l’or et, dans le loisir confortable — otium cum dignitate — de cette espèce de harem mâle que l’on nomme le haras, ils se reposent des luttes passées en engendrant une suite d’héritiers qui perpétueront leur mémoire.

Ainsi cette noblesse quadrupède, fondée sur l’atavisme et corrigée par la sélection, profitant à la fois des avantages de la tradition et des enseignemens du progrès, ayant les « grandes actions » pour but et pour base, semble un modèle parfait offert à l’imitation des simples bipèdes que nous sommes. Le pur-sang de l’Europe est d’ailleurs, à bien des égards, un produit de l’intelligence moderne. Descendant de cette race précieuse dont les Arabes font remonter l’origine jusqu’aux coursiers de Salomon, de ces kochlani agiles et sobres que l’Asie gardait dans ses plaines brûlantes, du Tigre à la Mer Rouge et de la chaîne du Taurus au golfe d’Aden, le cheval de ces climats secs s’est graduellement modifié sous le ciel brumeux et dans les gras pâturages d’Albion. Il a oublié le régime de son pays ; mangeant à sa faim, buvant à sa soif, il a grandi et a pris de la carrure. En 1700, la taille moyenne de la bête de pur-sang était de 1m, 41 ; celle du célèbre Curwen Bay Barb, dont l’empereur du Maroc fit présent à Louis XIV, était de 1m, 31, et, en 1765, Marske, le père d’Eclipse, paraissait surtout remarquable pour sa taille de 1m, 58. La moyenne est aujourd’hui de 1m, 61 ; augmentation de 30 centimètres en deux siècles qui n’est pas, comme le disait judicieusement un membre de la Chambre des Communes, à la portée de tout le monde.

Mais la colonie importée en Angleterre, au commencement du XVIIIe siècle, n’aurait pas tardé à dégénérer si elle avait été abandonnée à elle-même. Ses ancêtres, à la vie nomade, se trouvaient triés spontanément par l’effort de la guerre, par les voyages pénibles et longs de leurs maîtres. Le monde civilisé a remplacé ces épreuves naturelles par les courses ; elles prirent à Epsom, dès 1730, le caractère de fixité qu’elles devaient avoir en France cent ans plus tard, et qu’elles ont maintenant sur presque tout le continent.

Averti par elles de la valeur intrinsèque des sujets d’élite, l’éleveur ne se préoccupe plus uniquement des héros du jour ni de leur pedigree, — état civil immédiat. — Il dispose de nomenclatures étendues et approfondies, qui constatent, discutent et mesurent les « courans de sang, » essaient de pénétrer les mystères de l’hérédité, discernent et classent les familles de gagnans et les familles de reproducteurs, et permettent enfin au propriétaire d’une écurie de choisir les étalons qui monteront ses jumens, avec beaucoup plus de renseignemens qu’il ne pourrait faire pour les jeunes gens qui partageront le lit nuptial de ses filles. Qu’il s’agisse en effet de l’ouvrage allemand d’Hermann Goos, dont la préface est datée avec émotion du « 1er avril 1897, 133e anniversaire de la naissance d’Eclipse, » du livre de notre compatriote le commandant Cousté, ou de celui de l’Anglais Bruce Low sur le « système des nombres, » tous ces tableaux des filiations méritoires de pur-sang embrassent au moins un siècle et demi, c’est-à-dire vingt et une ou vingt-deux générations hippiques : ils rattachent les individus qui occupent on 1899 les programmes de courses aux fondateurs des familles arabes d’Occident.

Ces premiers patriarches du turf ne forment qu’une toute petite troupe : d’une centaine de poulinières émigrées en Grande-Bretagne, de 1650 à 1750, la moitié à peine possède actuellement des descendans ; sur cette moitié, quelques-unes ne sont représentées que par 5 ou 6 successeurs. De sorte qu’en réalité l’ensemble des animaux de race pure, aujourd’hui notables, remontent dans la ligne utérine à une vingtaine d’aïeules seulement, dont une a été la tige d’où sont sortis 1 231 produits estimés, présentement vivans. Le nombre des étalons, auteurs de branches dignes d’être citées, est plus restreint encore : les vainqueurs de courses, durant les dernières années, se rattachent tous à Herod, Matchem ou Eclipse, et du sang de ce dernier sont issus, en France, 58 pour 100, en Allemagne et Autriche 46 pour 100, en Angleterre 88 pour 100, des types insignes qui ont remporté, de 1878 à 1897, les lauriers classiques.

Les théories, les statistiques et les méthodes qui tentent de dérober à la nature le secret des races montrent quels efforts fait l’élevage contemporain pour restreindre la part de l’inconnu. Ces recherches subtiles n’ont pas, comme un certain public serait porté à le croire, l’objectif final de fournir, à la cohue grouillante des badauds, l’occasion d’aventurer une pièce de cent sous. Il n’en est pas moins vrai que, si le pur-sang est la plus belle conquête du sportsman, le joueur est la plus évidente conquête du pur-sang. Ainsi appuyée sur l’agriculture d’un côté et sur le pari mutuel de l’autre, l’institution des courses, qui n’aurait pu parvenir à développer les muscles des chevaux si elle n’était parvenue à surexciter aussi les nerfs des hommes, a vu depuis soixante ans grandir sa vogue presque sans arrêt.

Elle a cette fortune rare d’être le divertissement le plus populaire à la fois et le plus élégant : aux temps lointains de la chevalerie, où la profession des armes, qui était le sport d’alors, avait tant de prestige qu’elle anoblissait par elle-même tous ceux indistinctement qui s’y adonnaient, la classe dirigeante se composait de guerriers, et de guerriers à cheval. Le cheval, en notre ère de paix et d’automobiles, où les gros personnages d’Etat ne sont plus équestres, conserve quelque peu du prestige de ceux qui naguère le montaient, et des prouesses auxquelles il fut associé. Il communique, à qui le fréquente et lui consacre sa vie, ce billon de noblesse de nos âges plébéiens qui s’appelle le « chic. » Au sein de la république, il a conservé des privilèges ; sa dignité se retrouve partout acceptée par l’opinion ; elle a main- tenu parmi le militaire, entre le cavalier et le fantassin du XIXe siècle, la vieille démarcation qui séparait, au XVIe siècle, le reître du lansquenet et, au XVIIe, la cornette des « maîtres » de l’enseigne des « gens de pied. » Quoiqu’il existe d’autres animaux domestiques aussi nécessaires que lui, du cheval seul on dit qu’il est un « noble animal, » et les concours hippiques possèdent une distinction fashionable à laquelle les autres concours agricoles ne sauraient atteindre. Il n’est pas jusqu’au cirque, où l’écuyer ne se regarde comme supérieur au gymnaste.

