Le Lalita-Vistara, ou Développement des jeux/Chapitre XXV

Traduction par Philippe-Édouard Foucaux.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Annales du Musée Guimet, tome 6p. 326-334).

CHAPITRE XXV

Ainsi donc, Religieux, pendant que le Tathâgata demeurait au pied de l’arbre Târâyaṇa dans les premiers moments de son arrivée à l’état de Bouddha parfait et accompli, retiré dans la solitude, bien recueilli en lui-même, ceci lui vint à la pensée à propos de ceux qui vivent selon le monde : Profonde en vérité, est cette loi obtenue par moi et qui est celle d’un Bouddha parfait et accompli ; elle est calme, très calme, vraiment calme, bien déduite, difficile à voir, difficile à comprendre, elle échappe au raisonnement, n’est pas du domaine du raisonnement, elle est vénérable, (ne) doit être connue (que) des savants et des sages. Elle met de côté tout aggrégat ; connaissant tout, ayant une connaissance sûre, elle empêche toutes les sensations, c’est le but suprême ; elle est sans demeure. C’est la nature froide sans prise, sans prise de possession, on ne l’a pas fait connaître, il ne faut pas la faire connaître, elle est en dehors des idées, a complètement dépassé les six objets des sens, ne délibère pas, n’hésite pas, est ineffable, n’a pas de son, n’a pas de voix, ne peut être articulée, ne peut être enseignée, est irréfutable, a dépassé complètement tout appui. Calme, coupant court (à la corruption naturelle) à l’aide de la loi ; parce qu’elle est vacuité (çoùnyatà) ne prenant rien pour appui, ayant empêché le désir, sans passion, c’est l’empêchement, c’est le Nirvâṇa.

Si j’enseignais cette loi aux autres, et s’ils ne la reconnaissaient pas, ce serait pour moi de la fatigue et un inutile effort ; je resterai donc silencieux dans mon peu d’empressement. Et en ce moment il récita ces Gâthâs :

1. Profonde, calme, exempte de trouble, lumineuse est la loi obtenue par moi, car elle est immortelle et affranchie des opérations de l’esprit. Et si je l’enseignais, elle ne pourrait être connue par un autre. Certainement il faut que je demeure silencieux dans la forêt.

2. La voix étant supprimée, le chemin de la parole est immaculé ; tel le ciel, telle est, par sa nature, la loi. Bien affranchi des doutes de l’esprit et du cœur, ce qu’il y a de merveilleux par excellence et supérieur, je le connais.

3. Et ce n’est pas avec des lettres que cela peut être compris. Les êtres qui ont rendu leurs devoirs aux précédents Djinas, ceux-là, après l’avoir entendu, y ont foi.

4. Et il n’y a, ici-bas, aucune condition (dharma) ; et celui-là n’est pas pour lequel l’existence n’est pas. Pour qui connaît la cause et l’action successives, il n’y a pas, ici-bas, d’existence qui soit ou ne soit pas.

5. Pendant des centaines de mille de Kalpas incommensurables, j’ai vécu auprès de précédents Djinas, et elle n’a pas été obtenue par moi cette patience, là où il n’y avait ni soi, ni être, ni vie.

6. Quand par moi est obtenue cette patience, personne ici-bas ne meurt ai nouait ; de nature inconsciente étaient toutes les substances, c’est alors que me prophétisa le Bouddha Dipangkara.

7. Ma miséricorde est infinie pour le monde tout entier et je n’attends pas pour satisfaire le désir des autres. Cette multitude ayant foi en Brahmâ, qu’il vienne donc en maître tourner la roue de la loi !

8. Et, de cette manière, cotte loi à moi sera comprise. Si Brahmâ tombé à mes pieds implorait (en disant) : Enseigne la loi exempte du trouble et qui satisfait ; les êtres sont en bonne disposition et désirent la connaître !

Ainsi, Religieux, de la touffe de poils du milieu de ses sourcils, le Tathâgata fit jaillir un rayon de lumière ; et par ce rayon, l’étendue des trois mille grands mille mondes fut remplie d’une grande clarté couleur d’or.

