Le Lalita-Vistara, ou Développement des jeux/Chapitre I

Traduction par Philippe-Édouard Foucaux.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Annales du Musée Guimet, tome 6p. 3-8).

CHAPITRE PREMIER

Om ! Salut à tous les Bouddhas et Bôdhisattvas, aux vénérables Çrâvakas et Pratyêkabouddhas, qui se tiennent aux dix points de l’espace des régions du monde sans fin, illimité !

Ce discours a été une fois entendu par moi : Bhagavat demeurait à Çrâvasti, dans le Djêtavana, dans le jardin de plaisance d’Anâthapiṇḍada, avec une grande réunion de religieux au nombre de douze mille, tels que : Âyouchmat Adjñânakâundinya, Âyouchmat Açvadjit, Âyouchmat Vâchpa, Âyouchmat Mahânâma, Âyouchmat Bhadrika, Âyouchmat Yaçôdêva, Âyouchmat Vimala, Âyouchmat Soubâhou, Âyouchmat Poûrna, Âyouchmat Gavâmpati, Âyouchmat Ourouvilvâ Kâçyapa, Âyouchmat Nadi Kâçyapa, Âyouchmat Mahâ Kâtyâyana, Âyouchmat Kaphila, Âyouchmat Kâundinya, Âyouchmat Tchounandana, Âyouchmat Poûrna Maitrâyaṇî poutra, Âyouchmat Anirouddha, Âyouchmat Nandika, Âyouchmat Kachphila, Âyouchmat Soubhoûti, Âyouchmat Rêvata, Âyouchmat Khadiravanika, Âyouchmat Amôgharâdja, Âyouchmat Mahâ Pâranika, Âyouchmat Vakkoula, Âyouchmat Nanda, Âyouchmat Râhoula, Âyouchmat Svâgata, Âyouchmat Ânanda.

Ainsi, avec douze mille religieux ayant les précédents à leur tête, il était avec trente-deux mille Bôdhisattvas, tous liés seulement par une naissance, ayant produit toute la perfection des Bôdhisattvas, déployant toute la science supérieure des Bôdhisattvas, ayant acquis toute l’énergie des Bôdhisattvas, ayant acquis toute la science magique des Bôdhisattvas, ayant obtenu l’entier accomplissement des prières des Bôdhisattvas, ayant bien parcouru toute la voie des Bôdhisattvas, ayant bien obtenu de se dominer par la contemplation propre aux Bôdhisattvas, ayant obtenu toute la puissance de se dominer des Bôdhisattvas, bien entrés dans toute la patience des Bôdhisattvas, ayant bien rempli toutes les terres des Bôdhisattvas, tels, par exemple, que Mâitrêya Bôdhisattva Mahâsattva, Dharaṇiçvararâdja Bôdhisattva Mahâsattva, Siñhakêtou Bôdhisattva Mahâsattva, Siddhârtamati Bôdhisattva Mahâsattva, Praçân­tatcharitamati Bôdhisattva Mahâsattva, Pratisamvimprâpta Bôdhisattva Mahâsattva, Nityôyoukta Bôdhisattva Mahâsattva, Mahâkarouṇatchandri, Bôdhisattva Mahâsattva, et autres en tête jusqu’à trente-deux mille.

En ce temps-là Bhagavat s’étant retiré dans la grande ville de Çravastî, il y demeurait honoré, respecté, révéré, comblé d’offrandes par les quatre assemblées, par les rois, les fils de roi, les Kchattriyas, les Brahmanes, les maîtres de maison, les habitants de la ville et de la campagne, les Tirthikas, les Çramanas, les Brâhmaṇes, les Tcharakas, et les Parivrâdjakas. Et Bhagavat possesseur de mets préparés, savoureux et abondants, de vêtements de religieux, de lits de repos, de remèdes pour les maladies et d’ustensiles nécessaires ; en possession d’une renommée excellente et de biens excellents. Bhagavat était détaché de tout, comme le lotus sur lequel glisse l’eau. Et le grand bruit de la bonne renommée de Bhagavat était répandu dans le monde.