Enfin, de tous les objets qui alimentent la conversation mondaine, les seuls dont il soit séant de discourir avec abondance, sans crainte de passer pour cuistre ou pour pédant, ce sont les choses d’écurie. Les gens d’esprit s’ennuient à la longue de « faire » ou d’entendre « faire de l’esprit ; » les hommes se lassent de parler « femmes, » les femmes de parler « chiffons, » et les spécialistes auraient mauvaise grâce à gloser sur les détails techniques de leur profession ; mais le « cheval » n’est jamais de trop entre gens bien élevés et sa matière est inépuisable. « Snobisme » si l’on veut ; la preuve que les « snobs » sont utiles et qu’il en faut, c’est que, sans cette « hippolâtrie » des sous-hommes de sport, le groupe des amateurs sincères, compétens et désintéressés qui entreprit en France, voici soixante-cinq ans, le relèvement de l’espèce chevaline n’aurait pu réussir à implanter le goût des courses dans notre pays, à une époque où l’on ne pouvait prévoir les superbes rendemens du « totalisateur » officiel.

Or, quoi qu’en disent leurs détracteurs, et par exemple telle brochure signée d’un « publiciste, lauréat de sociétés savantes, » lequel proposait, pour démontrer que les courses ne servaient à rien, « d’atteler pendant douze heures de suite à une pièce d’artillerie les gagnans des grands prix, afin de voir comment ils se comporteraient, » c’est, au contraire, à la mesure des forces par l’impétuosité du train que l’on doit, sur le sol français, la création et le développement d’une race supérieure où toutes les autres, par le croisement, vont puiser, avec les tendons, les os et les fibres, la résistance et le cœur. Le fait est tellement avéré qu’il n’existe pas de sélection possible sans le critérium de la piste, que l’administration des haras, lorsqu’elle élevait des étalons de pur-sang, devait, elle aussi, les envoyer courir pour savoir ce qu’ils valaient. Il est curieux que ces assauts de vélocité aient débuté chez nous à la même époque que les chemins de fer, et que l’on se soit préoccupé d’améliorer une production dont le principal débouché allait précisément disparaître. L’effectif de l’espèce chevaline a pourtant beaucoup augmenté depuis le règne de Louis-Philippe et, quoique l’on s’en puisse étonner, il continue de croître. Il y a vingt ans, il s’élevait à 2 800 000 têtes ; il dépasse 3 millions aujourd’hui, dont 1 550 000 jumens. Si l’on pouvait comparer ces chiffres avec ceux de l’ancien régime, on demeurerait, je crois, stupéfait de la différence ; peut-être avons-nous actuellement trois fois plus de chevaux que sous Louis XV. Ils ont perdu d’anciens emplois et d’anciens maîtres, mais ils en ont trouvé de nouveaux et bien davantage.

Lorsque le cheval était l’unique moyen de transport, il en fallait, dans une maison de seigneur féodal, pour voiturer les gens, les bagages et les nouvelles. Quand « Monseigneur Gui de La Trémoille » part, en 1395, pour combattre les Turcs et qu’il fixe le budget dont sa femme aura la libre disposition, pendant son absence, il prévoit pour la nourriture des chevaux 500 litres d’avoine par jour. Une autre grande châtelaine, Yolande de Flandres, comtesse de Bar, avait, à la même époque, cinquante chevaux pour son usage et celui de ses enfans, dont « 2 palefrois pour le corps de Madame, montés par elle, 4 pour ses demoiselles, d’autres pour ses femmes de chambre, pour ses chars, ses chariots branlans, sa litière, pour ses chevaucheurs, ses valets, » etc. Espèces très diverses et pour lesquelles, au moyen âge, on avait des noms, indicatifs de leur emploi ; la langue s’est depuis lors singulièrement appauvrie : nous disons un cheval « de selle, » « d’attelage, » « de chasse, » « de charrette, » « de promenade, » lorsqu’on disait naguère un destrier, un roussin, un coursier, une haquenée, un sommier, un bidet, un courtaud, et chacun savait à quelle destination spéciale ces termes correspondaient.

Autre singularité : ce n’est pas dans les siècles qui ont immédiatement précédé le nôtre que les chevaux ont coûté le plus cher ; leurs prix, exprimés en monnaie actuelle, font ressortir les meilleur marché, de l’an 1200 à l’an 1600, à 200 et 250 francs pour des sommiers de boulangers, des limoniers de gros trait, des roussins de contrebandiers. Sous Louis XIV et Louis XV, on trouve, pour de moindres sommes, des animaux de bât, de labour et même de selle ; un bidet de commissaire des guerres ne revenait pas à plus de 150 francs. De même pour les bêtes de qualité moyenne : celles des carrosses de Gabrielle d’Estrées ou du duc de Nemours, homme très magnifique, coûtaient 1 600 et 1 800 fr. Turenne payait 1 500 francs un « cheval de bague, fort beau, dit-il, et fort glorieux. » Les animaux, de catégorie identique, attelés aux tapissières qui constituaient les équipages d’une princesse ou d’un prélat du XIVe siècle, valaient davantage. Un « puissant cheval boiart » — porteur — pour la litière de la reine d’Espagne s’achetait, au XVIe siècle, 2 500 francs à Bruxelles ; et si, pour la haquenée montée cent ans avant par Jeanne d’Arc, la ville de Vaucouleurs, qui lui en faisait cadeau, n’avait déboursé que 460 francs, celles qui traînaient Isabeau de Bavière s’étaient vendues 2 000 francs.

Le luxe du moyen âge se déployait surtout dans les chevaux de selle ; non qu’il ne se rencontre, aux temps modernes, des chiffres aussi élevés : tel genêt d’Espagne de 9 000 francs, offert par le connétable de Montmorency à l’ambassadeur d’Angleterre, sous Henri IV ; telle monture de cérémonie — di rispetto — payée 25 000 francs par Concini, lorsqu’il était au faîte des honneurs. Mais ce sont là, dans les deux cents dernières années, des exceptions inouïes ; au lieu que, sous les premiers Valois, quantité de « grands coursiers maures, » « chevaux fins » ou « palefrois arabes, » arrivent à 4 et 5 000 francs. Ceux de la comtesse Mahaut d’Artois, en 1302, du duc de Bretagne ou du connétable de Saint-Pol atteignent 20 000 francs ; celui de Charles le Bel monte à 30 000 francs.


