Le Libéralisme/De la liberté judiciaire

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CHAPITRE XIII

DE LA LIBERTÉ JUDICIAIRE

Il n’y a pas de liberté plus essentielle dans une nation que la liberté judiciaire ; car elle est la sanction de toutes les autres. Les auteurs de la Déclaration des Droits de 1789 et les auteurs de la Déclaration des Droits de 1793 l’ont oubliée et bien à tort. Quoique élèves de Montesquieu, car les deux Déclarations ne sont presque en entier que du Montesquieu tout pur, ils ne se sont pas assez souvenus de ses écrits sur la séparation des pouvoirs.

Je dis pas assez, parce qu’ils n’ont pas laissé de les rappeler et même avec une précision très suffisante. Déclaration des droits de 1793, Art. XVII : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la répartition des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. » — Ce qui veut dire : La garantie des droits de l’homme, la sanction des droits de l’homme doit être quelque part dans la constitution, sans quoi la Déclaration des Droits ne serait qu’un article de journal. Cette garantie est dans la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire dans l’indépendance du pouvoir législatif à l’égard du gouvernement, et dans l’indépendance du pouvoir judiciaire à l’égard du gouvernement et du pouvoir législatif. L’indépendance judiciaire est donc la sanction des droits de l’homme tous tant qu’ils sont. Les Constituants et les Conventionnels ont donc implicitement proclamé la nécessité de la liberté judiciaire. Ils ne l’ont pas proclamée assez formellement et en y insistant et en la montrant comme la sanction nécessaire et indispensable des droits qu’ils déclaraient.

Ils disent à l’article XXXV de la Déclaration de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » — Rien de plus juste, et c’est là la sanction suprême, le dernier recours. Mais dans l’état normal, dans le jeu régulier des institutions, quelle est la sanction, non violente et tumultuaire, mais quelle est la sanction permanente et la garantie permanente des Droits de l’homme ? Ils l’ont dit, c’est la répartition des pouvoirs et l’indépendance judiciaire. Ils ne l’ont pas dit, à mon sens, assez lumineusement.

Quand le pouvoir législatif par une loi, quand le pouvoir exécutif par un acte, a violé les droits de l’homme, qu’est-ce que l’homme peut bien faire ? S’insurger. Oui, s’il est plusieurs, s’il est en nombre considérable. On ne se révolte pas tout seul, voilà une sanction très vaine. Refuser l’impôt ? Oui, s’il est plusieurs. Un citoyen isolé qui refuse l’ impôt est saisi ; on vend ses meubles et il n’en est que cela. Voilà une sanction bien vaine. Contre une loi violatrice des Droits de l’homme, il n’y a qu’une garantie des droits de l’homme, c’est la justice organisée, c’est la magistrature judiciaire.

C’est pour cela qu’aux États-Unis un tribunal a le droit de refuser d’appliquer une loi qu’il juge contraire à la Common Law, à la constitution et généralement — car Common Law ne veut pas dire autre chose — aux principes généraux du droit politique américain. Au fond il se refuse à appliquer une loi qui ne lui plaît pas. Il y a appel. Alors intervient la Cour suprême, qui décide si ce refus d’appliquer la loi est conforme en effet à la Common Law, en d’autres termes si la loi en question est conforme ou non à la Common Law. Bref, la Cour suprême a le droit de condamner la loi.

Ce droit qui en France, pays monarchique, paraît exorbitant à souhait, est tout simple. Droits de l’homme supérieurs à la loi et que, probablement, on ne proclame que pour marquer que la loi ne doit pas y toucher. Ils sont bons là ! Et si quand la loi y touche il n’y a aucun moyen de l’en empêcher ! Ils n’existent plus ; ils ne sont que sur un papier. Certainement il faut un pouvoir qui ait le droit de permettre aux citoyens de ne pas obéir à la loi quand elle viole les droits de l’homme et qui frappe, par conséquent, de caducité et de nullité la loi qui les viole.

