Le Littré de la Grand’Côte/3e éd., 1903/Après

Chez l’imprimeur juré de l’académie (p. 16).
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APRÈS. — Être après faire quelque chose est proscrit par les savants. Mais tandis que le bon Molard écrit : « Dites il est après à diner », le bon Humbert[1] écrit : « Ne dites pas il est après à écrire sa lettre. » Est-il possible que ni l’un ni l’autre n’eussent pas lu l’Académie : « J’ai trouvé que mon avocat était après mon affaire. Je suis après à écrire. » Entre nous, cette dernière locution avec ses deux prépositions en contact est horrible. À Lyon, nous ne l’employons jamais, mais seulement la première. « Je vois le vieux patron (saint Joseph), — qui est après sa soupe », dit un noël lyonnais.

En retour Humbert et Molard s’entendent tous deux pour proscrire : « Il nous a couru après. » — Et l’Académie qui donne cet exemple : « Les uns attendent les emplois, les autres courent après » (!) Tant de légèreté chez des hommes si respectables d’ailleurs !

La clef est après la porte. — Cette expression, familière au populaire parisien, est peu usitée chez nous. Elle me semble à rejeter, car la clef peut être aussi bien avant la porte qu’après, suivant le côté que l’on considère.

Attendre après quelqu’un. Demander après quelqu’un. Envoyer après quelqu’un. — Ces dernières locutions ont leur correspondant en allemand : Jemand nachfragen. Nach einem schicken.

Cette tournure n’est pas proprement allemande. L’expression correcte est Nach Jemandem fragen (comme on a Nach Einem schicken), mais je trouve Jemand nachfragen, comme un idiotisme répondant à « demander après quelqu’un. » dans Les Fautes de langage corrigées, par A. G., i v. in-8°, Neuchâtel, 1829-1832.

La bourgeoise est toujours à me crier après. — Ça, c’est partout.

Après vous, s’il en reste. — Formule polie que l’on emploie lorsqu’on fait servir quelqu’un avant soi. Un de mes amis, très courtois, lorsqu’il se rencontrait avec un inconnu à l’entrée d’une vespasienne (elles n’étaient alors qu’à une place), ne manquait jamais de lui céder le pas, en disant : Après vous, s’il en reste ! Mais il lui arrivait parfois de tomber sur une personne ne voulant pas être en infériorité de politesse, de sorte qu’après beaucoup de cérémonies, chacun se refusant à passer le premier, ils allaient à la vespasienne suivante, où, se rencontrant de nouveau, ils recommençaient.

Le cheval est après la voiture. — Être après quelqu’un, Le tourmenter, le harceler. S’emploie le plus souvent avec toujours. La mère François, une forte femme, saine et appétissante malgré ses quarante-cinq ans, était notre marchande de charbons. Elle était assistée dans son commerce par un grand diable de neveu qui allait sur ses dix-huit ans. Je lui disais un jour : Eh ben, mère François, il en doit passer de la viande chez vous, avec l’appétit de Zavier et le vôtre ! — Oh ! qu’elle me fit, je ne lui donne que de soupe et de truffes. Si je lui donnais de viande i me serait toujou après.

  1. Jean Humbert, savant genevois, professeur d’arabe à l’Académie de Genève, correspondant de l’Institut, mort en 1851, est l’auteur d’un Nouveaux glossaire genevois, comprenant les idiotismes et les expressions en usage à Genève.