Il

Les possesseurs de fiefs souverains ne se bornaient pas à acquérir au loin des produits remarquables ; beaucoup avaient installé dans leur domaine des haras soigneusement entretenus. Plus tard, cette organisation périclita ; la race des « grands chevaux » de joute disparut pendant la guerre de Cent ans, et personne ne s’occupa plus de l’élevage. Nombre de « bêtes folles » naissaient et vivaient dans les forêts, au milieu du XVIe siècle, presque à l’état sauvage. Pour les prendre, on s’efforçait de les rabattre dans des enclos, des » parcs, » formés par des palissades ou par des accidens de terrain. Voulait-il « courir du haras, » le gentilhomme à qui appartenaient les bois s’y rendait, accompagné d’une trentaine d’hommes ; heureux s’il ramenait le soir, après des poursuites acharnées, quelques exemplaires de ce gibier malaisé à saisir. Pareille chasse, en effet, était souvent infructueuse ; on citait des chevaux de ce genre, — compris dans une adjudication de « biens meubles, » à charge par l’intéressé de les appréhender s’il pouvait, — que « l’on faillit à prendre plus de cinquante fois en deux ans. »

C’était la race hagarde, solide et sobre plus que nulle autre, paraît-il, que les progrès de l’agriculture éliminèrent peu à peu en lui enlevant ses moyens d’existence. Les chevaux vagabonds qui, sous Louis XV, subsistaient encore, devaient être de pitoyables quadrupèdes, puisqu’en 1753, dans l’Orne, il en est vendu 3 pour 60 francs de notre monnaie et quelques mois plus tard un lot de 8 pour le même prix. Le paysan élevait des animaux de labour, du « genre vilain ; » en fort petit nombre d’ailleurs : à peine si un huitième des terres étaient cultivées avec des chevaux ; le fermier les estimait trop chers à nourrir, bien qu’il les nourrît fort mal, obligé de réserver souvent l’avoine pour le pain de sa famille.

L’estime que l’on faisait des bons chevaux au moyen âge nous est révélée par les soins dont ils étaient l’objet, les onguens, les emplâtres, confectionnés à leur intention avec des élémens coûteux : vin, miel, anis, mastic confit, etc. Et, quand ils tombent malades, on multiplie en leur faveur, pour suppléer à l’insuffisance du vétérinaire, les prières et les pèlerinages, voire les offrandes à saint Eloi en vue d’obtenir son intercession. Dans les temps modernes, malgré les efforts de Colbert et les étalons royaux, dont le régime varia du reste avec une perpétuelle incohérence, non seulement les chevaux manquaient, — il fallut en acheter à l’étranger pour plus de 300 millions de francs pendant les guerres de Louis XIV, — mais leur aspect était lamentable : corps petit, tête grosse, dit l’intendant de Pomereu, dans son rapport sur la généralité d’Alençon. Les jumens portaient trop jeunes, donnaient des produits « mois et lâches, » et les agronomes de 1700 ne trouvaient rien de mieux que de préconiser la méthode, réussissant, disaient-ils, en Perse et en Tartarie, qui consistait « à faire teter, par les poulains, une vache en même temps que leur mère. »

Quant aux chevaux de carrosse et « de figure, » la plupart venaient du dehors. Lors de la conclusion du traité des Pyrénées, le Roi, à son entrée solennelle dans la capitale, montait un coursier d’Espagne, Monsieur un barbe blanc ; la Reine était tramée par six danois gris-perle. La Grande-Bretagne nous procurait des « guildins, » trottant « un certain amble avec lequel ils avançaient merveilleusement. » Elle nous était, dès le commencement du XVIIe siècle, très supérieure : un voyageur anglais vante les chevaux hongres et les « bidets très fins » de Henri IV, mais ajoute qu’ils ne peuvent se comparer pour la vitesse ni pour la beauté des formes aux chevaux de chasse de son roi.

Le goût et l’usage des courses étaient également en faveur de l’autre côté du détroit, longtemps avant que les Français en eussent nulle idée encore. Le premier match mentionné par M. le comte Gérard de Contades, dans sa Bibliographie sportive, eut lieu au village de Boulogne, en 1661. Le duc de Joyeuse et le prince d’Harcourt firent lutter deux chevaux, nourris depuis un mois, affirme le chroniqueur, à la mode d’Angleterre, « de pain fait avec anis et de féveroles au lieu d’avoine » et, durant les derniers jours avant l’épreuve, « d’œufs frais au nombre de 2 ou 300. » Le « gage » ou pari était de 4 000 écus, — une douzaine de mille francs de nos jours, — et le parcours à effectuer allait de la barrière de la Muette au château de Madrid. M. d’Harcourt montait en personne, « vêtu d’un habit fait exprès et très étroit, » ses cheveux enfermés dans un bonnet et « ayant trois livres de plomb en poche, pour peser autant que M. du Vernet, maître d’académie, » qui montait pour le duc de Joyeuse et gagna de cent pas.

Un prix de 1 000 pistoles — 30 000 francs actuels — fut remporté vingt ans plus tard, à Saint-Germain, par le duc de Monmouth, courant sur un cheval de l’honorable Thomas Warton. Le Roi était présent et proposa au propriétaire de lui acheter cette bête pour la somme qu’il lui plairait de fixer. L’Anglais refusa de la vendre, mais offrit d’en faire cadeau au monarque qui, de son côté, ne voulut pas en accepter le don gratuit.

Les Mémoires du marquis de Sourches relatent, vers la même époque (1684), un autre match au dénouement fort agité, entre deux chevaux appartenant à des personnes princières, MM. de Vendôme et d’Armagnac, grand écuyer de France, dont le champion arriva premier. Les parieurs du côté Vendôme, — il y avait déjà des parieurs et déjà il leur répugnait de perdre, — prétendirent que le palefrenier qui montait leur favori s’était laissé corrompre par les émissaires de l’autre côté. Sur quoi, le duc de Gramont ayant dit des sottises à « Monsieur le Grand, » celui-ci répliqua par un coup de poing et lui arracha sa perruque. Les deux partis mirent aussitôt l’épée à la main et l’affaire prenait mauvaise tournure, lorsque Monsieur le Dauphin, qui était proche, envoya mettre le holà.

Ces rares essais n’eurent aucune suite, pas plus que l’engouement dont la haute société se prit, cent ans après, pour les courses, de 1776 à 1783, lorsque les casaques vert-pomme du comte d’Artois rivalisaient avec les casaques noires du duc d’Orléans, sous les yeux de Marie-Antoinette. Les pamphlets contemporains reprochaient acerbement à la Reine son goût pour cette récréation nouvelle et dangereuse, « qui occasionne l’altération des fortunes et fait déserter les ouvriers de leurs ateliers. » Le succès fut vif, mais passager, et le rédacteur de l’Encyclopédie méthodique pouvait, dès 1786, à la suite d’une définition, ainsi conçue, du mot Courses : « Défi de plusieurs hommes à cheval à qui arrivera le premier, » ajouter non sans dédain : « Il y a quelques années qu’on en faisait à Paris, mais cette mode est déjà passée. » Elle ne devait revenir, durable désormais et fondée sur des bases utiles, que vers la fin de la Restauration ; puisqu’on ne saurait donner le nom de courses à ces représentations des beaux jours de Thermidor, au Champ-de-Mars, sous le Directoire, où « le citoyen Franconi, montant le cheval limousin Azor, » était battu par « le citoyen Villate-Carbonnel, montant le cheval normand Le Veneur. »

Un Anglais nommé Thomas Bryon tenait, au début de la monarchie de Juillet, sur un vaste terrain allant de la rue de Clichy à la rue Blanche, un établissement de plaisir, doublé d’un tir « aux pigeons, aux cailles, aux lapins de garenne et aux pierrots, » nommé le jardin de Tivoli. Là se rencontraient, deux fois par semaine, des jeunes hommes qui ne demandaient à la vie, pour être heureux, qu’une bonne stalle aux Italiens, des cravates harmonieuses, des amies favorables et la chère délicate du café de Paris, au boulevard de Gand.

