Le Livre rose/1/Le Sorcier de Saint-Véran

comtesse Noëla de Sainte-Marie
Urbain Canel & Adolphe Guyot Date (1p. 269-302).

LE SORCIER DE SAINT-VÉRAN.


LE SORCIER DE SAINT-VÉRAN.


TRADITION LYONNAISE.




I.


…… Et la baguette qu’il tenait par les

extrémités tourna rapidement entre ses mains, sur les deux endroits où l’on avait

trouvé les deux cadavres.
Lettre de M. Chauvin, médecin de Lyon.


Le 15 août 1692, jour de l’Assomption de la Vierge, une foule immense longeait la rive droite de la Saône, à Lyon. Lente et, contre son ordinaire, ne Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/283 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/284 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/285 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/286 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/287 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/288 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/289 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/290 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/291 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/292 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/293 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/294 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/295 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/296 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/297 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/298 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/299 grande cathédrale, trônant sur ses quatre tours massives, comme une reine d’Éthiopie sur ses quatre éléphans.

Et dans le chœur de l’église primatiale, sur leurs moelleux coussins, sous les arcades de leurs niches de marbre blanc, où ils se dessinaient comme des figures de saints, siégeaient les trente-deux comtes de Lyon, dans toute la magnificence de leur costume dignitaire. Ici, ni orgue, ni instrumens d’autre espèce n’unissaient leurs accens à la voix des célébrans. Nul livre ne venait en aide à la mémoire du noble chapitre qui, par un vieil usage, devait n’en appeler qu’à elle pour l’office de chaque jour.

Birague, pavanant ses cinq quartiers de rigueur, Birague qui, pour être au dépourvu de livre saint, ne se croyait pas, lui, tenu d’avoir la mémoire aussi fraîche, marmottait pour la forme, à demi-voix, quelques lambeaux de versets, ou jetait un coup-d’œil de dédain protecteur sur messire Dulieu, prévôt des marchands, et ses quatre échevins qui, eux aussi, étalaient en plein chœur leurs blasons de nouvelle date, ou bien encore il s’entretenait avec l’un de ses collègues de la pâleur et de la morosité croissante du comte de Sault, qui, la tête accoudée sur le bras de son siége, semblait en proie à une profonde rêverie.

En ce moment, un frère de la Miséricorde, recouvert jusque par-dessus la tête de son sac de pénitent, s’avança au milieu du chœur, promena sur les chanoines, à travers les interstices de son masque de laine, deux flamboyantes prunelles ; et puis, se fixant sur un seul d’entre eux, il vint parler bas à l’oreille du comte de Sault, qui s’en émut.

On a vu que le jeune comte était d’une nature nerveuse et superstitieuse. Chez les anciens, sans nul doute, il eût évoqué les ombres et se fut abandonné aux oracles et aux présages ; au siècle de Catherine de Médicis, il eût mis sa foi dans un astrologue ; plus tard, il se fût attelé au char de Zinzendorff ; plus tard encore, il en eût appelé au génie de Mesmer ou même de Cagliostro ; de nos jours, il se fût fait non pas saint-simonien ou templier, mais au moins magnétiseur et somnambule. De son temps, il offrait un mélange fort ordinaire alors de superstitions gardées du moyen âge et de croyances religieuses, auxquelles venait se joindre un sentiment d’amour , que son âme faible, mais compatissante et bonne, ne pouvait dominer.

Ses yeux, surpris comme par une vision, s’arrêtèrent un instant sur ceux du frère de la Miséricorde, et, après un assez long silence de consultation intime, il répondit, d’un ton bref, ce seul mot : — J’irai.

« — Il faut être prompt, M. le comte, répliqua le Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/302 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/303 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/304 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/305 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/306 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/307 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/308 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/309 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/310 Page:Collectif - Le livre rose - 1.pdf/311 la place des Terreaux montaient, ensanglantaient la nue, et les derniers soupirs, les derniers râlemens de Landry-le-Bossu se perdaient dans les sifflemens du vent du feu qui soufflait sur ses os dépouillés, que les étouffemens de mort de ses victimes commençaient dans la Saône.

Il n’avait pas espéré une si complète vengeance.

Le lendemain, à l’endroit où la glace était rompue, on retira trois cadavres hydropisés par l’eau qu’ils je taient de toutes parts. Le" premier fut celui de la femme d’Aymard. Birague, qui se trouvait encore là se prit à dire en le voyant ainsi :

« C’est en vérité grand dommage : car cette petite n’était pas mal. »

Le second fut celui du paysan dauphinois. Birague dit :

« Ma foi, ce n’est pas tant pis : car le manant n’était qu’un drôle. »

Le troisième cadavre, le plus méconnaissable de tous, fut celui du jeunecomte de Sault. Birague en frissonna, et puis se remettant de cette frayeur instantanée, il dit :

« Pauvre comte !.... Je l’avais bien prévu que son cœur lui jouerait ce mauvais tour. Mais aussi pourquoi s’encanailler de ces petites bourgeoises. »

Quant à la baguette divinatoire, sauf quelques rares exceptions, il n’en fut plus question pour les meurtriers, et si on ne lui ravit pas entièrement sa puissance prétendue sur les sources d’eau vive et les mines d’or et d’argent, c’est qu’alors elle fut sans haine et maléfice.

LA COMTESSE NOELA DE SAINTE-MARIE.