Le Livre des petits enfants (Hauman)/L’aumône

Louis Hauman et compagnie Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 57-62).


L’AUMÔNE.


Il avait plu tout le jour ; et c’était l’été, et c’était dimanche ! le balcon était mouillé ; la rue était humide, et la promenade était interdite aux enfans.

Tout à coup, Hyacinthe, la sœur de Prosper, qui regardait au travers des carreaux d’une large fenêtre, vit se découper, au fond d’un nuage blanc, le premier cercle d’or d’une lune nouvelle.

— Oh ! vois, maman, que la lune est fine ! dit-elle.

— On pourrait sortir à présent : repartit son frère, car la rue est balayée comme le ciel.

— Il est trop tard, dit leur mère.

— Quoi, maman ! pas même jusqu’au pâtissier ?

— En effet, répondit-elle en souriant, il est là en face comme pour vous tendre les bras. Tiens, Prosper, va lui offrir cette jolie pièce blanche, nous verrons ce qu’elle te vaudra.

— Une brioche ! maman, grosse comme ma tête, tu vas voir ! il franchit en trois bonds l’escalier, et sa sœur le suivit joyeuse et timide jusqu’à la porte où elle l’attendit, comme on attend son frère, et une brioche.

Prosper revint…, mais les mains vides, et tandis qu’Hyacinthe et lui chuchotaient au pied de l’escalier, n’osant plus remonter sans leur souper friand, la mère se penchait sur la rampe, prête à serrer son fils dans ses bras, car voici ce qu’elle avait vu de la grande fenêtre du balcon ; et ce dont Hyacinthe écoutait le récit les mains jointes d’admiration, malgré la crainte de voir gronder son frère.

Un pauvre barrait la porte du pâtissier. Il était vieux, il était nègre, et il était aveugle ! pitié ! toutes les brioches disparurent de la terre aux yeux de l’enfant charitable. Il s’arrêta devant lui, en tournant le dos au riant pâtissier, et voyant que le nègre n’avait plus de regard pour comprendre le sien, il lui glissa doucement sa petite pièce dans la main, et lui dit :

— Prends garde ! monsieur le pauvre ! cette pièce vaut une brioche de quinze sous. Le nègre trembla de joie.

La mère de Prosper sentit ses yeux se mouiller. Mais à la réflexion, elle ne parut pas se douter de l’embarras des enfans, et ne parla plus de la brioche. Ils se couchèrent bien soulagés tous deux, s’étant contentés, pour leur souper dans l’ombre, d’un morceau de pain, toujours de bon goût, quand il est assaisonné par une bonne action.

Le lendemain, un éclatant soleil revint consoler le balcon, et toute la ville, comme pour une fête.

Le déjeuner s’apprête, on entoure la table, tout devait être si bon ! on avait si faim ! mais, ô redoublement de surprise et d’appétit ! deux énormes brioches apparaissent comme si elles perçaient le ciel, et qu’elles fussent arrivées toutes chaudes sous une aile d’ange. C’était un très-beau spectacle !

— Oh ! d’où viennent-elles ! d’où viennent-elles, maman !

— C’est le bon nègre qui te les envoie, mon fils, dit la mère en souriant. Tu ne sais pas comme le pauvre est riche et puissant dans ses prières ; car, c’est Dieu qui se charge de payer pour lui.