Tout souci de distinction et de mode inédite, n’ayant d’autre source que l’envie de se tirer du commun, est accompagné d’un effort naturel de réaction contre les mœurs générales et les allures dominantes. C’est ainsi que les « dix-sept seigneurs » ou les « Messieurs du Marais, » galans commensaux des Précieuses, voulurent exceller dans les ballets, parce que l’application à la danse contrastait avec la grossièreté des soudards brutaux de la guerre de Trente ans ; c’est ainsi que les Roués de la Régence bâfraient et crapulaient, au sortir de la chapelle de Versailles où les avait longtemps cloués la dévotion du Grand Roi ; ainsi encore que les muscadins et les incroyables affectaient la soie tendre des habits et la mollesse zézayante du parler, en horreur du langage vulgaire et de la tenue débraillée des sans-culottes. De même, pour protester contre l’embourgeoisement plat et débonnaire de la société qui les entourait, les lions ou dandys furent-ils piaffans et fringans au possible ; parce que le type du « bourgeois » semblait essentiellement contraire à celui du « cavalier. »

« Ce jour 11 novembre 1833, à trois heures de l’après-midi, lit-on à la première page du registre des procès-verbaux de la Société d’encouragement pour t amélioration des races de chevaux en France, les sept membres soussignés, s’étant rendus à la convocation faite par le secrétaire, considérant qu’une heure de plus s’est écoulée depuis celle fixée pour la réunion, qu’il y aurait de graves inconvéniens à s’ajourner de nouveau à une époque plus éloignée, » décident de se constituer immédiatement. Séance tenante ils discutent, rédigent et votent le règlement et les prix des premières courses fixées au mois de mai suivant.

Cette poignée de hardis sportsmen, d’origines, de fortunes et de conditions diverses, — ils étaient douze, y compris les absens, parmi lesquels un Anglais, lord Seymour, un Russe, Anatole Demidoff, un Italien, Maxime Caccia, un Portugais, le chevalier Machado, un Français de vieille extraction, le comte de Cambis, engagé volontaire à 14 ans, qui, de 1810 à 1815, avait pris part à toutes les campagnes, l’héritier d’un grand nom de l’Empire, le capitaine prince de La Moskowa, un marchand de bois, M. Rieussec, un banquier, Casimir Delamarre, un agriculteur, M. Fasquel, et trois adeptes passionnés de l’équitation, MM. Ernest Le Roy, Charles Laffite et Denormandie ; — ces innovateurs, qui affirmaient leur volonté de doter le pays « d’un nouvel élément de richesse, » par le relèvement de races en décadence, et qui alignaient avec peine une somme de 11 500 francs pour les six prix de leur réunion de début, ne se doutaient pas sans doute qu’avant la fin du siècle il serait distribué annuellement, sur nos 311 hippodromes, plus de 12 millions et demi de francs on quatre mille courses de toute nature. Ils ne pouvaient deviner ni le prestige que la Société embryonnaire tirerait de son initiative, ni l’importance à venir du « turf », cet innocent gazon, devenu vraiment un « tapis vert, » et passionnant, comme tel, la foule d’aujourd’hui au même titre que le cirque ou l’arène les foules antiques. Es avaient pourtant, disaient-ils dès le 16 mars 1834, « l’espérance fondée que les courses se propageront en France d’une manière considérable » et, dans un rapport net et substantiel, ils traçaient à leurs futurs collègues la voie dans laquelle ceux-ci devaient marcher pour favoriser la production de sujets d’élite.

A côté des membres qui s’occupaient, les uns d’adjoindre à l’association naissante un cercle, devenu cette maison éminemment confortable et recherchée qu’est le « Jockey-club » actuel, les autres de décréter le port d’un uniforme, pour les jours de courses, consistant en un frac olive à boutons d’or, auquel le seul M. Mackenzie-Grieves demeura jusqu’à sa mort fidèle ; à côté de ceux qui s’attachaient ainsi à l’agrément ou au panache, il se forma très vite, dans le sein du comité, un noyau d’hommes d’expérience, ardens à l’œuvre entreprise, convaincus de son utilité. Dans la rédaction du Code des courses, dans celle des programmes annuels, ils prirent modèle tout d’abord sur l’Angleterre ; mais peu à peu, appliquant leurs propres idées, ils s’attachèrent, aux points de vue des distances à parcourir, des poids, de l’âge des chevaux admis sur la piste, et de la proportion des différentes épreuves suivant leur nature, à des méthodes assez différentes de celles pratiquées par nos voisins, et néanmoins si justes et si sages, que le Jockey-club britannique, reconnaissant aujourd’hui leur supériorité, a récemment décidé de modifier ses propres erremens, en adoptant en quelque manière ceux qu’a préconisés depuis un demi-siècle notre grande Société française.

Si la phalange de nos pur-sang, chaque jour plus nombreuse, et passée, de 40 chevaux seulement en 1834, à 200 en 1852, 460 en 1869, 900 en 1890 et près de 2 000 en 1898, est le principe originel du perfectionnement de l’espèce tout entière ; si les courses sont le moyen, universellement admis parce qu’il est le seul certain, d’opérer, parmi cette bande déjà sélectionnée par la naissance, une sélection nouvelle par la valeur ; la façon même dont les courses sont comprises et dirigées par leurs organisateurs exerce une influence vitale sur la qualité de la race pure. Les trois livres de plomb qu’avait en poche le prince d’Harcourt, en 1661, pour peser autant que son adversaire, étaient le fondement des systèmes appliqués de nos jours : tantôt les chevaux concurrens doivent porter des poids semblables, ou, suivant leurs âges, des poids plus ou moins forts, afin que, leurs chances étant égales, ils ne doivent le prix qu’à leur seul mérite. Tantôt les gagnans des épreuves antérieures sont astreints à des surcharges, ou, s’il s’agit d’un « handicap, » les poids sont hiérarchisés de manière à annihiler les différences de valeur qui existent entre les rivaux.

Aux profanes, il semble assez extraordinaire qu’un ou deux kilos de plus ou de moins sur le des suffisent à équilibrer, ou même à intervertir, les chances de deux chevaux et qu’il n’y ait pas, entre le meilleur sujet et le moins bon, plus de 12 à 15 kilos d’écart. Une pareille délicatesse chez des animaux aussi nerveux, aussi énergiques, passerait pour invraisemblable si elle n’était journellement confirmée par l’expérience : c’est qu’un fardeau est plus ou moins sensible suivant la façon dont on le porte. Le débardeur soutient avec peine, à bras tendu, la cinquantième partie de ce qu’il porte aisément sur ses épaules ; par le galop de course, la masse du cheval est projetée sur ses membres antérieurs : à cette allure, le poids, au lieu d’être réparti, comme au pas ou au trot, sur tout le corps, se fait sentir presque exclusivement sur les jambes de devant, qui frappent d’autant plus fortement le sol. Il se multiplie, par le seul effort du coursier, selon le principe du levier qui centuple l’action du plateau dans une balance romaine.

