Le Livre des sonnets/Apres l’œil de Melite il n’est rien d’admirable


Pour Mélite




Apres l’œil de Melite il n’eſt rien d’admirable,
Il n’eſt rien de ſolide apres ma loyauié,
Mon feu comme ſon teint ſe rend incomparable,
Et ie fuis en amour ce qu’elle eſt en beauté.

Quoy que puiſſe à mes ſens offrir la nouueauté.
Mon cœur à tous ſes traits demeure inuulnerable,
Et bien qu’elle ait au ſien la meſme cruauté,
Ma foy pour ſes rigueurs n’en eſt pas moins durable.

C’eſt donc avec raiſon que mon extrême ardeur
Trouue chez cette belle vne extrême froideur,
Et que ſans eſtre aimé ie brûle pour Melite.

Car de ce que les Dieux nous enuoyant au iour,
Donnerent pour nous deux d’amour, & de merite,
Elle a tout le merite, & moy i’ay tout l’amour.


Pierre Corneille.