Le Lion de Flandre (1838 (NL))
Michel Lévy Frères, éditeurs (1 & 2p. 180-233).
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XXIII


Là gît la fière armée des chevaliers, noyée dans son sang, le crâne brisé ; c’est dans la plaine ensanglantée qui s’étend sous les murs de Courtray que ce sort leur était réservé. Ils s’étaient lancés bride abattue sur le sol flamand, et les voilà étendus sans sépulture avec leurs éperons rouillés par les eaux du ciel…
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxTh. van Ryswyck.



Les chevaliers flamands, hébergés à Courtray, étaient tous livrés au repos lorsque le bruit de l’arrivée des Français, terrible nouvelle qui s’était répandue en peu d’instants dans toute la ville, vint les réveiller. Guy fit sur-le-champ sonner les trompettes, battre les tambours et, une heure après, tous les hommes en état de porter les armes, qui se trouvaient dans la ville, étaient réunis sur les remparts. Les chevaliers étaient aussi accourus, armés de pied en cap, dans la pensée que les Français les attaqueraient immédiatement.

Comme il était à craindre que le châtelain de Lens, durant la lutte, ne sortît de la citadelle et ne tombât sur la ville, on fit venir les Yprois du camp, et on leur donna pour mission de surveiller la garnison française et de l’empêcher de faire des sorties. On plaça une garde nombreuse à la porte de Pierres pour retenir les femmes et les enfants à l’intérieur des murs ; l’anxiété était si grande dans cette partie de la population, qu’ils voulaient, dès la nuit même, s’enfuir à travers champs. Une mort, pour ainsi dire inévitable, les menaçaient ; car, d’un côté, le châtelain de Lens pouvait, à tout instant, sortir de la citadelle à la tête de ses cruels soudards et, d’autre part, la perspective était encore plus horrible, car ils n’avaient pas assez de confiance dans le petit nombre de leurs frères armés, pour espérer que ceux-ci pussent remporter la victoire. Et vraiment, si l’héroïque intrépidité des Flamands ne les eût empêchés de mesurer l’imminence du péril, ils eussent songé à adresser à Dieu leur dernière prière ; car, outre que l’infanterie ennemie était supérieure en nombre à la leur, ils avaient de plus à combattre trente-deux mille cavaliers.

Les chefs de l’armée flamande calculaient de sang-froid les chances que leur offrait la bataille imminente, et, quelles que fussent leur bravoure et leur ardeur à engager la lutte, ils ne pouvaient se dissimuler le danger : la plus héroïque résolution n’empêche pas l’homme de voir le côté critique de la situation ; le courage ne dissipe pas la crainte innée que nous avons de la mort, mais il donne à l’homme assez de force pour surmonter et vaincre des émotions qui lui ôtent son énergie ; ce n’est que dans cette mesure que l’âme peut pousser le corps à affronter sa propre destruction. Les seigneurs flamands ne craignaient pas pour eux-mêmes ; mais la patrie, la liberté dont on allait aventurer les destinées dans une lutte aussi inégale, voilà ce qui leur inspirait des pressentiments pleins d’anxiété. Malgré le peu d’espoir qu’ils pouvaient nourrir, ils résolurent d’accepter la lutte et de mourir plutôt en héros sur le champ de bataille que de faire une lâche et déshonorante soumission.

La comtesse Mathilde, la sœur d’Adolphe, et un grand nombre d’autres dames notables, furent envoyées à l’abbaye de Groningue, afin qu’elles y trouvassent un asile sûr, si l’ennemi venait à s’emparer de Courtray. Toutes ces mesures et d’autres encore étant prises, les chevaliers se rendirent ensemble au camp.

Le comte d’Artois était, à la vérité, un guerrier brave et expérimenté, mais il était trop téméraire ; il jugeait la prudence inutile et s’imaginait passer sur le corps, au premier choc, à l’armée flamande. Cette hautaine opinion, dictée par l’orgueil national, se retrouvait dans les cœurs de ses hommes, à ce point que, tandis que l’armée de Guy se préparait dans l’ombre à la bataille, l’armée française reposait aussi tranquillement que si elle se fût trouvée dans une ville amie. Confiants dans leur innombrable cavalerie, ils étaient convaincus que rien ne pouvait leur résister. S’ils n’eussent été aussi imprudents et aussi téméraires, ils auraient commencé par explorer le champ où ils devaient combattre et en auraient calculé les avantages et les désavantages. Ils se fussent aperçus, alors, que le terrain qui séparait les deux armées rendait leur cavalerie impuissante et inutile ; mais à quoi pouvait leur servir cette précaution superflue ? L’armée flamande valait-elle la peine qu’on eût recours à la prudence ? Robert d’Artois ne le pensait pas.

L’armée flamande avait pris position dans la plaine de Groningue. Derrière elle, du côté du nord, passait la Lys, large rivière qui rendait toute attaque impossible de ce côté ; en avant, coulait le ruisseau de Groningue qui, par sa largeur et ses rives basses et marécageuses, présentait à la cavalerie française un obstacle insurmontable ; l’aile droite s’appuyait sur la partie des remparts de Courtray qui avoisine l’église Saint-Martin ; l’aile gauche était enfermée dans une sinuosité du ruisseau de Groningue[1], de manière que les Flamands se trouvaient en quelque sorte sur une île et qu’il était difficile de les attaquer dans cette position. La distance qui les séparait de l’armée française était occupée par des prairies basses dont le sol était humecté et détrempé par le ruisseau, dit Mosscher, qui y dessinait ses méandres. La cavalerie française avait donc à franchir au moins deux petites rivières avant de pouvoir agir efficacement, et il n’était pas facile de surmonter ces obstacles, parce que les pieds des chevaux ne pouvaient trouver de point d’appui sur les bords marécageux des cours d’eau, et devaient s’y enfoncer jusqu’aux genoux.

Le général français s’y prit comme s’il avait à livrer bataille sur un terrain ferme, et forma son plan contrairement à toutes les lois de l’art de la guerre, tant il est vrai que l’excès de confiance rend imprudent l’homme le plus habile.

Dès le point du jour, avant que le soleil montrât son disque à l’horizon, les Flamands étaient rangés en bataille au bord du ruisseau de Groningue. Monseigneur Guy commandait l’aile gauche et avait sous ses ordres les métiers les moins importants de Bruges ; Eustache Porkyn, avec les gens de Furnes, occupait le centre de ce corps ; le deuxième corps avait pour chef messire Jean Borlunt, et comptait cinq mille Gantois ; le troisième, commandé par Guillaume de Juliers, était formé des tisserands et des affranchis de Bruges ; l’aile droite, qui touchait aux murs de Courtray, comprenait les bouchers, qui avaient à leur tête Jean Breydel, et les hommes venus de la Zélande ; mes sire Jean de Renesse les commandait. Les autres chevaliers flamands n’avaient pas de poste déterminé ; ils allaient où bon leur semblait et où leur intervention pouvait être nécessaire ; les onze cents cavaliers namurois étaient placés en arrière de la ligne de bataille, car on ne voulait pas recourir à eux de prime-abord, pour qu’ils ne jetassent pas le désordre dans l’infanterie.

L’armée française commença enfin à se mettre en bataille à son tour. Mille trompettes firent entendre en même temps leurs sons éclatants, les chevaux hennirent, les armes s’entre-choquèrent, si bien que les Flamands ne purent se défendre d’un frisson glacial à l’approche du danger qui les menaçait. Quelle innombrable multitude d’ennemis allaient s’élancer sur eux ! Pour ces hommes courageux et résolus, ce n’était rien ; ils allaient mourir, ils le savaient ; mais que deviendraient leurs femmes et leurs enfants délaissés, sans appui ? Oh ! en ce moment solennel, tous songeaient à ce qu’ils aimaient le plus sur la terre. Le père souffrait au fond du cœur de voir ses fils exposés à devenir esclaves de l’étranger ; le fils soupirait en pensant à son vieux père qui allait avoir à supporter seul le joug de la tyrannie. Deux passions les dominaient : l’intrépidité qui les poussait au combat et l’anxiété que leur inspiraient les conséquences de la lutte qui allait s’engager. Or, quand deux passions se confondent en présence d’un danger imminent, elles se transforment en une sorte de rage désespérée. C’est ce qui arriva chez les Flamands ; leurs yeux étaient fixes et immobiles, leurs dents se serraient convulsivement, une soif ardente desséchait leur bouche, et la respiration de leurs poumons oppressés était courte et pénible. Un silence effrayant planait sur l’armée ; personne ne communiquait ses émotions aux autres, car tous étaient absorbés par de sombres et lugubres préoccupations. Depuis quelque temps déjà, ils étaient rangés en longue ligne de bataille, lorsque le soleil apparut à l’horizon et leur permit de voir l’armée française.

Les cavaliers étaient en si grand nombre, qu’un champ de blé compte des épis moins nombreux que les lances qui étincelaient au-dessus des rangs ennemis. Les chevaux des premiers rangs frappaient du pied avec impatience, et couvraient de blancs flocons d’écume leurs caparaçons de fer. Les trompettes envoyaient leurs accents comme un joyeux appel de fête aux échos du Neerlanderbosch[2], et le vent se jouait capricieusement dans les plis ondoyants des pennons et des bannières. La voix des chefs venait de temps en temps dominer ces bruits belliqueux, tandis que le cri de guerre : — Noël ! Noël ! France ! France ! s’élevait par intervalles et dominait tout le reste. Les chevaliers français étaient impatients et pleins d’ardeur ; ils stimulaient leurs chevaux de la pointe de l’éperon, puis ils les caressaient et leur parlaient afin qu’ils reconnussent mieux la voix de leur maître dans le tumulte de la bataille. Qui aura l’honneur de porter le premier coup ? telle était la pensée qui les préoccupait tous. Cet honneur était hautement prisé au temps des chevaliers ; quand ils le remportaient dans une bataille importante, ils s’en faisaient gloire durant toute leur vie et l’estimaient la preuve d’une incontestable bravoure ; c’est pourquoi tous tenaient leurs chevaux prêts et la lance en arrêt pour s’élancer en avant au premier ordre, au moindre signe du général.