C’est une tâche très épineuse que celle de régler, d’une manière souveraine, les charges respectives des chevaux engagés dans ce genre de courses. Le « handicaper » de la Société d’encouragement, auquel incombe cette mission pour la France tout entière, est toujours un sportsman consommé. Le baron de Bizy, titulaire de ce poste jusqu’à ces derniers mois, avait débuté à seize ans sur le turf, en montant à l’insu de sa famille, pendant les vacances, un cheval acheté avec ses économies. Il avait couru, « en plat » ou « en steeple, » pendant vingt ans, puis élevé et fait courir des poulains qu’il entraînait lui-même. Sur son bureau s’alignaient, en de longues boîtes, des fiches au nom de chaque cheval, méticuleusement tenues à jour, indiquant, pour toutes les courses où l’animal prenait part, la place qu’il avait obtenue et la façon dont il s’était comporté. Observation indispensable ; car, si l’on traduit en kilos l’écart de distance qui sépare deux chevaux à l’arrivée, si l’on peut estimer par exemple une « longueur » à 4 ou 5 livres, c’est à la condition que l’effort des deux bêtes ait été le même. Il faut distinguer les « longueurs faciles, » le gagnant qui a galopé durant tout le parcours à son aise, — « par-dessus le lot, » — dont le jockey atteint le poteau « pendu » sur sa monture et peut être considéré comme ayant « 15 livres dans la main, » c’est-à-dire susceptible de porter 15 livres de plus pour être efficacement concurrencé par le second.

Le procédé ordinaire de classement du handicapeur consiste à choisir un animal qui lui sert de pivot, pour l’appréciation, en plus ou en moins, de tous les autres. Quand la liste comprend jusqu’à 140 noms, comme à l’Omnium, la besogne est assez compliquée : certains chevaux y figurent qui n’ont jamais lutté ensemble ; on les ramène à un tiers équivalent. D’autres se sont battus à tour de rôle ; il faut tenir compte de leur état au moment où ils se sont rencontrés. Tel, gros et soufflant comme un taureau, a fourni ce jour-là une piteuse carrière parce qu’il n’était pas « en condition ; » il peut être bon dans le fond, on doit prendre garde de « le lâcher dans les poids. » Quelques-uns n’ont jamais paru sur la piste ; on leur impose une bonne charge moyenne, pour ne pas encourager leurs maîtres à sortir brusquement des inconnus dans l’espérance de remporter le prix à la faveur d’un petit poids. Afin d’obtenir, dans quelque handicap, un poids favorable qui leur assurera la victoire, certains propriétaires font courir leur cheval mollement, « à la gomme » dit-on, dans une succession d’épreuves en vue de le « déclasser ; » système assez répandu en Angleterre, où l’on a plus de patience que chez nous pour attendre son jour de gain. Le handicapeur, qui s’attache toujours à suivre de l’œil pendant la course les derniers du peloton, pour savoir s’ils « courent droit, » s’ils sont « désintéressés » ou simplement mauvais, a soin, dans le premier cas, de les marquer sur ses fiches d’un signe spécial. Et si ceux-là semblent traités, dans la distribution des charges, beaucoup au-dessus de leur mérite apparent, si le propriétaire réclame contre cette injustice, il lui sera répondu, non sans ironie : « Mais vous vous trompez, cher monsieur, votre cheval est beaucoup meilleur que vous ne pensez, il court très bien quand il veut ; j’ai une bonne lorgnette, je vous la prêterai si vous voulez ; tenez... croyez-moi, mettez votre jockey à la porte. »


III

Pour les chevaux, comme pour les hommes, la médiocrité, c’est la majorité. Cette masse de produits ordinaires, issus souvent d’étalons célèbres, est un poids mort pour les écuries. S’ils ne parvenaient pas à gagner quelque chose, les propriétaires perdraient courage, et l’élevage, trop onéreux, se restreindrait. Les handicaps, récompense de consolation, ont ainsi leur raison d’être au même titre que les « prix à réclamer. » Ici, le programme stipule que le vainqueur sera à vendre pour une somme fixée d’avance, assez modique ; il écarte par là même les chevaux de haute qualité. Nul propriétaire ne risque, pour gagner un maigre prix, de se voir enlever, un quart d’heure après la course, un sujet de valeur.

Mais l’on ne saurait multiplier les handicaps et les « prix à réclamer, » sans exagérer les dédommagemens accordés aux bêtes médiocres. Ce fut ce qui arriva lorsque, le goût des courses s’étant assez répandu pour permettre de compter sur une bonne recette, il se trouva des entrepreneurs disposés à en faire l’objet d’une industrie. Les hippodromes fondés depuis 1880 aux environs de Paris, — les « suburbains » comme on les nomma, — étaient une opération de ce genre, assurément avantageuse pour les actionnaires, auxquels il fut distribué 100 pour 100 de dividende, mais beaucoup moins profitable aux chevaux, passés à l’état de simples comparses qu’on tâchait de rétribuer aussi peu que possible. Tandis qu’en effet les organisateurs de ces réunions empochaient un bénéfice de 650 000 francs, les prix distribués par eux, en courses plates, ne leur coûtaient pas plus de 30 000 francs nets, parce qu’ils trouvaient moyen de rentrer dans les sommes qu’en apparence ils déboursaient.

Les procédés employés, — profit sur la vente des chevaux réclamés, retenues sur le coût des engagemens, — étaient à coup sûr très légitimes, mais ils eussent abouti à enlever au sport hippique, en se généralisant, tout caractère d’utilité : sur 94 courses, organisées par ces sociétés, on comptait 64 prix à réclamer et 24 handicaps, contre 6 éprouves seulement réservées aux chevaux d’un mérite réel. Aux critiques et aux protestations, qu’un pareil système ne pouvait manquer de soulever de la part des hommes compétens, les promoteurs de Maisons-Laffitte, Saint-Ouen, la Marche ou le Vésinet, répondirent qu’ils avaient fait des frais pour leurs terrains et leurs tribunes ; que le public ne se contentait plus des estrades de comice agricole, bâchées de toile, qui lui suffisaient en 1840, et que nul n’oserait plus offrir aux chevaux des pistes comme celles du Champ-de-Mars ou de Satory. La Société d’encouragement ne se paya pas de ces insidieux prétextes. Elle édicta que tout animal, ayant couru dans une réunion où le Code des courses n’est pas en vigueur, serait « disqualifié, » exclu de. la totalité des hippodromes français qui ont adhéré à ce Code. Les sociétés, ainsi mises à l’index, n’auraient pas tardé à se voir délaissées par toutes les écuries sérieuses ; elles se soumirent et acceptèrent les règles promulguées par leur aînée, dans l’intérêt de l’élevage national.

