Le Laurier noir/III/Route de l’Est

Société de la Revue Le Feu (p. 51-52).

ROUTE DE L’EST


Ô route sous la pluie et qui va, solitaire,
De village en village avec ses flaques d’eau,
Les clous dont l’étranger a ferré ses chevaux,
Malgré l’ombre et le vent blessent toujours la terre !

Ce n’est plus la moisson qui pèse sur ton corps
Encadré des ormeaux et des vertes collines ;
Tu portes la douleur dont les cités voisines
Connaissent l’amertume et l’invincible effort.


Que de réfugiés, au pas de leurs charrettes,
Navires secourant les débris des foyers,
S’en vont, sous un orgueil qui s’est humilié,
Clapoter dans la boue où l’acier se reflète !

Comment résistes-tu, route, à tant de pitié ?
Sur tes cailloux le deuil fait un pèlerinage ;
Tu montes vers des croix et les corbeaux sauvages,
Aveuglés par le sang, cherchent à te piller.

Hérode à l’horizon suit tes saintes familles.
Vierges et charpentiers sanglotent dans la nuit.
Dans un camp de soldats une lanterne brille.
Descend vers la lumière, ô route sous la pluie !…