Le Laurier-Rose - Les Lys - La Jeune Dame pâle à Dante Alighieri - etc.

Le Laurier-Rose - Les Lys - La Jeune Dame pâle à Dante Alighieri - etc.
Revue des Deux Mondes5e période, tome 11 (p. 202-207).

POÉSIES


LE LAURIER-ROSE


Sur les rythmes d’Eschyle et Sophocle je pose,
Pour honorer les chants d’immortelles douleurs,
Le feuillage élégant, qui s’empourpre de fleurs,
D’un jeune arbuste : un pur et vivant laurier-rose.

Pur et vivant, ainsi que dans les jours lointains,
Ses aïeux fleurissaient aux rives du Scamandre,
Sur les bords parfumés, où, rêveuse, Cassandre
Voyait des printemps morts et des astres éteints.

Ils n’étaient pas moins beaux dans les bois de Colone,
Mêlés au lierre sombre, à l’olivier d’argent ;
Ismène, recueillie, avançait en songeant :
Lauriers verts d’où s’élance une rose colonne !

Purs et vivans, ainsi que dans les jours lointains,
Des esprits de beauté sommeillent à cette ombre,
Parmi des fleurs de pourpre et du feuillage sombre,
Esprits de poésie aux radieux matins !


LES LIS


En souvenir des champs où l’on bâtit Florence,
Champs parfumés de lis au souffle du printemps,
En souvenir du mai joyeux et des huit ans
De Béatrice aux yeux de céleste espérance.

En souvenir du lis de l’antique blason
Que, dans Florence, la discorde a fait vermeil,
Dante, j’incline enfin sur le profond sommeil
De ton poème ardent ces fleurs de la saison.

A l’ombre des grands lis dormira ton poème :
Des lis à pleines mains ! Ces mots par toi redits,
Hommage aux habitans du lointain Paradis,
Evoquent la Toscane et les accens que j’aime.

J’imprime à ces feuillets un long frémissement,
Egrenant tes beaux vers qu’au passage on peut lire,
Ici, là, dénoués en arpège de lyre ;
Et le silence est plein de leur enchantement.


LA JEUNE DAME PÂLE À DANTE ALIGHIERI


Oui, les yeux trop aimans lisent la destinée
Des aimés : je peux lire un signe de malheur ;
Béatrice eut la gloire et je veux la douleur,
Sainte douleur que j’ai seule ambitionnée.

Ta douleur est à moi, car tu me l’as donnée,
Comme un vaste royaume et comme une humble fleur,
Un royaume infini que j’arrose d’un pleur,
Une fleur ignorant le déclin de l’année.

C’est assez : toute gloire est un présent moins haut,
Je cache dans mon cœur suave et sans défaut
La fleur dont le parfum monte jusqu’à Dieu même.

Et le rêve est de ceux que rien ne doit troubler,
D’essuyer sur ta joue, ô mon orgueil suprême !
Des larmes que jamais je n’aurai fait couler.


FANTOMES


Dans la profonde paix de vos salles fleuries,
Et quand l’or des flambeaux se répand dans le soir,
Les roses dont le cœur se fait un encensoir
Ont des parfums plus doux parmi les boiseries.


Les senteurs des bouquets se sont comme attendries,
Et l’or des purs flambeaux se répand dans le soir.
Comme il fait bon rêver, comme il fait bon s’asseoir
Dans la profonde paix de vos salles fleuries !

Les parfums d’aujourd’hui montant comme des vœux
Ont éveillé dans l’air l’âme des roses mortes
Dont l’agonie eut pour témoins ces murs, ces portes,
Au temps du clavecin propice aux lents aveux.

Oui, j’ai senti flotter comme de lents aveux
Tous les rêves passés en légères cohortes :
Ici, Lamballe, et cette odeur des roses mortes
En guirlande effeuillée autour de tes cheveux.

Quand la nuit solennelle approfondit ses ondes, —
Une subtile odeur s’est infiltrée en nous,
Fantôme des bouquets évanouis, si doux ! —
Les senteurs des bouquets sont aussi plus profondes…


LE RETOUR D’EMMAÜS


Heureux les voyageurs du chemin de Judée
Quand le soir descendait ému, silencieux ;
Quand, le front rayonnant du mystère des cieux,
La nuit se reposait sur les monts accoudée !

Certe, ils connaissaient bien le tourment de l’idée ;
Un désespoir amer avait séché leurs yeux,
Et la voix prononçant des mots délicieux
Mettait un doux rayon sur l’âme dénudée.