Dans les prairies qui s’étendaient devant l’armée, l’infanterie française s’avançait, se massait, se déployait lentement, en décrivant des ondulations sur le terrain, comme un formidable serpent, le tout avec le plus grand silence.

Lorsque Guy s’aperçut que l’attaque allait commencer, il envoya mille frondeurs sous le commandement du sire de Sevecote, jusqu’au bord du second ruisseau, pour inquiéter l’avant-garde française ; puis il fit prendre aux divers corps de l’armée une position qui les forma en carré et leur permit d’apercevoir le centre du camp. Un autel de gazon y était érigé ; le grand étendard de saint Georges, patron des guerriers, déroulait l’image du vainqueur du dragon au-dessus du prêtre qui, en grand costume sacerdotal, priait sur les marches de l’autel pour l’heureuse issue de la bataille. Quand il eut terminé son invocation, il monta jusqu’à la dernière marche de l’autel, se retourna et éleva les mains au-dessus de l’armée[3].

Tout à coup, et d’un seul mouvement, tous fléchirent le genou sur le sol et reçurent, dans un solennel silence, la bénédiction suprême. Cette imposante cérémonie émut vivement tous les cœurs ; un sentiment inconnu éveilla chez tous une noble abnégation personnelle, et il leur sembla que la voix de Dieu les appelait à la mort des martyrs. Remplis d’un feu sacré, ils oublièrent tout ce qui leur était cher au monde et furent saisis d’un enthousiasme qui les éleva au rang des héros, leurs ancêtres. Leur poitrine se gonfla et s’élargit, le sang circula impétueusement dans leurs veines, et ils aspirèrent au combat comme à la délivrance.

Quand le prêtre abaissa les mains, tous se relevèrent silencieusement ; le jeune Guy sauta à bas de son cheval, s’avança au milieu du carré et s’écria :

— Flamands ! souvenez-vous des glorieux faits de vos pères ; — ils ne comptaient pas leurs ennemis. Leur intrépide courage conquit cette liberté dont la tyrannie étrangère veut nous dépouiller. Vous aussi, vous verserez aujourd’hui votre sang pour cette cause sacrée, et, s’il nous faut mourir, que ce soit en peuple libre et héroïque, en dignes descendants de lions indomptés ! Songez à Dieu, dont ces hommes impies ont incendié les temples, à vos enfants qu’ils mettront à mort, à vos femmes inquiètes et effrayées, à tout ce que vous aimez, — et nos ennemis, fussions-nous vaincus, n’auront pas à se vanter de leur victoire, car il sera tombé plus de Français que de Flamands sur notre sol. Gardez-vous des cavaliers, enfoncez vos goedendags dans les jambes des chevaux, et surtout ne quittez pas vos rangs. Si quelqu’un dépouille un ennemi abattu, si quelqu’un fuit le combat, tuez-le, je vous l’ordonne. S’il se trouve un lâche parmi vous, qu’il meure de vos mains, et que son sang retombe sur moi seul[4].

Il se baissa vers le sol, ramassa un peu de terre, la porta à sa bouche, et, élevant davantage la voix, il s’écria :

— Par cette terre bien aimée que je veux porter en moi, je saurai aujourd’hui vaincre ou mourir !

Tous se baissèrent de même et mangèrent un peu de terre du sol de la patrie. Cette terre, en descendant dans leur sein, les remplit d’une fureur concentrée et d’un ardent désir de vengeance ; une flamme terrible brillait dans leurs yeux, et l’on voyait tour à tour pâlir et rougir leurs visages contractés par la colère. Un sourd murmure, semblable au grondement de l’ouragan dans les profondeurs d’une caverne, s’éleva du sein de l’armée ; tous les cris, tous les serments se confondirent en une formidable clameur où l’on ne distinguait que ces mots :

— Nous voulons et nous saurons mourir !

On se remit sur le champ en bataille sur le bord du ruisseau de Groningue.

Sur ces entrefaites, Robert d’Artois s’était approché, avec quelques officiers français, à peu de distance du camp flamand, pour faire une reconnaissance. Ses archers furent immédiatement mis aux prises avec les frondeurs de Guy, et les avant-gardes des deux armées échangèrent des flèches et des pierres, tandis que Robert faisait avancer sa cavalerie. Voyant que Guy avait rangé ses troupes sur une seule ligne, il partagea son armée en trois corps ; le premier, sous les ordres de Raoul de Nesle, était fort de dix mille hommes ; le deuxième, commandé par Robert lui-même, se composait des meilleures troupes et s’élevait au nombre de quinze mille cavaliers d’élite ; le troisième, qui formait arrière-garde et avait pour mission spéciale de défendre le campement, était placé sous le commandement de Guy de Saint-Pol. Au moment où le commandant en chef était prêt à lancer ces formidables forces contre l’armée flamande, le sire Jean de Barlas, chef des troupes étrangères, s’approcha de lui et lui parla en ces termes :

— Pour l’amour de Dieu, monseigneur d’Artois, laissez-moi marcher en avant avec mes hommes ; n’exposez pas la fleur de la chevalerie française à périr par la main de ces manants de Flandre ; ce sont des gens que le désespoir a rendus furieux. Je connais leurs habitudes ; ils ont laissé leurs provisions de bouche en ville. Restez ici en bataille, et moi, avec ma cavalerie légère, je leur couperai la route de Courtray et les entretiendrai par de légères escarmouches. Les Flamands mangent beaucoup et durant tout le jour, — ils ont besoin de beaucoup de nourriture ; si nous leur coupons les vivres, la faim les chassera de leur position, et vous pourrez les attaquer ailleurs avec plus d’avantages. De cette façon, vous pourrez exterminer cette race maudite, sans répandre beaucoup de sang.

Le connétable de Nesle et plusieurs autres seigneurs approuvèrent ce conseil ; mais Robert, aveuglé par la colère, n’y voulut point prêter l’oreille et imposa silence à Jean de Barlas.

Tous ces préparatifs avaient pris du temps, il était déjà sept heures du matin, quand la cavalerie française se trouva à deux portées de fronde de l’ennemi. Le Mosscherbeek séparait les archers français des frondeurs flamands, de sorte qu’ils ne pouvaient se rapprocher et qu’il n’y eut que peu de morts des deux côtés. Le sénéchal d’Artois donna ordre d’attaquer à Raoul de Nesle, commandant du premier corps.

Le premier détachement de cavalerie s’élança impétueusement en avant, jusqu’aux bords du Mosscherbeek, mais là, les cavaliers s’enfoncèrent jusqu’à la selle dans la fange. Ils se précipitèrent les uns sur les autres, si bien que les premiers tombèrent de cheval et furent tués par les Flamands ou périrent engloutis par les marais. Ceux qui échappèrent, rebroussèrent chemin en toute hâte, et n’osèrent plus s’exposer aussi témérairement[5]. Durant ce temps, l’armée flamande restait immobile derrière le second ruisseau et contemplait, dans le plus profond silence, le désastre éprouvé par l’ennemi.

Le connétable Raoul, voyant que le passage était impraticable pour sa cavalerie, vint trouver monseigneur d’Artois et lui dit :

— Je vous dis en vérité, seigneur comte, que nous mettons nos gens en grand péril, en les lançant ainsi sur ce ruisseau ; pas un cheval ne veut ni ne peut le franchir. Cherchons plutôt à faire quitter sa position à l’ennemi ; croyez-moi, vous risquez notre vie à tous, à ce jeu.

Mais le général en chef était trop irrité pour prêter l’oreille à ce sage conseil ; il s’écria avec colère :

— Connétable, c’est là un conseil de Lombard ! Auriez-vous peur de ce tas de loups, ou auriez-vous, par hasard, de leur poil !

Il voulait dire par là que le connétable aimait les Flamands et voulait peut-être les favoriser dans la lutte, au détriment de la France. Raoul, blessé de ce reproche, fut saisi d’une grande colère : il se rapprocha davantage du comte d’Artois et lui dit d’un ton amer :

— Vous doutez de mon courage ? Vous m’insultez ? Eh bien, je vous demande, moi, si vous osez me suivre, sur-le-champ et seul, jusque dans les rangs de l’ennemi ? Je vous promets de vous mener si loin que jamais vous n’en reviendrez…

Quelques autres chevaliers s’interposèrent entre les deux chefs et firent si bien qu’ils parvinrent à les calmer ; eux aussi remontrèrent au sénéchal que le passage du ruisseau était impossible ; mais le comte d’Artois n’en voulut point entendre parler et donna ordre à Raoul de Nesle de marcher de nouveau en avant[6].

Le connétable, emporté par son dépit, se lança au galop avec sa troupe sur l’armée flamande ; mais, aux abords du ruisseau, tous les cavaliers des premiers rangs s’enfoncèrent dans la fange et tombèrent pêle-mêle les uns sur les autres ; ils s’écrasaient mutuellement dans cette affreuse mêlée, et plus de cinq cents hommes y périrent, tandis que les Flamands leur lançaient une telle quantité de pierres, que ni casques, ni cuirasses n’y résistaient. À cette vue, monseigneur d’Artois fut forcé d’ordonner la retraite aux troupes de Raoul de Nesle. Ce ne fut qu’à grand’peine qu’on parvint à reformer en rangs réguliers ce corps désorganisé par la plus terrible confusion.

Sur ces entrefaites, messire Jean de Barlas était parvenu à trouver un endroit où l’on pouvait franchir plus facilement le premier ruisseau et avait gagné l’autre rive avec deux mille arbalétriers. En atteignant la prairie où se trouvaient les frondeurs flamands, il disposa ses hommes en rangs serrés, et fit lancer à l’ennemi un si grand nombre de flèches, que l’air en fut obscurci[7]. Un grand nombre de Flamands tombèrent morts ou blessés, et les arbalétriers français gagnèrent sur eux beaucoup de terrain.