Ensuite le grand Brahmâ qui a une crête de cheveux, ayant, par la puissance même du Bouddha, connu, par la pensée, l’hésitation de l’esprit du Tathâgata, et que Bhagavat, dans son peu d’empressement, inclinait à ne pas enseigner la loi, se mit à penser : Moi-même, m’étant approché du Tathâgata, il faut que je le prie de tourner la roue de la loi.

Alors, Religieux, le grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux, s’adressa aux autres fils des dieux Brahmakâyikas : Il est perdu, mes amis, ce monde ; il est complètement perdu ! Car le Tathâgata, après s’être revêtu de la qualité parfaite et accomplie d’un Bouddha, a, dans son peu d’empressement, l’esprit porté à ne pas enseigner la loi. Il faut donc, après nous être approchés du Tathâgata Arhat véritablement Bouddha parfait et accompli, que nous le priions de faire tourner la roue de la loi.

Alors, Religieux, le grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux, entouré et précédé de soixante-huit millions de Brâhmanas, s’étant approché de l’endroit où était le Tathâgata, ayant salué ses pieds avec la tête et joignant les mains, lui parla ainsi : Hélas ! ce monde est perdu, Bhagavat ! hélas ! ce monde est complètement perdu, ô Bhagavat, puisque le Tathâgata, qui a revêtu la qualité d’un Bouddha parfait et accompli a l’esprit porté à ne pas enseigner la loi ! Que Bhagavat ait la bonté d’enseigner loi ! que Sougata enseigne la loi ! Ils sont bien disposés, les êtres, faciles à instruire, sincères, forts et capables de comprendre le sens de l’enseignement de Bhagavat. Et en ce moment, il récita ces Gâthâs :

9. Après avoir atteint le grand et sublime cercle de la sagesse et fait jaillir un rayon aux dix points do l’espace, lumière de sagesse, lotus des hommes, ô précepteur, tu restes indifférent, ô soleil des orateurs !

10. Après avoir invité les êtres au partage d’une vénérable richesse et avoir encouragé plusieurs dizaines de millions de créatures vivantes, cela n’est pas digne de toi, parent du monde, si, avec ton silence, tu négliges l’univers !

11. Bats fortement le tambour de la loi sans supérieure ; fais résonner promptement la conque de la bonne loi ; fais dresser le poteau (du sacrifice) de la loi sans supérieure ; fais briller le grand flambeau de la loi.

12. Fais pleuvoir l’eau excellente de la loi, fais traverser l’océan de la transmigration à ceux qui s’y trouvent ; délivre complètement ceux qui sont tourmentés de grands maux ; rends le calme à ceux que brûle la corruption naturelle !

13. Montre bien la route de l’apaisement, heureuse, prospère, sans vieillesse et sans chagrin. Pour le monde privé de guide et fourvoyé hors de la voie du Nirvana, ô guide, aies de la pitié !

14. Ouvre largement les portes de la délivrance complète ; enseigne la discipline vraiment sans trouble de la loi ; pour la multitude aveugle de naissance, ô guide, purifie l’œil excellent de la loi !

15. Ni dans le monde de Brahmâ, ni dans le monde des dieux, ni dans le monde des Yakchas, des Gandharvas et des hommes, il n’y en a d’autre que toi, en vérité, pour supprimer la naissance et la vieillesse, ô Lunus des hommes !

16. Je suis ton solliciteur, ô roi de la loi, après avoir fait de tous les dieux mes associés ; par cette œuvre méritoire, moi aussi puissé-je bientôt faire tourner la roue de la loi par excellence !

Religieux, le Tathagâta consentit par son silence, ayant conçu de la miséricorde pour Brahmâ qui porte une crête de cheveux réuni aux dieux et aux hommes et afin de s’occuper des affaires du monde. Alors, le grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux ayant connu le consentement du Tathâgata à son silence, après l’avoir couvert de poudres divines de sandal et d’aloès, rempli de la plus grande allégresse, disparut en ce lieu même.