Quand le pouvoir exécutif par un acte viole le droit d’un citoyen, qu’est-ce que ce citoyen peut faire ? S’insurger ? Voir plus haut. Refuser l’impôt ? Voir plus haut. Quoi donc ? S’adresser aux tribunaux et exposer son grief. Il faut un pouvoir qui défende le citoyen contre un acte du gouvernement attentatoire aux droits de l’homme. Sans ce pouvoir dépositaire des droits de l’homme et du citoyen et qui les défend, ne fussent-ils violés qu’en la personne d’un seul individu, et contre la loi si elle les viole et contre le gouvernement s’il les viole, il n’y a d’autre recours que l’insurrection, qui n’est pratique que si l’on est très nombreux et qui n’est que le droit de la force.

Ce pouvoir dépositaire et défenseur des Droits de l’homme doit donc exister. Il est naturel que ce soit la magistrature judiciaire.

Seulement, pour qu’elle puisse exercerce droit et remplir cet office, il faut qu’elle soit indépendante. Voilà le grand point. Comment peut-on avoir dans un pays libre une magistrature indépendante ?

Il n’y a que trois moyens. Ou la magistrature sera propriétaire de ses charges et par conséquent absolument libre ; ou la magistrature se recrutera par l’élection ; ou la magistrature se recrutera elle-même.

La première solution était celle de l’ancien régime. Un magistrat était sous l’ancien régime ce qu’est de nos jours un notaire. Il fallait qu’il eût passé un examen de capacité, il fallait qu’il fût agréé par le gouvernement. Mais il n’était pas nommé par le gouvernement. Il était magistrat parce qu’il avait acheté sa charge de magistrat ou qu’il l’avait héritée, comme un notaire est notaire parce qu’il a acheté son étude ou l’a héritée. Il en résultait que la magistrature était indépendante et que les citoyens trouvaient en elle une garantie de leurs droits. Cela existait depuis François Ier ; mais le principe de l’indépendance de la magistrature remontait bien plus haut ; car, si loin que l’on cherche, on trouve que dans l’ancienne monarchie le roi ne nommait pas absolument les membres des Parlements. Il était tenu de choisir entre trois candidats qui lui étaient présentés par le Parlement qu’il s’agissait de compléter, en telle sorte que le Parlement pouvait toujours, en éliminant de sa liste de présentation le candidat que le roi eût désiré nommer, ôter en vérité au roi son droit de nomination. La magistrature a toujours été indépendante sous l’ancien régime. La subordination de la magistrature au gouvernement est une des conquêtes de la Révolution. En même temps qu’elle proclamait les Droits de l’homme, elle en supprimait le dépositaire et elle en paralysait le défenseur. Une grande infirmité de l’homme, c’est qu’il ne peut penser à tout à la fois.

Il est possible, comme cela a eu lieu sous la monarchie, que le mauvais état des finances amène le régime actuel à mettre en vente les offices de magistrature. Ce serait un progrès considérable sur l’état actuel.

Une seconde solution serait l’élection des magistrats par le suffrage universel. C’est ainsi que les choses se passent aux Etats-Unis, et ce système n’y donne pas de trop mauvais résultats. Il est certain qu’une magistrature élue par le peuple est absolument indépendante du pouvoir législatif d’une part et du pouvoir exécutif de l’autre, et réalise le rêve de Montesquieu, qui est du reste celui de tout libéral. Une magistrature élue par le peuple, ici comme en Amérique, ne sera pas intimidée par la majesté du corps législatif et ne se privera nullement, ici comme là-bas, de « condamner une loi » qu’elle jugera attentatoire aux droits de l’homme et du citoyen. Une magistrature élue par le peuple, ici comme en Amérique, ne sera nullement subordonnée au gouvernement, n’attendant de lui aucun avancement, ne redoutant de lui aucune défaveur. Une magistrature élue par le peuple ressemblera au président Magnaud, dont je suis loin de partager toutes les idées et d’approuver tous les jugements, mais qui est le type même de l’indépendance. Pourquoi est-il indépendant ? Parce que, président de tribunal à Château-Thierry, il veut rester président du tribunal de Château-Thierry. Dans ces conditions, un magistrat, même en France, est aussi indépendant que possible. Un magistrat en France est absolument indépendant quand il ne veut pas avancer. C’est dire qu’il y a en France un petit nombre de magistrats indépendants.

Voilà de bonnes raisons en faveur du système américain. — Il a des défauts et assez graves, même là-bas, et qui seraient, je crois, plus graves encore en France.