Messire Salomon de Sevecote avait pris lui-même la fronde d’un compagnon de métier mort, et stimulait les siens par son exemple ; mais une flèche de fer perça la visière de son casque et le renversa sans vie. Les Flamands, voyant leur chef tomber à côté d’un si grand nombre des leurs, et n’ayant plus de cailloux à lancer, se replièrent sans désordre sur le gros de l’armée : un seul frondeur de Furnes resta seul au milieu de la prairie, comme s’il voulait braver les traits des Français. Il était là, immobile, impassible, bien que les flèches sifflassent au-dessus de sa tête et autour de lui. Il plaça lentement une lourde pierre dans sa fronde et visa attentivement le but qu’il voulait atteindre. Il fit décrire à sa fronde quelques tours rapides, lâcha la courroie, et la pierre vola, en sifflant, dans les airs. — Un cri de douleur s’échappa du sein du chef français, qui tomba sans vie sur le sol ; son casque, brisé sous la violence du coup, n’avait pu protéger son crâne. Messire Jean de Barlas gisait dans son sang ; ainsi périrent, dans le même engagement, les chefs des deux corps ennemis.

En voyant tomber leur commandant, les arbalétriers furent saisis d’une telle fureur, qu’ils jetèrent leurs arbalètes, mirent l’épée au poing, se précipitèrent impétueusement sur les Flamands et les poursuivirent jusqu’au second ruisseau qui servait de retranchement à l’armée ennemie.

Messire Valepaile, qui se trouvait auprès du comte d’Artois, s’écria en voyant ce succès des arbalétriers :

— Oh ! monseigneur le comte, ces misérables gens à pied vont si bien faire, qu’ils auront à eux seuls l’honneur de la bataille. S’ils repoussent l’ennemi sans notre aide, que sommes-nous donc venus faire ici, nous, chevaliers ? C’est une honte ! nous sommes-là, comme si nous n’osions combattre.

— Montjoie, Saint-Denis ! s’écria Robert, en avant, connétable, en avant[8] !

À cet ordre, tous les chevaliers, qui formaient le premier détachement, lâchèrent la bride à leurs chevaux et les lancèrent dans une course désordonnée ; chacun voulait arriver le premier, pour porter le coup d’honneur. Emportés par cette course folle et effrénée, ils passèrent sur le corps de leurs arbalétriers, et des centaines d’entre ceux-ci luttaient contre la mort sous les pieds des chevaux qui les écrasaient, tandis que les autres fuyaient le champ de bataille dans toutes les directions. Ainsi les chevaliers réduisirent à néant l’avantage remporté par les leurs, et donnèrent aux frondeurs le temps de reformer leurs rangs.

Il s’élevait, de l’affreuse mêlée, des cris de mort et de détresse que, de loin, on pouvait prendre pour les acclamations d’une armée victorieuse. Les infortunés chevaliers, tombés de selle, et sur lesquels passait tout un corps de cavalerie, criaient qu’on ne les foulât pas aux pieds ; mais rien ne pouvait arrêter l’élan donné[9]. Déjà la voix de ceux qui étaient tombés les premiers s’était éteinte dans un suprême cri d’agonie ; mais ceux qui les avaient renversés étaient écrasés à leur tour par ceux qui les suivaient, et le terrible concert de cris et de gémissements continuait[10]. Les autres corps, croyant que la lutte était engagée, éperonnèrent leurs chevaux et les lancèrent vers le ruisseau sur les bords duquel se passait cette scène affreuse, et un bon nombre d’entre eux vinrent grossir le chiffre des victimes de l’imprudence du comte d’Artois, chiffre effrayant et inouï.

Les Flamands n’avaient point encore bougé ; toujours immobiles et silencieux, ils contemplaient avec surprise la scène horrible qui se passait sous leurs yeux. Leurs chefs procédaient avec plus d’habileté et de prudence ; pour tout autre chef d’armée, ce moment eût paru favorable pour engager la lutte, et peut-être eût-il franchi le ruisseau et fût-il tombé sur les Français ; mais Guy et Jean Borlunt, dont le comte acceptait les conseils, voyant les avantages de la position qu’ils occupaient, ne voulurent pas la quitter au prix d’un avantage partiel. Le plus profond silence continuait de régner dans les rangs, afin que les ordres fussent entendus de tous.

Enfin les deux ruisseaux furent comblés, en quelque sorte, par des cadavres d’hommes et de chevaux, et Raoul de Nesle réussit à les franchir avec un millier de cavaliers environ. Il les massa en rangs serrés et s’écria :

— France ! France ! en avant ! en avant !

La troupe s’élança intrépidement sur le centre de l’armée ennemie ; les Flamands avaient appuyé sur le sol l’extrémité de leurs longues goedendags et reçurent la cavalerie française sur la pointe de ces armes formidables[11]. Un grand nombre d’ennemis tombèrent de selle sous la violence du choc et furent bientôt percés de coup de lance. Mais Godefroi de Brabant, qui, avec ses neuf cents cavaliers, avait aussi franchi le ruisseau, tomba avec tant de force sur le corps commandé par Guillaume de Juliers, qu’il renversa ce chevalier avec les trois premiers rangs de sa troupe et coupa ainsi la ligne de bataille de l’armée flamande.

Alors s’engagea une lutte effrayante ; les cavaliers français avaient jeté leurs lances et frappaient d’estoc et de taille les Flamands de leurs redoutables épées ; les Flamands se défendirent bravement avec leurs masses d’armes et leurs haches, et mirent hors de combat maints chevaliers ; mais l’avantage resta à Godefroi de Brabant, car ses hommes avaient jonché le sol autour d’eux d’un monceau de cadavres et fait un large vide dans la ligne de bataille des Flamands. Grâce à ce passage ouvert devant eux, tous les Français qui purent franchir le ruisseau vinrent assaillir par derrière leurs adversaires. Cette situation était éminemment périlleuse pour les Flamands ; car, comme l’ennemi les prenait par devant et par derrière, ils n’avaient pas assez d’espace pour faire œuvre de leurs goedendags ; ils furent donc forcés de recourir, pour se défendre, aux haches, aux masses d’armes, aux épées, ce qui donna un grand avantage sur eux aux cavaliers français, vu que ceux-ci, dominant les Flamands, grâce à leur monture, pouvaient les sabrer facilement et, pour ainsi dire, à chaque coup, fendre une tête ou abattre un membre.

Guillaume de Juliers combattait comme un lion ; il se trouvait seul, avec son écuyer et Philippe de Hofstade, engagé au milieu d’une trentaine d’ennemis qui voulaient lui enlever sa bannière ; mais tous les bras qui se tendaient pour la saisir tombaient sous son glaive.

Arthur de Mertelet, un chevalier normand, franchit en ce moment le ruisseau avec un bon nombre de cavaliers, et se lança en pleine course sur Guillaume de Juliers. L’arrivée de ce renfort devait encore empirer la situation des Flamands sur ce point ; le nombre des ennemis à combattre devenait trop grand, et il était impossible de leur résister. Le Normand, en apercevant la bannière de Guillaume, lança son cheval avec la rapidité d’une flèche, et abaissa sa lance pour en percer le porte-étendard, mais Philippe de Hofstade, à cette vue, s’élança, à travers quelques Français, au devant de Mertelet. Le choc des deux chevaliers fut si violent que les deux lances s’enfoncèrent dans les deux poitrines ; le fer meurtrier avait percé le cœur de chacun des combattants. Les deux champions et leurs chevaux restèrent immobiles, comme si une puissance surnaturelle avait soudainement arrêté leur élan et glacé leur ardeur ; on eût cru qu’ils se considéraient attentivement et ils pesaient de tout le poids de leur corps sur la lance, comme s’ils trouvaient un cruel plaisir à torturer davantage leur ennemi ; mais cela ne dura pas longtemps, bientôt le cheval de Mertelet fit un mouvement et les deux cadavres tombèrent sur le sol.

Messire Jean de Renesse, qui se trouvait à l’aile droite, remarquant le danger que courait Guillaume de Juliers, quitta sa position, et, s’élançant derrière la ligne, vint tomber sur le flanc des Français avec Jean Breydel et ses bouchers. Rien ne pouvait résister à des hommes tels que les bouchers de Bruges. Ils se jetaient, poitrine nue, au milieu des armes de toute sorte et recevaient la mort ou le coup qui venait les frapper sans reculer le moins du monde. Ceux-là seuls osaient vraiment regarder la mort en face et la narguer ; aussi tout tombait-il sous leurs coups dès qu’ils apparaissaient. Leurs haches coupaient les jambes des chevaux et fendaient la tête des chevaliers tombés avec leur monture. Un instant après qu’ils étaient venus au secours de Guillaume de Juliers, ils avaient si bien fait place nette, qu’il ne restait plus qu’une vingtaine de Français au delà de la ligne de bataille des Flamands. Parmi eux se trouvait Godefroi de Brabant qui combattait dans les rangs des ennemis de sa patrie.

En l’apercevant, messire de Renesse lui cria :

— Godefroi ! Godefroi ! tu vas mourir !

— Tu veux parler de toi ! répondit Godefroi en assénant un coup violent sur la tête de messire Jean ; mais celui-ci, faisant tournoyer rapidement son épée, en frappa Godefroi sous le menton, avec une telle force, qu’il le jeta hors de selle. Alors vingt bouchers tombèrent sur lui, et il reçut vingt blessures dont la moindre eût suffi à lui donner la mort. Sur ces entrefaites, Jean Breydel, avec quelques-uns de ses hommes, ayant pénétré plus avant dans les rangs de l’ennemi, avait tant et si bien combattu qu’il avait conquis l’étendard de Brabant ; il regagna, avec ce trophée, le gros des siens, déchira en pièces la bannière et en jeta la hampe au loin en s’écriant :

— Honte aux traîtres !

