Le Livre des sonnets/Quel est donc ce chagrin auquel je m’intéresse
A M. Régnier,
de la Comédie-Françaiſe
après la mort de ſa fille.
Quel eſt donc ce chagrin auquel je m’intéreſſe ?
Nous nous étions connus par l’eſprit ſeulement ;
Nous n’avions fait que rire, & cauſé qu’un moment,
Quand ſa vivacité coudoya ma pareſſe.
Puis j’allais par haſard au théâtre, en fumant,
Lorſque du maître à tous la vieille hardieſſe,
De ſa verve cauſtique aiguiſant la fineſſe,
En Pancrace ou Scapin le transformait gaîment.
Pourquoi donc, de quel droit, le connaiſſant à peine,
Eſt-ce que je m’arrête & ne puis faire un pas.
Apprenant que ſa fille eſt morte dans ſes bras ?
Je ne ſais. — Dieu le ſait ! Dans la pauvre âme humaine,
La meilleure penſée eſt toujours incertaine,
Mais une larme coule & ne ſe trompe pas.
Alfred de Muſſet.