Il se pourrait qu’en scrutant avec quelque rigueur le budget des anciens « suburbains », aujourd’hui syndiqués en « Société sportive d’encouragement », on demeurât surpris de l’élévation de certains traitemens, alloués à des fonctions d’une utilité problématique, rappelant un peu celle d’« inspecteur du gaz dans une riche famille parisienne » dont une opérette d’autrefois faisait mention. Le taux de certaines locations semblerait excessif aussi à l’œil d’un appréciateur trop sévère. Mais le principe est sauf, et les administrations ainsi attaquées ne se feraient pas faute d’insinuer que leur gestion n’est pas seule critiquable et que telle société de premier ordre, comme celle des Steeple-chases de France, ne fut pas, au temps de la monarchie du prince de Sagan, à l’abri du reproche de prodigalité.

Les inspecteurs des finances trouvèrent, dans ce dernier budget, des chapitres qui les étonnèrent, eux, que la vérification des comptes de l’Etat a dès longtemps blasés sur les magnificences du coulage. Ils remarquèrent, par exemple, que les programmes, le bulletin officiel et le calendrier des courses, — toute compensation opérée entre le coût de leur impression et le produit de leur vente, — procuraient à Longchamps une recette de 58 000 francs et de 5 000 francs seulement à Auteuil, bien que l’affluence annuelle du public soit la même sur ces deux hippodromes. Quoi qu’il en soit de légères différences, résultant, à l’avantage de la Société d’encouragement, de ses règles d’une sévère économie, nos courses françaises ont toutes le caractère d’institutions désintéressées. Il n’en est pas du tout de même en Angleterre.

Chez nos voisins, sauf Newmarket, organisé par le Jockey-club, et Ascot, qui appartient à peu près à la Couronne, la plupart des réunions sont aux mains de spéculateurs et les actions sont souvent cotées très haut, témoin celles d’Epsom, de Sandon ou d’Alexandra-Park. Le total des prix décernés annuellement, en plat, dans la Grande-Bretagne, atteint 12 731 000 francs, contre 6 672 000 en France, Le chiffre des courses de cette catégorie y est de 1 921, tandis qu’il n’est chez nous que de 1 397. L’effectif des chevaux entraînés est du reste presque double : 3 571, l’an dernier, de l’autre côté du détroit, et 1 921 dans notre pays. Si toutefois, malgré les progrès énormes que nous avons réalisés depuis trente ans, — en 1869, le nombre des courses était de 1 996 en Angleterre et de 360 seulement en France, — nous n’occupons encore, avec notre Grand Prix de 200 000 francs, que le second rang, laissant fort loin en arrière les grands prix de Berlin, Bade ou Cologne qui ne dépassent pas 125 000 francs, mais devancés par les Anglais qui distribuent trois prix de 250 000 francs chacun, il est juste de reconnaître que cet argent est, sur notre sol, fourni aux éleveurs par le public, tandis qu’il sort, dans le Royaume-Uni, de la poche même des propriétaires. Ceux-ci doivent, sous forme d’« entrées » qui coûtent parfois jusqu’à 12 000 francs par cheval, en fournir le montant. Lorsque le total de ces engagemens n’atteint pas la valeur du prix, celui-ci risque de n’être pas couru, comme il est déjà arrivé pour l’Éclipse-stake de 10 000 souverains.

Est-ce à ce régime que l’on doit attribuer la différence de caractère des courses anglaises et françaises ? En Angleterre, les handicaps et les prix à réclamer, autrement dit les épreuves destinées aux chevaux d’un mérite secondaire, représentent 50 pour 100 de la masse des sommes distribuées ; en France, 28 pour 100 seulement. Les courses pour chevaux de deux ans, qui ne dépassent pas ici 12 pour 100 des prix, absorbent en Angleterre 29 pour 100 du total ; quoique la meilleure race soit celle que l’on peut faire travailler de bonne heure, et que le cheval de sang soit en effet plus précoce qu’aucun autre, les sportsmen anglais reconnaissent aujourd’hui le danger d’exagérer ces courses, où prennent part des animaux trop jeunes dont les os sont incomplètement formés. Ils ont également senti l’inconvénient des courtes distances, dont l’abus a pour résultat de « briser le cœur » des bêtes, que l’on doit précipiter dans leur train. Or, sur les hippodromes britanniques, près de moitié des courses — 822 — sont inférieures à 1200 mètres, et 80 pour 100 sont au-dessous de 1 600 mètres, tandis que 30 pour 100 seulement de nos épreuves françaises sont d’une longueur inférieure à 2 000 mètres.


IV

Pour être capable d’accomplir la besogne à laquelle on le destine, le yearling — poulain de 12 à 15 mois — est envoyé, en septembre, du haras au dressage qui dure jusqu’au milieu de décembre. Au printemps, commence l’ « entraînement. » Cet art, qui consiste à amener le jeune cheval, par une pente insensible, de l’état naturel à la condition artificielle où il développera ses qualités latentes, semblait, il y a un demi-siècle, fait de pratiques mystérieuses et de médecines secrètes, si l’on consulte les traités parus, comme celui d’Eugène Gayot, en 1839. Il est aujourd’hui plus rationnel ; les purgations, les suées, les galops sous de triples couvertures continuent à faire partie de la préparation du coursier ; mais les entraîneurs s’accordent à dire qu’il n’existe pas de règle fixe et que chaque bête doit être traitée selon sa nature. Le cheval et l’homme qui le panse doivent se plaire ; le bon stud-groom — chef d’écurie — ne néglige pas ce détail : telle jument délicate et peureuse refusait de se laisser approcher dans son box par aucun palefrenier. Count, qui l’avait en pension, se dit : « C’est une bête timide, je lui donnerai un homme innocent. » On en charge un petit gamin ; elle sent un faible comme elle et se laisse faire.

La toilette est longue en effet ; les soins dont le pur-sang est l’objet, depuis la crinière jusqu’aux sabots minutieusement grattés sur une serviette, rappellent ceux d’une petite maîtresse aux mains d’une adroite fille de chambre. Aussi le service de deux quadrupèdes suffit-il à occuper entièrement la journée d’un homme. Plus les chevaux se fatiguent, moins ils ont faim ; au lieu de 18 litres d’avoine en hiver, saison du repos, ils n’en absorbent que 12 litres durant la période d’exercice ; encore a-t-on soin, pour conserver leur appétit, de les tenir toujours un peu en dessous de ce qu’ils peuvent manger. Cette avoine, mélangée de carottes et de jeune trèfle, est d’ailleurs renouvelée fréquemment. Pour qu’ils aient toujours une assiette propre, on enlève le grain qu’ils laissent dans leur mangeoire et l’on donne ces restes à des bêtes communes, comme on porte à l’office la desserte de la table des maîtres.