Les Brabançons, voulant venger cet outrage, tombèrent sur l’ennemi avec un redoublement de rage, et firent des efforts inouïs pour déchirer la bannière de Guillaume de Juliers à titre de représailles ; mais le porte-étendard, Jean Ferrand, se défendait avec fureur contre tous ceux qui l’approchaient. Quatre fois il fut renversé, et quatre fois il se releva avec l’étendard, bien qu’il fût couvert de blessures.

Guillaume de Juliers avait déjà fait mordre la poussière à un grand nombre de Français ; chaque coup de sa gigantesque épée donnait la mort à un ennemi. Épuisé par la durée et la violence de la lutte meurtri de coups, le nez et la bouche en sang, il pâlit tout à coup et sentit que ses forces l’abandonnaient. En proie à un vif dépit, il se retira derrière la ligne de bataille pour se remettre un peu. Jean de Vlamynck, son écuyer, défit les courroies de sa cuirasse et le déchargea de ses armes pour lui permettre de respirer plus librement.

Durant l’absence de Guillaume, les Français avaient regagné un peu de terrain, et les Flamands semblaient sur le point de battre en retraite. À cette vue, Guillaume, saisi de douleur, se répandit en plaintes désespérées. Jean de Vlamynck imagina une ruse qui prouve combien la bravoure de son maître était en renommée. Il revêtit l’armure complète de Guillaume, et, se jetant au milieu des ennemis, il s’écria :

— Arrière, hommes de France ! Guillaume de Juliers est de retour !

En même temps, il se mit à frapper vaillamment sur les ennemis, et en coucha si bon nombre dans la poussière, que les autres reculèrent, ce qui donna aux rangs flamands le temps de se reformer.

Raoul de Nesle, avec la plus grande partie de sa cavalerie, était tombé sur les cinq mille Gantois de messire Borlunt. En vain le courageux guerrier français s’était efforcé de percer cette troupe ; trois fois les Gantois, sans rompre leurs rangs, l’avaient repoussé en lui faisant perdre beaucoup de monde. Jean Borlunt, jugeant qu’il serait très-désavantageux qu’il quittât sa place pour attaquer le corps de Raoul de Nesle, s’avisa d’un autre moyen. Il prit les trois derniers rangs de ses hommes et en forma deux nouveaux détachements qu’il disposa, derrière la ligne de bataille, de telle façon qu’une extrémité de ces corps touchait à l’armée et l’autre se trouvait plus loin dans la campagne. La division centrale, qui occupait l’espace compris entre les deux autres, reçut de Jean Borlunt l’ordre de reculer au premier choc des Français.

Raoul de Nesle, ayant rallié en ordre ses cavaliers, tomba de nouveau au grand galop sur les Gantois ; en même temps, le corps central recula, et les Français, croyant avoir rompu la ligne de bataille, se mirent à crier avec joie :

— Noël ! Noël ! Victoire ! Victoire !

Ils s’engagèrent dans l’ouverture pratiquée dans les rangs ennemis avec l’intention d’attaquer l’armée par derrière, mais ils se trouvèrent loin de compte ; ils rencontrèrent de toutes parts un mur de lances et de haches. Jean Borlunt, en faisant avancer obliquement les deux ailes de son corps, forma les Gantois en triangle et ferma ainsi le filet dans lequel il avait pris près d’un millier de Français. Alors commença une affreuse boucherie ; pendant un quart d’heure, coups de hache, coups d’épée, coups de lance, s’échangèrent au milieu d’une mêlée épouvantable, sans qu’on pût voir qui succombait ni qui triomphait. Hommes et chevaux, renversés, confondus, criaient, hurlaient, hennissaient ; horrible tumulte dans lequel on n’entendait ni ne distinguait rien.

Pendant longtemps, Raoul de Nesle, couvert de blessures, éclaboussé par le sang des siens, combattit sur un monceau de cadavres ; sa mort était certaine. À cette vue, Jean Borlunt, pris d’un sentiment de compassion pour l’héroïque chevalier, lui cria :

— Rendez-vous, messire Raoul ; je ne voudrais pas vous voir mourir !

Raoul était devenu fou de rage et de désespoir ; il comprit les paroles de Borlunt, et peut-être un sentiment de reconnaissance vint-il émouvoir son cœur ; mais le reproche d’être d’intelligence avec l’ennemi, reproche que lui avait adressé le comte d’Artois, l’avait si vivement blessé et irrité, qu’il ne voulait pas vivre plus longtemps. Il fit de la main un signe, comme pour adresser un suprême adieu à Jean Borlunt, et soudain étendit morts deux Gantois. Enfin, frappé à la tête d’un coup de massue, il tomba sans vie sur les corps amoncelés de ses frères d’armes. Beaucoup d’autres chevaliers, tombés de cheval, voulurent rendre les armes, mais on ne les écouta point ; pas un seul Français ne sortit du cercle fatal qui les enfermait.

Pendant que les hommes de messire Borlunt accomplissaient cette œuvre d’extermination, la lutte était aussi vive sur toute la ligne de bataille. Là on entendait le cri : « Noël ! Noël ! Montjoie, Saint-Denis ! » de quoi on pouvait conclure que, sur ce point, les Français avaient l’avantage ; ailleurs montait vers le ciel le formidable cri : « Flandre au Lion ! » signal de la défaite d’un corps français.

Le ruisseau de Groningue était rougi par le sang et rempli de cadavres. Les cris suprêmes des mourants étaient couverts par le bruit des armes entrechoquées ; un bruit sourd et lugubre, comme un grondement de tonnerre, planait au dessus des combattants. Lances et masses d’armes volaient en pièces : un long amas de cadavres formait comme une digue en avant de la ligne de bataille. Les blesser, étaient sûrs de périr, car on ne relevait personne, et ils étaient condamnés à être étouffés dans la fange ou foulés sous les pieds des chevaux.

Sur ces entrefaites, Hugues d’Arckel, avec ses huit cents hommes intrépides, avait pénétré jusqu’au centre de l’armée française ; il était tellement cerné de toutes parts par l’ennemi, qu’il était impossible aux Flamands de l’apercevoir. Là il combattait avec tant de bravoure et de dextérité que les ennemis nombreux auxquels il avait affaire ne pouvaient entamer son détachement, quelque peu nombreux qu’il fût ; autour de lui gisait un grand nombre de victimes, et quiconque osait l’approcher payait de sa vie cette témérité. Il se rapprochait peu à peu du camp français et semblait vouloir atteindre celui-ci. Ce n’était pas son intention ; car, lorsqu’il se trouva au milieu des troupes françaises, il s’élança de côté sur l’étendard de Navarre et l’arracha des mains de celui qui le portait. Les gens de Navarre tombèrent avec fureur sur lui et mirent à mort grand nombre des siens ; mais il sut si bien défendre la bannière qu’il avait conquise, que les Français ne purent la lui reprendre. Il avait presque regagné le gros de l’armée flamande, lorsque Louis de Forest lui porta un coup si terrible sur l’épaule gauche, que le bras fut à demi séparé du corps ; on voyait ce bras paralysé pendre le long de la cuirasse, le sang coulait à flots de la blessure, une pâleur mortelle se répandit sur ses traits, mais il ne lâcha pas l’étendard. Louis de Forest fut tué par un autre Flamand, et Hugues d’Arckel revint presque sans vie avec la bannière de Navarre au milieu des siens. Il s’efforça de répéter le cri : « Flandre au Lion ! » mais sa voix éteinte lui fit défaut, son âme s’échappa avec son sang par la cruelle blessure qu’il avait reçue, et il tomba dans la poussière avec le glorieux trophée qu’il devait à son courage.

À l’aile gauche, la lutte était encore plus vive pour la division commandée par monseigneur Guy ; Jacques de Châtillon, à la tête de quelques milliers de cavaliers, avait attaqué le métier de Furnes, et plusieurs centaines de Flamands avaient succombé au premier choc. Eustache Sporkyn gisait, grièvement blessé, en arrière de la ligne de bataille et criait à ses hommes de ne pas céder ; mais la supériorité de l’ennemi qui les pressait était telle, qu’ils durent reculer. Suivi d’un grand nombre de cavaliers, de Châtillon perça la ligne de bataille, et la lutte s’engagea au-dessus du malheureux Sporkyn qui ne tarda pas à rendre l’âme.

Adolphe de Nieuwland était resté seul avec le comte Guy et son écuyer, si bien qu’ils étaient séparés du gros de l’armée, et devaient s’attendre à une mort certaine. De Châtillon fit tous les efforts possibles pour s’emparer du grand étendard de Flandre ; mais, bien que Segher Lonke, qui portait la bannière, eût été plusieurs fois renversé, le sire de Châtillon n’avait encore pu en arriver à son but ; transporté de rage, il éclatait en imprécations contre ses hommes et faisait pleuvoir des coups furieux sur l’armure des trois invincibles Flamands. Assurément ceux-ci n’eussent pu tenir longtemps contre une nuée d’ennemis acharnés ; mais ils en avaient abattu un si grand nombre dès le commencement de la lutte, que les cadavres amoncelés, ayant atteint une certaine hauteur, rendaient l’accès difficile aux autres cavaliers et leur servait en quelque sorte de rempart.

Emporté par l’impatience et la colère, le sire de Châtillon arracha des mains d’un de ses hommes une longue lance et s’élança sur Guy. Le jeune comte n’eût infailliblement pas échappé à la mort, car, occupé à lutter contre d’autres agresseurs, il ne voyait pas fondre sur lui son nouvel adversaire. Déjà la lance allait le frapper au cou en s’introduisant entre le casque et la cuirasse, lorsque Adolphe de Nieuwland leva son épée avec la rapidité de l’éclair, coupa en deux la hampe de la lance et sauva ainsi la vie à son chef.

