Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/Le Loup, la Chèvre, et le Chevreau





XV.

Le Loup, la Chevre, & le Chevreau.




XVI.

Le Loup, la Mere & l’Enfant.




LA Bique allant remplir ſa traînante mammelle,
Et paiſtre l’herbe nouvelle,
Ferma ſa porte au loquet ;

Non ſans dire à ſon Biquet ;
Gardez-vous ſur votre vie
D’ouvrir, que l’on ne vous die
Pour enſeigne & mot du guet,
Foin du Loup & de ſa race.
Comme elle diſoit ces mots,
Le Loup de fortune paſſe.
Il les recueille à propos,
Et les garde en ſa memoire.
La Bique, comme on peut croire,
N’avoit pas vû le glouton.
Dés qu’il la voit partie, il contrefait ſon ton ;
Et d’une voix papelarde
Il demande qu’on ouvre, en diſant Foin du Loup,
Et croyant entrer tout d’un coup.
Le Biquet ſoupçonneux par la fente regarde.

Montrez-moy pate blanche, ou je n’ouvriray point,
S’écria-t-il d’abord (pate blanche eſt un point
Chez les Loups comme on ſçait rarement en uſage.)
Celuy-cy fort ſurpris d’entendre ce langage,
Comme il eſtoit venu s’en retourna chez ſoy.
Où ſeroit le Biquet s’il euſt ajoûté foy
Au mot du guet, que de fortune
Noſtre Loup avoit entendu ?
Deux ſeuretez valent mieux qu’une :
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.



LE Loup me remet en memoire
Un de ſes compagnons qui fut encor mieux pris.
Il y perit ; voicy l’hiſtoire.
Un Villageois avoit à l’écart ſon logis.
Meſſer Loup attendoit chape-chute à la porte.
Il avoit vû ſortir gibier de toute ſorte ;
Veaux de lait, Agneaux & Brebis,
Regimens de Dindons, enfin bonne Provende.
Le larron commençoit pourtant à s’ennuyer.
Il entend un enfant crier.
La mere auſſi-toſt le gourmande,
Le menace, s’il ne ſe taiſt,
De le donner au Loup. L’Animal ſe tient preſt ;

Remerciant les Dieux d’une telle avanture.
Quand la mere appaiſant ſa chere geniture,
Luy dit : Ne criez point ; s’il vient, nous le tuërons.
Qu’eſt cecy ? s’écria le mangeur de Moutons.
Dire d’un, puis d’un autre ? Eſt-ce ainſi que l’on traite
Les gens faits comme moy ? Me prend-on pour un ſot ?
Que quelque jour ce beau marmot
Vienne au bois cueillir la noiſette.
Comme il diſoit ces mots, on ſort de la maiſon.
Un chien de cour l’arreſte. Epieux & fourches fieres
L’ajuſtent de toutes manieres.
Que veniez-vous chercher en ce lieu, luy dit-on ?
Auſſi-toſt il conta l’affaire.

Merci de moy, luy dit la Mere,
Tu mangeras mon fils ? L’ay-je fait à deſſein
Qu’il aſſouviſſe un jour ta faim ?
On aſſomma la pauvre beſte.
Un manant luy coupa le pied droit & la teſte.
Le Seigneur du Village à ſa porte les mit ;
Et ce dicton Picard à l’entour fut écrit :
Biaux chires leups n’écoutez mie
Mere tenchent chen fieux qui crie.