Alors, Religieux, afin de produire le respect du monde pour la lui, et par l’effet de la requête réitérée au Tathâgata du grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux, afin de faire croître la racine de la vertu et en considération de la grandeur extrêmement profonde de la loi, tel fut le raisonnement de l’esprit du Tathâgata retiré de nouveau tout seul dans la solitude et plongé dans la contemplation : Profonde, en vérité, est cette loi qui résulte de la qualité de Bouddha ; elle est subtile, parfaite, difficile à comprendre, en dehors du raisonnement, hors du domaine du raisonnement, est faite pour être connue des savants et des sages, est en désaccord avec tous les mondes, difficile à voir, mettant tout reste de côté, apaisant toute idée, coupant court à toute passion, insaisissable par sa qualité d’être le Çoûnya ; détruisant le désir, sans passion, empêchant (la transmigration, c’est le) Nirvana. Si j’enseignais cette loi, les autres ne la comprendraient pas, et ce serait pour moi le suprême préjudice. Il faut donc que je reste ainsi avec peu d’empressement.

Alors Religieux, le grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux, ayant, par la puissance du Bouddha, connu que telle était encore l’hésitation de l’esprit du Tathâgata, après s’être approché de l’endroit où était Çakra le maître des dieux, parla ainsi au maître des dieux : Il tant que tu le saches, en vérité, Kâuçika, l’esprit du Tathâgata Arhat Bouddha parfait et accompli, dans son manque d’empressement, incline à ne pas enseigner la loi. Il est perdu, hélas, Kàuçika, ce monde ; il est complètement perdu ! Hélas ! Kâuçika, ce monde sera plongé dans les ténèbres profondes de l’ignorance ; hélas ! il y sera plongé, Kàucika ! puisque, en vérité, l’esprit du Tathâgata Arhat véritablement Bouddha parfait et accompli, dans son peu d’empressement, incline à ne pas enseigner la loi. Pourquoi donc n’allons-nous pas exhorter le Tathâgata Arhat véritablement Bouddha parfait et accompli à tourner la roue de la loi ? Pourquoi ? car, en effet, sans y être exhortés, les Tathâgatas ne tournent pas la roue de la loi.

Ami, c’est bien ! Et en parlant ainsi, Çakra et Brahmâ, les dieux qui président à la terre, ceux de l’atmosphère, les Tchatour-Mahâràdjakàyikas, les Trâyastrimçats, les Yàmas, les Touchitas, les Nirmànaratis, les Paranirmitavacavartins, les Brahmakâjikas, les Abhàsvaras, les Vrïhatphalas, les Goubhakritsuas, et plusieurs centaines de raille de fils des dieux Çouddliâvâsakàjikas, ornés des plus belles couleurs, ayant, à la fin de la nuit, éclairé seulement le pied de l’arbre Tàràyana d’une lumière divine, et s’étant approchés de l’endroit où était le Tathâgata, quand ils eurent salué ses pieds avec la tête et tourné trois fois autour de lui en présentant le côté droit, se tinrent d’un seul côté.

Alors Çakra le maître des dieux, s’étant approché du Tathâgata en joignant les mains sur son front en s’inclinant, le loua par cette Gâthâ :


17. Lève-toi, vainqueur du combat, produis la sagesse dans le monde qui agit dans les ténèbres, car ton esprit est bien délivré, comme la pleine lune bien délivrée de l’éclipsé.


Il parla ainsi et le Tathâgata resta silencieux.

Ensuite le grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux parla ainsi à Çakra le maître des dieux : ce n’est pas, Kâucika, comme tu exhortes, que les Tathâgatas Arhats véritablement Bouddhas parfaits et accomplis sont exhortés à tourner la roue de la loi.