Arhat, Bouddha parfait et accompli, doué de savoir et de conduite, Sougata, le premier de ceux qui connaissent le monde, le grand homme qui est le cocher (conducteur) de ceux qu’il faut discipliner, le précepteur des dieux et des hommes, le Bouddha Bhagavat qui possède les cinq yeux, est apparu. Ce monde et l’autre monde avec les dieux, avec les démons, avec Brahmâ, avec les Çramanas, les Brâhmaṇes et les autres créatures, avec les dieux et les hommes, après les avoir bien connus par lui-même, les avoir compris, les avoir préparés, il est demeuré et a enseigné la bonne loi qui, au commencement est celle de la vertu, au milieu celle de la vertu, à la fin celle de la vertu, au sens excellent, aux belles expressions, sans mélange, accomplie, vraiment pure, vraiment blanche, gardant la chasteté ; telle est la loi qu’il a enseignée.

En ce temps-là Bhagavat fut plongé dans la méditation appelée : Bouddhâlangkâravyoûha (arrangement des ornements du Bouddha), et à peine y fut il plongé que, du sommet de sa tête, par les interstices de l’excroissance qui la couronne, sortit le rayon appelé : Poûrva-bouddha-anoupasmrityasanga-âdjnâna-âlôka-alangkâra (ornement lumineux de la science sans passion qui rappelle le souvenir des Bouddhas antérieurs). Ce rayon ayant éclairé toutes les demeures des dieux Çouddhâvâsas, excita les innombrables fils des dieux ayant à leur tête Mahêçvara, le fils d’un dieu. Puis les réseaux du rayon du Tathâgata firent entendre ces stances (gâthâs) d’exhortation :

1. Venez vous joindre à celui qui produit la bonne lumière qui détruit les ténèbres, qui a une belle lumière, une splendeur excellente, belle et sans tache ; qui a le corps bien apaisé, l’esprit pur et apaisé, au Mouni Çâkya Śinha :

2. L’océan de science, pur, à la grande force, seigneur de la loi, sachant tout, maître des Mounis, dieu au-dessus des dieux, digne des hommages des hommes et des dieux, existant par lui-même dans la loi et exerçant l’empire ; ayez recours à lui.

3. Qui s’est rendu maître de son esprit difficile à dompter, qui a l’esprit complètement délivré des pièges du démon, dont la vue et l’ouïe ne sont pas inutiles ici-bas, qui va vers la rive paisible de la délivrance :

4. Qui s’est manifesté dans la loi sans égale, qui dissipe les ténèbres, qui enseigne la bonne règle, le Bouddha qui fait des actions calmes, a l’intelligence incommensurable ; avec dévotion, tous approchez-vous !

5. C’est le roi des médecins, dispensateur du remède de l’amrita ; c’est le héros des orateurs, le destructeur des troupes des méchants, l’ami de la bonne loi, connaissant bien le meilleur sens : c’est le guide qui montre la route sans supérieure.

Aussitôt qu’ils eurent été touchés par ces rayons lumineux de la science sans passion, qui produit le souvenir des Bouddhas antérieurs, ces fils des dieux Çoudhâvâsakâyikas, aussitôt qu’ils eurent été exhortés par des Gâthâs (stances) telles que celles-ci, étant sortis parfaitement calmes de la méditation, ils se rappelèrent, par la puissance du Bouddha, les Bouddhas Bhagavats dépassant (en nombre) les Kalpas, incommensurables, dépassant le calcul et la numération.

Et ce qu’il y eût de cercles d’assemblées pour l’arrangement des qualités du champ des Bouddhas, et d’enseignements de la loi, ils se les rappelèrent tous.