Au même instant, et avant que le sire de Châtillon eût eu le temps de reprendre son épée, Adolphe bondit au-dessus des cadavres, et, se trouvant en face du chevalier français, lui asséna sur la tête un coup si terrible qu’il lui enleva une grande partie de la joue avec un morceau de son casque. Le sang coula à flots sur ses épaules, et il voulut continuer à se défendre, mais deux coups plus formidables encore lui firent vider les arçons et le renversèrent sous les pieds des chevaux. Les Flamands s’emparèrent de lui, l’entraînèrent en arrière de la ligne de bataille et lui portèrent mille coups en lui reprochant les cruelles persécutions qu’il leur avait fait subir.

Sur ces entrefaites, Arnould d’Audenaerde était accouru au secours de l’aile gauche, ce qui changea complétement la situation : le métier de Furnes se lança de nouveau en avant avec ce renfort inattendu, et les Français furent repoussés en désordre. Chevaux et cavaliers tombaient en si grand nombre, et il y avait un tel désarroi dans les rangs de l’ennemi, que les Flamands, croyant la bataille gagnée, ne purent s’empêcher de crier sur toute la ligne :

— Victoire ! victoire ! Flandre au Lion !

Quiconque eût pu, en ce moment, voir les bouchers, sans être exposé à leurs coups, eût reculé d’épouvante et d’horreur. Poitrine nue, bras nus, la hache ensanglantée, on les voyait s’élancer au-dessus des cadavres d’hommes et de chevaux, frappant de toutes parts, tout couverts de sang, les cheveux épars, le visage rendu méconnaissable par la boue, la sueur et le sang ; et, au milieu de toutes ces horreurs, un affreux sourire contractait leurs traits, sourire où se reflétaient à la fois la haine mortelle de l’étranger et les joies féroces de la lutte.

Les Français qui, dans leur présomption, avaient parlé des Flamands comme s’ils eussent dû les écraser du premier coup, éprouvèrent, à leur grand dommage, qu’une vaine forfanterie est de peu de secours sur un champ de bataille. Ils déploraient les suites de leur imprudente témérité, et voyaient, en luttant contre les bouchers, à quel peuple ils avaient à faire. Cependant ils ne perdaient pas courage ; ils étaient encore beaucoup plus nombreux que les Flamands, et un assez grand nombre d’entre leurs corps n’avaient point encore pris part à la lutte.

Tandis que l’avant-garde de l’armée française avait ainsi le dessous, le comte d’Artois se trouvait, avec la deuxième division, à une plus grande distance de l’armée flamande. Comme la ligne de bataille de l’ennemi n’était point assez étendue pour qu’on pût engager à la fois des troupes aussi considérables que les siennes, il n’avait pas encore marché en avant. Ne sachant pas comment la lutte tournait, il s’imagina que ses hommes avaient sans nul doute l’avantage, car il n’en voyait revenir aucun. Sur ces entrefaites, il envoya messire Louis de Clermont, avec mille cavaliers normands, attaquer l’aile gauche de l’armée flamande. Le sire de Clermont réussit à trouver de ce côté un terrain ferme ; il parvint à franchir le ruisseau avec tout son détachement et vint tomber à l’improviste sur les troupes commandées par Guy. Celles-ci, assaillies par derrière par de nouveaux ennemis, alors que le corps de messire de Châtillon leur donnait déjà assez de besogne, ne purent tenir davantage ; les premiers rangs furent renversés et taillés en pièces, la confusion se mit dans les autres, et toute cette partie de l’armée flamande recula en désordre. La voix de Guy, qui les conjurait, au nom de la patrie, de tenir bon, ranimait bien leur courage, mais cela n’aidait à rien ; la pression était trop forte, et tout ce qu’ils purent faire, sur la prière de leur chef, ce fut de battre en retraite aussi lentement que possible.

Le malheur voulut qu’en ce moment Guy reçût sur son casque un coup si violent qu’il s’affaissa sur le cou de son cheval et laissa tomber son épée ; dans cette situation critique, étourdi et pris de vertige, il lui était impossible de se défendre. C’en était fait de lui, si Adolphe ne fût venu à son aide. Le jeune chevalier s’élança en avant du cheval de Guy, et manœuvra si bien de son épée, que les Français ne purent atteindre le jeune comte. Au bout de quelques instants de cette lutte formidable, son bras s’alourdit et se lassa ; on s’en apercevait aux mouvements de son arme, qui déjà se ralentissaient et étaient moins énergiques. Les coups pleuvaient sur son armure, il sentait sa chair se meurtrir sous la cuirasse et, déjà, il disait à ce monde un dernier adieu, car il voyait la mort devant lui.

Durant ce temps, Guy avait été emmené en arrière de la ligne de bataille et était revenu de son étourdissement : il vit avec anxiété la périlleuse situation de son sauveur, et, saisissant une autre épée, accourut à son côté et se remit à combattre. Quelques-uns d’entre les plus braves s’étaient joints à lui, et les Français furent arrêtés dans leur élan, jusqu’à ce qu’un nouveau renfort vint se joindre à eux. L’intrépide bravoure des chevaliers Flamands ne put résister plus longtemps au choc. Le cri : « Flandre au Lion ! » fit place à un autre : les Français s’écriaient :

— « Noël ! Noël ! En avant ! À nous la victoire !… »

Les Flamands furent refoulés et culbutés. Malgré les efforts inouïs de Guy, il ne put empêcher ses hommes de battre en retraite, car il y avait au moins trois cavaliers contre un fantassin ; les chevaux foulaient aux pieds les Flamands ou les forçaient irrésistiblement à reculer. Le désordre se mit dans leurs rangs, et la moitié de l’armée flamande s’enfuit devant l’ennemi ; un grand nombre furent terrassés, et les autres se trouvèrent tellement dispersés, qu’ils ne purent offrir aucune résistance à la cavalerie, et furent poursuivis par les Français jusqu’à la Lys, dans les eaux de laquelle une grande partie d’entre eux trouvèrent la mort. Guy était parvenu néanmoins à rallier un peu ses hommes sur le bord de cette rivière ; mais le nombre des ennemis était trop grand. Les gens de Furnes, quoique dispersés çà et là, combattaient avec la furie du désespoir ; l’écume couvrait leurs lèvres, leur sang coulait, et cependant le courage héroïque qu’ils avaient déployé jusque-là ne leur suffisait pas ; chacun d’eux avait abattu déjà trois ou quatre cavaliers, mais leur nombre diminuait de plus en plus, tandis que celui des ennemis ne faisait que s’accroître ; ils voulaient mourir avec honneur et en tirant vengeance de ceux sous la supériorité matérielle desquels ils succombaient.

Guy, voyant la défaite de son armée, et croyant la bataille perdue, eût pleuré de douleur, si la tristesse avait pu trouver place dans son cœur ; mais une sombre fureur s’était emparée de lui. Il l’avait juré, il ne voulait pas vivre davantage, et, comme un insensé, il lança son cheval au milieu des ennemis triomphants. Adolphe de Nieuwland et Arnould d’Audenaerde le suivaient de près ; ils combattaient avec une telle rage, que les ennemis effrayés reculaient devant eux ou tombaient sous leur épée comme par enchantement ; mais les Flamands n’en étaient pas moins en déroute, et les Français criaient à bon droit : « Noël ! Noël ! » car rien ne semblait pouvoir sauver les troupes de Guy.

En ce moment, on vit, dans la direction d’Audenaerde, au delà du ruisseau de Gavre, se mouvoir au milieu des arbres quelque chose qui étincelait sous les rayons du soleil ; cette surprenante apparition s’avançait rapidement et fut bientôt en rase campagne. On aperçut deux cavaliers accourant au grand galop vers le champ de bataille : l’un était chevalier, on pouvait le deviner à sa magnifique armure ; sa cuirasse et le caparaçon de fer de son cheval brillaient de reflets d’or. Un grand panache bleu flottait au vent derrière lui ; le harnais de sa monture était tout couvert d’écailles d’argent, et une croix rouge était peinte sur sa poitrine ; de plus, on pouvait y lire, en grandes lettres d’argent qui se détachaient sur un fond noir, le mot : Flandre.

Il n’y avait pas un chevalier sur le champ de bataille qui fût revêtu d’une aussi splendide armure que cet inconnu, mais, ce qui le distinguait le plus, c’était sa taille : il dépassait de la tête les hommes les plus robustes et avait une telle stature, qu’on eût pu le prendre pour un fils des géants. Le cheval qu’il montait ajoutait beaucoup à cette taille surprenante, car il était aussi d’une taille et d’une force extraordinaires. De gros flocons d’écume s’échappaient de la bouche du puissant animal, et son haleine sortait en sifflant des poumons en deux épais nuages de vapeur. Le chevalier ne portait, pour toute arme, qu’un formidable marteau, ou plutôt une masse d’armes dont l’acier se détachait vivement sur le jaune éclat de son armure dorée.

L’autre cavalier était un moine mal armé et mal équipé ; sa cuirasse et son casque étaient tellement rouillés qu’ils semblaient peints en rouge. Son nom était frère Guillaume de Saeftinge. Étant en son couvent à Doest, il apprit qu’on allait livrer bataille aux Français, près de Courtray ; il prit deux chevaux dans l’écurie du monastère, échangea l’un d’eux contre les armes rouillées qu’il portait et accourut sur l’autre pour assister à la lutte suprême. Lui aussi était extraordinairement fort et d’un cœur intrépide : une longue épée brillait dans sa main, et la flamme de son regard annonçait assez un redoutable combattant. Il venait de rencontrer le mystérieux chevalier, et, comme tous deux allaient vers le même but, ils avaient fait route ensemble[12].