D’abord le juge élu n’est pas aussi indépendant qu’il en a l’air. Il l’est du côté du pouvoir législatif, soit ; il l’est du côté du pouvoir exécutif, à peu près seulement, comme nous allons voir. Mais il ne l’est pas du côté de ses électeurs. S’il fait de la magistrature sa carrière, ce qui est assez naturel et ce qui est fort bon, car un magistrat devient meilleur en vieillissant, il est forcé de compter tous les quatre ans, tous les cinq ans, c’est-à-dire toujours, comme un député, avec ses électeurs. Il en arrivera ainsi, comme un député, à être sous leur dépendance, et comme les votes du député sont subordonnés aux intérêts de sa réélection, les jugements du juge seront subordonnés aux intérêts de la réélection du juge. Le juge ménagera l’électeur influent et il ménagera le gouvernement lui-même pour être candidat officiel aux prochaines élections judiciaires. Ce juge élu n’est pas aussi indépendant qu’on aurait pu croire. — Il arrivera ceci, c’est que les jugements de première instance seront entachés de favoritisme, ceux de cour d’appel moins. mais encore trop, et seuls ceux de la cour de cassation presque à l’abri de tout soupçon ; parce que le juge élu de Castel-en-Lanternois ne songera qu’à se faire réélire par les naturels de ce pays-là ; le juge de Tours, élu aussi, mais par un collège plus vaste, sera un peu plus indépendant du côté de ses électeurs, et le juge de cassation, nommé sans doute par toute la France, n’aura point d’influences locales à ménager. Toutes les affaires seront donc poussées jusqu’en cassation comme vers les seuls bons juges. Voilà beaucoup de besogne pour les conseillers à la cour suprême, et les voilà dans l’impossibilité de faire de bonne besogne.

Notez encore que le rôle (particulier, mais qui est celui que nous cherchons en ce moment à leur donner), le rôle des juges étant de protéger les droits des individus contre le pouvoir, en un pays de suffrage universel, où le gouvernement est l’expression des idées et volontés de la majorité, ces juges nommés au suffrage universel seront eux aussi l’expression des idées et des volontés de la majorité ; ils seront nommés par les mêmes passions que le gouvernement, et, probablement, ils les partageront. Or, la séparation des pouvoirs n’est réelle que si le gouvernement, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ne sont pas élus par les mêmes gens, ne sont pas nommés par les mêmes passions. Montesquieu dit que « si le même homme ou le même corps de magistrature réunit les trois pouvoirs, il n’y a pas de liberté ». Ce ne sera pas le cas ; mais ce sera un cas analogue. Ce ne sera pas le même homme qui réunira en lui les trois pouvoirs ; ce ne sera pas le même corps de magistrature ; mais ce sera le même parti. Le même parti, celui qui aura la majorité dans le pays, fera la loi au corps législatif, l’exécutera place Beauvau et l’appliquera et rendra la justice dans les tribunaux. Dans un grand nombre, au moins, de tribunaux de France, vous serez jugés par les hommes liges du parti vainqueur. Figurez-vous que vous ayez pour juges, aujourd’hui, les membres de la majorité du corps législatif. Il n’y a pas là peut-être une garantie suffisante d’impartialité.

Autre chose, qui n’est pas contradictoire à la précédente, mais qui présente une autre face, non point meilleure, de la question. Dans la plupart des tribunaux de France vous serez jugés par les féaux du parti vainqueur ; mais dans d’autres parties de la France où le parti vaincu aura la majorité locale, vous serez jugés par le parti vaincu. Ce n’est pas meilleur en soi, et cela aura pour conséquence que la justice française sera multicolore, multiforme et multanime. Il y aura une justice anticléricale dans le Midi, une justice cléricale en Bretagne et une fustice nationaliste à Paris. Je ne suis pas fanatique d’uniformité, mais il en faut dans la justice pour que l’idée de justice soit entourée d’un certain respect et pour qu’elle subsiste dans l’esprit des populations et pour que celles-ci n’en viennent pas à demander qu’on tire les jugements aux dés, comme faisait le bon juge de Rabelais. Vous êtes un peu scandalisés déjà de ce que, à cause du jury, une femme — c’est arrivé l’année dernière — condamnée à vingt ans de détention à Paris, et faisant appel, soit, à Versailles, condamnée à mort. Plaisante justice que six lieues changent ! Avec les juges élus par le suffrage universel, vous en verriez bien d’autres, en d’autres affaires même que criminelles.