Cependant, au milieu de cette nuit paisible, le fils d’un dieu Çouddhâvâsakâyika nommé Içvara, et celui qu’on nomme Mahêçvara ainsi que Nandana, Tchandana, Mahita, Praçânta, Vinitêçvara et autres fils des dieux Çouddhâvâsakâjikas en grand nombre ; avec des couleurs surpassant celles qui surpassent, après avoir éclairé le Djêtavana tout entier d’une splendeur divine et s’être rendus à l’endroit où était Bhagavat, après avoir salué les pieds de Bhagavat avec la tête, se tinrent d’un côté. Et se tenant d’un côté, ces dieux Çouddhavâsakâvikas dirent à Bhagavat : Il y a, ô Bhagavat, une partie de la loi qui a nom Lalitavistara, conclusion des Soûtras, recueil très développé qui montre bien la racine de la vertu des Bôdhisattvas, qui fait bien voir en détail la descente de l’excellente demeure du Touchita, et le séjour dans le sein de la mère ; qui montre bien le pouvoir de la terre (où a lieu) une naissance supérieure ; la supériorité spéciale des qualités de toute la conduite du Bôdhisattva enfant ; la condition de tout ce qui se rapporte aux arts du monde, la condition des œuvres, l’écriture, la numération, la manière de joindre les doigts en priant, le calcul, l’escrime, l’exercice de l’arc, le pugilat, la lutte, la supériorité sur tous les êtres ; qui montre bien la jouissance des objets des sens dans l’appartement des femmes, qui célèbre l’acquisition du fruit mûri régulièrement partout et la conduite d’un Bôdhisattva, les divers jeux d’un Bôdhisattva, la destruction de tous les cercles de démons ; la force d’un Tathâgata, les intrépidités, la réunion des dix-huit conditions non mêlées, l’enseignement de la loi incommensurable d’un Bouddha (ce Soûtra) exposé par les Tathâgatas antérieurs, tels que les Bhâgavats Padmôttara, Dharmakêtou, Dipangkara, Gouṇaketou, Mahâkara, Richidêva, Çrîtêdjas, Satyakêtou, Vadjrasañhata, Sarvâbhibhoû, Hêmavarṇa, Abhyoutchagami, Pravaṭasâgara, Pouchpakêtou, Vararoûpa, Soulôtchana, Richigoupta, Ounnata, Pouchpita, Ourṇâtêdjas, Pouchkala, Souraçmi, Mañgala, Soudarçana-Mahâsiñhatêdjas, Sthitaboud&shy ;dhidatta, Vaçantagandhin, Satyadharmavipoulakirti, Tichya, Pouchya, Lôkasoundara, Vistirṇabhêda, Ratnakîrti, Ougratêdjas, Brahmatêdjas, Soughôcha, Soupouchpa, Soumanôjñaghôcha, Soutchêchta­roûpa, Prahasitanêtra, Gouṇarâci, Mêghasvara, Soundaravarṇa, Âyoustêdjas, Salîlagadjagâmi, Lôkâbhilâchita, Djitaçatrou Sampoûdjita, Vipacyi, Cikhin, Viçvabhoû, Krakoutch’anda et Kanakamouni ; (ce Soûtra) qui a été aussi exposé autrefois par Kâcyapa Tathâgata Arhat Bouddha parfait et accompli, que Bhagavat le mette en lumière de nouveau aujourd’hui, pour le secours d’un grand nombre d’hommes, pour le bonheur d’un grand nombre d’hommes, par compassion pour le monde, en faveur d’une grande multitude d’hommes, pour le bonheur des dieux et des hommes, pour l’exposition complète de ce grand Véhicule, pour la répression de tous les contradicteurs, pour la glorification de tous les Bodhisattvas, pour la soumission de tous les démons, en faveur de tous les grands hommes qui sont dans le véhicule des Bodhisattvas, afin de faire naître l’héroïsme et l’activité, afin de faire embrasser la bonne loi, afin de prévenir l’interruption de la famille des Trois précieux, afin de bien montrer l’œuvre d’un Bouddha. Ils parlèrent ainsi et Bhagavat consentit par son silence, après avoir pris en pitié ces fils des dieux et aussi le monde avec les dieux.

