Le Livre d’un inconnu/16
XVI
BONHEUR POSTHUME
La lune pleine avait aux cieux
Une majesté singulière ;
Le lac était si encieux,
Moiré d’argent par sa lumière.
La vaste nappe aux blancs reflets
Prenait des teintes indécises ;
Les montagnes, géants muets,
Comme en un cercle étaient assises.
Et nous les regardions tous deux,
Appuyés contre la persienne ;
Ma bouche effleurait ses cheveux,
Et sa main était dans la mienne.
Et sur sa gorge étincelait
Une éblouissante parure :
Je voulus baiser le filet
D’où s’échappait sa chevelure.
Mais mes yeux rencontrant ses yeux,
Leur regard glaça mon envie ;
Car nous étions morts tous les deux,
Et rêvions dans une autre vie.