Le Laurier noir/III/Épinal

Société de la Revue Le Feu (p. 37-38).

ÉPINAL


La Moselle à la robe d’argent, les grands ponts,
La rue de la Faïencerie et les maisons
Qui, sur les quais déserts, s’accoudent aux collines.
Dans le ciel un jour gris que la neige illumine,
Sous de longs voiles noirs, vers le Parc du Château,
Des ombres font de l’ombre. Un bruit clair de jet d’eau
Se mêle innocemment à des larmes secrètes.
De grands trains de blessés sifflent. C’est la conquête
Qui s’avance dans son écharpe de douleur.
Hansi passe. Les affiches du gouverneur

S’étalent sur les murs. Les boutiques sont closes.
Au général Marchand, Barrès porte des roses.
Ô langoureux transport du ciel provincial !
Un angelus… Le fleuve est toujours de cristal.
Me faut-il oublier que cette eau fut tachée ?
Double miroir !… Une blessure s’est penchée
Sur ce courant. Batailles d’Août ! Je me souviens.
Le sang est dispersé maintenant. Rien, plus rien
Qu’une alarme lointaine et que ces femmes noires.
Contre les parapets je songe à la victoire
Et je songe à la mort…
Et je songe à la mort… Des clairons, des tambours.
Au pas un régiment s’approche. Les faubourgs
S’illuminent. Des cris, puis un nouveau silence.
Quelle main prend ma main et va vers mon enfance ?
Images d’Épinal, si chères à mon cœur,
Je pleure et mon passé réveille vos couleurs.