Le Livre des petits enfants/Le chien avocat
Le Chien avocat.
J’ai connu un garçon que je ne nommerai pas. Il se reconnaîtra peut-être en lisant son histoire ; mais je ne ferai pas semblant de savoir que c’est lui ; il ne faut jamais nommer ceux dont on ne peut dire du bien.
Il avait un chien, ce garçon, un bon chien, qui ne sautait pas sur le monde, qui ne montrait pas les dents aux enfans ou aux pauvres, comme tant de chiens d’une mauvaise nature, et qu’il faut se garder de provoquer. Celui-là aboyait et préservait, par une vigilance active, la maison de l’attaque des voleurs. Il allait avec son petit maître, dès que celui-ci appelait : Facteur ! Facteur ! de plus, il s’asseyait sur ses jambes de derrière, levait le menton, et caressait de ses pattes libres et souples, sa moustache, il relevait une canne, des gants avec beaucoup de délicatesse, et faisait mille tours agréables et réjouissants qui l’auraient fait aimer de tout le monde. Et ce méchant garçon battait le pauvre Facteur ! il le faisait pirouetter et hurler à vous fendre le cœur. Un jour, il alla jusqu’à suspendre une pierre à la queue du bon animal, le fouettant pour le faire courir avec ce poids douloureux qui le blessait jusqu’au sang. Aussi, Facteur malgré sa tendresse et sa soumission, lui lançait des regards pleins de reproche et de ressentiment.
Un homme vit cette cruauté de l’enfant, et le saisit, lui et son fouet, avec son bras vigoureux et vengeur. Il pendit la pierre aux cheveux du méchant maître de Facteur, et le fouetta pour le faire courir à son tour.
— Eh bien ! monsieur le tyran, dit-il, comment vous trouvez-vous maintenant ? pensez-vous qu’il soit doux d’être traité comme vous traitez les autres ?
L’enfant rêvait, et l’ardent Facteur poussait des cris lamentables, comme s’il eût demandé la grâce de son maître. Il y avait même une grosse larme dans ses yeux ; et ses deux pattes levées, s’agitaient en tous sens, devant l’homme comme deux bras d’avocat.
— Si votre chien ne plaidait pas avec tant d’éloquence pour vous, dit l’homme, je vous ferais courir ainsi par la ville. Aimez-le donc bien ; car c’est lui qui vous délivre ! et il retira la pierre des cheveux douloureux de l’enfant. Monsieur ! dit celui-ci touché de repentir et caressant son chien, qui le regardait avec tendresse, prenez Facteur avec vous ; je l’ai rendu trop malheureux pour oser encore être son maître.
— Gardez-le, dit l’homme pour réparer votre dureté envers lui. Vous voyez bien qu’il vous aime encore, et que vous seul pouvez le consoler du mal que vous lui avez fait. — Je crois qu’il ne voudra plus me suivre, repartit le garçon humilié.
— Marchez devant lui, et moi, je vais l’appeler pour l’éprouver encore.
— L’enfant s’éloigna, plein d’anxiété, tandis que le passant invitait Facteur à le suivre.
Oh ! Facteur avait bien autre chose à faire !
— Me voilà ! sembla-t-il dire à son maître, en sautant d’un bond jusque sur sa poitrine.
— Tu fais bien ! Facteur, répondit son jeune maître, qui pleura cette fois de vraie tendresse, et qui l’emporta en triomphe dans ses bras.
N’émoussez pas le remords ; il ressemble à une lancette, qui blesse pour guérir.