Les Flamands tournèrent les yeux avec un joyeux espoir vers le chevalier à l’armure dorée qui accourait vers eux. Ils ne pouvaient encore lire le mot : Flandre, inscrit sur sa poitrine, et, par conséquent, ne pouvaient savoir si c’était un ami ou un ennemi ; mais, dans la situation critique où ils se trouvaient, ils s’imaginaient que, sous cette forme, Dieu leur envoyait un de ses saints pour les sauver du péril. Tout pouvait leur inspirer cette croyance, son armure resplendissante, sa taille gigantesque et la croix rouge qu’il portait sur la poitrine.

Guy et Adolphe qui, cernés par les ennemis, se défendaient courageusement, se regardèrent mutuellement avec une sorte d’extase : ils avaient reconnu le chevalier à l’armure dorée. Pour eux les Français étaient perdus, car ils avaient pleine confiance dans la puissante intervention du nouveau venu. Le coup d’œil qu’ils échangèrent disait :

— Oh ! quel bonheur ! c’est le Lion de Flandre !

Le chevalier à l’armure dorée atteignit enfin les rangs français ; avant qu’on pût lui demander qui il venait combattre ou seconder, il s’élança sur le point où les cavaliers étaient le plus nombreux, et se mit à frapper de sa masse d’armes des coups si terribles que, saisis d’épouvante en présence d’un aussi redoutable ennemi, ils reculèrent en désordre pour échapper à ses atteintes. Tout tombait sous son formidable marteau, et il laissait derrière son cheval, dans les rangs ennemis, un vide comparable au sillage que laisse après lui un vaisseau ; en abattant ou en refoulant ainsi tous ceux qu’il rencontrait, il se rapprocha avec une merveilleuse rapidité des détachements flamands acculés sur les bords de la Lys, et s’écria :

— Flandre au Lion ! Suivez-moi ! Suivez-moi !

À ces mots, il renversa dans la fange un si grand nombre d’ennemis et déploya dans son œuvre de destruction une telle puissance, que les Flamands crurent de plus en plus voir en lui un être surnaturel.

Cette pensée ramena le courage dans leurs cœurs ; ils s’élancèrent en avant comme un seul homme, en poussant des acclamations triomphales, et suivirent le chevalier à l’armure dorée dans sa marche victorieuse. Les Français ne purent résister à ces hommes transformés en lions ; les premiers tournèrent le dos et voulurent s’enfuir, mais ils se heurtèrent aux chevaux de ceux qui les suivaient et tombèrent pêle-mêle. Alors un immense massacre commença sur toute la ligne de l’année ; les Flamands se mirent à tuer sans pitié ni merci, en franchissant les monceaux de cadavres tombés sous les coups des leurs pour atteindre d’autres ennemis. On ne criait plus « Noël ! » En ce moment, le formidable cri « : Flandre au Lion ! » retentissait sur tous les points, et les combattants étaient tellement étourdis par ces clameurs de triomphe qu’ils n’entendaient même plus le retentissement des coups portés par leurs propres armes.

Frère Guillaume, le moine, était descendu de cheval et combattait à pied ; tous ceux qui étaient à sa portée tombaient, frappés d’un coup mortel ; il faisait tournoyer son épée comme si c’eût été une plume, et bravait, par un ironique sourire, les ennemis qui l’assaillaient. On eût dit qu’il s’amusait à un jeu, car il était aussi gai et plaisantait autant que s’il eût combattu des enfants. Néanmoins, malgré sa dextérité, de nombreux coups d’épée tombaient sur sa cuirasse rouillée ; mais, tandis qu’un autre fût tombé sous chacun de ces coups, frère Guillaume restait debout, inébranlable, sur les cadavres des ennemis qu’il avait terrassés. Quiconque avait le malheur de toucher à lui tombait à l’instant sous sa formidable épée et payait son audace de sa vie. Tout à coup il aperçut à quelque distance messire Louis de Clermont avec sa bannière.

— « Flandre au Lion ! » s’écria frère Guillaume. Cet étendard est à moi !

Comme s’il fût tombé mort, il s’abaissa sur la terre, rampa sur les mains et les pieds entre les chevaux, et se releva brusquement auprès de Louis de Clermont ; de toutes parts les épées s’abattaient sur lui, mais il se défendait si bien qu’il ne reçut que quelques contusions. Il ne montrait en rien qu’il en voulût à l’étendard, voire même lui tournait-il le dos ; mais, tout à coup, il se retourna, abattit le bras de celui qui portait la bannière et mit celle-ci en pièces.

Le moine allait certainement trouver la mort, mais déjà tout le gros de l’armée avait pu arriver jusqu’à lui ; les Français qui le cernaient furent refoulés en désordre. Le chevalier à l’armure dorée avait dispersé en quelques instants les ennemis qui entouraient Guy, et il marchait toujours en avant sans trêve ni relâche. De sa masse d’armes, il brisait sur sa route les casques et les crânes, et ne rencontrait personne qui pût lui résister ; tous ceux qui tombaient assommés par lui étaient foulés aux pieds par les chevaux. Guy se rapprocha de lui, et lui dit d’une voix rapide :

— Ô Robert, mon frère bien-aimé, combien je remercie Dieu de ce qu’il vous ait envoyé ici ! Vous avez sauvé la Flandre !…

Le chevalier mystérieux ne répondit point, mais plaça son doigt sur ses lèvres, comme s’il eût voulu dire :

— Du secret ! du secret !

Adolphe avait aussi remarqué ce geste, et il résolut de se comporter comme s’il ne reconnaissait pas le comte de Flandre.

Sur ces entrefaites, les Français entraient en pleine déroute ; les troupes flamandes poussaient vigoureusement l’ennemi qui reculait, et achevaient, à coups de hache et de massue, les chevaliers renversés. Des milliers de chevaux étaient à demi-engloutis dans le sol défoncé, et les cadavres ennemis couvraient le sol, en si grande quantité, que les combattants ne luttaient plus sur l’herbe, mais sur un lit de morts et de tronçons d’armes. Le ruisseau de Groningue avait disparu, et les cadavres qui l’encombraient ne formaient plus qu’un monceau avec ceux qui gisaient sur les bords ; on eût pu reconnaître son cours à ses eaux ensanglantées, mais partout le sang formait de larges flaques. Les gémissements des mourants, les plaintes des blessés étouffés sous la terrible pression de la mêlée, les acclamations des Flamands victorieux, se confondaient en un tumulte affreux auquel contribuaient le son éclatant des trompettes, le cliquetis retentissant des épées sur les armures, le hennissement douloureux et épouvanté des chevaux étreints par la vase : un volcan qui éclate et déchire les entrailles de la terre, en laissant échapper de son sein les foudres qui le gonflaient, peut seul donner une idée de cette épouvantable confusion de bruits plus effrayants les uns que les autres. On eût dit que la dernière heure du monde était venue.

Neuf heures sonnaient au beffroi de Courtray lorsque la cavalerie de Raoul de Nesle et du sire de Châtillon battit en retraite et se replia sur les troupes du comte d’Artois. En apprenant la défaite des siens, Robert fut transporté d’une rage aveugle et voulut courir sus à l’armée flamande avec le corps nombreux qu’il avait sous ses ordres. D’autres chevaliers s’efforcèrent de le faire renoncer à son imprudent dessein, en alléguant que les chevaux ne pouvaient s’aventurer sur le terrain où était engagée la bataille ; mais il ne voulut écouter personne et s’élança, suivi de tous ses hommes, à travers la foule des fuyards. Les cavaliers qui avaient échappé à la première déroute furent refoulés par le sénéchal et sa troupe, et s’enfuirent en désordre de toutes parts pour sortir de l’affreuse mêlée ; mais cela leur fut impossible : les premiers rangs furent repoussés en avant par ceux qui les suivaient, et les troupes fraîches tombèrent, avec la plus grande témérité, sur l’armée flamande. Au premier choc, les troupes de Guy furent forcées de reculer jusqu’en arrière du ruisseau de Groningue, mais là, les chevaux abattus leur servirent de boulevard et elles se trouvèrent comme à l’abri d’un retranchement.

Les cavaliers français ne purent tenir sur le sol fangeux ; ils s’abattirent les uns sur les autres, et un grand nombre d’entre eux périrent foulés aux pieds et écrasés par les autres. À cette vue, monseigneur d’Artois, transporté de fureur, s’élança au delà du ruisseau avec quelques hommes intrépides, et tomba sur les troupes de Guy. Après un court combat dans lequel beaucoup de Flamands succombèrent, Robert d’Artois saisit le grand étendard de Flandre et en arracha un lambeau, avec la première griffe du lion[13]. Des exclamations furieuses s’élevèrent des rangs des Flamands :

— À mort ! à mort ! s’écria-t-on de toutes parts.

Le sénéchal s’efforçait d’arracher l’étendard des mains de Segher Lonke qui le portait ; mais le frère Guillaume, jetant son épée, s’élança sur le cheval de monseigneur d’Artois ; il noua ses bras au cou du comte et, appuyant ses deux pieds sur la selle, il tira Robert en arrière, avec tant de force, que le comte tomba à bas de son cheval ; — les deux adversaires roulèrent sur le sol. Sur ces entrefaites, les bouchers étaient accourus, et Jean Breydel, qui voulait venger l’outrage fait à l’étendard de Flandre, abattit d’un coup de hache le bras de Robert. L’infortuné sénéchal, se voyant en face de la mort, demanda s’il ne se trouvait pas là quelque gentilhomme à qui il pût rendre les armes ; mais les bouchers s’écrièrent qu’ils ne comprenaient pas sa langue et le frappèrent de leurs haches jusqu’à ce qu’il eût rendu l’âme.

Sur ces entrefaites, le frère Guillaume avait aussi terrassé le chancelier Pierre Flotte et levait son épée pour lui fendre la tête ; le chancelier demandait grâce. Le frère Guillaume sourit ironiquement et lui fendit la tête jusqu’à la nuque ; le chancelier, privé de vie, tomba la face dans son sang. Les seigneurs de Tancarville et d’Aspremont furent renversés par la masse d’armes du chevalier à l’armure dorée. Guy fendit d’un coup la tête de Renaud de Longueval, et Adolphe de Nieuwland renversa de selle Raoul de Nortfort. Plus de cent gentilshommes perdirent la vie en quelques instants.