Et alors le grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux, ayant rejeté son manteau sur une épaule, mis le genou droit à terre et s’étant incliné en joignant les mains sur son front du côté où se trouvait le Tathâgata, l’exhorta par une Gâthâ :

18. Lève-toi, vainqueur du combat ! Produis la sagesse dans le monde qui agit dans lis ténèbres ; enseigne-la loi, ô Mouni, et il sera bien instruit !

Il parla ainsi, Religieux, et le Tathâgata s’adressa ainsi au grand Brahmâ, qui porte une crête de cheveux : Profonde en vérité, ô grand Brahmâ, est la loi que je possède en ma qualité de Bouddha ; elle est subtile, parfaite (etc., comme précédemment jusqu’à :) elle sera pour moi préjudiciable au suprême degré. Aussi, ô Brahmâ, ces deux Gâthâs me sont toujours présentes : 19. Elle va contre le courant la voie profonde difficile à voir qui est la mienne ; ils ne la verront pas ceux qu’aveugle la passion ; inutile donc de l’enseigner !

20. Les créatures sont entraînées par le courant, tombées au pouvoir du désir. À grand’peine cette (loi) a été obtenue par moi ; inutile donc de l’enseigner !

Alors, Religieux, le grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux, et Çakra le maître des dieux, reconnaissant que le Bouddha demeurait silencieux, avec les fils des dieux, eux qui étaient affligés et chagrins, ils disparurent en ce lieu même.

Et, en ce moment, Religieux, des vues coupables et éloignées de la vertu, vinrent à l’esprit des hommes du pays de Magadha, telles que les uns disaient : Les vents ne souffleront plus. Quelques-uns diraient : Le feu ne brillera plus. Quelques-uns : Un dieu ne versera plus la pluie. Quelques-uns : Les rivières ne couleront plus. Quelques-uns : Les moissons ne croîtront plus. Quelques-uns : Les oiseaux ne voleront plus dans l’air. Quelques-uns : Les femmes enceintes n’enfanteront plus heureusement.

Alors, Religieux, le grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux, avant connu quelle était l’hésitation de l’esprit du Tathâgata et ces idées des hommes du pays de Magadha ; à la fin de la nuit, ayant, avec une couleur sans égale, éclairé de tous côtés le pied de l’arbre Târàyana d’uni> lumière divine, et s’étant approché de l’endroit où était le Tathâgata, après avoir salué ses pieds avec la tête, rejeté son manteau sur une épaule et mis le genou droit à terre, après avoir salué le Tathâgata enjoignant les mains sur son front, lui adressa ces Gâthâs :


21. Il y a eu autrefois, parmi les hommes du pays de Magadha, un langage entaché de mauvaises pensées, une loi impure. C’est pourquoi, ô Mouni, ouvre largement la porte de l’immortalité ; ils sont prêts à écouter la loi qui, par l’absence de tache, est celle d’un Bouddha.

22. Tu as fait ce qu’il fallait faire, arrivé à l’indépendance ; tu as mis de côté toute tache, venant de l’idée de la douleur ; sans défaillance est l’augmentation de ta vertu ; tu es parvenu ici aux sommets de la suprême loi.

23. Pas un, ô Mouni, n’est pareil à toi ici-bas dans le monde : où pourrait être ici-bas ton supérieur, ô grand Rïchi ? Ta personne, ici-bas la plus élevée, brille dans la réunion des trois mondes, comme la montagne qui est dans le séjour des Souras.

24. Conçois une grande pitié pour la créature misérable ; jamais tes pareils ne sont indifférents. Bhagavat, toi qui es doué des forces de l’intrépidité, tout seul tu es capable de délivrer les créatures.

25. Que la créature qui porte un dard (qui la blesse) qui est depuis longtemps tourmentée, soit, avec les divinités, les Çramanas et les Brahmanes tous ensemble, délivrée des tourments et de la fièvre : il n’y a pas d’autre refuge ici-bas pour elle !

26. Depuis longtemps liés, dieux et hommes ont pour toi des pensées amicales et sont désireux de l’Amrita. La loi que le Djina aura comprise, telle qu’elle est, sans être amoindrie, il la proclamera.