En leur poitrine enfin brûlaient ces pauvres cœurs,
Allumés par les mots de feu, les mots vainqueurs,
Échos de la parole ineffable et profonde.

Il est bon de marcher à deux, au gré du vent,
Par de sombres chemins où l’on porte en rêvant
Un secret enflammé pour embraser le monde.


SOIR DE BRUME


En vain la pièce intime est douce, tiède et close,
Ainsi qu’une oasis dans l’effroi de la nuit ;
Au-delà de ta lampe et du beau cercle rose,
Tu devines le monde en percevant son bruit.

Les rideaux sont baissés, mais la ville est prochaine,
Avec tous ses espoirs et toutes ses douleurs ;
Puis, l’écume des flots l’enserre d’une chaîne
Aux longs anneaux d’argent pâle humectés de pleurs.

La mer tumultueuse, infinie et profonde
Se perd dans les replis de ces brouillards épais ;
Tu ne peux oublier l’existence du monde
Au sein d’une oasis de lumière et de paix.

Il retentit l’appel anxieux des sirènes
Qui porte une détresse à tous les cœurs humains ;
Sur la grande cité planent les voix sereines
Des cloches dont l’accent fait se joindre les mains.

Ainsi monte en nos cœurs la détresse du monde,
Et du ciel y descend une sérénité ;
Les rideaux sont baissés, mais la nuit est profonde
Autour d’une oasis de paix et de clarté !


LE PHARE TOURNANT


Les rochers vaguement ont l’air, dans la pénombre,
De vivre et de souffrir, quand le jour est tombé,
Comme si, quel que soit leur aspect ou leur nombre,
En chacun d’eux pleurait l’âme de Niobé.

Au pied du promontoire il jaillit de l’écume,
Et les pensives fleurs tremblent comme la mer ;
Le grand bras inlassé du phare qui s’allume
Explore les recoins du paysage amer.

Phare, tu resplendis comme un cœur de lumière ;
Cherche bien : il est tant de cœurs enténébrés !
Le vent des océans chuchote une prière,
Ton message est si doux à ces désespérés !

Le front humain que touche un rayon se redresse,
Et du haut de ton cap il tombe une leçon
D’apostolat, d’amour, de bonté, de tendresse :
Sois fort contre la nuit qui monte à l’horizon !


FEUX SUR LA MER


Oh ! la beauté des feux espacés sur la mer,
Feux terrestres éclos sur une onde sereine,
Fanaux qui fleurissez la nuit l’espace amer,
Oh ! la beauté des feux espacés sur la mer !

La lune les préside en haut comme une reine ;
Ils s’allument en chœur au sein profond des eaux ;
Ils échancrent la nuit avec de clairs ciseaux ;
La lune les préside en haut comme une reine.

Des feux étincelans apparaissant le soir
Dans la pure beauté des nuits orientales
Avaient fleuri les cœurs d’un message d’espoir,
O feux étincelans et paisibles du soir !

Si j’en crois les récits des histoires fatales,
Ces feux pareils à vous promettaient le retour
D’Agamemnon qui fut la victime à son tour,
Si j’en crois les récits des histoires fatales.

Vous n’avez pas en vous moins de solennité ;
Le soir mystérieux, recueilli comme un temple,
S’est tu, pensif et doux, près de votre beauté ;
Vous n’avez pas en vous moins de solennité.

Que m’apportez-vous donc, à moi qui vous contemple,
Songeant à l’immortel reflet des feux éteints,
Ces feux multipliés des veilles aux matins,
Que m’apportez-vous donc, à moi qui vous contemple ?


Nul message d’espoir, un rêve de beauté,
Le poème éclatant de ces feux séculaires
Dont vous avez le charme et la solennité ;
Nul message d’espoir, un rêve de beauté.

Le prestige des feux enchantant les nuits claires,
Et d’Asie en Hellas, et de Troie en Argos,
Se répétant, toujours brillans, toujours égaux,
Le prestige des feux enchantant les nuits claires.

Ce rêve nous murmure un message d’espoir ;
Il promet quelque chose au-delà de ces mondes,
La voix de Dieu remplit le silence du soir :
Les rêves de beauté sont messagers d’espoir.

Les feux éclairent moins l’ombre des nuits profondes
Dans leur beauté, les feux espacés sur les mers,
Qu’un mot de vérité l’ombre des cœurs amers ;
Les feux éclairent moins l’ombre des nuits profondes.


Lucie Félix-Faure.