Somme toute, le juge élu ne sera pas indépendant : il ne le sera pas du côté des électeurs ; il ne le sera pas du côté du gouvernement ; il ne le sera guère que du côté de la loi, et quoique je sois d’avis que le juge doive avoir une certaine mesure d’indépendance même du côté de la loi, en soumettant la loi au contrôle de la constitution et des droits imprescriptibles, encore est-il que l’on reconnaîtra et que je reconnais qu’un juge très dépendant du côté de ses justiciables, assez dépendant du côté du gouvernement et indépendant seulement du côté de la loi, c’est un singulier juge.

Si le président Magnaud est le type du juge indépendant, c’est qu’il ne veut pas avancer et que par cela il est indépendant du gouvernement ; mais c’est aussi parce qu’il n’est pas nommé par ses justiciables, et que, par cela, il est indépendant des gens qu’il juge. Dès lors, de tous les côtés, il est libre comme l’air. Les juges élus par ceux qu’ils auraient à juger et rééligibles par eux ne le seraient pas tant que cela.

Mais pourquoi cela va-t-il bien en Amérique ?

D’abord en Amérique cela ne va pas admirablement. On s’y plaint beaucoup des juges élus. On s’y défie assez fort de leur justice. Cela n’a guère qu’un bon résultat, relativement bon ; c’est que l’on y évite les procès. Ensuite ce qui fait que le système des juges élus en Amérique n’est pas désastreux, c’est l’instabilité des carrières. L’instabilité des carrières est ici un admirable correctif. Ce juge qui a été élu juge par ses concitoyens, croyez-vous qu’il tienne à rester juge ? Point du tout. Il est juge aujourd’hui. Dans trois ans il vendra du porc salé. Dès lors, il ne tient pas du tout à être réélu : « Point réélu ? Je m’en moque. Je vendrai des salaisons. » Du moment qu’il se moque d’être réélu, il est indépendant de ses justiciables, et il peut être un très bon juge, et souvent il l’est.

Mais en France le juge élu voudra rester juge et par conséquent être réélu. Dès lors vous savez les conséquences. Ou bien, selon les idées de Jean-Jacques Rousseau en cette matière, il ne considérera sa judicature que comme un premier échelon et un premier degré vers de plus grands honneurs : « J’ai réussi aux élections pour la préture, je puis réussir aux élections pour le consulat. » Il songera à devenir député ou sénateur. Quand il aura cette idée dans la tête, ce sera pire que dans le cas précédent, et il faudra voir quelle justice il rendra ! — Décidément je ne suis pas partisan de la magistrature nommée au suffrage universel.

Je le serais d’une magistrature se recrutant elle-même. Tout compte fait, se nommer soi-même est la seule façon de ne dépendre que de soi et d’être indépendant de tout le monde, ce qui est absolument nécessaire pour que la justice soit bien rendue. La magistrature, forcée par sa nature même d’être souvent un arbitre entre les citoyens et le pouvoir, ne doit être subordonnée ni aux uns ni à l’autre, ne doit tenir son origine ni de l’un ni des autres ; il reste qu’elle soit par soi-même, ce qui n’a rien d’anarchique, comme on va le voir.

Il suffit de combiner dans sa constitution le principe d’élection et le principe de nomination pour les supérieurs.

Comment ? Comime ceci par exemple. Tous les magistrats de France éliraient la cour de cassation et la cour de cassation nommerait tous les magistrats de France.

Les magistrats de France éliraient les conseillers à la cour de cassation au fur et à mesure des extinctions. Ceux-ci seraient donc : 1° nommés par des gens compétents ; 2° indépendants du côté du pouvoir ; 3° indépendants du côté des partis politiques ; 4° nommés par les magistrats de toute la France et par conséquent résumant bien en eux l’esprit général de la magistrature de toute la France. Le grand tort et le grand malheur des anciens Parlements, c’est qu’ils avaient l’esprit local. C’est pour cela que Calas, qui du reste était coupable, je crois, mais dont le crime n’était pas assez prouvé, a été roué.