Chantilly est, depuis l’origine, le centre de l’entraînement : une population de plusieurs milliers de personnes n’y vit que pour et par les courses ; 1 600 chevaux, presque tous destinés « au plat » — les chevaux d’obstacles sont groupés à Maisons-Laffitte au nombre d’environ 700, — y étaient domiciliés, ce printemps, chez 51 entraîneurs et payaient l’abonnement exigé pour être admis à galoper, soit dans les allées du bois que l’Institut loue à la Société d’encouragement, soit sur le gazon des Aigles, où la piste droite de 1 100 mètres, l’une des plus belles du monde, est coupée, roulée, entretenue comme un lawn-tennis, où les mottes de terre, soulevées par le passage de cette cavalerie unique, sont remises en place chaque jour.

La première promenade commence à 4 heures du matin durant les chaleurs ; il faut terminer la seconde avant que le soleil n’ait éveillé les mouches, qui agaceraient le cheval. En longues files arrivent au pas des escouades d’animaux, portant des noms, les uns déjà illustres, les autres inconnus encore, mais qui seront clamés l’an prochain avec enthousiasme, ou murmurés à l’oreille par un donneur de « tuyaux, » ou discutés avec angoisse autour de 10 000 foyers de parieurs, lesquels briseront une fois de plus, à leur sujet, le pot au lait de Perrette. Ici, en négligé du matin, dans l’air vif et parfumé de la forêt, montures et cavaliers paraissent tout à fait étrangers à ces préoccupations. Ces derniers — les « lads» — sont pour la plupart de jeunes enfans, recrutés en Angleterre par la voie des annonces ; cédés par leur famille à l’entraîneur pour une durée de cinq ans. Nourris et logés, ils gagnent 20 francs par mois la première année et ne servent pas à grand’chose ; la seconde, ils commencent à galoper ; leur ambition est de devenir jockeys. S’ils y arrivent, au bout de trois ans, ils rapportent largement aux patrons, à qui ils doivent verser, jusqu’à la fin des cinq années, la moitié de leurs honoraires.

L’entraîneur reçoit d’autre part, de la main du propriétaire, 10 pour 100 sur le montant des prix remportés par les chevaux qu’il prépare. C’est le plus clair de ses profits. Il gagne peu de chose sur les 7 à 8 francs qui lui sont payés, par tête et par jour, pour l’entretien de ses pensionnaires appartenant à divers maîtres. Les grandes écuries — une trentaine de chevaux au moins -— ont chacune leur entraîneur particulier, gentleman aisé, parfois à la tête de 700 000 ou 800 000 francs de capital, qui garde néanmoins, comme un tenancier d’outre-Manche, le respect seigneurial de l’aristocratique Angleterre, et tient à honneur de faire servir à table son propriétaire par ses propres filles, d’élégantes demoiselles, lorsque celui-ci accepte par hasard à déjeuner. Longtemps les entraîneurs furent tous Anglais ; ils formaient une colonie qu’unissaient les liens du sang, — les Carter, à Chantilly, sont une véritable tribu, — fidèle à son régime alimentaire, à sa langue et à sa foi. Un clergyman pour l’église officielle, un ministre pour la chapelle dissidente, satisfont les besoins religieux. Cependant la superstition de nos hommes de sport pour les méthodes hippiques de la Grande-Bretagne est battue en brèche. Un Français du meilleur monde dirige avec succès l’écurie Rothschild et plusieurs de nos compatriotes, M, Guinebert, entre autres, ont fait gagner, dans le steeple, des sommes considérables aux chevaux qu’on leur a confiés.

La « sortie » quotidienne consiste en un galop préparatoire — le « canter, » — suivi d’un « essai » de 2 000 à 2 500 mètres, que l’animal doit effectuer en donnant tous ses moyens. À cette répétition, où se glissent peu d’intrus, le propriétaire assiste le mardi et le samedi surtout ; il se rend compte des engagemens qu’il convient de faire, des progrès de l’un, qui montre son ambition, sa « volonté, » par la façon seule dont il pose ses jambes, du déclin d’un autre, qui prend, en vieillissant, le dégoût de son métier ou devient méchant à mesure que son sexe parle. Lorsqu’on approche du jour attendu, que le cheval est mis au point, « affûté, » de peur de dépasser le but en le fatiguant, la durée du travail diminue.

Le nombre maximum de courses sérieuses que l’on peut demander à un cheval de plat est d’une quinzaine par an. La veille ou le matin de l’épreuve, l’animal est arrivé au pesage, où il attend, avec un quart de seau d’eau et 4 litres d’avoine dans l’estomac, son entrée en scène. Rien qu’à les voir paraître sur la piste, les uns l’œil vif, les autres la figure résignée, le professionnel devine ceux qui manquent de conviction et ne « s’emploieront » pas.


V

Mais ici intervient l’action personnelle des jockeys. Ils sont environ 115 investis du titre qui leur donne droit de monter dans les grands hippodromes, plus 70 « apprentis-jockeys, » n’ayant pas encore gagné les dix courses nécessaires pour être admis à la licence. Leur âge varie de 15 à 33 ans, bien qu’on en cite quelques-uns qui soient restés en exercice jusqu’à plus de 50 ans. Il faut une vocation spéciale. Ce n’est rien d’être bon écuyer ; beaucoup de lads, excellens à la « promenade, » sont incapables de monter en course. Non qu’ils se laissent distraire ou intimider, comme il arrive à tous les acteurs les premières fois qu’ils affrontent les regards du public ; l’habitude efface cette appréhension. Mais le difficile est d’acquérir le « sentiment du train, » de savoir si l’on va vite ou doucement. Rien ne semble plus simple ; cependant beaucoup de jockeys ne peuvent jamais s’en bien rendre compte. Ils végètent avec le salaire des montes sans éclat, réglementairement tarifées à 60 francs, et à 120 francs en cas de gain. Quant à l’élite, à la douzaine de « fines cravaches » qui se font de 30 000 à 40 000 francs par an, voire 60 000 francs en Angleterre, leur supériorité réside dans la tête plus que dans les mains, dans l’esprit d’à-propos qui leur fait mener une course. Ceux-là, si la force physique leur manque, savent y suppléer par l’adresse, comme ce fameux Tom Barker, que peu de rivaux ont approché. Adoré des parieurs, choyé des demi-mondaines parmi lesquelles il fit des passions, ce jockey romantique, poitrinaire déjà avancé, véritable Dame aux Camélias du turf, courut jusqu’au dernier souffle. On lui faisait respirer des sels à l’arrivée ; on le descendait de cheval avec autant d’égards que l’on en devait mettre à sortir le maréchal de Saxe de sa légendaire petite voiture.

