Le Livre des petits enfants (Hauman)/Le petit incendiaire

Louis Hauman et compagnie Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 109-114).


LE PETIT INCENDIAIRE.


On a vu un enfant sur le banc des accusés !

Je crois en vérité que c’était en France, tout près de nous ; je tremble encore.

Il se ressouvenait d’un feu d’artifice, dont les soleils et les fusées au fond de la nuit sombre avaient laissé une vive impression dans sa mémoire. Ce spectacle le poursui( 110) vait surtout quand le jour tombait, et il eût donné tout au monde pour revoir une fois encore éclater ces ardentes lumières qui avaient enflammé l’air et son imagination de cinq ans. Mais il n’avait rien du tout pour acheter un feu d’artifice, et il rêvait sur le bord de la chaumière de son père. Les yeux fixes et la tête penchée, il cherchait un moyen d’assister encore à cette fête du soir qui l’avait rempli d’émotion et d’étonnement. Une idée simple et fatale traversa son petit cerveau, comme une lueur traverse l’obscurité. Demeuré seul pour garder la maison, dont son père et sa mère s’étaient forcément éloignés un moment, il saisit une lampe qui pendait sous l’âtre, et porta lui-même sa flamme dans tout ce qu’elle pouvait dévorer. La grange recélait de la paille, des foins secs, et le feu se répandit avec une telle rapidité qu’il s’élança comme des langues dévorantes vers le ciel, consu( 111) mant la grange et la chaumière sans qu’il en restât rien, que les cendres noires et tristes comme l’action terrible de ce jeune insensé. Il venait de réduire à la mendicité son père, sa tendre mère, et lui, nuisible à tous par cette action stupide dont il regardait l’effet brûlant et rouge avec une admiration profonde et muette. Ah ! que ce fut une grande douleur, quand la mère, au milieu des flammes qui sortaient furieuses de la chaumière, s’élança en appelant son vieux père à elle, l’image de Dieu sur la terre, qui porte bonheur à la maison des enfans ! ce bon vieillard paralytique n’avait pas poussé un cri. La fumée sans doute l’avait étouffé dans son lit, où on le trouva consumé victime du caprice monstrueux de son petit enfant qu’il aimait ! qu’il avait béni avant de s’endormir… Ah ! oui, cela fut, cela est encore une grande douleur ! et l’on ne comprend point ( 112) comment la mère infortunée ne mourut pas, quand l’enfant épouvanté des cris et des sanglots de tout ce monde épouvanté, se mit à crier lui-même : J’ai fait le feu ! j’ai fait le feu ! Horreur et pitié ! Jugez quand il passa le lendemain tout au travers du village, lié avec des cor. des, au milieu d’hommes armés comme pour garder un grand criminel et que tout le monde criait après lui : à l’incendiaire ! à l’incendiaire ! et que sa mère, pâle et ruinée qui le suivait à pied, ne pouvant se résoudre à l’abandonner, joignait les mains comme pour demander à toutes ces voix du silence par pitié pour elle, la mère ! la pauvre femme sans chaumière, sans vieux père à servir tous les jours, sans jeune enfant plein d’innocence comme était hier ce coupable garotté ! Voilà comme il parut, suivi d’un peuple immense et curieux, au tribunal, qui n’avait jamais vu un si jeune coupable, et ( 118) qui resta long-temps dans un triste silence quand l’enfant interrogé répondit, tout épuisé de larmes : — Je voulais revoir un feu d’artifice. On le condamna à vivre trois cent soixantecinq jours dans une obscurité profonde, où sa mère seule l’éclaire et le console…. Priez pour lui ! 10.