27. C’est pourquoi je t’implore, toi dont l’héroïsme est beau ! Discipline les êtres dont la route est depuis longtemps détruite. Elle aspire à entendre des sujets inconnus, cette foule tourmentée de désir, grand Mouni !

28. Répands devant toi la pluie de ta loi, comme le nuage pour la terre altérée. Produis, 6 Guide, la pluie de la loi qui désaltère ! Il y a longtemps que les hommes s’en vont dévoyés !

29. Dans le monde réceptacle de vues mauvaises, plein d’épines, enseigne la voie droite et sans épine, après l’avoir comprise ils pourront obtenir l’Amrîta ! Ceux qui sont tombés dans le précipice de l’aveuglement et sans guide, il est impossible qu’ils en soient retirés par d’autres (que toi). Ceux qui sont tombés dans le grand précipice, retire-les, après avoir conçu de la sollicitude ; tu es le taureau (chef du troupeau) doué de sagesse.

30. On n’a pas toujours le bonheur d’être réuni à toi, ô Mouni. Pareils à la fleur de l’Oudoumbara les Djinas qui sont des guides apparaissent bien rarement sur la terre. Le moment est venu, ô Guide, délivre les êtres.

31. Cette pensée a été la tienne dans des existences antérieures : « Moi-même ayant passé je ferai celui qui fait passer les autres. » Sans nul doute, tu es arrivé au (suprême) rivage aujourd’hui ; fais une vérité de ta promesse, toi qui as l’héroïsme de la vérité !

32. Avec le flambeau de la loi, dissipe les ténèbres, ô Mouni ; déploie l’étendard d’un Tathâgata ; c’est le moment de faire entendre une voix pleine de douceur. Parle comme le roi des animaux dont la voix résonne comme le tambour !


Alors, Religieux, le Tathâgata, examinant le monde tout entier avec l’œil, d’un Bouddha, vit les êtres infimes, moyens, intelligents, élevés, bas et moyens, agissant bien, agissant mal, faciles à purifier difficiles à purifier, sages, à l’intelligence étendue, aux paroles sublimes, en trois catégories d’êtres : une fixée dans la condition de l’erreur, une fixée dans la condition de la vérité, une non fixée. Ainsi, par exemple, Religieux, un homme placé au bord d’un étang voit les lotus, les uns entre deux eaux, les uns au niveau de l’eau, les uns élevés au-dessus de l’eau. De même, Religieux, le Tathâgata, examinant le monde tout entier avec l’œil d’un Bouddha, vit les êtres divisés en trois sortes d’agglomérations.

Alors, Religieux, il vint à la pensée du Tathâgata : que j’enseigne la loi ou que je ne l’enseigne pas, cette agglomération qui est fixée dans la condition de l’erreur, ne pourra sûrement reconnaître la loi. Que j’enseigne la loi ou que je ne l’enseigne pas, cette agglomération qui est fixée dans la condition de la vérité reconnaîtra sûrement la loi. Quant à l’agglomération qui n’est pas fixée, si je lui enseigne la loi, elle la reconnaîtra, et si je ne l’enseigne pas, elle ne la reconnaîtra pas. Telle fut sa pensée.

Alors, le Tathâgata, en voyant les êtres qui faisaient partie de l’agglomération des êtres sans fixité, commença à concevoir une grande pitié pour eux.

Alors aussi, le Tathâgata, ayant pris possession de la connaissance complète de lui-même, et ayant connu la requête du grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux, lui adressa ces Gâthâs :

33. Elles sont ouvertes, ô Brahmâ, les portes de l’Amrita, pour ceux qui sont doués d’oreilles ; ils entrent, ayant la foi et sans pensée de nuire ; ils écoutent la loi, les êtres du pays de Magadha.

Et alors, le grand Brahmâ qui porte une crête de cheveux, ayant connu le consentement du Tathâgata, satisfait, content, joyeux, ravi, le cœur rempli de joie, ayant salué les pieds du Tathâgata avec la tête, disparut en ce lieu même.

