Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. 75-84).

DEUXIÈME PARTIE




LA SECONDE GUERRE
(1914-191…)




Au Commandant BÉRENGER DE MIRAMON,
notre gendre très cher,
actuellement dans les tranchées,
les poèmes qui suivent
sont affectueusement dédiés.


J. N.





I

Au Chevet des Blessés




NOTRE HÔPITAL




Saint-Jean-de-Luz, 1914.


Dans le vieux pays basque, au pied des Pyrénées,
Près d’une douce plage aux vagues satinées,
Le petit hôpital, très blanc sous le ciel bleu,
A l'aspect « minaret » bien plutôt « qu’Hôtel-Dieu ».
L’an dernier, casino tout bourdonnant de joie,
D’inutiles propos et de frou-frous de soie,
Lieu banal de plaisir et de frivolité,
Le voilà qui devient asile de Bonté,
Et reçoit largement, ses portes grand ouvertes,
Au lieu des beaux messieurs et des dames alertes,

Le flot de nos blessés admirés et chéris,
Fiers soldats que la Guerre implacable a meurtris…



Dans la salle de bal, où le mignon théâtre
Dresse son décor gris dans les blancheurs du plâtre,
Les couchettes de fer s’allongent sur cinq rangs ;
D’autres ont envahi les bars, les restaurants,
La salle, d’un public assidu toujours pleine,
Où les « petits chevaux » tournaient, sans perdre haleine,
Sur un turf en drap vert, prompts et silencieux,
Suivis par le faisceau des regards anxieux.
Les tables, où jouait le bridgeur immobile,
Portent les flots neigeux du coton hydrophile ;
L’âcre odeur du tabac, flottant autour des lits,
A chassé les relents des mondains patchoulis ;
Sur les murs, qu’égayaient les alléchants programmes,
On piqua des chromos où palpitent les drames
De la lutte tragique, et ses purs dévouements,

Et les ardents assauts des nobles régiments ;
Et paisible, parmi cette rude avalanche,
Le bon général Joffre et sa moustache blanche
Mettent la confiance et la sérénité…



Et c’est toi, pur flambeau de l’âme, ô Charité,
Qui, de cette maison d’oisiveté mondaine,
As su faire aujourd’hui ton lumineux domaine !
Partout on te devine, on te sent, on te voit ;
Nuit et jour, on entend palpiter sur ce toit
Le doux bruissement de tes ailes bénies…
Et c’est toi, toujours toi qui les as réunies
Ces femmes que je vois s’avancer à pas lents,
S’arrêter au chevet de ces êtres dolents,
Et les soigner avec des tendresses exquises ;
C’est toi qui les soutiens, toi qui les électrises ;
Toi qui sais allumer la flamme d’idéal
Chez tous les desservants du petit hôpital

Où je compte parmi les moins actifs, sans doute ;
C’est toi qui me permets, au déclin de ma route,
De faire quelque bien à mes frères humains,
De leur ouvrir mon cœur, de leur tendre les mains,
Et me donnes à moi, le vétéran sans gloire
Des combats d’autrefois, l’illusion de croire
Que, si peu que ce soit, pour mon repos, je puis
Être, en mon humble tâche, utile à mon pays !