Ces grands jockeys, lorsqu’ils sont économes, — ce n’est pas souvent leur qualité maîtresse, — parviennent à la fortune. Le plus renommé peut-être de ceux qui montent aujourd’hui, Tom Lane, qui, dans une seule année, gagna 110 courses, et fut sept fois vainqueur dans le Grand Prix de Paris, débuta on 1875, à douze ans, dans un « nursery-handicap » réservé aux chevaux de deux ans. Il était si ému qu’en arrivant premier, d’une encolure, il ne s’aperçut même pas de son succès. Maintenant, dans son cottage confortable, entre ses babys folâtrant sur des fauteuils de peluche, sa fille aînée jouant des valses au piano et sa jeune femme, à silhouette de keepsake, qui ne met presque jamais les pieds aux courses ; dans son bureau méthodique, garni de cartons soigneusement étiquetés, Lane ressemble plutôt à un rentier quelconque, touchant à la local gentry, qu’à une de ces faces dures et mortes de vieil enfant desséché, que coiffent sur la piste les toques de satin multicolores.

La figure indéfinissable, en parchemin rissolé, particulière aux jockeys, provient-elle des alternances du vent brutal, qui leur coupe le visage, avec les bains de vapeur qui le font bouillir ? Il est certain que le régime doit être pour quelque chose dans cet extérieur. L’obligation de ne pas excéder un poids donné interdit à peu près la profession aux individus de haute taille ; le plus grand de la corporation, W. Prat, avec 1m, 65, est regardé comme exceptionnel.

Aux charges légères — 40 à 50 kilos — les lads sont presque seuls capables d’être employés. Celles que l’on appelle «lourdes» — 50 à 56 kilos — exigent déjà des hommes passablement minces. D’autant plus que la selle et les étriers — un kilo et demi environ — comptent dans le calcul ; ainsi que la martingale, dont le supplément est insignifiant du reste et que plusieurs jockeys considèrent, quand elle est bien réglée, comme d’une aide considérable, en leur donnant un point d’appui pour diriger le cheval sans déranger son allure ; chose capitale, parce qu’une fois l’animal « dans son action, » il ne doit être troublé par quoi que ce soit. La cravache, pour prévenir les fraudes, n’est pas admise dans la balance ; il serait trop tentant de se peser avec une cravache à pomme de plomb et d’en prendre une autre pour courir.

Comme vêtement, l’indispensable : une casaque de quelques grammes, des bas et une chemise de soie, une culotte de toile et des bottes très fines. Le « valet des jockeys, » chef de leur vestiaire, est présent, avec ses garçons, au pesage de tous les hippodromes ; il entretient et transporte pour ses cliens les costumes qui leur appartiennent, dont il les aide à se revêtir. De sorte que le jockey, allant aux courses sans savoir s’il montera, a toujours sous la main de quoi s’équiper.

Si toutefois il est suffisamment délesté pour remplir les conditions du programme : cette légèreté inexorable est la préoccupation constante du métier. En été, une longue marche en plein soleil, avec deux « complets » de flanelle l’un sur l’autre, procure la transpiration nécessaire ; dans les fraîches journées de printemps, il n’est d’efficace que le Hammam et la diète. Du jeudi au dimanche, tel homme doit perdre dix livres. Dans l’après-midi du samedi débarque, de la gare du Nord, une bande de jockeys qui ont trois ou quatre livres « à tirer » et vont tranquillement prendre leur bain turc. S’il le faut, ils ne mangeront pas jusqu’au lendemain après la course ; et ne pas manger n’est rien, disent-ils, « l’ennuyeux est de ne pas boire. » Aussi, pour ne pas aiguiser la soif, s’abstiennent-ils encore de fumer.

Il est différentes manières de monter, comme il est diverses façons de jouer du piano, même parmi les virtuoses. L’Américain Sloane, très en faveur en Angleterre et qui courut l’an dernier, à Paris, dans le Prix du Conseil municipal, en a inauguré une nouvelle, dont il obtient, au dire de certains, des résultats surprenans. Plié en deux, les pieds en avant, horizontaux à l’encolure, il touche presque la tête de sa monture avec la sienne propre et, se tenant seulement par les rênes, exerce par les étriers une sorte de traction sur l’animal qui, moins gêné dans sa marche, fend l’air avec plus d’aisance.

Il n’est pas, au dire des gentlemen qui en ont tâté, de volupté plus grande que de monter en course, de balayer, de cingler en ouragan la brise, à une vitesse coupant la respiration de qui ne serait pas entraîné. Chacun, dans sa vie, suivant ses occupations et ses facultés, a connu des momens où il s’est senti élevé au-dessus de lui-même ; où, touché d’une étincelle, parcouru d’une secousse électrique, il lui semblait qu’il allait changer d’âme, que son moi s’élargissait, devenait capable de tentatives gigantesques ou d’intelligence surhumaine des choses. Ce sont momens de grandeur et de vision. Ils passent comme l’éclair ; le rideau soulevé retombe, le ciel se recouvre, c’est fini ; l’être se replonge dans l’ignoble vulgarité de la vie. Ce ressort mystérieux que la contemplation d’un tableau, l’audition d’une musique, l’orgie de la pensée solitaire fait jouer ainsi en certaines natures, d’autres en éprouvent l’effet par l’ivresse du mouvement physique, doublée de l’espérance, du formel vouloir de dépasser ses émules.

Cette poésie de l’hippodrome hante fort peu l’esprit du jockey expérimenté. Celui-là s’est d’abord efforcé de « composer sa course » la veille, en lisant son programme sous sa lampe, suivant la capacité ou les défauts de son cheval, suivant ce qu’il sait de ses rivaux partans, et aussi suivant la qualité probable de la piste ou la longueur de la distance. Selon qu’il aura entre les jambes une bête de « fond » ou de « train, » il tâchera d’avoir une course lente ou rapide. Souvent il manque par avance de données positives, — les gens d’écurie sont entre eux assez méfians et fort peu bavards, — ou bien toute initiative lui est interdite : il devra « monter aux ordres, » d’après les instructions du propriétaire. Il se rabat alors, pour augmenter ses chances, sur les trucs usuels ; il tâche de faire prendre, à un concurrent chaud comme braise, plusieurs faux départs qui l’esquintent avant la course ; il lasse, à force d’indiscipline, le starter auquel il arrache un départ avantageux pour lui-même. Est-il en tête et menacé d’être battu ? il laisse volontairement le long de la corde un petit espace où va s’engager le cheval qui le suit ; puis, se rapprochant de façon à barrer le chemin, il oblige son rival à changer son action, ce qui suffit à le faire perdre. Sait-il, au contraire, que l’animal qui le devance d’une demi-longueur montre toujours à l’arrivée, en présence des cris et des chapeaux en branle, une seconde d’hésitation pendant laquelle il ralentit imperceptiblement son galop et semble attendre son camarade : c’est le moment à choisir pour donner un « coup de main » et voler la victoire devant le poteau.

Et toutes ces petites ruses ou combinaisons, qui exigent de la présence d’esprit, doivent se faire à une allure deux fois plus vite que celle des charges de cavalerie, effectuées à raison de 460 mètres par minute en France et de 540 mètres en Allemagne ; pendant que les bêtes affolées, filant comme des express, se poussent et font voler des cailloux et de la terre aux yeux de leurs cavaliers.


Vte G. d’AVENEL.

  1. Voyez la Revue du 15 avril.