Alors, Religieux, les dieux de la terre l’annoncèrent à haute voix aux dieux de l’atmosphère et firent entendre ces paroles : Aujourd’hui, amis, par le Tathâgata Arhat Bouddha parfait et accompli a été faite la promesse de tourner la roue de la loi. Ce sera pour venir au secours des nombreuses créatures, pour leur bonheur, par pitié pour le monde, au profit de la grande foule des créatures, pour le salut et le bonheur des dieux et des hommes. Elles diminueront assurément, amis, les classes des Asouras ; les classes des dieux arriveront à la perfection, et, en grand nombre, dans le monde, les êtres entreront dans le Nirvana complet.

Après avoir appris cela des dieux de la terre, les dieux de l’atmosphère le redirent aux dieux Tchatour-Mahàràdjakàyikas ; ceux-ci aux dieux Trâyastrimçats ; ceux-ci aux Yâmas, ceux-ci aux Touchita-nirmânaratis, les Nirmânaratis aux Paranirmita-vaçavartins, ceux-ci, enfin, aux Brahmakàyikas, en leur faisant entendre ces mots : Aujourd’hui, amis, par le Tathâgata Arhat Bouddha parfait et accompli a été faite la promesse de tourner la roue de la loi. Ce sera pour venir au secours des nombreuses créatures, pour leur bonheur, par pitié pour le monde, au profit de la grande foule des hommes. Elles diminueront, assurément, amis, les classes des Asouras ; les classes des dieux s’augmenteront, et, en grand nombre dans le monde, les êtres entreront dans le Nirvana complet.

Ainsi, Religieux, à ce moment, à cette heure, en un instant, jusqu’aux dieux Brahmakàyikas, en commençant par les dieux de la terre, un seul son, un seul discours se fit entendre : « Aujourd’hui, amis, par le Tathâgata Arhat Bouddha parfait et accompli, la promesse de tourner la loi a été faite. »

Alors, Religieux, les quatre divinités de l’arbre de l’Intelligence nommées Dharmaroutchi, Dharmakâma, Dharmamati et Dharmatchâri étant tombées aux pieds du Tathâgata, parlèrent ainsi : Où Bhagavat tournera-t-il la roue de la loi ?

Ainsi, interrogé. Religieux, le Tathâgata répondit ceci : À Vârânasi, à Rîchipatana Mrigadâva.

Les divinités dirent : Chétive est la population de la grande ville de Vârânasi, et chétif l’ombrage des arbres du Mrïgadâva (bois des gazelles). Il y a d’autres grandes villes riches, opulentes, heureuses, prospères, agréables, remplies d’hommes et de créatures nombreuses, embellies par des jardins, des bosquets et des bois. Que Bhagavat, dans l’une ou l’autre de ces villes, fasse tourner la roue de la loi.

Le Tathâgata dit : Ne parlez pas ainsi, vous dont le visage est gracieux. Pourquoi ?


34. (Parce que) ils sont au nombre de soixante mille Nayoutas (cent millions) de Kôtis (dix millions) les sacrifices qui ont été faits là par moi ; ils sont au nombre de soixante mille Nayoutas de Kôtis les Bouddhas qui ont été honorés là par moi. La ville excellente de Vârânasi a été la demeure des Rîchis d’autrefois ; elle est un lieu loué par les dieux et les Nâgas où l’on s’applique toujours à la loi.

35. Je me souviens des quatre-vingt-onze mille Kôtis de Bouddhas qui, autrefois, dans ce bois beau entre tous, dont le nom vient des Richis, firent tourner la roue sans supérieure, calme, parfaitement calme, accompagnée de contemplation, toujours honorée par les gazelles. À cause de cela, dans le bois beau entre tous, dont le nom vient des Rîchis, je tournerai la roue sans supérieure.


Chapitre nommé : Exhortation, le vingt-cinquième.