Messire Rodolphe de Gaucourt, les deux rois Balthazar et Sigis, avec soixante et dix chevaliers d’élite, avaient lutté longtemps contre les Gantois de Jean Borlunt. Les deux rois et tous leurs compagnons avaient mordu la poussière, et Rodolphe, dont le cheval s’était abattu, se tenait encore debout au milieu de ses ennemis auxquels il faisait face avec une merveilleuse intrépidité. Il luttait contre les Gantois avec une souveraine habileté et les tenait à distance par de formidables coups d’épée. Tout à coup il aperçut un groupe d’une quarantaine de chevaliers français et se réfugia au milieu d’eux ; mais Jean Borlunt le poursuivit à la tête d’un nombre considérable de Gantois. Bientôt les quarante chevaliers eurent succombé, et Rodolphe de Gaucourt se défendait toujours avec le même courage. Épuisé par les blessures et par la lassitude, il s’affaissa enfin sur les cadavres de ses frères d’armes et les Gantois coururent à lui pour le mettre à mort ; mais Jean Borlunt ne voulut pas que le brave Français perdît la vie : il le fit transporter en arrière de la ligne de bataille et le prit sous sa protection[14].

Bien que, dans cette lutte ardente, les premiers rangs de l’armée française eussent subi une éclatante défaite, les Flamands faisaient peu de progrès, parce que de nouveaux renforts ennemis venaient sans cesse prendre la place de ceux qui avaient succombé.

Le chevalier à l’armure dorée combattait comme un vrai lion, à l’aile gauche, contre tout un détachement de cavalerie. À ses côtés luttaient avec un égal courage Guy et Adolphe de Nieuwland ; ce dernier se précipitait à tout instant au milieu des rangs ennemis, et avait mis maintes fois sa vie en péril : on eût dit qu’il avait résolu de mourir sous les yeux du chevalier à l’armure dorée, « Le père de Mathilde me voit ! » pensait-il, et alors il sentait ses poumons aspirer l’air plus librement ; il sentait plus de force dans ses muscles, il sentait dans son âme un plus grand mépris de la mort. Le chevalier à l’armure dorée lui cria plusieurs fois de ne pas s’exposer ainsi ; mais ces paroles, qui retentissaient à l’oreille d’Adolphe comme un éloge, produisaient sur lui un effet tout contraire ; car, à chaque appel du chevalier à l’armure dorée, le cheval du brave jeune homme bondissait vers l’ennemi et l’entraînait plus avant dans les rangs français. Heureusement pour lui qu’un bras plus puissant que le sien veillait sur sa vie et qu’il y avait à côté de lui un homme à qui un paternel amour avait fait jurer de le protéger.

Dans toute l’armée française un seul étendard restait debout. L’oriflamme déroulait encore ses éclatantes armoiries, ses fleurs de lis d’argent et les perles étincelantes qui ornaient l’emblème de la France. Guy désigna de la main au chevalier à l’armure dorée celui qui portait la bannière sacrée et s’écria :

— Voilà ce qu’il nous faut avoir !

Ils s’efforcèrent, chacun de son côté, de percer les rangs français ; mais ils n’y réussirent pas d’abord, quelque acharnement qu’ils missent à refouler les ennemis devant eux. Adolphe de Nieuwland trouva enfin un endroit plus favorable, passa seul à travers la cavalerie française et arriva, après de longs efforts, à portée de la noble bannière.

Quelle main fatale, quel mauvais esprit poussait ainsi le jeune homme à sa mort ? S’il eût su quelles larmes amères on versait en ce moment en songeant à lui, s’il eût su combien souvent son nom s’échappait des lèvres d’une femme pour monter vers le ciel avec une prière, — oh ! il ne se fût pas aussi témérairement exposé à la mort : il eût peut-être reculé comme un lâche !

L’oriflamme était entourée d’un groupe compacte de chevaliers. Ils avaient juré sur leur honneur de mourir sous les plis de la sainte bannière plutôt que de la laisser enlever par une main ennemie. Que pouvait Adolphe contre autant d’intrépides champions ? Aussi, dès qu’il apparut, fut-il salué d’exclamations ironiques ; toutes les épées tournoyèrent autour de sa tête, il se vit entouré de toutes parts par un cercle d’ennemis, mille coups tombèrent sur son armure, et, malgré sa dextérité, il fut mis dans l’impossibilité de se défendre plus longtemps. Déjà le sang coulait dessous son casque et obscurcissait sa vue ; ses muscles étaient paralysés par d’innombrables meurtrissures. Saisi d’un désespoir furieux et, sentant que sa dernière heure était venue, il s’écria de façon à ce que les Français l’entendissent :

— Mathilde ! Mathilde ! Adieu !

Il dit, et s’élança à travers les glaives ennemis jusqu’à l’oriflamme qu’il arracha à celui qui la portait ; mais dix mains la lui reprirent ; il se sentit frappé de coups redoublés et s’affaissa épuisé sur le dos de son cheval.

Le mouvement qui se fit en ce moment parmi les combattants laissa voir au chevalier à l’armure dorée le péril que courait Adolphe. Il songea à la douleur que ressentirait sa pauvre Mathilde si Adolphe périssait sous les coups de l’ennemi ; il se tourna vers les troupes qui l’entouraient et cria d’une voix tonnante qui domina le tumulte de la bataille :

— À moi, gens de Flandre ! En avant ! en avant !

De même que la mer furieuse combat, avec une force irrésistible, les obstacles qui la retiennent dans son lit, et, après une longue lutte, engloutit dans ses insondables profondeurs la digue qui l’arrête, et, répandant ses vagues écumantes dans les campagnes, déracine les forêts et renverse les villes, ainsi s’élança l’armée flamande à l’appel du chevalier inconnu.

Les Français furent assaillis avec une telle rage, qu’au premier choc, des rangs entiers furent abattus : les coups de massue et de hache tombaient aussi dru que la grêle qui anéantit les fruits de la terre. Jamais on ne vit lutte aussi acharnée ; tous les combattants étaient couverts de sang, et beaucoup avaient encore leur arme au poing alors qu’ils étaient depuis longtemps atteints d’un coup mortel. C’était un fouillis d’hommes et de chevaux qui échappe à toute description. Les plus sinistres cris de mort, les plaintes les plus déchirantes, se confondaient en une seule clameur lugubre et formidable, qui attisait davantage encore la rage dans les cœurs. Les cavaliers français ne pouvaient plus se mouvoir ; car, de toutes parts, on les refoulait sur ceux qui les suivaient, tandis que les haches et les épées faisaient, dans leurs premiers rangs, leur œuvre horrible.

Le chevalier à l’armure dorée s’était frayé, grâce à sa formidable hache d’armes, un passage à travers l’ennemi, et s’était rapproché de l’oriflamme de France ; Guy et Arnould d’Audenaerde l’avaient suivi avec quelques-uns des Flamands les plus intrépides. Il chercha, mais en vain, à découvrir, aux alentours de la bannière, le panache vert d’Adolphe de Nieuwland ; mais il crut, un instant après, le reconnaître un peu plus loin au milieu des Flamands. Les quarante chevaliers d’élite, qui se tenaient encore autour de l’étendard, s’élancèrent comme de vrais héros sur le chevalier à l’armure dorée ; mais il fit tournoyer sa masse d’armes avec une telle habileté, qu’aucune épée ne pouvait l’atteindre. Du premier coup, il fracassa le crâne du sire Alain de Bretagne ; du second, il brisa la cuirasse de Richard de Falais et lui fit sortir les côtes du flanc. Pendant ce temps, les autres Flamands combattaient avec un égal courage ; Arnould d’Audenaerde recevait une blessure à la tête, et plus de vingt de ses hommes tombaient sous les coup des Français.

Le chevalier à l’armure dorée terrassait tous ceux qui se trouvaient à sa portée ; déjà Jean d’Emmery, Arnould de Vahain et Hugues de Viane gisaient à ses pieds. L’œil ne pouvait suivre sa hache d’armes, tant elle s’abattait rapidement d’un ennemi sur l’autre. Celui qui portait l’oriflamme reconnut bientôt qu’il lui serait impossible de la garder en cet endroit et s’enfuit plus loin ; mais, à cette vue, le chevalier à l’armure dorée écarta violemment de son chemin trois ou quatre ennemis et poursuivit le porte-étendard jusqu’au milieu des rangs français, à une grande distance du lieu où la lutte était engagée : il l’atteignit et combattit si longtemps et si bien qu’il finit par s’emparer de l’oriflamme. Toute une troupe de cavaliers s’élança sur lui pour la lui reprendre ; mais le chevalier la plaça dans l’étrier comme une lance, et fit mordre la poussière à un grand nombre de ses adversaires, tout en reculant à travers les rangs de l’ennemi. Il se retrouva enfin au milieu de l’armée flamande, et, élevant dans les airs l’étendard conquis, il s’écria :

— Flandre au Lion ! À nous la victoire !

D’enthousiastes acclamations répondirent à ce cri, et tous les bras agitèrent leurs armes dans les airs, en signe d’allégresse ; le courage des Flamands grandit encore à la vue du trophée conquis.

Guy de Saint-Pol se trouvait encore près du Gottelberg avec environ dix mille hommes d’infanterie et un corps considérable de cavalerie. Déjà il avait fait emballer tous les objets les plus précieux qui se trouvaient au camp, et il songeait à sauver ses hommes par la fuite ; mais Pierre Lebrun, un des chevaliers qui avaient combattu autour de l’oriflamme et qui s’était éloigné du champ de bataille pour se remettre d’un étourdissement, Pierre Lebrun, s’apercevant des intentions de Guy, courut à lui et s’écria :

— Oh ! messire de Saint-Pol, osez-vous bien agir ainsi ? Comme un lâche, laisseriez-vous sans vengeance la mort de monseigneur d’Artois et de tous nos frères ? Oh ! je vous en supplie, pour l’honneur de la France, ne le faîtes point. Mourons plutôt pour échapper à la honte de la défaite. Conduisez vos hommes en avant ; peut-être avec ces troupes fraîches nous ramènerez-vous la victoire.