Je crois qu’une cour suprême ainsi composée serait excellente. Notez que les électeurs ne seraient pas forcés de nommer à la cour suprême seulement des magistrats. Ils pourraient y appeler de grands avocats arrivés à la fin de leur carrière, de grands avoués, de grands notaires. Un Dufaure, un Denormandie eussent été, s’ils l’avaient voulu, de la cour de cassation avec ce système.

La cour de cassation ainsi composée nomme tous les magistrats de France, les avance, les déplace, fait à leur égard tout ce que fait actuellement le ministre de la justice. Il me semble qu’elle est très compétente pour le faire et pour le faire bien. Elle n’est pas inspirée dans ses choix par des idées politiques et par le souci de conservation et de défense personnelle, comme le gouvernement l’est toujours. Elle n’est pas un garde des sceaux qui a à tenir compte des désirs, des instances, de la pression et quelquefois même des injonctions du président du conseil et du ministre de l’intérieur. Elle n’a pas à s’inquiéter de plaire ou de déplaire à tel ou tel parti politique. Elle ne songe et vraiment elle ne peut songer qu’à la bonne composition du corps judiciaire et qu’à la bonne administration de la justice. Elle n’a absolument aucun intérêt à mal faire. Il faut toujours compter que les hommes feront mal quand ils auront intérêt à mal faire, sauf exceptions tellement insignifiantes qu’elles ne doivent pas entrer dans le calcul ; mais il faut toujours compter que les hommes feront bien quand ils n’auront pas intérêt à mal faire, sauf exceptions absolument accidentelles.

Un tel système donnerait une excellente magistrature, excellemment administrée et gouvernée. Remarquez que nous n’y retrouvons plus l’inconvénient de la magistrature élue. La magistrature n’est pas plus décentralisée avec ce système qu’avec le système actuellement en vigueur. Nous n’avons pas un parlement de Bretagne clérical et un parlement de Toulouse anticatholique. La cour suprême nomme les magistrats pour toute la France comme fait maintenant le gouvernement, et conserve ainsi l’unité et l’uniformité générale de l’esprit judiciaire. Seulement elle n’obéit pas, comme actuellement le gouvernement, à des préoccupations extrajudiciaires.

Par comparaison du petit au grand, ce système ressemblerait à la nomination du conseil de l’ordre des avocats par tous les avocats et à la désignation des avocats d’office par le bâtonnier et à la comparution des avocats devant le conseil de l’ordre pour fautes professionnelles, etc. Je ne vois pas qu’on ait découvert un inconvénient à ce système, à cette organisation à la fois naturelle et ingénieuse où l’autorité vient de l’élection et où à son tour elle retombe sur l’électeur. L’ordre est ainsi un tout bien composé, un organisme où les parties nourrissent le centre et où le centre gouverne les parties. Je crois que ce système répond à toutes les nécessités et exclut tous les inconvénients.

Je n’ai pas besoin d’ajouter, car le lecteur aura déjà fait de lui-même cette généralisation, qu’en doctrine libérale tous les corps de fonctionnaires, où les fonctionnaires sont des fonctionnaires de l’Etat, de la Nation, et non pas les agents du pouvoir (voir plus haut), devraient se recruter et s’organiser selon ce système : clergé, enseignement, etc. Seulement ce qui serait un bien, selon moi, pour tous ces ordres de fonctionnaires, est pour la magistrature une nécessité, à cause de sa situation d’arbitre entre l’Etat et l’individu, qui exige qu’elle soit absolument indépendante et d’un côté et de l’autre.

A tout cela il y a une objection redoutable : « Ce système est bien aristocratique ! »

Il y a en France deux « Tarte à la crème », c’est à savoir : « c’est aristocratique ! » et « c’est clérical ! » Considérant que les gens qui font continuellement ces deux objections sont enchantés d’être gouvernés, avec tous les procédés du despotisme, par des hommes qui représentent environ le quart des électeurs inscrits, et par des hommes qui renouvellent à leur profit toutes les doctrines du plus mauvais temps du catholicisme triomphant et dominateur, je suis aussi insensible à la première de ces objections qu’à la seconde et à la seconde qu’à la première.