Le Livre des sonnets/Versailles, tu n’es plus qu’un spectre de cité


Verſailles




Verſailles, tu n’es plus qu’un ſpectre de cité ;
Comme Veniſe au fond de ſon Adriatique,
Tu traînes lentement ton corps paralytique,
Chancelant ſous le poids de ton manteau ſculpté.

Quel appauvriſſement ! quelle caducité !
Tu n’es que ſurannée, & tu n’es pas antique,
Et nulle herbe pieuſe au long de ton portique
Ne grimpe pour voiler ta pâle nudité.

Comme une délaiſſée, à l’écart, ſous ton arbre,
Sur ton fein douloureux croiſant tes bras de marbre,
Tu guettes le retour de ton royal amant.

Le rival du ſoleil dort ſous ſon monument ;
Les eaux de tes jardins à jamais ſe ſont tues,
Et tu n’auras bientôt qu’un peuple de ſtatues.


Théophile Gautier.