Guy de Saint-Pol ne voulut pas entendre parler de combattre, la peur s’étant emparée de lui. Il répondit :

— Messire Lebrun, je sais ce que j’ai à faire. Je ne laisserai pas tomber le bagage de l’armée entre les mains de l’ennemi ; mieux vaut que je ramène en France les hommes qui nous restent que de les exposer à une mort certaine et inutile.

— Et abandonnerez-vous, en les livrant à l’ennemi, ceux qui ont encore le glaive au poing ? Oh ! c’est là une traîtreuse conduite ! Si je survis à aujourd’hui, je vous accuserai devant le roi de lâche félonie.

— La prudence m’ordonne la retraite, messire Lebrun. Je partirai, quoi que vous puissiez dire, car vos conseils sont inspirés par une exaltation qui vous aveugle ; vous êtes trop irrité.

— Et vous avez trop peur ! Mais qu’il en soit ainsi puisque vous le voulez : pour vous montrer néanmoins que j’agis avec plus de prudence que vous, je vais marcher en avant avec un détachement pour couvrir la retraite et la faciliter. Partez, je retiendrai l’ennemi[15].

Il prit un corps de deux mille fantassins et les mena vers le champ de bataille. Sur ces entrefaites, le nombre des Français engagés dans la lutte était tellement diminué, qu’il y avait de nombreux vides dans leur ligne de bataille, ce qui permit aux Flamands de les assaillir à la fois par devant et par derrière.

Le chevalier à l’armure dorée qui, grâce à sa propre taille et à la haute stature de son cheval, pouvait embrasser du regard tout le champ de bataille, remarqua le mouvement de Lebrun et comprit son intention. Il était évident pour lui que Saint-Pol voulait s’échapper avec le bagage de l’armée ; il s’approcha du comte Guy et lui fit connaître le dessein de l’ennemi. Quelques chevaliers furent envoyés sur-le-champ pour porter des ordres aux chefs des divers corps. Peu d’instants après, plusieurs d’entre ceux-ci se mirent en mouvement et se déployèrent dans toutes les directions. Messire Jean Borlunt se rapprocha avec ses Gantois des murs de la ville et attaqua Lebrun en flanc ; les bouchers, commandés par leur doyen Breydel, tournèrent le château de Nedermorschere et assaillirent par devant et par derrière le camp français.

Les troupes de Saint-Pol ne s’attendaient pas à cette agression ; elles étaient occupées à rassembler à la hâte les objets les plus précieux, quand apparut tout à coup sur leur tête la hache des bouchers, compagne de la mort. Les clameurs terribles des Flamands les épouvantèrent tellement qu’ils prirent la fuite en désordre de tous côtés : les bouchers en faisaient un horrible massacre. Guy de Saint-Pol, monté sur un bon cheval, échappa à ce danger de mort et s’enfuit précipitamment sans plus s’inquiéter de ses hommes. Le camp fut bientôt balayé ; quelques heures après, il n’y restait plus un seul Français vivant.

Ce fut ainsi que les Flamands conquirent les précieux vases d’or et d’argent et d’innombrables trésors que l’ennemi avait apportés avec lui.

Sur le champ de bataille la lutte n’était pas encore terminée : un millier de cavaliers environ, massés en un seul groupe, se défendaient encore et combattaient comme des lions, bien qu’ils fussent couverts de blessures ; parmi eux se trouvaient plus de cent nobles chevaliers qui ne voulaient pas survivre à cette défaite et frappaient d’estoc et de taille avec une rage aveugle dans les rangs des Flamands. Peu à peu ils furent refoulés sous les murs de la ville, à l’endroit dit Bittermeersch. Là, leurs chevaux tombèrent à la renverse dans le Rondnitbeek ou s’enfoncèrent dans la vase sur les bords de ce ruisseau ; les chevaliers, mis ainsi hors d’état de se servir de leurs montures, mirent pied à terre l’un après l’autre, et, s’étant reformés en cercle, combattirent à pied et tuèrent un grand nombre de Flamands, tandis qu’un plus grand nombre encore des leurs tombaient dans la fange. Le Bittermeersch n’était plus qu’une mare de sang où disparaissaient les pieds des combattants. Morts, mourants et blessés gisaient pêle-mêle au milieu des casques brisés, des tronçons d’épée, des cuirasses entamées.

Quelques léliards, parmi lesquels se trouvaient Jean de Gistel et un certain nombre de Brabançons, voyant qu’il n’y avait plus de salut possible, accoururent au milieu des Flamands en criant :

— Flandre au Lion ! Vive la Flandre !

Ils croyaient se sauver par cette manœuvre, mais un tisserand s’élança sur-le-champ vers Jean de Gistel et lui assena sur la tête un coup si terrible qu’il lui brisa le crâne ; le tisserand murmura d’une voix sourde :

— Mon père te l’a dit, traître, que tu ne mourrais pas dans ton lit.

Les autres furent trahis par leurs armures, et mis à mort comme gens qui avaient renié leur pays.

Guy eut compassion des chevaliers qui restaient encore debout et se défendaient si courageusement ; il leur cria qu’ils eussent à se rendre à lui, déclarant qu’ils auraient la vie sauve. Convaincus que le plus intrépide courage ne leur pouvait servir désormais, ils se rendirent et furent désarmés ; Jean Borlunt fut chargé de leur garde.

Le principal de ces nobles prisonniers de guerre, dont le nombre s’élevait à près de soixante, était Thibaut II, jadis duc de Lorraine ; les autres étaient tous de noble souche et renommés comme braves guerriers.

Il n’y avait plus un ennemi à combattre sur le champ de bataille ; mais on voyait, dans toutes les directions, les fuyards s’éloigner en grande hâte pour échapper au danger. Les Flamands, tout surpris de n’avoir plus à lutter et tout emportés encore par l’ardeur du combat, s’élançaient en troupes, à travers champ, à la poursuite des fugitifs ; près de l’hôpital de Sainte-Madeleine, ils atteignirent un détachement d’hommes de Saint-Pol et les tuèrent tous ; un peu plus loin ils trouvèrent messire Guillaume de Mosschere, le léliard qui avait échappé au combat avec quelques autres. En se voyant cerné, il demanda grâce, et promit de servir désormais Robert de Béthune en fidèle sujet ; mais on ne l’écouta pas, et la hache des bouchers lui ôta la parole avec la vie.

Cette poursuite dura toute la journée et ne s’arrêta que lorsqu’il ne se trouva plus nulle part un seul ennemi.

  1. Le ruisseau de Groningue qui, d’après les chroniques du temps, avait alors trente pieds de largeur, n’est plus aujourd’hui qu’un mince filet d’eau, qui, de même que le ruisseau de Gavre, sort des prairies bourbeuses, dépendant d’une ferme voisine de la ville.
  2. Bois néerlandais.
  3. Du prêtre montra alors le Saint-Sacrement à toute l’armée et donna une bénédiction générale. En ce moment solennel, tous s’agenouillèrent, et, ramassant un peu de terre du sol de la patrie, portèrent cette terre à leurs lèvres. (Voisin.)
  4. Voir l’Excellente chronique.
  5. Les premiers cavaliers qui, en arrivant dans la plaine, voulurent franchir le ruisseau, s’enfoncèrent jusqu’à la selle dans la fange et furent percés par les flèches des archers flamands. (Voisin.)
  6. Un grand nombre d’autres officiers, qui, eux aussi, avaient remarqué la difficulté que présentait le passage du ruisseau, firent leurs observations au comte d’Artois ; mais ce prince ne voulut pas en tenir compte. (Voisin.)
  7. Sur ces entrefaites, les arbalétriers marchèrent en avant et trouvèrent moyen de passer le ruisseau sur un autre point, où messire Jean de Barlas, qui les commandait, les disposa en rangs serrés. (Voisin.)
  8. Et ceci arriva le onzième jour du mois de juillet 1302, jour de saint Benoit, vers sept heures du matin. (L’Excellente chronique.)
  9. Ils avançaient toujours, les chevaux se pressant et trébuchant les uns contre les autres ; les chevaliers tombaient à terre et étaient cruellement écrasés par ceux qui les suivaient. Il en périt ainsi un grand nombre avant qu’ils atteignissent l’ennemi. (Voisin.)
  10. Tous les détails de cette mémorable bataille sont appuyés, dans le texte flamand, par des citations du Spiegel Historiael, chronique rimée de van Vetlhem, et de l’Excellente chronique de Flandre.
  11. Les Flamands les reçurent sur la pointe de leurs longues lances, et dans cet assaut, bien que leur ordre de bataille fût rompu, ils tuèrent un grand nombre de cavaliers et de chevaux. (Voisin.)
  12. L’Excellente chronique donne d’intéressants détails sur l’intervention de ce moine dans la bataille des Éperons d’or ; nous croyons inutile de reproduire ici le passage de la Chronique, tous les épisodes du récit du romancier étant scrupuleusement appuyés par des textes, dont l’autorité ne peut être mise en doute, mais dont la traduction offrirait, comme nous l’avons dit plus haut, peu d’intérêt aux lecteurs français. (Note du traducteur.)
  13. Voir la notice de Voisin.
  14. Notice de Voisin.
  15. En apprenant la mort du comte d’Artois, les chevaliers français voulurent le venger ou ne pas lui survivre ; ils recommencèrent la lutte avec un nouvel acharnement. L’un d’eux, nommé Pierre Lebrun, s’efforça de faire marcher au combat Guy de Saint-Pol qui commandait l’arrière-garde, mais ce fut en vain qu’il lui reprocha sa lâcheté. (Voisin.)