Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. 133-138).


II

Les Jours passent…





AUX SOLDATS DE FRANCE




1914.


Nous qui ne pouvons plus combattre, nous, les vieux,
De quel fervent regard, de quel cœur anxieux,
De quelle âme, à votre âme acquise tout entière,
Vous suivons-nous là-bas, sur la longue frontière,
Où résonne l’écho de vos pas triomphants,
Ô chers soldats ! ô fils de France ! ô nos enfants !
Victimes comme vous des sombres destinées,
Nous avons vu, voilà quarante-quatre années,
L’implacable Bellone, au front ceint de lauriers,

Jetant au vent sa haine et ses refrains guerriers,
D’un geste impérieux, d’une voix rauque et brève,
Nous arracher soudain à la douceur du rêve,
Et nous lancer, vibrants de transports inconnus,
Vers ces mêmes Germains aujourd’hui revenus…

Mais, ô nobles héros de la nouvelle guerre,
Vous ne connaîtrez pas ainsi que nous naguère,
L’horreur de la défaite, et les mornes combats
Où, toujours repoussés, le cœur lourd, le front bas,
— Vous en avez appris la douloureuse histoire, —
Nous luttions pour l'Honneur plus que pour la Victoire !
Contre un tel ennemi si nombreux, si puissant,
Hélas ! il vous faudra verser des flots de sang ;
Mais, malgré les douleurs que, d’une âme aguerrie,
Vous devrez supporter au nom de la Patrie,
Votre rôle, vaillants enfants, sera plus beau
Que le nôtre, et, vainqueurs, vous verrez le drapeau,
Notre drapeau, troué sans doute, mais splendide,
Sous un ciel apaisé qu’aucun souffle ne ride,

Dans la sérénité d’un soir calme et vermeil,
Luire, comme un trophée, aux rayons du soleil !



Nous, nous n’avons connu que le froid et la neige,
La lutte sans espoir et l’horreur d’un long siège ;
Et nous ne pouvons plus, vaincus des temps passés,
Être de la bataille où vous vous élancez !
Mais que ce soit le fils ou le père, qu’importe ?
Pourvu que l’on triomphe, et que d’une main forte
Vous sachiez retenir sous nos clairs étendards
Cette Victoire, fille étrange des hasards,
Mais quelquefois aussi des justices sacrées ;
Pourvu que nous puissions voir les plaines dorées
De l’Alsace-Lorraine, et ses prés, et ses bois
Redevenir bientôt français comme autrefois ;
Pourvu que nous puissions, au nom de la Patrie,
Arrêter ce hideux torrent de barbarie ;
Pourvu que nous puissions, après de tels forfaits,

Savourer le baiser candide de la paix…
Oh ! oui ! pourvu qu’un jour ces choses-là soient faites,
Par vous nous jouirons d’incomparables fêtes,
Et peut-être envieux de vous, mais non jaloux,
Au nom du cher pays et de son ciel si doux,
Au nom de nos aïeux dans leurs tombes fermées
Suivant de leurs yeux morts le vol de nos armées,
Nos fronts seront courbés devant vos jeunes fronts,
Ô chers enfants de France, et nous vous bénirons,
Du seuil de la maison que vous aurez sauvée
Pour notre vieille gloire enfuie… et retrouvée !