Ensuite les fils des dieux ayant connu par le silence de Bhagavat qu’il donnait son consentement, satisfaits, ravis, transportés de joie, ayant l’esprit rempli de joie, après avoir salué les pieds de Bhagavat avec la tête, tourné trois fois autour de lui en présentant le côté droit, et l’avoir couvert de poudres divines de sandal, de poudre d’aloès et de fleurs de mâudârava, ils disparurent en ce lieu même.

Ensuite Bhagavat, à la fin de cette même nuit, s’étant rendu à l’endroit où était le bois des tiges de Bambou s’assit sur le siège même préparé (pour lui) entouré de la foule de Bodhisattvas entouré des assemblées des Çrâvakas, et après s’être assis, Bhagavat s’adressa aux religieux.

Ainsi donc, Religieux, pendant la nuit paisible, le fils d’un dieu Çouddhâvâsahâyika nommé Içvara, ainsi que Mahêçvara. Nandana, Sounaudana, Tchandana, Mahita, Praçânta, Vinitêçvara et d’autres fils des dieux Çouddhâvâsakâyikas très nombreux, comme (il est dit) précédemment, disparurent en ce lieu même.

Alors les Bodhisattvas et les Mahâ-Çrâvakas s’étant inclinés les mains jointes du côté où était Bhagavat, lui parlèrent ainsi :

Que Bhagavat veuille nous bien enseigner cette partie de la loi nommée Lalitavistara. Ce sera au profit de nombreuses créature, pour le bonheur de nombreuses créatures, par compassion pour le monde, pour le bien de la grande quantité de créatures, pour le secours, pour le bonheur des dieux et des hommes et des Bôdhisattvas Mahâsattvas présents et futurs.

Bhagavat consentit par son silence, pris de compassion pour ces Bôdhisattvas Mahâsattvas, pour ces Mahâ Çrâvakas, pour les dieux, les hommes, les Asouras et le monde.

Et là il est dit :

6. Ici, cette nuit, Religieux, maintenant que je suis assis à l’aise et exempt du trouble des passions, après être entré par des Vihâras agréables, ayant l’esprit, fixé sur un seul point et complètement recueilli,

7. Ces fils des dieux sont venus doués d’une grande puissance surnaturelle, brillants d’une splendeur sans tache aux belles couleurs qui réjouissent. Après avoir illuminé ici par leur splendeur, le bois nommé Djêta, ils se sont approchés, joyeux en ma présence.

8. Mahêçvara, Tchandana, Iça et Nanda, Praçantatchitta, Mahita, Sounanda ainsi que le fils d’un dieu Çanta, avec plusieurs dizaines de millions de dieux,

9. (Qui), après avoir salué mes pieds, et avoir, chacun, tourné autour de moi en me présentant le côté droit, après être venus ici, sont restés près de moi ; puis après avoir fait l’andjali (salut) en joignant les mains, pleins de respect, ils m’ont, ici même, sollicité (en disant) :

10. « Mouni, ce Soûtra développé, riche en ce qui détruit la passion, ce grand Nidâna (sujet de discours) qui a été enseigné par tous les Tathâgatas pour le secours de chaque monde précédent ;

11. Que le Mouni l’enseigne bien de nouveau à présent, avec le désir de s’attacher la foule des Bôdhisattvas, en expliquant ce grand Véhicule sans supérieur, qui détruit les contradictions et le démon ».

12. Il agréa cette requête de la foule des dieux et consentit par son silence. Et tous, contents, joyeux, ravis, jetèrent des fleurs, comblés de satisfaction.

13. C’est pourquoi. Religieux, écoutez de ma bouche, ce grand sujet de discours, ce Soûtra développé qui a été enseigné par tous les Tathâgatas pour être le secours de chaque monde précédent.


Chapitre appelé : sujet du discours (Nidâna) le premier.